Fortin, Pierre (sieur de La Hoguette) [1650], CATECHISME ROYAL. , françaisRéférence RIM : M0_653. Cote locale : A_9_2.
Sub2Sect précédent(e)

Sub2Sect suivant(e)

SECONDE PARTIE.

LE ROY.

IVSQVES icy i’ay esté instruit de ce que ie suis, de ce que ie dois à
Dieu, à la Royne ma Mere, & à mon Frere : & quelles doivent
estre les mœurs & les conditions de ceux de ma Maison ; C’est m’avoir
enseigné le devoir d’vn bon Fils, d’vn bon Frere, & d’vn bon
Pere de famille seulement ; Mais il me semble que le devoir d’vn
Roy est de plus grande estenduë, & que ie ne dois pas avoir moins
de soin de tous mes Sujets en general, que de tous mes domestiques ?

LE GOVVERNEVR.

Il est vray, SIRE, que c’est vne belle chose qu’vne Couronne ;
mais elle est d’vn grand poids, & d’vn extréme soin à qui la veut
dignement soûtenir : Et puis que Vótre Majesté est appellée de
Dieu à ce grand & penible employ, & qu’elle veut sçavoir quel est le
devoir d’vn bon Prince envers ses Sujets : nous les prendrons par
ordre, afin qu’elle voye, comme dans vn tableau, toutes les parties
de son Estat, & qu’elle connoisse plus distinctement quel est le
devoir d’vn chacun, & quel est le sien aussi, pour le gouvernement
du total. Pour entrer en matiere, V. M. me permettra, s’il luy plaist,
de luy demander ; Si on n’a pas commencé de l’honorer dés le moment
de sa naissance ; & si dés ce mesme instant il n’a pas esté consideré
de tous les Sujets du Roy, quoy que viuant encor, comme
s’il eust esté admis déja en la societé du gouvernement ?

L. R. Il me semble, qu’estant Fils du Roy, & designé en qualité
de Dauphin pour succeder à la Couronne, les Sujets de mon

-- 15 --

Pere eussent cõmis vne extréme irreuerence de ne me pas honorer ?

 

L. G. Et qui les obligeoit à ce respect, SIRE ?

L. R. Les Loix de l’Estat, comme ie croy.

L. G. Et apres la mort du Roy, qui fut cause de cette acclamation
publique en vótre faveur, & de ce concours vniversel de touvos
Sujets, pour vous faire le serment de fidelité ?

L. R. Ce furent aussi les Loix de l’Estat.

L. G. Qui fut cause encores que dans toute l’estenduë de vótre
Royaume, il n’y eut pas vn seul homme qui ne vous reconnust volontairement
pour son Roy, sans vous avoir jamais veu ? Qu’on ne
se soit point apperceu dans les affaires qu’il y ait eu d’inter-regne,
ny de surseance en l’Estat, d’aucune expedition de guerre, ny de
Iustice ?

L. R. Ce furent encore les Loix de l’Estat.

L. G. Il est vray, SIRE, que ce furent les Loix de l’Estat ; mais
d’où leur peut venir cette force & cette majesté, d’inspirer en vn
moment dans vn million d’ames, vn consentement si vniforme
d’obeïr à vn Roy mineur, & qu’il semble qu’vn chacun de vos Sujets
en son particulier, ait eu vn Heraut interieur pour luy faire ce
commandement ?

L. R. Ce que vous me dites est digne de consideration, & merite
bien qu’on en rechercher la cause.

L. G. SIRE, Elle est toute trouuée, c’est vn effet de la Religion
dont la lumiere agit dans nos ames, avec la mesme actiuité que celle
du Soleil dans nos yeux ; & la mesme Religion qui nous apprend
l’adoration de Dieu, sans le voir, nous commande l’obeïssance
d’vn Roy, qui est icy bas son Image, sans le connoistre. C’est par
elle en effet que subsistent les Loix fondamentales de vótre Estat,
& le seul respect qu’on luy porte, fait le ralliement de toutes nos
volontez sous la puissance d’vn seul. Ainsi V. M. peut juger combien
elle est interessée au maintien du Saint Siege Apostolique, de
ses Cardinaux, & de tous les Ecclesiastiques de son Royaume, qui
sont les depositaires & les Ministres d’vne doctrine, qui sous vn
mesme devoir nous apprend à vous obeïr, & à craindre Dieu tout
ensemble. Sur tout elle doit prendre garde tres soigneusement,
qu’il n’arrive aucun trouble, ny aucune innovation dans l’Eglise.
Les siecles passez nous ont fait voir combien leur a esté funeste la
reformation pretenduë qu’on y voulut faire. En vn mot, qui fait

-- 16 --

Schisme en la creance, l’introduit en la fidelité qui est deuë au
Prince. Et sur ce sujet, ie ne sçay s’il ne seroit point à souhaitter,
qu’on fust plûtost demeuré dans l’vsage ordinaire de la Penitence,
quoy que peut-estre plus indulgent qu’il n’a esté en d’autres siecles,
que d’avoir voulu faire reuiure vne ancienne pureté, tres-parfaite à
la verité ; mais incompatible avec la pratique des derniers temps.
Cette vieille nouveauté nous fait assez voir par la des-vnion qu’elle
a causée, que les semences en sont dangereuses, & les injurieux
Escrits qui se sont faits de part & d’autre sur ce sujet, tesmoignent
assez nótre peu de charité ; & qu’on n’est pas moins touché de l’amour
de son opinion, que du zele de la Maison de Dieu : Et ainsi
j’estime qu’il seroit tres-à-propos d’inter dire l’encre & le papier
sur cette matiere.

 

L. R. Dites quelque chose de plus rude : car puis qu’il y a relation
des Loix de mon Estat aux Loix diuines, qui trouble les vnes ou
les autres, est également criminel de leze Majesté, & partant il
merite d’estre chastié.

L. G. SIRE, Nótre zele au service de Dieu doit estre pur & net :
Il se doit allumer au feu de charité, & non pas au flambeau des Furies.
Nous avons veu par experience que l’Heresie a pris plus de
vigueur dans l’effusion du sang de ses Martyrs pretendus, que dans
la force de la predication. C’est vouloir faire descendre le Saint
Esprit sous la forme d’vn Vautour, ou d’vn Corbeau, & non pas
sous celle d’vne Colombe. Enfin la colere de l’homme n’a jamais
satisfait à la Iustice de Dieu, qui n’est que douceur & mansuetude.
L’huille dont on vous oinct en vótre Sacre, vous apprend que les
conseils d’vne Teste Sacrée ne doivent pas estre violents Ainsi tout
esprit inquieté de la demangeaison d’escrire, sera puny suffisamment
quand on l’interdira de papier & d’ancre.

L. R. Mais dites-moy ie vous prie, ne peut-on point commettre
aucunes fautes contre la Religion, qui meritent la mort ?

L. G. Tout Athée qui fait profession ouverte de son Atheïsme,
& tout Libertin dogmatique qui veut impugner publiquement la
verité de la Religion Chrestienne, qui est la Religion de l’Estat, la
merite : non pas tant à cause de son impieté, de laquelle Dieu se
peut venger luy-mesme sans qu’on luy ayde, que parce qu’il semble
accuser de bestise & d’ignorance nos saintes Loix, qui sont le
lien de la seureté publique, & vouloir introduire au lieu d’elles, l’Anarchie

-- 17 --

de ses mœurs en la police des hommes. La Foy veritablement
est vn don de Dieu, il ne l’a pas qui veut ; mais la discretion
de ne pas condamner ses mysteres, est en la puissance de l’homme.
Si nous ne pouvons estre plainement esclaircis de sa lumiere, suivons-là
de loin, & ayons au moins vne foy aueugle qui captive
nótre entendement sous son obeïssance. Donnons-luy ce qu’elle
desire de nous, à sçavoir vne soûmission simple, ignorante, & sans
aucun raisonnement. On ne peut se proposer de concevoir Dieu
tel qu’il est, sans commettre le peché du premier Demon ; ny sans
felonnie aussi le rabbaisser jusques à nous pour l’envisager. Il seroit
à souhaitter qu’on en parlast vn peu plus sobrement, & qu’on
eust cette discretion de ne point assujettir aux mesures des hommes
l’immensité de Dieu ; de laquelle on a pris l’authorité de decider
aussi hardiment, & de ses attributs incomprehensibles, comme
s’il n’estoit question que de prononcer sur des passions humaines.
La fleur de la plus belle saison des Esprits se passe en cette vaine altercation ;
& de la vanité qu’on prend de juger de la Nature Divine,
il se forme vne certaine presomption qui rend la personne qui
en est attainte, incapable de toute autre societé. L’exellence du
Christianisme consiste principalement en l’exercice de la Charité,
& la Charité plus en l’action qu’en la parole. C’est pourquoy nous
voyons que le silence d’vn homme bien-vivant, & son exemple est
plus eloquent pour persuader à bien faire, qu’vne belle predication ;
dautant que l’harmonie de la vraye devotion se fait au cœur, &
non pas à l’aureille. Pour conclusion, l’Euangile & le Symbole
des Apostres, avec la Charité, suffisent pleinement pour l’instruction
du fidele.

 

L. R. Dites-moy ie vous prie, qui sont les personnes les plus
considerables de mon Clergé ?

L. G. A dire vray, il n’y a que les Euesques & les Curez qui
soient de Mission Apostolique, & tous ces differens essains de Reguliers
que vous voyez, qui se sont proposez pour leur salut vne
voye plus parfaite que les autres, sont des trouppes auxiliaires, qui
sont venuës tres à propos au secours de l’Eglise, & à son tres grand
besoin ; mais elles se sont tellement accreuës, qu’à peine la Barque
de Saint Pierre les peut-elle toutes contenir. Si le nombre en estoit
moindre, l’aisance en seroit plus grande parmy eux : vos armées, la
culture des terres, & les manufactures, en quoy consistent la force

-- 18 --

& les richesse d’vn Royaume, se ressentiroient à bon escient de la
recreue d’vn million d’hommes, qui, quoy que viuans, & se portans
bien, sont morts ciuilement au monde pour tous les seruices
de vôtre Estat.

 

L. R. Et quoy ! voudriez vous qu’on ouvrist la porte des Cloistres,
& qu’on laissast la permission d’en sortir à qui voudroit ?

L. G. Non, SIRE, tenez-les plûtost fermez, & y laissez ceux
qui se sont des-ja voüez à D’eu. Peut-estre que sa Saincteté s’advisera
d’elle mesme quelque jour de convenir avec les Ordonnances
de vótre Royaume, qui ont autresfois voulu qu’on ne peust
estre admis à faire ses vœux qu’en l’aage de vingt cinq ans. On verroit
alors qu’en cet aage de discretion, il ne se presenteroit personne
pour les faire, qui ne fust particulierement appellé de Dieu, ou
qui ne se retirast du monde comme vne piece inutile à sa communauté.
Est-il juste que les Loix-nous ostent le pouuoir de disposer
d’vn poulce de terre, auant cet aage là ; & qu’elles nous laissent à
quinze ans vne puissance absoluë d’aliener pour jamais le bien de
la vie le plus precieux, qui est nótre liberté ? Il peut reüssir mille &
mille biens de la reformation d’vn vsage qui fait mourir auant le
temps, d’vne mort ciuile, vne partie de vos Sujets ; mille peres
vous seront obligez de la conseruation de leurs enfans, qu’vn zele
aueugle & inconsideré leur rauit ; & ceux mesmes qui se verront
dans vn aage meur, garantis de cét écueil caché d’vne deuotion
prematurée, beniront mille & mille fois la prudence de V. M. qui
leur aura donné le temps de le découurir.

L. R. Ie pense, comme vous, qu’il est à propos de remedier à
cét inconuenient ; & pour cét effet, ie veux quelque jour faire vne
conuocation des principaux de mon Clergé, pour y auiser auec
eux, & pour empescher aussi qu’il ne se glisse quelque dangereuse
nouueauté dans la doctrine de l’Eglise. Car ayant appris de vous
que la Religion est le ciment de l’obeïssance du Sujet au Souuerain ;
ie me sens interessé de maintenir la pureté dans l’Estat Ecclesiastique,
qui ne contribuë gueres moins que ma Noblesse, à la
grandeur & à la seureté de mon Royaume.

L. G. L’Estat Ecclesiastique asseure le dedans par le respect de
la Religion, & vótre Noblesse le dehors par sa valeur : Si V. M.
sans aller plus loin veut jetter les yeux seulement sur le Regne du
feu Roy son Pere, & sur le sien, elle verra que les Flandres qui faisoient

-- 19 --

il y a douze ou quinze ans les limites de son Estat de ce costé-là,
en font maintenant vne partie ; Que ses conquestes vont au delà
du Rhin ; Que l’Alsace, la Lorraine, & vne partie de la Comté sont
à elle ; Que les Alpes, ny les Pyrenées ne sont plus les frontieres
de l’Italie, ny de l’Espagne ; & que le sang le plus pur de sa Noblesse
qui fume encore, est le prix de cette nouuelle estenduë de son
Royaume. Enfin, SIRE, les Gentilshommes sont les Martyrs de
vótre Estat ; & le Corps de vótre ancienne Noblesse n’auroit pas
duré si long-temps, si la vaillance & la vertu qui a fait les premiers
Gentils hommes, n’en eust fait de nouueaux, pour remplacer les
dommages des guerres, & quelquefois auec vn si heureux succez,
que nous voyons souuent cette Noblesse naissante, qui s’est faite
elle-mesme par sa propre vertu ressembler à ces maisons neufues,
dont les auenuës sont belles & bien allignées, & dont la veuë & la
demeure est plus riante & plus commode que celle de ces vieux
Chasteaux negligez, qui sentent le rance & le reclus, & qui sont
décheus auec le temps par la faineantise des possesseurs, de cette
premiere beauté qu’ils auoient. Et certes il ne faut point qu’on trouue
estrange cette vicissitude de conditions, elle n’est qu’vne dépendance
de celle que nous voyons en la Nature ; & il n’y a pas plus de
merueille de voir esleuer en haut vn homme, qu’vne vapeur ; soit
qu’vne puissance superieure les attire à elle, ou que l’vn & l’autre ait
en soy-mesme le principe de son esleuation Ne nous flattons point :
Ces noms illustres que nous voyons encores subsister, ne se sont
maintenus que comme la Nauire Argos, auec de nouuelles pieces
d’applique qui les ont renouuellez de temps en temps. Ce n’est pas
neantmoins qu’on ne doiue regarder auec plus de respect & de veneration
l’ancienne Noblesse, que la nouuelle ; mais il faut que le
merite l’entretienne. Qui se relasche aux actions de vertu, quitte
son rang volontairement ; & si le Soleil d’hier n’estoit consideré
que par sa lumiere passée, & qu’il n’en eust plus aujourd’huy, la
memoire de sa clarté se perdroit auec son vsage. Ce fondement
posé, que la Noblesse ait tiré sa premiere origine de la Vertu, ie ne
sçay d’où nous est venuë cette fausse illusion, que ce ne soit pas y déroger
que d’estre vicieux. Vn Gentilhomme sera faineant, yurongne,
pillard, & insuportable à ses païsans, sans courre fortune de
sa qualité, & il la hazarde s’il fait le moindre traffic. La Loy (ce
me semble) est trop seuere en l’vn de ces deux poincts, & la Iustice
ne l’autre trop indulgente.

 

-- 20 --

L. R. Ie suis rauy d’apprendre, que la vaillance & la vertu ont
fait la premiere Noblesse. Car estant le premier Gentilhomme de
mon Royaume, je me dois glorifier auec eux de cette belle extraction,
qui nous est commune. Puis que vous m’auez fait voir aussi
que je dois à leur sang l’honneur de toutes mes conquestes ; aidez
moy, je vous prie, à trouuer le moyen de le mesnager, & voyons
s’il y a point quelque remede pour les duels.

L. G. SIRE, Cette maladie qui paroist incurrable, & qui a pris
force par vn long vsage en l’imagination de la Noblesse, se doit
traitter (ce me semble) comme celle des Hypocondres, en adherant
en quelque sorte aux fausses opinions du malade ; & partant je
serois d’auis qu’on auisast plûtost aux expediens de moderer vn
mal de cette nature, que de se trauailler inutilement de l’oster tout
à fait. Pour cét effet, il seroit à propos auant toutes choses, qu’il
fust defendu à tout second de se battre sur peine de la vie, & que
cét Edit fust inuiolablement obserué. En suite de cela, je voudrois
qu’auant l’appel on s’éclaircist par vn second de l’injure pretenduë ;
& que si on n’a point eu de mauuais dessein, on se guerist de
cette honte criminelle qu’on à accoûtumé d’auoir, de satisfaire de
paroles vne personne qu’on n’a point eu volonté d’offenser : nótre
bouche ne deuant point faire aucun scrupule d’honneur, de desauoüer
vne chose que nótre conscience des-auoüe. Cela fait, s’il y
a offense, je serois d’auis que celuy qui fait l’éclaircissement, conuie
l’offensant de choisir vn amy, & de l’aller trouuer auec luy, pour
conuenir ensemble du combat, si on ne le peut de la satisfaction.
Ce combat resolu, l’offençant sera conduit le premier sur le pré, ou
celuy qui aura fait l’éclaircissement, le laissera auec son amy, tandis
qu’il ira chercher le sien pour les mettre aux mains, & pour estre
plûtost les juges de leur combat, que leurs seconds ; Le tout neantmoins
auec cette obligation de les separer au premier sang, si l’offense
est legere. Mais si elle estoit si criminelle, qu’elle pust deshonorer
l’offensé, les seconds alors laisser ont faire leurs amis, &
ne les pourront separer que de leur consentement. I’entends que
le tout se passe comme estant ignoré de V. M, & plûtost par tolerance
que par vôtre permission. Quoy que cette tolerance de combat
paroisse vn peu dure, & peu Chrestienne, elle a neantmoins en
elle plus de police & de seureté pour la vie des hommes, qu’il n’y en
a dans la seureté d’vn Edict mal obserué. Premierement, par la defense

-- 21 --

aux seconds de se battre, on retranche pour le moins la moitié
de ce mal funeste : on soulage les deux parties de la despense, &
de l’accablement de leurs amis ; particulierement dans les Prouinces.
Il en reüssit encores vn autre bien, qui est, qu’vn jeune homme
ne se pressera jamais de seruir de second dans vne occasion où il
aura les mains liées ; & par ce moyen la charge de seruir son amy
viendra d’elle-mesme aux plus sages, qui se trouueront interessez
par leur honneur propre, & par la societé de leur employ, de deuenir
les amis communs des deux parties, & de ne leur permettre pas
de se battre, sans quelque legitime fondement. Quand je considere
comme s’est pû naturaliser en nous cette manie de duels, je
ne la puis conceuoir que comme vn second peché originel de nôtre
Nation. Premierement, la ciuilité de nos combats tesmoigne
assez, qu’en cette action nous ne sommes point alterez de sang
humain ; Que si c’est pour la reputation qu’on se bat, il arriue souuent
que qui pense s’enrichir de l’honneur d’autruy, s’appauurit
du sien ; & l’vsurpation que nous en voulons faire dans vne injuste
querelle, tesmoigne combien est grande nótre necessité de ce
costé-là. Au surplus, le duel n’est qu’vne vertu de gladiateur, &
nous ne pouuons faire le dénombrement de nos combats, sans le
faire de nos bijarreries. Car en effet, les querelles ne sont rien autre
chose qu’vne impuissance actiue ou passiue en la societé de la
vie ciuile. Pour conclusion, chacun fuit les Braues, chacun les condamne ;
& auec tout cela chacun le veut estre, quoy qu’on s’apperçoiue
bien, qu’ils ne sont considerables que comme ces fameux
Escueils qui n’ont de la reputation que par le nombre des naufrages
qu’ils ont causé.

 

L. R. Ce que vous dites est le plus beau du monde ; mais si on
oste les duels, comment est-ce que la Noblesse pourra tesmoigner
son courage ?

L. G. Dans vos armées, SIRE.

L. R. Et s’il n’y a point de guerre ?

L. G. S’il n’y en a point, est-il juste de souffrir entr’eux vne
guerre ciuile, pour satisfaire à cette furieuse démangeaison d’honneur ?
Qu’elle se serue de son cœur contre ses vices, qui sont ses plus
grands ennemis, & à supporter constamment les fascheux euenemens
de la vie ; elle ne manquera point d’honorable occasion de
l’exercer. Au sui plus, il y a bien de la difference entre vn homme

-- 22 --

vaillant, & vn pointilleux ; tout homme vaillant est toûjours en
seureté ; tout pointilleux est ombrageux, qui est vne marque de
frayeur ; ce qui l’oblige de sauuer les apparences, & de tesmoigner
au dehors quelque vigueur, afin de mieux couurir cette foiblesse
interieure, dont il se sent conuaincu.

 

L. R. Il est vray qu’on ne m’a jamais dit, que ces scrupuleux
d’honneur fussent plus soigneux que les autres, de se signaler aux
occasions de mon seruice. Puis que leurs fausses maximes sont si
contraires au vray honneur, & au bien de mon Estat, j’aurois beaucoup
de joye de les en auoir des-abusez.

L. G. SIRE, Outre cette manie de duels, nôtre Noblesse s’est
laissée preoccuper d’vne autre, qui n’est gueres moins extrauagante ;
qui est, Que l’exercice de la Iustice est tellement inferieur à celuy
des armes, qu’vn Gentilhõme est soupçonné de déroger, quand
il seroit mesmes employé aux plus hautes charges de cette profession.
Ie ne sçay depuis quand on s’est infatué de cette fausse opinion,
dont nos Peres ne furent jamais abusez ; tesmoin cét edifice superbe
du Palais de Paris, qui estoit anciennement le Palais commun du
Roy, & de sa Iustice. La Cour des Pairs, qui connoissoit en ce lieu-là
de toute la Police de l’Estat, estoit alors composée des plus grãds
de la Noblesse & du Clergé ; & le Roy presidoit souuent en personne
en cette auguste Assemblée. Maintenant vn faux Braue, n’ayant
que l’espée, & point de cappe, peut-estre en tirant quelque mauuais
éclaircissement, ou vn Soldat en faction à la porte de son Capitaine,
fera acte de Gentilhomme ; & vn Chancelier de France, qui est l’organe
des volontez de Vôtre Majesté, & tous vos Parlemens ensemble,
qui jugent souuerainement de la vie, des biens, & de l’honneur
des Princes, des Pairs de France ; & generalement de tous vos Sujets,
& des droits mesmes de vótre Couronne, en faisant la fonction
de leurs charges, ne la feront pas de Gentilhomme. Cette merueille
me surprend. Patience, si vn faux raisonnement n’estoit conceu que
sur les bords du Tar ou de la Garonne ; mais que ce soit vn delire
commun de toute vôtre Noblesse, c’est où est mon estonnement :
La fortune & le cœur suffisent à vn Conquerant, mais à vn bon Iuge
toutes les vertus luy font besoin ; & particulierement celle qui fait
la Noblesse, qui est la vaillance, pour ne se laisser pas vaincre à l’auarice,
aux tendresses de la pitié, ny aux prieres de ses amis, qui sont de
rudes combattans. Ie me suis aussi mille fois estonné, comme le

-- 23 --

Police du Royaume a permis, que les Compagnies souueraines
fussent incorporées plûtost auec le tiers Estat, qu’auec la Noblesse ;
& comme s’est pû faire parmy nous le diuorce de deux professions,
qui seruent d’vne baze commune pour le maintien de tous les Estats
du monde. Si c’est vn effet de la vicissitude des choses, ou du dechet
de l’ancienne pureté de la Iustice, j’en remets le jugement à la conscience
de ceux qui l’exercent : mais je ne fais point de doute, qu’elle
ne reprist bien-tost son premier lustre, & qu’il ne fust bien-aisé de
des-abuser vôtre Noblesse de cette superstition d’honneur, que ces
deux Professions soient incompatibles, si la venalité des Offices
estoit ostée, & que cette gangrenne, qui a déja gagné toutes les parties
nobles, ne se fust point renduë incurable.

 

L. R. Comment incurable ? y a-t’il quelque mal en mon Royaume
qui soit de cette nature ? Vn Roy mal conseillé y peut introduire
vn mauuais vsage, vn sage Roy le peut oster ; & plus vous me rendez
la chose difficile, plus je me sens picqué d’honneur d’y trauailler.
Et je vous prie de m’en ouurir les moyens.

L. G. SIRE, C’est vn ouurage d’vn aage plus meur que le vôtre,
& qui peut-estre en sa saison ne sera point au dessous de vos forces
Ce n’est pas que les grandes reformations n’ayent toûjours en elles
quelques choses de tres dur à faire & à souffrir : Mais quand il est
question de sauuer le total, l’injustice particuliere se fait legitime
alors, & deuient vne justice publique. Et sur ce fondement V. M.
peut tout entreprendre. Il seroit à souhaitter aussi que l’administration
de la Iustice fust vn peu plus briefve, & moins sujette aux formes ;
le chemin le plus droit est toûjours le plus court, le plus seur, &
le plus aisé à tenir. La pluspart des formalitez, sont voyes obliques,
sujettes aux embusches & aux surprises, qu’on ne peut tenir sans guide,
& qui corrompẽt souuent vne source bien claire par vn mauuais
acqueduc. Enfin, SIRE, la Iustice est vne des colomnes de vôtre
Estat, vn pouuoir sans Iustice, n’est rien autre chose qu’vne force de
frenesie, & vne Iustice sans pouuoir, vne Theorie sans application.
C’est pourquoy il est tres-à-propos, que la puissance Royale soit
temperée par la Iustice, & que la Iustice aussi prenne force & autorité
de cette mesme puissance ; parce que c’est de ce secours respectif,
& de cét aide mutuel, qui est entre le Prince & la Loy, que se
fait le bon-heur d’vn Estat.

L. R. I’en demeure d’accord auec vous ; mais venons, je vous

-- 24 --

prie, à mes Finances, de l’administration desquelles vous ne m’auez
encore rien dit : Seroit-ce point aussi pour ne m’oser découurir le
desordre & l’abus qui s’y commet ?

 

L. G. SIRE, I’ay toûjours eu si peu de commerce auec les Financiers,
& vne si mauuaise intelligence auec les Finances, que je
n’en connois les abus que par les plaintes publiques. Il est vray, que
quand je considere les miseres du peuple, qui n’en peut plus, & que
la necessité deuient generale en toutes sortes de conditions, par la
surcharge des taxes & des imposts qui se leuent, ie me laisse emporter
contr’eux au courant de la voix publique. Mais aussi quand ie
fais reflexion sur le grand nombre d’armées differentes, de terre &
de mer, qu’il faut entretenir auec tout leur attirail, sur la despense
ordinaire de vôtre Maison, sur les pensions connuës, & celles qui
sont secrettes du dedãs & du dehors du Royaume, sur la profusion
qu’on ne peut euiter sous vne minorité ; & sur mille autres faux frais
qui sont des appanages & de la suite d’vne Regence & de la Cour :
I’auouë que ie n’ay pas assez de condescendance aux plaintes publiques,
pour oser condamner ceux qui sont obligez de trouuer le
fonds de toutes ces dépenses, tant ordinaires, qu’extraordinaires. Ie
ne fay point de doute, que pour le recouurement de ces deniers, il
ne se fasse mille passe-droits, & mille duretez insupportables : Mais
encore ont-elles cette excuse, qu’elles se font pour le maintien d’vne
guerre au dehors, qui nous donne la paix au dedans. Compensons
le mal de l’vn par le bien de l’autre, & songeons qu’vne maltotte
de Iean de Vverth pour vn mois seulement aux portes de
Paris, y causeroit plus de desordre, qu’il ne s’en est fait en dix ou
douze ans qu’il y a que la rupture de la paix s’est faite entre les
deux Couronnes.

L. R. Ce que vous me dites est vray, mon Gouuerneur, ie ne
doute point que ce Cahier de frais ne soit bien grand : mais les richesses
sans mesure de ceux qui mettent la main dans mes Finances,
seruent d’vne conuiction infaillible contr’eux, que la recepte
est plus grande que la despense.

L. G. SIRE, Vn Parfumeur sent le parfum ; & V. M. ne le trouue
point estrange : la merueille seroit bien plus grande, l’argent estant
plus visqueux encor, & plus adherant que le muse, si vn Financier
ne sentoit point la Finance. Il est vray qu’ils paroissent auoir seuls
la possession de tout le bon heur de l’Estat : mais si on considere que

-- 25 --

l’allarme est souuent en leur quartier, & que ce qui fait leur felicité
est le sujet de leur crainte ; il ne se trouuera gueres de difference entre
le Sacrificateur & sa victime. Les Partisans sont maux necessaires
& ineuitables en temps de guerre : ils ne se peuuent oster que
par la paix ; & la paix est vn don de Dieu seul. Car encore que vous
en soyez vn des principaux arbitres, tant d’autres conjonctures
differentes sont necessaires à ce grand ouurage, qu’il est impossible
à la puissance de l’homme de les ajuster toutes sans luy. En cette
occasion, il faut que vôtre peuple (dont ie n’ose vous découurir la
misere, de peur de faire la vôtre) éleue les yeux au Ciel pour la demander,
& que V. M. l’accompagne en ses prieres, pour obtenir vn
bien dont les grands & les petits ont également besoin ; tesmoin
les desordres que nous voyons en tant de Maisons Souueraines. Et
quoy que V. M. leur donne la Loy maintenant, elle doit considerer
que les victoires passées sont l’œuure du Dieu des batailles, dont
il ne faut pas abuser.

 

L. R. I’en suis d’auis comme vous ; & quoy que le feu Roy mon
Pere n’eust pris les armes que pour le maintien de ses Alliez, &
pour empescher les progrez d’vne Maison, qui s’estoit fait vne fausse
idée de la Souueraineté du Monde ; ie suis tout prest de les quitter
sous des conditions legitimes, & auec le consentement de mes
Alliez : Mais ie prevois tant de difficulté en ce Traitté de Paix, que
i’ay peur que Dieu ne nous vueille pas exaucer : Que faut-il faire
alors ?

L. G. Souffrir & loüer Dieu ; Que cette soûmission luy seroit
agreable, au lieu de se plaindre, ny de compatir mesme aux miseres
publiques, renonçans à nos propres interests ! De regarder auec
respect les bras visibles qui sont cette desolation, comme seruans à
vne puissance inuisible, qui le veut ainsi. Les grandes & eminentes
qualitez que nous voyons reluire en tous les Conquerans, quoy
qu’ils desertent le monde, nous les doiuent faire considerer auec
beaucoup de veneration. Les Cyrus, les Alexandres, les Cesars, les
Attila, les Tamerlans, le dernier Roy de Suede ; & quelques autres
dont ie me tais, n’estoient point testes communes. Tels qu’ils sont
ou qu’ils ont esté, puis qu’ils ont leur mission de Dieu, jugeons en
auec douceur ; & au lieu de les condamner, disons plûtost que ce
sont tempestes de terre qui seruent à sa purgation, comme à la purgation
de l’air les tempestes qui s’y éleuent. Au lieu de murmurer,

-- 26 --

admirons la grandeur de Dieu, par l’excellence des Ministres de sa
Iustice ; & considerons que s’il veut empescher l’entrée du Paradis
terrestre, il y commet vn Cherubin auec vn glaiue de feu : & s’il
veut exterminer vn peuple entier, vn Ange en a le cõmandement :
s’il donne le choix à vn Roy, des fleaux dont il le veut affliger, il
depute vn Prophete : Et quand il veut dépeupler vn peu le monde,
il arme quelque main puissante, & suscite des Heros pour cét effet.
Ainsi ie pense que dans les desordres du temps, le plus expedient
est de parler auec modestie de ceux qui les font, & de rendre graces
à Dieu, de ne nous auoir pas choisis pour vn employ si contraire
à la douceur de nos sentimens. Les desolations publiques estans
periodiques & fatales, ont leur saison & leur necessité comme les
autres choses : si elles nous rencontrent en leur chemin, suiuons
auec plaisir le decret immuable de l’ordre du monde. La resistance
& l’afflictions d’esprit est vn murmure secret contre la Prouidence ;
Offrons-nous à elle volontairement, quand elle aura dressé nôtre
bucher, & nous couronnerons par nôtre soûmission la victime qui
luy doit estre immolée.

 

Sub2Sect précédent(e)

Sub2Sect suivant(e)


Fortin, Pierre (sieur de La Hoguette) [1650], CATECHISME ROYAL. , françaisRéférence RIM : M0_653. Cote locale : A_9_2.