Anonyme [1652], LE GRAND RESSORT DES Guerres ciuiles en France. Faisant voir dans les vies de tous les Ministres d’Estat qui se sont ingerez de nous gouuerner. I. Qu’ils ont tousiours esté la source de toutes les dissentions publiques; & le sujet qui a fait prendre les armes aux Grands du Royaume. II. Qu’ils ont eux mesmes fait naître & entretenu les Guerres ciuiles, comme vn des moyens propres pour les rendre necessaires aux Rois, & pour se maintenir dans le Ministere. III. Qu’ils ont tousiours employé tous leurs artifices à detourner la conoissance des affaires d’Estat aux Rois, & fait tous leurs efforts pour abatre les Princes, & tenir les Peuples dans l’oppression. Le remede necessaire & Politique à tous ces desordres. I. Est de donner vn Conseil de sages testes au Roy, qui l’instruise dans l’art de Regner par soy mesme. II. D’éloigner de luy cõme des pestes d’estat tous ceux qui voudront s’opposer à ce loüable établissement. III. D’établir de rigoureux supplices pour les Ministres qui passeront leur deuoir, qui est seulement de donner conseil à leur Souuerain, sans iamais rien entreprendre de leur teste: De rendre le rang aux Princes du Sang qui leur est deu par leur naissance; & donner le repos aux Peuples. , françaisRéférence RIM : M0_1513. Cote locale : B_3_18.
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V.
GRIMOALD, MINISTRE
de Sigibert.

IL ne fut pas plutost dans le Ministere, qu’il porta
tous ses desseins à la guerre, il y poussa fort
facilement son Maistre, qui estoit aysé à persuader.
Si tost que la resolution en fut prise, il eut le
soin de faire tout l’appareil de ce remuëment en

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peu de temps, il mit sur pied vne fort belle & tres-puissante
armée, employant pour cela la meilleure
partie des thresors de son Souuerain. Il le fit
marcher à force ouuerte, contre Raoul Duc de
Turinge, sur lequel il se figuroit desia de grands
auantages, & de belles matieres de triomphes à sa
conduitte : mais l’euenement ne répondit point à
ses esperances. Raoul de son costé estant bien informé
de leurs desseins, leua des troupes de son
costé, pour s’opposer à leur irruption, il estoit
pour le moins aussi resolu à se deffendre, que les
ennemis l’estoient à le venir attaquer ; si bien qu’en
peu de temps, les vns recherchant le combat, & les
autres ne l’euitant point, ils se virent en presence
les vns des autres. La meslée fut rude, & la victoire
douteuse, iusqu’à ce que Raoul fit voir qu’il sçauoit
la meriter, il repoussa vigoureusement ses
ennemis, & mit en deroute toutes ces belles troupes,
qui estoient venuës l’inquieter dans la possession
legitime de ses terres. Il fallut retourner honteusement
en Austrasie, & Grimoald n’eust l’honneur
que de ramener son Prince vaincu en son
pays, sans auoir enuie de retourner vne autre fois
enuahir les possessions de ses voisins, sans autre raison
que celle de son ambition, qui se modera par
cette disgrace.

 

Grimoald voyant le Roy sans enfans, eut assez
d’orgueil pour pretendre à la Souueraineté. Si tost
qu’il eut porté si haut ses esperances, il pensa aux

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moyens de les faire reussir, il n’en trouua point de
voye plus courte & plus asseurée, que de persuader
à Sigibert, l’adoption de son fils, afin de ne pas
laisser son Royaume sans successeur. Il fut assez insolent
pour luy en faire la proposition luy mesme,
auec tous les artifices possibles, dont il se seruit en
cette occasion, pour preuenir l’esprit de ce Prince,
naturellement facile à suiure les impressions
qu’il luy donnoit. Cette ouuerture d’abord luy
donna beaucoup à penser sur vne affaire de telle
importance, il voyoit bien qu’il alloit frustrer les
enfants de France, d’vn Estat qui leur estoit acquis
par droit de succession, en cas qu’il vint à manquer
sans heritier dans sa famille, neantmoins les discours
artificieux de Grimoald l’emporterent sur
toutes considerations, & son fils fut choisi par Sigibert,
pour succeder à tous ses Estats, au preiudice
de ses neueux, ausquels ils appartenoient de droit,
& selon les Loix fondamentales, qui rendent la
Couronne de France inalienable.

 

Ce bon Roy ne mit guere à se repentir de ce qu’il
auoit fait : mais il estoit trop tard, lors qu’il n’y
auoit plus de remede, il n’auoit pas preueu qu’il
estoit assez ieune & sa femme aussi pour auoir lignée,
en effet, à quelque temps de là, elle deuint
grosse, & eut vn fils qui fut nommé Dagobert,
peu de temps aprés, le Roy mourut & Grimoald
accusé de l’auoir empoisonné, s’empara de son
Royaume au nom de son fils, & en vertu de l’adoption

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qu’en auoit fait Sigibert. Cette vsurpation
fut affermie en faisant tondre l’heritier de la Couronne,
& l’ayant liuré entre les mains de Didon
Euesque de Poictiers, il le confina dans vn Monastere
au Royaume d’Escosse.

 

Il fallut bien tost que cét vsurpateur se preparast
à maintenir son crime, par la violence. Les
François ne pouuant souffrir vne telle iniustice, &
voyant que Clouis leur Roy en auoit des ressentimens
capables de luy faire perdre l’esprit, armerent
puissamment contre ce Tyran, qui se preparoit
de son costé à leur resister de toute sa puissance.
Son obstination à se maintenir ne les estonna
point, au contraire, elle les anima dauantage à le
chastier de son insolence. Ils ne manquerent point
à luy liurer bataille, on decidoit en cette iournée
des forces & de l’honneur de deux puissans Royaumes,
si bien que le courage de ces Nations se faisoit
voir à l’enuie, par l’opiniastreté qu’on apportoit
à vaincre de part & d’autre. Mais enfin les
François furent les victorieux, qui pousserent leur
pointe si auant, qu’ils tuerent le fils de Grimoald,
& ayant poursuiuy le pere chaudement, le prirent
prisonnier, & l’amenerent à Paris, où l’on luy fit
son procez, & fut condamné à mort, comme criminel
de leze-Maiesté.

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Reflexion Politique sur la vie de Sigebert.

DE tous ceux qui ont eu quelque ascendant
sur l’esprit des Souuerains, il s’en est trouué
fort peu qui ne si soient portez à quelque iniustice,
il sẽble que ce vice soit necessaire à ceux qui veulẽt
regner, & qu’ils ne se peuuent empescher d’y tomber
depuis que leur ambition les a fait monter au
Ministere. C’est pourtant vne erreur qu’ils appellent
vne fine Politique. La source de ce desordre
vient ce me semble, de ce que les plus esleuez en
dignité, ne sont point contents de leur condition,
& peuuent assez souuent pretendre plus haut, ny
s’y porter sans vne manifeste iniustice. Ou bien
s’ils se comtentent de l’éclat où ils se trouuent, ils
ne se contentent point de sa iuste durée, & deslors
qu’ils la veulent estendre, ils passent les bornes
prescrittes, cela ne se peut auec équité, ainsi ils
sont ordinairement iniustes, s’ils n’apportent eux
mesme beaucoup de moderation à leurs desirs trop
ambitieux.

Comme il s’en trouue fort peu qui ayent ce pouuoir
sur eux mesmes, il ne faut plus s’estonner s’il
y a tant d’vsurpations, tant d’intrigues, tant de
tromperies. Le malheur en tout cecy est, qu’on ne
peut donner de limites aux cœurs remplis d’ambition,
s’ils ne s’en dõnent eux mesmes. Il faut necessairemẽt
y employer les supplices, pour arrester le
cours de cette passiõ impetueuse, à qui l’on ne peut

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prescrire de fin que dans celle de la vie, ce qui a cause
la mort à tant de braues. Lors que Charles IX. disoit
si souuent que le Duc de Guise estoit trop ambitieux,
& qu’il le trouuoit le plus fier & le plus
hautain qu’il connust, il sembloit le menacer de
l’accident qui luy arriua depuis sous Henry III.
L’ambition du Mareschal de Biron mit le Roy
IV. hors du pouuoir d’exercer sa clemence en son
endroit quoy qu’il eust toutes les enuies du monde
de le conseruer, tant il est veritable, que le meilleur
remede pour obuier aux maux & aux desordres
de cet orgueilleux caprice, c’est d’en perdre
iusqu’à la racine, ne pouuant bien se destruire du
sujet où elle se rencontre.

 

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Anonyme [1652], LE GRAND RESSORT DES Guerres ciuiles en France. Faisant voir dans les vies de tous les Ministres d’Estat qui se sont ingerez de nous gouuerner. I. Qu’ils ont tousiours esté la source de toutes les dissentions publiques; & le sujet qui a fait prendre les armes aux Grands du Royaume. II. Qu’ils ont eux mesmes fait naître & entretenu les Guerres ciuiles, comme vn des moyens propres pour les rendre necessaires aux Rois, & pour se maintenir dans le Ministere. III. Qu’ils ont tousiours employé tous leurs artifices à detourner la conoissance des affaires d’Estat aux Rois, & fait tous leurs efforts pour abatre les Princes, & tenir les Peuples dans l’oppression. Le remede necessaire & Politique à tous ces desordres. I. Est de donner vn Conseil de sages testes au Roy, qui l’instruise dans l’art de Regner par soy mesme. II. D’éloigner de luy cõme des pestes d’estat tous ceux qui voudront s’opposer à ce loüable établissement. III. D’établir de rigoureux supplices pour les Ministres qui passeront leur deuoir, qui est seulement de donner conseil à leur Souuerain, sans iamais rien entreprendre de leur teste: De rendre le rang aux Princes du Sang qui leur est deu par leur naissance; & donner le repos aux Peuples. , françaisRéférence RIM : M0_1513. Cote locale : B_3_18.