Anonyme [1652], LE GRAND RESSORT DES Guerres ciuiles en France. Faisant voir dans les vies de tous les Ministres d’Estat qui se sont ingerez de nous gouuerner. I. Qu’ils ont tousiours esté la source de toutes les dissentions publiques; & le sujet qui a fait prendre les armes aux Grands du Royaume. II. Qu’ils ont eux mesmes fait naître & entretenu les Guerres ciuiles, comme vn des moyens propres pour les rendre necessaires aux Rois, & pour se maintenir dans le Ministere. III. Qu’ils ont tousiours employé tous leurs artifices à detourner la conoissance des affaires d’Estat aux Rois, & fait tous leurs efforts pour abatre les Princes, & tenir les Peuples dans l’oppression. Le remede necessaire & Politique à tous ces desordres. I. Est de donner vn Conseil de sages testes au Roy, qui l’instruise dans l’art de Regner par soy mesme. II. D’éloigner de luy cõme des pestes d’estat tous ceux qui voudront s’opposer à ce loüable établissement. III. D’établir de rigoureux supplices pour les Ministres qui passeront leur deuoir, qui est seulement de donner conseil à leur Souuerain, sans iamais rien entreprendre de leur teste: De rendre le rang aux Princes du Sang qui leur est deu par leur naissance; & donner le repos aux Peuples. , françaisRéférence RIM : M0_1513. Cote locale : B_3_18.
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IV.
EBROIN MINISTRE
de Clotaire.

Cet homme venu de peu, fut le plus ambitieux
de son temps, & n’epargna rien pour regner
aux depens de sa foy, de son honneur & de sa vie.
Il estoit méchant & cruel au dernier point, qualités
qui luy attirerent bien-tost la hayne de tous les
François, qui ont en horreur la lacheté & la Tyrannie.

Sous le Regne de Clotaire III. Il donna les
moyens d’opprimer le peuples, par la quantité
d’imposts qu’il establit sur toutes sortes de biens
faisant des exactions & des iniustices enormes à
l’endroit de tous les sujets du Roy, qu’il traittoit
comme des esclaues, ayant coustume de dire souuent
que le peuple viuoit trop grassement en France
& qu’il se meconnoissoit lors qu’on le laissoit
dans la iouïssance d’vne trop longue paix.

Apres la mort de Clotaire. Ebroin craignant
que Childeric legitime heritier de la Couronne, ne
voulust pas se seruir de luy au maniment de ses affaires ;
afin de se maintenir en cette dignité, il persuade
à Thierry fils puisné de France, de s’inuestir

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de la Royauté. Il le fait donc Couronner Roy.
mais Childeric arriuant auec vne puissante Armée,
il fallut qu’Ebroin le cedast à ses forces, & à la haine
des François qui luy estoient tous contraires,
aussi bien qu’à Thierry, qu’ils n’aymoient pas à
cause de son Ministre, ce qui fut vn suiet assez
grand pour leur faire aymer Childeric. Thierry fut
donc pris, rasé & confiné au Monastere sainct Denys.
Ebroin fut pris aussi, rasé pareillement & relegué
à Luçon en Bourgongne, ses méchancetés
meritoient des lors vne bien plus grande punition :
mais il estoit reserué encore à de plus grands crimes.

 

Apres la mort de Childeric Thierry fut tiré du
Cloistre, pour Regner à son tour, estant le plus
proche du sang Royal. Ebroin à l’ayde de quelques
Seigneurs mal-contens, s’échappe aussi de sa solitude,
fait vn corps d’Armée assez considerable, &
vient s’emparer de la personne du Roy, afin de Regner
aussi absolument, qu’il voudroit. L’andregesil
qui estoit pour lors estably dans le Ministere,
sous la qualité de Maire du Palais, luy faisoit quelque
obstacle à ses desseins, & par consequent il s’en
failloit deffaire à quelque prix que ce fust, c’estoit
sa Politique, cela luy estoit assez difficile à faire
tant à cause que ce Maire s’estoit esloigné sur la deffiance
qu’il auoit du mauuais naturel de ce defrocqué,
que parce qu’il estoit aymé & chery de tous
les François, pour sa moderation, & toutes les autres

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vertus qui estoient estimables dans vn homme
qui tenoit tout le pouuoir entre ses mains : c’estoit
vn nouueau suiet d’enuie pour Ebroin, qui ne pouuoit
rien souffrir au dessus de son ambition il se
resolut de l’opprimer par vne lacheté abominable,
il employe donc tous les artifices pour luy leuer
tout soubçon, le fait asseurer de sa part de tous les
fauorables traitemens qui pouuoit souhaitter du
Roy, & de luy, qu’il peut sans crainte reuenir à la
Cour, qu’il luy engageoit sa parolle & sa foy, qu’il
ne luy arriueroit aucun mal, il le confirma si bien
dans cette creance, que l’Endregisil s’asseurant sur
la debonnaireté du Roy, sur les belles protestations
d’Ebroin, sur l’amitié de tout le monde qu’il
s’estoit acquise par ses loüables deportements, &
enfin sur sa bonne conscience, qui est la plus grande
seureté qu’on puisse desirer, s’en vint rendre de
bonne foy entre les mains de son plus capital ennemy,
qui l’ayant fait attendre sur le chemin, &
l’ayant pris à son auantage lors qu’il y pensoit le
moins le fit laschement assassiner contre sa parolle,
son honneur & toute sorte de iustice, coup le plus
perfide, vne ame basse & cruelle à qui la vertu donnoit
ombrage, connoissant bien qu’il ne la pouuoit
iamais surmonter qu’en l’opprimant, il fut
aussi-tost capable du crime le plus noir & le plus
detestable entre les hommes.

 

Ainsi il reprit le gouuernement du Royaume &
du Roy, qui durãt toutes ces tragedies ne se seruoit

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que de marotte sans iugement, & sans aucune vigueur.
Ebroin auoit toute l’authorité, de laquelle
il se seruoit comme de coustume : c’est à dire auec
toute la cruauté imaginable, le massacre de sainct
Leger Euesque d’Authun, la mort de plusieurs autres
Prelats en furent des marques funestes, qui le
rendirent odieux à toute la France.

 

Il fut bien si forcené de rage, qu’il fit couper la
langue à plusieurs gens de bien, qui le reprenoient
de ses horribles excez, dont les bouches muettes
publierent encor bien plus haut ses tyranniques
infamies.

Enfin s’estant porté à des extremitez dénaturées,
& chacun ayant abomination de ses fureurs, il
trouua enfin vn chastiment à tant de noires malices ;
car ayant offensé tous les nobles, & principalement
vn nommé Ermanfroy, qui en auoit conserué
vn grand ressentiment, ayant trouué l’occasion
fauorable de se venger de ce perfide, il prit l’auantage
que la fortune luy presentoit, apres luy
auoir reproché en peu de mots ses manquements
de foy & de parole, tant en son endroit, qu’enuers
plusieurs autres, luy passa son espée à trauers le
corps, & detruisit ce Monstre si preiudiciable à la
societé humaine.

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Reflexion Politique sur la vie de Clotaire.

IL n’est rien de plus vray que la violence est de
peu de durée, & que la Tyrannie trouue toûjours
vne fin malheureuse. La cheute D’Ebroin
confirme cette maxime, qui est assez appuyée par
la disgrace de quantité d’autres de ses semblables,
La plus infaillible ruine des Estats vient tousiours
de cette source impetueuse, qui épand par tout les
desordres, & la confusion. Vn trouble general
qui s’esleue de ces rauages, dissipe assez souuent ce
Concert des volontez du Souuerain, & des suiets
qui fait le corps de la Monarchie, en sorte que les
Roys aussi bien que leurs Peuples, souffrent dangereusement
par les violentes ambitions de leurs Ministres,
que les Atheniens faisoient mourir dés la
premiere faute qu’ils commettoient dans le Gouuernement
de leur Republique.

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Anonyme [1652], LE GRAND RESSORT DES Guerres ciuiles en France. Faisant voir dans les vies de tous les Ministres d’Estat qui se sont ingerez de nous gouuerner. I. Qu’ils ont tousiours esté la source de toutes les dissentions publiques; & le sujet qui a fait prendre les armes aux Grands du Royaume. II. Qu’ils ont eux mesmes fait naître & entretenu les Guerres ciuiles, comme vn des moyens propres pour les rendre necessaires aux Rois, & pour se maintenir dans le Ministere. III. Qu’ils ont tousiours employé tous leurs artifices à detourner la conoissance des affaires d’Estat aux Rois, & fait tous leurs efforts pour abatre les Princes, & tenir les Peuples dans l’oppression. Le remede necessaire & Politique à tous ces desordres. I. Est de donner vn Conseil de sages testes au Roy, qui l’instruise dans l’art de Regner par soy mesme. II. D’éloigner de luy cõme des pestes d’estat tous ceux qui voudront s’opposer à ce loüable établissement. III. D’établir de rigoureux supplices pour les Ministres qui passeront leur deuoir, qui est seulement de donner conseil à leur Souuerain, sans iamais rien entreprendre de leur teste: De rendre le rang aux Princes du Sang qui leur est deu par leur naissance; & donner le repos aux Peuples. , françaisRéférence RIM : M0_1513. Cote locale : B_3_18.