Fortin, Pierre (sieur de La Hoguette) [1650], CATECHISME ROYAL. , françaisRéférence RIM : M0_653. Cote locale : A_9_2.

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CATECHISME
ROYAL.

LE ROY.

MON Gouuerneur, dites-moy, ie vous prie, Pourquoy est-ce
que tous ceux qui sont aupres de moy m’obeïssent ? Que les
Princes, les Ministres de mon Estat, les Officiers de ma Couronne ;
les grands, les petits, & indifferemment toutes sortes de personnes
ne s’approchent iamais de moy, que pour me complaire & faire ma
volunté, & qu’il n’y ait que vous seul qui me contraigniez de faire
la vostre ? Ne me deuez-vous pas autant de respect comme eux ?

LE GOVVERNEVR

SIRE, Auant que de répondre à Vostre Majesté, ie la supplie
tres-humblement de me permettre de luy demander, si quand elle
commença de marcher, elle n’eust point eu aupres d’elle quelque
personne fidele, pour la soûtenir & pour la conduire, elle n’eust pas
bronché souuent, & tombé, peut-estre, dans quelque lieu dãgereux ?

LE ROY. Il est vray que si quelquesfois mes femmes ne m’eussent
soûtenu malgré moy, & osté la liberté d’aller où ie voulois, ieusse
souuent couru fortune de me blesser.

LE GOV. Vous voyez donc, SIRE, que la resistance qu’on vous a
faite en vous empêchant d’aller où vous vouliez vous a garanty de
plusieurs cheutes, & qu’elle estoit plûtost vne conduite de vos pas,
qu’vne contrainte de vôtre volunté.

L. R. Ce que vous dites est vray ; mais que voulez-vous inferer
de cela ?

L. G. Ie veux dire, SIRE, que Vostre Majesté estant composée
de corps & d’ame, & qu’ayant eu l’honneur d’estre approché d’elle,
pour la conduite des premieres alleures de vostre ame, comme vos
femmes l’ont esté pour celles de vostre corps, i’espere qu’en vous
representant quelquefois de faire plustost ma volunté que la vostre,

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iusques à ce que V. M. soit en âge de faire elle-méme vne veritable
distinction du bien & du mal ; elle me sera obligée quelque iour,
quand elle aura reconnu de combien de cheutes d’esprit ie l’auray
garantie, qu’elle eust faites infailliblement, si elle eust esté abandonnée
à sa propre conduite. De plus, Vôtre Majesté void bien combien
est respectueuse la contrainte dont on se sert, quand elle resiste
aux choses qu’on desire d’elle, on la flate au commencement, on la
supplie ; & la plus grande violence qu’on luy fasse, est de la menacer
de se plaindre à la Reine de sa desobeïsance.

 

L. R. Certainement ie reçois vn extréme plaisir d’entendre ce
que vous dites, & ie ne vous auois iamais consideré que comme vne
personne que ie deuois craindre : mais à present que ie suis informé
de la douceur de vos sentimens, & que ie suis des abusé que ce mot
de Gouuerueur soit vn nom facheux, ie ne veux plus vous regarder
que comme vn fidele & amiable surueillant de mes actions.

L. G. Toute personne qui a esté choisie pour l’instruction de la
ieunesse, de quelque condition qu’elle soit, se doit plûtost considerer
comme vn guide de son disciple, que comme ayant vne puissance
absoluë de le commander ; toute sa force doit estre en sa parole,
& ainsi il seroit tres à propos d’oster de l’vsage commun cette
insolente qualité de Maistre, qui suppose en celuy à qui on la donne,
vn pouuoir tyrannique, & en son Disciple vne obeïssance seruile.
Le châtiment de la main n’est propre que pour la beste, la parole &
le raisonnement est la vraye discipline de l’homme, Il le faut instruire
en luy faisant connoistre ce qu’il faut faire, & ce qu’il faut
laisser ; & n’employer pas l’action du dernier de nos sens, qui est le
toucher, pour faire ce qui n’est deu qu’à la plus belle partie de l’ame,
qui est l’entendement, On se sert du bâton & du foüet en la Galere
& au Manege, pour tirer du corps ce seruice qu’on en desire : mais
de frapper le corps pour les fautes de l’ame, c’est plûtost (ce me
semble) l’irriter que l’instruire. L’ame a vn chastiment plus doux
& plus effectif, qui est la honte, qui sans la troubler que d’vne honneste
pudeur, luy donne le temps de faire reflexion sur la faute
qu’elle a faite, & on se doit plûtost seruir de cettui ci, qui rameine
l’esprit à foy, que de l’autre qui le desespere. Ce n’est pas qu’il ne se
rencontre quelquefois des natures revéches & incorrigibles, par la
honte : A ceux-là, puis qu’ils tiennent de la nature des brutes, on ne
leur fait point de tort de les traitter en bestes, & de leur faire sentir

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la verge à bon escient, pour essayer si ce chastiment ne fera point
fur eux le méme effet que produit la honte sur les ames dociles.

 

L. R. Mon Gouuerneur, ce que vous venez de dire est absolument
selon mon sens, & il est tres-certain qu’il ne faut point esperer
de tirer party de moy par la force ; il me souuient à ce propos, que
quand i’apprenois à aller, ceux qui m’aidoient doucement à marcher,
me faisoient bien plus faire de chemin, & me soulageoient
bien dauantage que ceux qui me traisnoient apres eux ; & ie pense
méme qu’à peine aurois je sceu maintenant faire l’assemblage de
mes lettres, si i’auois esté traitté rudement de mon Precepteur : &
pour vous témoigner combien m’est agreable cette façon d’agir
auec moy, me voila prest d’apprendre toutes les choses dont vous
jugerez que mon enfance sera capable : Mais n’est-ce point vn peu
trop tard ?

L. G. SIRE, On ne peut trop tost commencer de donner des instructions
à Vostre Majesté : Nos Rois sont sages auant le temps ;
ils sont majeurs à quinze ans, & leurs sujets ne le sont qu’à vingt-cinq.
C’est pourquoy on ne peut de trop bonne heure entretenir
V. M. des choses qu’il est à propos qu’elle sçache, & comme les paroles
de vos Nourrices, & des femmes qui estoient aupres de vous,
comme vous estiez encores dans le berceau, ont formé vostre langage
par la coutûme de les ouïr, sans qu’il ait paru que vous leur
ayez presté aucune attention, ainsi en discourant auec vous, & en
vostre presence, quelles doiuent estre les mœurs d’vn grand Prince,
il se formera insensiblement en vostre esprit, vne idée de vostre
deuoir, & vous deuiendrez si sage, méme à vostre desceu, qu’on aura
de la peine à découurir qui sera le puisné en vous, de l’vsage ou
de la connoissance que vous aurez des vertus. Et dautant qu’il est
question de vous instruire, & que nous sommes toûjours plus intimes
& plus proches à nous mémes, que nous ne le sommes aux
choses qui sont hors de nous, il est à propos (ce me semble) que la
premiere découuerte de nostre entendement, commence par la
connoissance de ce que nous sommes : Et ainsi V. M. sçaura, s’il luy
plaist, que vous estes homme, que vous estes Chrestien, & que vous
estes Roy : Que comme homme vous auez vnion auec toute la nature
humaine, qui vous faisant entrer auec elle en la communauté
de tous les biens, & de tous les maux où elle est sujette, vous doit
rendre humain & traittable auec tout autant d’hommes qu’il y en

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a dans le monde. Vous y estes entré nud comme eux, sujet comme
eux au froid, à la faim, à la soif, aux maladies, aux blessures, & à toutes
les infirmitez & passions humaines ; & de cette societé de miseres
doit naistre vne compassion respectiue, qui produise entre vous
& eux vne mutuelle bien-veillance : & c’est la premiere alliance
que vous auez en qualité d’homme auec toute la nature humaine.
Mais outre tout cela, SIRE, vous y en ayez encore vne autre, quoy
que de moindre estenduë, qui vous lie bien plus estroitement auec
tous ceux qui portent comme vous le nom de Chrestien. En cette
qualité vous deuenez le frere de tous ceux qui sont reünis auec vous
par la foy sous vne Mere commune, qui est l’Eglise, & cette alliance
qui est entre vous & eux, n’est point vne alliance de la chair, c’est
vne fraternité contractée au Sang de IESVS-CHRIST, qui vous doit
embraser d’vn excez d’amour & de charité enuers tous les fideles,
dautant plus que V. M. porte le nom de Tres-Chrestien, c’est à dire
de Chrestien au souuerain degré, & les autres ne le portent que de
Chrestien simplement. Outre que vous estes homme, & que vous
estes Chrestien, vous estes Roy, c’est à dire que vous estes le premier
de vôtre Royaume, & l’image visible de Dieu dans toute son
estenduë : En cette qualité V. M. doit prẽdre garde de ne faire point
vn mauuais crayon d’vn si saint & si adorable original : car il est en
vôtre puissance de vous faire semblable ou dissemblable à Dieu, selon
vos vices, ou selon vos vertus. Les Loix de vostre Estat ont tant
de conformité auec les Loix diuines, que qui obserue les vnes obserue
les autres. Toutes deux veulent que tous vos Sujets vous respectent
& vous obeïssent ; elles veulent aussi que vous les gouuerniez
en bon Roy : Car comme la bonté est inseparable de Dieu, elle le
doit estre aussi du Roy qui le represente, Portons cette consideration
plus auant, & sçachons de Vôtre Majesté qui vous a fait homme ;
qui vous a fait Chrestien, & qui vous a fait Roy ; est-ce vous
méme, ou quelque autre ?

 

L. R. C’a esté le feu Roy mon Pere & la Reine ma Mere.

L. G. Et le feu Roy qui l’auoit fait Roy ?

L. R. Le Roy son Pere.

L. G. Et ce pere vn autre pere ; ainsi ce discours iroit à l’infiny de
de pere en pere, si nous ne nous arrestions à vne premiere cause :
qui est Dieu, qui n’a pas fait les hommes & les Rois seulement,
mais qui est le Createur vniuersel de toutes les choses qui sont au

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monde : & chaque creature est obligée de le reconnoistre comme
son Auteur, selon le degré de perfection qui est en elle, Sur ce fondement,
voyons, s’il vous plaist, ce que Dieu a fait pour vous, afin
que vous vous efforciez de mesurer vôtre reconnoissance enuers
luy selon ses graces. Premierement, il vous a donné l’estre quand
on n’esperoit plus de Dauphin, & il s’estoit fait vne si longue pause,
en la benediction attenduë du mariage du feu Roy, qu’on pourroit
dire que Dieu a serui de pere & de mere en vostre naissance miraculeuse.
Il vous a fait homme, vous pouuant faire vn formy, &
moins encores ; & non pas homme seulement, mais le plus bel Enfant
qui soit au monde, vous pouuant faire le plus defectueux. Il
vous a fait Chrestien, vous pouuant faire infidele : Il vous a fait
Roy, vous pouuant faire Sujet, & le moindre de tous ceux qui sont
vos Sujets : & pour comble de benediction, le feu Roy vótre Pere
n’a pas eu plûtost les yeux fermez, que vous n’ayez esté dans le méme
instant proclamé Roy par vne acclamation generale de tout
vos Sujets, sous l’anguste Regence de la Reine vostre Mere, &
qu’vn jeune Prince de vostre Sang n’ait asseuré vostre Estat, par le
gain de deux signalées batailles, & par la prise de deux villes ; qui
sont les clefs de l’Empire, & qui vous ouurent le chemin pour y pretendre ?

 

L. R. Il est vray, mon Gouuerneur, que ie dois à Dieu toutes ces
choses : mais ie ne pense pas qu’elles doiuent apporter de la diminution
aux obligations que i’ay à la Reine ma Mere.

L. G. SIRE, L’obligation que vous luy auez est si grande, qu’ayãt
esté la seconde cause des graces que vous auez receuës de Dieu, en
vous faisant hõme, Chrestien & Roy ; (car sans elle vous ne seriez
rien de tout cela) i’oseray dire à V. M. que vous ne pouuez produire
enuers Dieu nul acte de reconnoissance qui luy soit plus agreable,
que d’aimer, honorer, & seruir la Reine vostre Mere ; outre que
vous estes son Fils, vostre education, qui est l’ouurage de ses soins
& de son amour, luy acquiert encore sur vous vne filiation spirituelle.
Le commandement d’aimer son prochain comme soy-méme
est vne loy de Nature entre le fils & la mere, lesquels estans composez
de méme chair, de méme sang, & de mémes esprits, &
n’ayans respiré qu’vn air commun l’espace de neuf mois, troubleroient
la conduite du monde, si cette estroite liaison se relaschoit.
Aussi ne voyons-nous point qu’il y ait eu de commandement expres

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aux peres d’aimer leurs enfans, & aux enfans d’aimer leurs
peres ; il est dit seulement, Honore ton pere & ta mere : Dieu nous
ayant voulu designer en ce Commandement, que nous leur de võs
respect, comme estans icy bas les Images visibles de sa puissance
inuisible dans la creation Et en ce lieu, SIRE, je prendray la liberté
de dire à V. M. que les Princes de vótre Sang & de l’Eglise, qui en
composent le Ministere, & qui sous la sage direction de la Reine
vótre Mere, & sous vótre vótre minorité, sont en quelque sorte les
Tuteurs de vostre Estat, doiuent estre compris en ce Commendement.
Mais à quoy resue vostre Majesté ?

 

L. R. Ie ne resue point, mon Gouuerneur, cela seroit honteux à
vn Enfant : mais je fay en moy-mesme vne reflexion sur tout ce
que j’ay oüy de vous, qui est si conforme à mon petit raisonnement,
quoy qu’encore imparfait, que je me sens emporté dans vos propres
sentimens, comme si vostre esprit & le mien n’avoient qu’vne
mesme impulsion. Il est si naturel qu’vn homme aime vn autre
homme, vn Chrestien vn Chrestien, & vn Roy son Sujet : Qu’on
revére celuy qui est nostre Createur ; Qu’vn Roy qui veut estre
obey de son Sujet, obeïsse à Dieu, qui est son Roy : Qu’vn fils &
vn pupille honore son Tuteur & sa Mere : qu’en vain on m’ordonneroit
le contraire de toutes ces choses-là, tant elles me semblent
justes & conformes à l’equité naturelle. Et pleust à Dieu que vous
m’eussiez allegué quelques raisons aussi pressantes touchant l’amitié
fraternelle, de laquelle il me semble que Dieu n’ordonne rien.

L. G. SIRE, Comme il ne commande point aux peres & aux
enfans de s’entr’aimer, parce que la Nature le détermine assez
d’elle-mesme, & ce deuoir mutuel ; aussi n’ordonne-t’il rien sur
l’affection des freres. Ils ont vn principe commun de leur estre, qui
est le pere & la mere : Ils naissent de mesme champ, de méme graine :
ils sont composez d’vne méme chair, d’vn méme sang, & de
mémes esprits ; & par consequent ils ne doiuent auoir qu’vne mesme
volonté ; autrement l’ordre de Nature seroit perverty : joint
aussi que sans cette vnion fraternelle, la pluralité des enfans, qui est
vne benediction dans l’Escriture, feroit vn mensonge de la parole
de Dieu, & deuiendroit vne malediction. Et certes nous voyons
vn exemple inuincible de la necessité de l’amour fraternel en la
composition de l’homme, dans la fabrique duquel nous voyons
que les deux yeux, les deux aureilles, les deux mains, les deux pieds

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sont freres & sœurs ; & que si l’vn d’eux refuse à l’autre son concours,
ils demeureront tous deux sans action. Par exemple ; Si les
rayons des deux yeux ne se determinent ensemble à quelque object
certain, ils ne voyent rien : Si les aureilles ne s’arrestent toutes
deux à vn mesme son, elles perdẽt la faculté d’en faire la distinction
d’avec les autres sens : Si l’vne des mains refuse à l’autre son secours,
leur seruice divisé demeure imparfait : Et si l’vn des pieds
veut aller en arriere, & l’autre avant, il faut alors de necessité que le
corps demeure immobile. Ainsi vous voyez, SIRE, que toutes les
actions du corps & de l’esprit de l’homme sont toutes suspenduës
& engourdies pour leurs fonctions ordinaires, si ces organes doubles,
qui sont freres & sœurs, ne sont en bonne intelligence les vnes
avec les autres.

 

L. R. Toutes ces raisons sont belles, & assez bien imaginées ; &
neantmoins j’ay oüy dire, que la premiere discorde qui a jamais
esté au monde, commença entre deux freres, & que Caïn tua Abel
son frere.

L. G. C’est vn mystere de la Bible, lequel outre la verité Historique,
peut estre pris pour vn symbole de l’homme sensuel, qui tient
souvent l’homme spirituel à la gorge. Quand il se trouue quelques
exemples d’vn pareil déreglemẽt, ils sont si rares, qu’il les faut considerer
comme vne extravagance de Nature, ou cõme vne dissonance
de l’harmonie de l’Vnivers : & la memoire de ces choses-là
se devroit supprimer entre les hommes, comme on estouffe les
monstres en leur naissance.

L. R. Ah mon Gouverneur ! que je suis satisfait de ce raisonnement,
& que je vous suis obligé de me des-abuser de la creance où
j’estoit, que mon Frere pourroit auoir quelque jalousie contre moi,
de ce que je suis son Roy & son aisné. Ce soupçon estoit cause que
j’estois toûjours en garde contre luy, croyant que ce nom de Roy
& d’aisné, qui me donnent rang au dessus de luy, le fussent de divorce
entre nous, malgré l’alliance du sang.

L. G. Abus, SIRE, ce nom de Roy est plûtost vn nom de respect
que de crainte ; & ce nom d’aisné plûtost vn nom de soin que
d’oppression, ce qui doit donner quelque familiarité à Monsieur
vôtre Frere auec vous. Et comme on n’a jamais veu la main gauche
s’offenser contre la droite, pour n’avoir autant de force qu’elle,
ny pas vn des doigts se revolter contre le poulce, pour estre le Roy

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de la main ; & que nous voyons au contraire vne conspiration de
deux mains, & de tous les doigts avec le poulce pour leur service
commun : Tout de mesme V. M. ne doit rien attendre de Monsieur
son Frere, qu’vne obeïssance tres-humble, & vn concours de son
affection & de ses services, pour le maintien de son Estat, dont il est
la seconde Colomne. Les Poëtes en la fable d’vn homme à cent
bras, & d’vn autre à trois corps, nous ont voulu designer en cette
belle fiction vne image veritable de la force invincible de l’amitié
fraternelle. Apres tout, c’est le premier Prince de vôtre Sang ; &
en cette qualité V. M. sçaura qu’il est comme vn ostage de la seureté
de vôtre vie, à laquelle on attentera bien moins estans deux,
que si vous estiez seul, & cela luy suffise pour l’aimer.

 

L. R. Il est juste, & je vous proteste que je le veux aimer de
tout mon cœur : mais je vous prie aussi de luy faire entendre ce que
vous me venez de dire touchant l’amitié fraternelle, afin qu’il me
soit vn aussi bon frere comme je veux estre le sien.

L. G. Il est déja si bien instruit en cette belle leçon, qu’estant
vôtre Frere, il vous appelle son petit Papa, pour marque de l’obeïssance
qu’il vous doit ; & pour exiger aussi de V. M. par cette soûmission
vn amour de Pere, & vne tendresse de Frere tout ensemble. En
effet, sa grandeur n’est qu’vne dépendance de la vôtre, & le respect
qu’on luy rend, qu’vne reflexion de celuy qui vous est deu. V. M.
se peut asseurer, qu’il n’abusera point des auantages qu’il a d’estre
vôtre Frere. Tant y a, SIRE, qu’il me semble qu’il ne manque plus
rien à vôtre felicité : vous auez vne Reine pour Mere, vn Royaume
pour heritage, dont vous estes la premiere Personne, & vn Frere
pour son appuy. Croyez-vous auec cela qu’il manque quelque
chose à V. Majesté ?

L. R. Non pas que je sçache.

L. G. Si la teste disoit, Ie suis la Reine du corps, j’ay de l’entendement
pour raisonner, & des yeux pour me conduire ; & qu’elle
refusast le ministere des mains qui luy sont inferieures, est il pas
vray qu’il se trouueroit bien souuent du desordre en cette teste ?

L. R. Il y a bien de l’apparence.

L. G. Par la mesme raison, SIRE, quoy que V. M. soit la teste
de son Estat, & que vôtre Conseil en soit les yeux ; si elle estoit privée
du service de ses Domestiques, qui font l’office des mains, elle
se trouveroit souvent bien empeschée.

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L. R. Il est tres-certain.

L. G. Vous voyez donc que vos Domestiques font vne partie
de vôtre felicité : mais certes comme la main doit estre la plus nette,
& la plus adroite de toutes les parties du corps, il faut aussi que
ceux qui sont employez au seruice de sa Maison, & particulieremẽt
de sa Chambre, ayent toutes ces qualitez : car en effet ce sont vos
sur-veillans, & en quelque sorte, les depositaires de vôtre Persõne.
Leurs charges sont de telle consequence, que je ne puis comprendre,
comme il a esté possible de les rendre venales ; & que les Rois
vos Predecesseurs ayent souffert cette simonie d’Estat : Mais puis
que la chose est en vsage, & qu’on n’en a point encores veu reüssir
aucun mauuais effet, peut-estre y auroit-il maintenant autant de
mal à la changer, qu’il y en a eu autresfois à l’introduire. Tout ce
qu’il y a à faire en ce rencontre, est de donner auis à V. M. de n’y
admettre personne, non plus qu’on a fait par le passé, qu’il n’ait toutes
les qualitez requises à vn employ de telle importance. Le linge
qui vous touche à la peau, doit estre le plus blanc, le plus net, & le
plus cõmode de tout ce que vous avez sur vous. Ceux qui assistent,
& qui vous seruent d’ordinaire à vótre lever, & à vótre coucher, &
qui commandent au seruice de vótre Chambre & de vótre Garderobe,
doivent estre les plus purs, les plus affables, & les plus avisez
de tous vos Domestiques. Et cõme le mesme linge qui vous touche
la peau, en cache & nettoye doucement toutes les impuretez, il faut
aussi que leur discretion cache vos fautes, & qu’ils ayent vne prudence
detersive qui les essuye, sans vous blesser. V. M. se dépoüille
en leur presence de Sa Majesté, ils voyent vne partie de vótre ame
à nud, comme vne partie de vótre corps, & par l’assiduité de leur
presence & de leur seruice, ils acquierent aupres de vous vne confidence
que vous ne pouuez empescher. Enfin, SIRE, c’est avec
eux que se fait la premiere digestion de vos mœurs, qui ne peut
estre imparfaite, que toutes les autres actions de vótre vie ne s’en
ressentent : cela estant, il me semble qu’il est absolument necessaire
que les premiers Officiers de la Chambre & de la Garderobe ayẽt
vne eminente vertu, & que les seruices qui s’y feront soient rendus
par des hommes sages, discrets, & avisez.

L. R. Veritablement je me trouue surpris de tout ce que vous
me dites, ayant toûjours creu que pourueu que ceux qui sont de ma
Chambre, fussent adroits de leurs mains, & que mon œil fust satisfait

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de leurs personnes, je le devois estre de leur service : mais vótre
raisonnement me fait concevoir qu’ils ont encores besoin de quelques
qualitez plus essentielles. En effet il y a bien de l’apparence,
que quand les vices qui aiment l’ombre & le cachot, ne trouveront
point de retraitte en ma Chambre, ny de complices parmy les
miens, ils ne me feront pas grand mal. Mais vous ne me dites rien
de mes Enfans d’honneur, qui doiuent estre de mes exercices &
de mes plaisirs ?

 

L. R. SIRE, Estans issus de sang illustre, & ayans l’honneur
d’estre admis en cette glorieuse societé, qui les rend en quelque sorte
vos compagnons, je ne me puis imaginer qu’il ne se forme entr’eux
vne honneste emulation à qui deuiendra le meilleur ; & ainsi
je ne disois rien d’eux à V. M. comme estant asseuré de leur vertu.
Neantmoins parce qu’il est cõme impossible, qu’il ne se rencontre
quelqu’vn de vicieux en cette illustre Compagnie, je serois d’avis
que leurs fautes legeres fussent punies par vne honte legere ; celles
qui seroient vn peu plus importantes, par vn exil d’vn jour ; & les
pechez d’habitude qui sont incorrigibles & contagieux, par vn
éloignement de vótre presence, dont l’arrest fust irrevocable, qu’il
n’y eust vn amendement manifeste.

L. R. Et quoy ! si j’aime celuy qu’on voudra éloigner, seray-je
obligé de le permettre ?

L. G. SIRE, Si vous l’aimez, infailliblement il vous aimera, &
vous aimant, il quitera son vice, qui est la peine de son éloignemẽt ;
& s’il ne le veut point quitter, il vous fait voir qu’il aime mieux son
vice que vous ; & par cette preference de son vice à V. M. il se rend
indigne de l’honneur de vostre affection.

L. R. Et moy je me rends à la force de vos raisons, & consens
de bon cœur, que tout vicieux (quelque inclination que je puisse
avoir pour luy) soit privé pour jamais de l’honneste societé de mes
exercices & de mes plaisirs, s’il ne s’amende.

L. G. C’est bien dit, S’il ne s’amende ; il est juste que la disgrace
qu’il aura encouruë cesse auec sa cause, & quiconque surmonte la
depravation de sa nature, pour s’accommoder à la bonté de la vôtre,
luy tesmoigne plus de respect & d’amour en la violence qu’il
se fait, que s’il eust esté naturellement vertueux.

L. R. Dites moy, je vous prie, qu’appellez vous vertu ?

L. G. Ie n’oserois vous la dépeindre des couleurs de l’Escole,

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de peur qu’en vous la faisant voir triste, severe, & renfrongnée, elle
ne vous fust plûtost vn sujet d’auersion que d’amour. Ie la conçois
sous vn visage plus doux, & qui est (ce me semble) son vray pourtrai,
à sçauoir que la vertu est vne constante & gaye application de
toutes nos actions au bien : Constante, parce qu’il ne faut jamais
qu’elle varie : Et gaye, parce que toute action libre l’est. En vn
mot, la vertu & l’innocence ne sont qu’vne mesme chose : & puis
que la saison de nótre vie la plus innocente est la plus enjoüée, il
faut que nótre vertu luy ressemble, ou pour le moins que la gayeté
soit vn assaisonnement de ce qu’il y a de plus austere en la pratique
des vertus : & vn tesmoignage de ce que je dis, c’est que celuy de
tous les hommes qui a esté jugé par l’Oracle auoir esté le plus sage
& le meilleur, a esté le plus enjoué.

 

L. R. Cela va le mieux du monde, je pensois que mes plaisirs
deussent auoir leurs heures reglées : mais à ce conte-là on se peut
réjouïr en toutes occasions, & en l’exercice mesme des plus austeres
vertus.

L. R. Oüy, SIRE, on le peut ; & tout au contraire le vice n’est jamais
sans douleur : le cœur ne s’enflamme jamais de colere, sans
quelque palpitation : l’œil ne menace jamais, ny la bouche, sans faire
quelque mouuement conuulsif : la main ne frappe point, qu’elle ne
souffre vn contre-coup. En toutes ces actions il y a de la douleur :
de sorte qu’on peut dire, que le vice & la douleur sont deux bessons,
dont le vice naist le premier, & la douleur la derniere. Mais je m’écarte
vn peu de mon sujet, qui est de traitter des conditions que doiuent
auoir les Officiers de vótre Maison Royale ; & particulierement
ceux qui ont l’honneur d’estre auprés de vous. I’ay parlé de
ceux qui seruent & qui commandent à vótre Chambre, & de ceux
qui sont receus en la societé de vos plaisirs & de vos exercices.

L. R. Il est vray ; mais vous ne m’auez rien dit des plus grands
de mon Royaume ?

L. G. SIRE, Les Princes, vos Ministres, les Officiers de vótre
Couronne, les Gouuerneurs, les Prelats, sont Personnes acheuées,
d’vn aage meur, d’vne naissance illustre, & éleuées aux plus grandes
charges de vótre Estat par leur merite. Ce sont Personnes de grande
suite, de grand lustre, & de grand éclat, qui n’approchent jamais
de vous qu’auec vn extréme respect. Enfin, SIRE, comme tous les
dehors en sont beaux & magnifiques, Vótre Majesté se peut asseurer

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qu’estans aupres d’elle ils n’exposeront jamais en veuë que ce qu’ils
ont de plus brillant & de plus beau. Ainsi V. M. se doit plaire avec
eux, & estre en seureté en leur compagnie : Leurs vertus ayderont
les vótres, qui seront si grandes vn jour, que vous ferez connoistre
à tout le monde, que la qualité de Roy que vous portez, vous
est encores mieux deuë par les Loix de vôtre merite, que par
celles de vôtre Estat.

 

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