Anonyme [1652], LE GRAND RESSORT DES Guerres ciuiles en France. Faisant voir dans les vies de tous les Ministres d’Estat qui se sont ingerez de nous gouuerner. I. Qu’ils ont tousiours esté la source de toutes les dissentions publiques; & le sujet qui a fait prendre les armes aux Grands du Royaume. II. Qu’ils ont eux mesmes fait naître & entretenu les Guerres ciuiles, comme vn des moyens propres pour les rendre necessaires aux Rois, & pour se maintenir dans le Ministere. III. Qu’ils ont tousiours employé tous leurs artifices à detourner la conoissance des affaires d’Estat aux Rois, & fait tous leurs efforts pour abatre les Princes, & tenir les Peuples dans l’oppression. Le remede necessaire & Politique à tous ces desordres. I. Est de donner vn Conseil de sages testes au Roy, qui l’instruise dans l’art de Regner par soy mesme. II. D’éloigner de luy cõme des pestes d’estat tous ceux qui voudront s’opposer à ce loüable établissement. III. D’établir de rigoureux supplices pour les Ministres qui passeront leur deuoir, qui est seulement de donner conseil à leur Souuerain, sans iamais rien entreprendre de leur teste: De rendre le rang aux Princes du Sang qui leur est deu par leur naissance; & donner le repos aux Peuples. , françaisRéférence RIM : M0_1513. Cote locale : B_3_18.
Sub2Sect précédent(e)

Sub2Sect suivant(e)

III.
PROTADE, ITALIEN,
Ministre de Thierry Roy de Bourgoigne,
& Fauory de BRVNEHAVLT.

I’AY bien voulu mesler celuy-cy parmy nos Ministres
de France, pour faire voir combien la domination
estrangere & Italienne est pernicieuse à la
France, afin que l’on puisse aussi remarquer que
nostre temps ne manque pas d’exemples pour le chastiment
d’vn Italien, qui pour faire ses affaires ne se
met guere en peine de la ruyne de nostre pays.

Protade, homme de fort basse condition, venu
d’Italie, vsa de tant d’artifices & de souplesses pour
s’introduire à la Cour de la Reyne Brunehaut, qu’elle
le reconnut propre à executer toutes ses plus lâches
entreprises, & capable de seconder ses desseins,
qui ne tendoient qu’à regner longuement, par le
moyen des fourbes & des intrigues malicieuses
qu’elle mettoit en vsage à tout moment, & ausquelles
l’esprit de Protade estoit fort accommodant.

-- 34 --

Elle ne le iugea pas mesme indigne de ses flammes
impudiques, luy prostituant son honneur à la
veuë de tout le monde, pour l’obliger dauantage à
luy estre fidelle en ses secrettes meschancetez.

C’estoit-là iustement l’employ d’vn Italien, de
flatter les voluptez, & l’artificieuse conduite d’vne
Femme ambitieuse, aussi reüssit-il à merueille en
l’vn & en l’autre, & la contenta au poinct qu’elle
pouuoit souhaitter. Car outre ses adresses en amour,
mestier, auquel tous ceux de son païs sont Maistres,
il employoit encore tant de ruses au maniment de
ses affaires, qu’elle le crut absolument necessaire
pour se maintenir dans la puissance qu’elle s’estoit
acquise. Elle le fit Maire du Palais de Bourgoigne, &
le donna à Thierry pour administrer ses Estats, desquels
elle estoit la Maistresse absoluë, s’estant conserué
tout le pouuoir en la personne de celuy qui luy
estoit entierement acquis, & qui ne faisoit rien que
par ses mouuemens.

Si-tost que cét Italien se vit en cette haute dignité,
il s’appliqua entierement à la recherche de tous
les moyens qui l’y pouuoient longuement maintenir
auec seureté. Le premier qui luy sembla assez efficace
à son dessein, fut d’amasser des sommes immenses
d’argent, ce qui ne luy estoit pas beaucoup
difficile à faire, ayant tout pouuoir sur les Finances
& sur les tresors du Roy son Maistre, auec la bonne
volonté de la Reyne qui approuuoit ses plus injustes
procedez. Si bien qu’il deuint en fort peu de temps

-- 35 --

prodigieusement riche aux despens de la pauure
France, qui estoit sur chargée des exactions & brigandages
de ce nouueau Ministre qui ne pensoit qu’à
s’enrichir en se moquant des souffrances des miserables
Peuples qu’il mettoit à l’extremité. Le second
moyen duquel il se seruit pour appuyer sa puissance,
& l’establir auec plus de fermeté, fut la disposition
de toutes les Charges & Benefices du Royaume,
qu’il retenoit par deuers luy, & n’en conferoit
qu’à ses creatures, quoy qu’il en promist à tous les
autres. Tellement qu’auoüé du Prince, aymé &
chery de la Reyne-Mere, protegé par les siens, il
gouuernoit absolument l’Estat en dépit de tous les
Grands qu’il auoit fourbez autant de fois qu’ils
auoient traité auec luy, & qu’il tenoit les plus esloignez
des affaires qu’il luy estoit possible. Cette lasche
Politique l’auoit mis dans la hayne de tout le
Monde : car pour estre ennemy des François, il ne
faut qu’estre auare & infidele. Il jugea bien qu’il
pourroit subsister long-temps dans ce grand pouuoir,
s’il faisoit naistre vne Guerre pour se maintenir :
il falloit qu’il se rendit necessaire par des troubles
qu’il souleuoit dans l’Estait ; mais il falloit vn
pretexte pour l’exciter entre les Freres. Son esprit fecond
en malices ne manqua point dans ces semences
de discorde, qui font des ennemys mortels & irreconciliables
des plus proches. Protade persuada à
Thierry d’entreprendre la Guerre contre son Frere
Theodebert Roy d’Austrasie, de le dépoüiller de ses

-- 36 --

Estats, & de s’en rendre le Maistre vnique, comme
en estant l’vnique Successeur : La raison qu’il luy supposa
de cette vsurpation, fut de luy faire croire qu’il
n’estoit point son Frere ; mais le fils d’vn sardinier,
à quoy Brunehault acquiesca volontiers au prejudice
de son honneur. Sur cette preuue, Thierry croyant
la Guerre bien juste de son costé, la declara à son Frere,
qu’il ne traittoit plus que comme vn Estranger
dans sa Famille. Il donna le soin de tout l’appareil
de cette expedition à son Ministre, qui en peu de
temps mit sur pied vne effroyable & nombreuse Armée,
qui estonna tous les Grands-Seigneurs de la
Bourgoigne. Brunehault entretenoit ce grand feu, &
cette inimitié irreconciliable entre les Freres. Protal
de la poussoit aux extremitez par ses maximes Politiques,
qui regardoient tousiours le maintien de
son Pouuoir & de celuy de a Reyne. Les éuenemens
de cette furieuse Guerre furent differens, estant tantost
auantageux à l’vn, & puis à l’autre. Si bien que
les Grands Seigneurs de l’vn & de l’autre Royaume
lassez de tant de fatigues qui duroient si long-temps,
& dont on ne voyoit point de fin pour l’auenir,
s’entremirent d’accorder les Freres, & de remettre
la Paix entre eux qui en auoit esté bannie par
la pernicieuse conduite d’vn Italien, & de cette Espagnolle.
Ils firent plusieurs Remonstrances sur ce
sujet, qui furent toutes tres inutiles, Protade en destournant
tousiours tout l’effet. Ceux de Bourgoigne
qui reconnoissoient bien qu’il estoit le principal auteur

-- 37 --

de ces desordres, representerent au Roy Thiery
les raisons contraires de cette pretenduë supposition
de Theodebert s’efforçant de luy faire voir
qu’il estoit tres legitime, & que toute cette malicieuse
intrigue n’estoit qu’vn moyen qu’on employoit
pour les diuiser & pour entretenir vne
longue Guerre ; mais Protade s’estant mocqué de
toutes leurs raisons, & du bon zele que témoignoit
toute cette Noblesse au bien de leur Estat, il les offensa
tous si puissamment que ne pouuant retenir
leur iuste indignation, mesme en presence de leur
legitime Monarque, ils le m’assacrerent à sa veuë
& dans sa tente, & mirent fin aux grands apprests
qu’il faisoit encore pour continuer vne iniuste
guerre, qui alloit ruiner ces deux Estats, à l’appetit
d’vn Estranger ambitieux, d’vn homme Italien,
& d’vne femme Espagnole si aueuglement passionnée.

 

Reflexion politique sur la vie de Brunehaut.

Iamais la domination Estrangere ne fut sans
trouble & sans violence : & par consequent elle
est tousiours tres-preiudiciable à vn Estat, si l’on
en souffre long-temps la continuation : il n’est rien
tel que de couper court à tant de malheurs aux dépens
de peu de personnes qui veulent regner aux
depens de tous les autres. Cét exemple de Protade,
doit seruir de miroir aux plus ambitieux Ministres,
& la genereuse chaleur de la Noblesse

-- 38 --

Bourguignone, est le meilleur remede qu’on puisse
apporter de nostre temps à nos desordres.

 

Sub2Sect précédent(e)

Sub2Sect suivant(e)


Anonyme [1652], LE GRAND RESSORT DES Guerres ciuiles en France. Faisant voir dans les vies de tous les Ministres d’Estat qui se sont ingerez de nous gouuerner. I. Qu’ils ont tousiours esté la source de toutes les dissentions publiques; & le sujet qui a fait prendre les armes aux Grands du Royaume. II. Qu’ils ont eux mesmes fait naître & entretenu les Guerres ciuiles, comme vn des moyens propres pour les rendre necessaires aux Rois, & pour se maintenir dans le Ministere. III. Qu’ils ont tousiours employé tous leurs artifices à detourner la conoissance des affaires d’Estat aux Rois, & fait tous leurs efforts pour abatre les Princes, & tenir les Peuples dans l’oppression. Le remede necessaire & Politique à tous ces desordres. I. Est de donner vn Conseil de sages testes au Roy, qui l’instruise dans l’art de Regner par soy mesme. II. D’éloigner de luy cõme des pestes d’estat tous ceux qui voudront s’opposer à ce loüable établissement. III. D’établir de rigoureux supplices pour les Ministres qui passeront leur deuoir, qui est seulement de donner conseil à leur Souuerain, sans iamais rien entreprendre de leur teste: De rendre le rang aux Princes du Sang qui leur est deu par leur naissance; & donner le repos aux Peuples. , françaisRéférence RIM : M0_1513. Cote locale : B_3_18.