Anonyme [1652], OBSERVATIONS SVR QVELQVES LETTRES ECRITES AV CARDINAL MAZARIN, ET PAR LE CARDINAL MAZARIN. , françaisRéférence RIM : M0_2572. Cote locale : C_12_35a.
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LETTRES DV CARDINAL
Mazarin au Roy, & à la Reyne, sur le suiet
de son retour en France.

SIRE,

COMME les bienfaits & les graces, dont ie
suis redeuable à la bonté du feu Roy, de glorieuse
memoire, & à celle de Vostre Majesté,
ont infiniment excedé le prix du peu de recompense,
qui pouuoit estre deuë aux seruices que
i’ay tasché de rendre à l’Estat : aussi m’estimay-ie
plus obligé qu’aucune autre des creatures, &
des sujets de Vostre Majesté, de les luy témoigner
iusqu’au dernier soûpir de ma vie. Et ces
considerations d’honneur, & de reconnoissance
se rencontrans d’ailleurs auec mon inclination,
ma passion & mon deuoir, ie m’estimerois
tout à fait indigne, non seulement du rang que
ie tiens dans l’Eglise, &, ce qui ne m’est pas moins
precieux, de l’affection & de l’estime dont Vostre

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Majesté m’honore, mais de paroistre mesme
parmy les hommes, si dans vn temps, où
elle se trouue sur les bras deux grandes guerres
à soustenir, l’vne estrangere contre vn ennemy
tousiours redoutable, & l’autre intestine, & par
consequent encore plus dangereuse, & voyant
vos fidelles suiets exposer tous les iours auec
ioye leurs biens, & leur vie, pour le maintien de
la puissance, & de l’authorité de V. M. ie me
laissois deuancer par aucun, dans vn zele si iuste,
& me contentois de regarder honteusement,
ou de deplorer dans l’oisiueté d’vne honteuse
retraite, le feu dont le Royaume brusle auiourd’huy
au dehors & au dedans, sans me mettre en
deuoir comme les autres, de contribuer ce qui
peut dépendre de moy, & de mes amis, pour
donner plus de moyen à V. M. d’esteindre, ou
de faire au moins cesser l’vn de ces embrasemens
auant que sa durée luy ait laissé prendre plus de
force.

 

V. M. SIRE, peut se souuenir, que non seulement
i’executay auec vne resignation aueugle,
l’ordre qu’elle iugea à propos de m’enuoyer,
de sortir du Royaume, quoy que l’estat
des affaires d’alors me donnast iuste suiet de croire
qu’il auoit plutost esté extorqué d’elle, que ce
n’estoit sa veritable intention, mais que ie m’éloignay
mesme iusques au Rhin, pour connoistre
si en effet, comme plusieurs en paroissoient persuadez,

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aprés la liberté de Monsieur le Prince
obtenuë, il ne restoit plus rien à desirer que mon
éloignement, pour voir le Royaume dans le plus
haut comble de bon-heur, & de prosperitez, qui
se pouuoit souhaitter, & pour faire que les peuples
goustassent les douceurs d’vn siecle d’or,
que le commerce refleurist, que les finances de
V. M. eussent l’abondance qu’il faut pour mettre
les ennemis à la raison, que vostre authorité
se restablist, que la Maison Royale fust parfaitement
vnie, & qu’on pust en fort peu de temps
conclurre la Paix generale, si necessaire & si desirée.

 

Et certes, comme ie ne me suis iamais proposé
d’autre but en toutes mes actions, que ces
mesmes si pretieux auantages, & que d’ailleurs
i’ay tousiours estably ma principale satisfaction,
à sacrifier tous mes interests particuliers au bien
de l’Estat, rien ne me pouuoit flatter plus agreablement,
que de si grandes esperances, ny me
faire passer le reste de mes iours auec plus de
douceur, & de tranquillité d’ame, quand mesme
i’aurois esté proscript en l’endroit de la terre
le plus sauuage, & le plus éloigné de toute communication,
que de sçauoir que ma relegation
contribuoit à la grandeur de V. M. & faisoit la
felicité de ses peuples.

Ie diray mesme auec verité, que le zele dont
ie brusle pour la gloire de la France, m’auroit

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fait preferer cette condition, & cette forme de
vie à tout l’éclat, qui accompagne ordinairement
celle que ie venois de quitter, pourueu
que i’eusse pu auoir au moins par mes mal-heurs,
la principale part au bon heur de cette Couronne ;
& plus ie me sentois innocent, plus ie me serois
alors estimé glorieux de seruir ainsi de victime
à l’Estat, & de calmer par mon sacrifice toutes
les tempestes, dont il pouuoit estre battu.

 

C’est par cette seule raison, SIRE, que i’ay
souffert auec constance pendant plus de dix
mois, de voir déchirer en toutes façons ma reputation,
d’estre priué de tous les biens qui
m’appartiennent par la liberalité de vos Majestez,
& que i’auois destinez au payement des
grandes debtes, que i’ay contractées pour le soustien
de vos affaires, & de vostre seruice, en des
occasions pressantes que l’épuisement de ses finances,
& les longueurs des formalitez eussent
laissé ou fait deperir : i’ay souffert auec patience
d’estre appellé voleur, & pirate, perturbateur du
repos public, ennemy de l’Estat, le fleau de la
Chrestienté pour auoir trauersé l’establissement
de son repos, de me voir errant dans le monde,
sans retraite ny azile asseuré, auec vne famille à
qui l’aage n’a pas permis encore de pouuoir estre
autre qu’innocente, & enfin de voir ma vie continuellement
exposée à diuers perils, sans que
i’en aye seulement murmuré, l’amour que i’ay

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pour la France, ayant dés long-temps ietté de si
profondes racines, qu’aucun mauuais traitement
n’est capable de l’ébranler. C’est cette mesme
raison, SIRE, qui m’a empesché de publier des
Manifestes, où il m’eust esté facile de faire voir
euidemment, que par iustice ie meritois peut
estre quelque louange dans les chefs mesme,
qu’on a tournez en accusation & en crime, & particulierement
sur celuy de la Paix, où ie m’asseure
que par vn écrit, qui paroistra bien tost au iour
ie feray toucher à ceux mesme qui sont le plus
preuenus de passion, & d’animosité contre moy,
qu’il n’a rien esté obmis de ma part, en tout
temps de possible ou d’imaginable, pour paruenir
à la conclusion de ce grand ouurage : Enfin
i’ay mesme retenu mes plaintes sur tous les Arrests
& les Declarations, qu’on a données contre
moy, & ay en toutes choses gardé vne moderation,
que le reste de l’Europe à trouué à dire,
parce qu’elle en ignore la cause, attendant tousiours
que le bon-heur public fust restably, afin
qu’on ne pust auoir le moindre pretexte de m’imputer
d’y auoir apporté le moindre obstacle, &
me contentant d’adresser incessamment mes
vœux au Ciel, pour obtenir qu’il luy plust de soulager
mes peines par la satisfaction de les voir
vtiles en quelque façon au seruice de Vostre Maiesté
& au repos de ses sujets.

 

Ie ne me serois point encore, SIRE, départy

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de la mesme conduite, & aurois plustost songé
à m’esloigner dauantage qu’à m’approcher, si i’auois
vû vostre Estat tranquille, & tous vos suiets
bien vnis, ne conspirer, comme ils y sont obligez,
que le bien de vostre seruice, ou si seulement les
esprits eussent paru tant soit peu disposez à vne
reünion si iuste & si necessaire : & bien loin de
songer à mon retour, ie n’aurois pas mesme souhaité
la cessation de mes maux, si i’auois crû
qu’il eust pû causer le moindre trouble au bonheur
public, ou fournir vn pretexte de le troubler,
à ceux qui en auroient eu le dessein.

 

Mais voyant auec toute l’Europe, qu’au lieu de
ces grands effets, qu’on auoit publié que mon éloignement
deuoit infailliblement produire, les
affaires ont visiblement & notablement empiré,
que la confusion & le desordre sont infiniment
augmentez ; que l’on a fait des liaisons estroites
auec les Espagnols, que les traitez en sont signez
& ratifiez de part & d’autre ; que le feu de la discorde
ciuile est tout à fait allumé ; que les soins
que V. M. a pris pour l’éteindre, ont esté aussi
inutiles, que les condescendances qu’elle auoit
euës pour le preuenir ; que la bonté que V. M. a
euë de donner à S. A. R. si belle matiere d’ẽployer
le zele qu’il a pour l’Estat, en luy enuoyant vn
pouuoir sans limitation pour l’accommodemẽt,
n’a rien produit ; que quelques diligences que
son A. R. ait faites par l’enuoy de plusieurs Gentils

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hommes, & Courriers, il n’a pû obtenir les réponses
qu’il estoit à souhaiter pour faire cesser
les desordres, & la misere, où ils ont plongé tant
d’innocents ; que l’on a mesme refusé la Conference,
qui auoit esté proposée, ce qui ne se pratique
pas entre les ennemis les plus fiers, & les plus
aigris, en sorte que V. M. a esté forcée de laisser
à la fin agir la Iustice, & declarer criminels de
leze-Maiesté, ceux qui ont pris les armes contre
ses ordres, & son seruice ; que la tempeste s’est
desia renduë tres-violente, & enfin que la qualité,
& le nombre des forces de ses ennemis peuuent
rẽdre fort douteux le succez de ses desseins
& de ses trauaux, si tout ce qu’elle a de zelez &
de fidelles seruiteurs, ne concourent à la seruir
de tout leur pouuoir, de leur credit, & de leurs
amis : la passion que i’ay pour bien de l’Estat,
pour la gloire de V. M. outre la iustice de la cause
qui est celle de Dieu mesme, ne m’a pû permettre
de voir ces agitations, & ces incertitudes, ausquelles
les affaires de V. M. sont exposées, & de
demeurer dans vn repos honteux, que ie me serois
reproché à moy mesme, comme vn crime.

 

I’ay encore esté fortifié, SIRE, dans cette resolution,
lors que sur la liberté que i’ay pris de
faire offrir à V. M. dans ces conionctures pressantés
mes foibles seruices, & ceux de mes amis, auec
ce que ie pourrois assembler de forces, par
mon credit & par le leur, i’ay appris que V. M.

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auoit eu la bonté d’agréer ce petit effect de mon
zele, & témoigné qu’elle seroit bien aise que ie
luy menasse ce renfort de troupes, pour luy ayder
à remettre dans le deuoir & dans l’obeïssance
qui luy est deuë, ses suiets qui s’en sont écartez.

 

Apres ce glorieux adueu de mon dessein, il n’y
auoit qu’vne seule consideration qui eust pû
m’arrester dauantage en ces quartiers icy, qui estoit
l’aduancement de la Paix generale, que i’auois
il y a quelque temps grand suiet d’esperer.
Mais pour m’expliquer mieux là-dessus à V. M.
elle agréera, s’il luy plaist, que ie luy dise, que ie
ne suis pas demeuré entierement oisif dans ma
retraite, & qu’ayant trouué que tout ce qui se
passoit en France contre moy, n’empeschoit pas
que les Espagnols mesme, à qui i’auois tasché de
faire le plus de mal en seruant V. M. ne me traitassent
auec beaucoup de ciuilitez, & de marques
d’vn estime particuliere en rendant mesme cette
iustice à V. M. de ne douter qu’elle ne continuast
à m’honorer de sa bienueillance, nonobstant les
mauuais traitemens que ie receuois : ie crus deuoir
profiter de cette opinion qu’ils auoient,
pour essayer d’obliger les Ministres du Roy Catholique,
qui sont en Flãdres, à renoüer auec moy
quelque negotiation de Paix entre les deux Couronnes :
ma pensée auoit fort heureusement reüssi,
& i’auois aduancé l’affaire, en sorte que i’auois

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conçû auec beaucoup de fondement, l’esperance
d’en pouuoir enuoyer bientost, de fort bonnes
nouuelles à V. M. Mais lors que les choses
estoient disposées au poinct que ie pouuois souhaitter,
ie reconnû auec vne douleur extresme
que l’on auoit pris d’autres mesures, par la signature
d’vn traité qu’on auoit enuoyé à Bruxelles,
& par les fortes solicitations, qu’on auoit faites
en mesme temps en Espagne, qui donnant de
nouuelles esperances aux ennemis, leur auoient
donné aussi de nouuelles pensées.

 

C’est vne verité qui ne peut receuoir de contradiction,
& que ie remets à faire sçauoir plus
particulierement, par quelque autre voye à V.
M. Ie suis mesme obligé en luy en rendant compte,
d’aduoüer que les Ministres d’Espagne ne paroissent
pas souhaitter la Paix moins passionnément
que moy. Mais, SIRE, auroit-on pû facilement
renoncer à Madrid, à tant de grandes
esperances qu’on y a fait conceuoir ? & comment
ne pas ceder aux asseurances que des François
mesme considerables par leur naissance par leurs
richesses, par leurs establissemens, par leurs amis,
par la reputation qu’ils ont acquise dans la guerre,
& par leur credit parmy les troupes ? comment,
dis ie, ne pas ceder aux asseurances positiues
qu’ils y ont fait donner, que bien-tost ou ils
contraindroient vostre Maiesté à offrir la carte
blanche aux Espagnols, ou qu’en moins de six

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mois ils pourroient coniointement faire des progrez,
au double de ce qui estoit necessaire pour
forcer vostre Maiesté à subir telles conditions
qu’ils luy voudroient prescrire pour la Paix, & à
s’estimer mesme bien-heureuse de l’obtenir, à
quelque grand prix que ce pust estre ? Ie confesse,
SIRE, à vostre Maiesté que ie ne suis pas consolable,
de voir que ce grand ouurage si necessaire
au repos, & au bon-heur de tous les peuples,
se soit par vn semblable malheur échoüé, lors que
par toutes les apparences il estoit si proche de sa
perfection ; & cependant ie ne doute nullement,
que ceux qui en sont la seule cause, ne continuënt
encore à publier que c’est le Cardinal Mazarin
qui ne veut pas la Paix, & qui l’empesche.

 

Vostre Maiesté, SIRE, dont la sagesse, & la
capacité ont deuancé l’aage, & l’ont fait appliquer
de si bonne heure à la connoissance de ses
affaires, pourra se souuenir qu’apres la reduction
qu’elle fit sous son obeïssance de toutes les places
de Normandie & de Bourgogne, & aprés la
Guyenne calmée, à quoy en ioignant bientost
l’expulsion des Espagnols de la Champagne, où
mesme leur principal corps d’armée fut défait, il
ne restoit plus de party dans le Royaume, qui
portast le nom des Princes ; leurs parens, amis
& seruiteurs ne prenoient que les bonnes voyes
pour les seruir, & n’auoient recours qu’à la clemence
seule de Vostre Majesté. Et alors la Paix

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que la subsistance de ce party auoit retardée, se
pouuoit dire & tenir pour infaillible, ne restant
plus d’esperances aux ennemis, de voir les grandes
forces de Vostre Majesté, occupées à autre
chose qu’à les combattre, auec la vigueur & le
succez qu’elles auoient tousiours fait, quand l’Estat
auoit esté sans troubles : & aussi fut-ce en ce
temps là que Dom Esteuen de Gamarra me proposa
vne conference auec le Comte de Fuensaldagne,
& m’en sollicita mesme en suite par deux
de ses Lettres, pour traiter & conclure la Paix
entre les deux Couronnes ; mais toutes ces propositions
s’éuanoüirent par ma retraite. On crut
neantmoins que cette Paix, & le calme du Royaume
seroient plus asseurez par l’élargissement
de Monsieur le Prince, & par ma proscription,
l’vn & l’autre ayant esté tumultuairement resolu ;
& il en est arriué ce que le monde voit aujourd’huy,
& que ie ne doute pas que tous les bons
François ne deplorent auec des larmes de sang,
regardant leur patrie plongée dans les malheurs
& les desordres, où elle se trouue, dont la suitte
peut-estre encore plus funeste, & tres-prejudiciable
à l’autorité Royale.

 

Cette forte consideration, SIRE, qui pouuoit
me retenir encore en ces quartiers, estant
cessée à mon grand regret, i’ay sous l’aueu de la
sacrée parole de Vostre Majesté, fait vn effort
auec l’assistance de mes amis, pour entrer dans

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le Royaume, en estat de n’estre pas tout à fait
inutile à son seruice, dans vn temps, où l’on voit
vn party tres-considerable pour ses forces, se départir
de l’obeïssance, qui est deuë à Vostre Majesté,
& s’vnir auec les anciens ennemis de l’Estat ;
& qu’à moins, comme i’ay dit, que tous les
veritables seruiteurs, & tous les fidelles sujets de
Vostre Majesté redoublent leur zele & leur ardeur,
pour contribuër ce qui peut dépendre
d’eux aux bons succez de ses armes, cette liaison
peut faire courir grand risque à la France, qui
par ses prosperitez & ses aduantages, auoit excité
pendant si long temps l’admiration & l’enuie
de toute l’Europe, de deuenir elle mesme vn
objet de compassion, & vn horrible theatre de
calamitez & de desordres.

 

I’ay encore eu pour principale veuë en cela, la
conclusion de la Paix generale, connoissant qu’il
n’y a point de moyen plus seur pour y paruenir,
que d’abattre les partis qui se sont esleuez contre
l’authorité de Vostre Majesté & d’esteindre le
feu, dont le Royaume est à present embrasé.

Et à la verité, SIRE, si quand les Princes ont
esté pressez par la necessité de leurs affaires, les
prisons ont esté souuent ouuertes aux plus coupables,
& les bannis les plus criminels ont esté
rappellez, pour estre employez contre leurs ennemis :
Ie veux esperer, que la resolution que ie
prends dans vne conjoncture, qui rend indispensables

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les deuoirs de tous les seruiteurs de Vostre
Majesté sera receuë de tous les bons François,
auec d’autant plus d’approbation, que mon
innocence est assez connuë, & que ie n’iray pas
mesme si mal accompagné, que ie ne puisse esperer
auec raison de rendre à Vostre Majesté, &
à l’Estat quelque bon seruice.

 

Il est vray, SIRE, que ie ne puis pas nier,
que tous mes amis & ceux qui les accompagnent,
ne soient Mazarins, & ne portent auec
plaisir vn nom, qu’on a trauaillé à rendre si
odieux ; aussi ne sçay-ie pas si les seruices qu’ils
pourront rendre à Vostre Majesté seront autant
aggreez de tout le monde, que ie veux me promettre
qu’ils le seront d’elle. Ie puis pourtant dire
que Vostre Majesté n’a point de sujets qui
bruslent d’vn zele plus ardent, de donner tout
leur sang s’il est necessaire pour la seruir ; qu’on
n’en a point veu iusques icy de ce nom, manquer
de fidelité à Vostre Majesté & prendre le party
des Espagnols, & des autres ennemis de vostre
Couronne ; & qu’il n’en est aucun qui ne soit
prest de sacrifier tout son bien, & d’exposer mille
fois sa vie pour l’execution des moindres ordres,
dont Vostre Majesté les honorera. C’est
de ces mesmes amis, SIRE, de qui ie refusay
l’assistance qu’ils m’offroient genereusement,
lors que ie sortis du Royaume, parce que ie crûs
que si elle estoit vtile à mes interests particuliers,

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elle pouuoit alors prejudicier à ceux de Vostre
Majesté qui m’ont tousiours esté les premiers,
& les seuls en veuë ; mais ie l’ay acceptée à present
que i’ay connu que l’Estat n’en peut receuoir
que beaucoup d’auantage.

 

Ie proteste à Vostre Majesté de ne vouloir
former de plaintes contre qui que ce soit ; car il
se peut faire que i’aye donné sujet innocemment
à l’auersion que beaucoup de personnes ont témoigné
auoir contre moy ; & si Vostre Majesté a
encore la bonté de donner quelque accez à mes
supplications tres humbles, ie les employeray
plutost pour leur faire départir les graces qu’ils
auront d’ailleurs meritées par leurs seruices, que
pour m’y opposer.

Tout mon but, SIRE, n’est que d’aller exposer
ma vie pour le bien & pour le restablissement
du repos de la France : aussi puis-ie dire, que cette
vie est aujourd’huy la seule chose qui me reste ;
ayant employé le peu que i’auois & que i’ay
pû trouuer, à former le corps des troupes que
i’ay mises ensemble. Et comme la part que i’ay
euë autrefois, par le choix & la bonté du feu
Roy, & depuis par celle de la Reyne, alors Regente,
à l’administration des affaires, pourroit
taire soupçonner à quelques vns, que ma resolution
qui n’a pour principe qu’vne tres-pure
passion pour son seruice, & pour visée que de la
signaler par quelques nouueaux effets, procedast

-- 42 --

de quelque desir de rentrer dans le ministere ;
ie supplie tres-humblement Vostre Majesté,
& cela pour toute recompense des seruices qu’elle
me fait la grace de croire que i’ay rendus à elle,
& à l’Estat, auec autant de fidelité que de
zele, de ne vouloir pas que ie m’ingere à l’aduenir
en aucune façon dans le maniment des affaires :
ce poinct, en cas que vostre Majesté ait assez
bonne opinion de moy, pour me l’ordonner,
estant le seul qui pourroit me rendre coupable
d’vne desobeïssance enuers Vostre Majesté, au
moindre ordre de la quelle en toute autre chose,
ie sacrifierois ma vie auec ioye. Vostre Majesté
ne manque pas de nombre de Ministres fort habiles,
& dont l’application & les soins seront plus
heureux que les miens n’ont esté, à gagner l’approbation
publique ; & s’ils desirent de moy les
lumieres & les connoissances que la direction
que i’ay euë pendant vn assez long-temps m’a
pû fournir, ie proteste à vostre Majesté de les leur
donner fort sincerement, & de bien meilleur
cœur que ie ne r’entrerois dans la place qu’ils occuperont.
La seule supplication que ie fais à vostre
Majesté, c’est qu’ayant esté noircy de tant de
crimes, & condamné sans estre oüy, elle ait la
bonté de vouloir qu’on exerce enuers moy dans
les formes de la Iustice, ce qu’on ne dénieroit pas
au dernier du Royaume : Ie la demande tres-seuere,
SIRE, & que vostre Majesté veüille suspendre

-- 43 --

les mouuemens, & les effets de la bienveillance,
dont il luy plaist m’honorer, en sorte
qu’elle ne paroisse, ny n’agisse en aucune façon
dans ce rencontre ; offrant mesme pour cét effet
de me rendre seul en tel lieu qu’il luy plaira me
prescrire, afin que mon innocence venant par ce
moyen à estre euidemment reconnuë, ma reputation
qu’on a voulu tant de fois déchirer ; soit
entierement reparée, & que ie puisse auec plus
de bien seance & de satisfaction aller seruir vostre
Majesté auec mes amis, en tel endroit dedans
ou dehors le Royaume, & en telle maniere
qu’il luy plaira : ne souhaittant rien que de
pouuoir contribuër ce qui peut dependre de
moy, à appaiser l’orage qu’on a excité dans vostre
Estat, & de rendre mes peines & mes soins
vtiles au repos & à la felicité de vos sujets. Si
Dieu donne à vostre Majesté la protection que
l’on doit esperer de la sainteté de ses intentions,
& de la iustice de sa cause, & que chacun rentrant
dans son deuoir, les mouuemens dont vostre
Royaume est agité, se terminent auec le
bon-heur, & la gloire que meritent la bonté &
l’application auec laquelle vostre Majesté y trauaille
infatigablement ; ie la supplie tres-humblement
dés à present de trouuer bon, de me
prescrire quelque endroit où ie puisse passer le
reste de mes iours en repos, & les employer à
prier Dieu, qu’il comble vostre Majesté, d’autant

-- 44 --

de prosperitez & de benedictions qu’elle où
a merité. C’est le plus ardent souhait de

 

A Boüillon le 23. Decembre 1651.

MADAME,

IE dois par tant de raisons à Vostre Mejesté
vn compte exact de mes actions, qu’estant sur
le poinct d’en entreprendre vne, qui pourra faire
éclat dans le monde, j’ay creu deuoir auant toutes
choses, prendre la liberté de luy faire sçauoir
les motifs qui m’y ont obligé ; me promettant de
sa iustice, que non seulement Vostre Majesté ne
les desagréera pas, mais qu’elle iugera mesme,
que quand ma resolution n’eust pas esté authorisée
par le glorieux aueu que le Roy en a fait, ie
n’eusse pû sans vne ingratitude, dont ie me flatte
que V. M. ne me tient pas capable, m’empecher
de faire mes efforts, pour rendre à sa Majesté tous
les foibles seruice qui peuuent dépendre de moy,
dans vne conjoncture, où le present besoin
qu’elle en a, ne luy auroit pas mesme permis de
refuser ceux des personnes les plus criminelles.

-- 45 --

Il seroit bien superflu de representer à vostre
Majesté, ny le zele auec lequel i’ay seruy cét
Estat, qu’elle sçait mieux que personne, ny le
desinteressement que i’y ay apporté, qu’elle a eu
souuent la generosité de combatre par des
commandemens absolus de receuoir la liberalité
des graces, dont ie ne me suis pas creu digne ;
ny les succez auantageux que ce zele &
mon application, ou plustost le bonheur de la
France auoient produit, qu’elle sçait auoir esté
tels, que ses ennemis apres de grandes pertes en
tous endroits, où les armes ont pû agir, estoient
reduits pour se garantir d’en souffrir de plus considerables,
à donner les mains à la Paix generale,
comme le seul moyen qu’ils auoient pour arrester
les progrez de la France, si les diuisions
qu’on y a fait naistre n’eussent releué leurs esperances,
& changé entierement la face des affaires.
Il seroit encore superflu de dire à vostre Majesté
par quels malheurs cette Couronne est décheuë
de ses grands auantages, ayant elle mesme
tant trauaillé à detourner, & amoindrir les
vns, pour se maintenir en possession des autres ;
& enfin de la faire souuenir que le Ciel auoit tellement
beny les souhaits, & les voyages que V.
Majesté a entre pris auec le Roy dans des saisons
si rudes, & les trauaux qu’elle a soufferts sur la
fin de l’année derniere, apres la reduction des
places de Normandie, & de Bourgogne, apres

-- 46 --

la leuée du siege de Guise, apres l’orage de
Guyenne calmé, apres l’expulsion des Espagnols,
des postes qu’ils auoient occupez en Champagne,
& apres vne bataille gagnee, où ils auoient
perdu leurs principales forces, que vostre Maiesté
auoit la gloire & la consolation d’auoir surmonté
des difficultez, qui sembloient de soy inuincibles,
d’auoir tellement pacifié le Royaume,
& esteint le feu des factions, qu’il n’y pouuoit
plus parostre aucun party, les armes à la main,
contraire au seruice, & aux intentions du Roy,
& d’auoir fait reprendre aux ennemis les pensées
de paix, dont nos diuisions les auoient peu auparauant
tellement éloignez, qu’ils n’auoient pas
fait difficulté de prier Messieurs les Mediateurs, de
declarer à vostre Maiesté de leur part, qu’il ne
falloit plus esperer de Paix, ny mesme de negociation,
ou de congrez pour la traiter. Cependant
vostre Maiesté se peut souuenir, qu’apres
tous ces heureux succés Monsieur le Comte de
Fluensaldagne témoigna souhaiter auec passion,
d’auoir vne conference auec moy, pour renoüer
le traité, & en aduancer la conclusion.

 

Vostre Maiesté se remettra aussi facilement
dans la memoire, que c’estoit dans cette constitution
glorieuse, que se trouuoient les affaires, lors
qu’il fut iugé que l’élargissement, de Monsieur le
Prince, & mon esloignement, les pourroient
mettre bien-tost en meilleur estat ; l’vn & l’autre

-- 47 --

furent executez auec les circonstances, que
Vostre Majesté sçait. Ie ne sortis pas seulement
du Royaume, suiuant les ordres que i’en receu
de Vostre Majesté, ie me retiray encore bien
loin de ses frontieres, pour donner plus de lieu
au prompt establissement du bon heur public,
que l’on auoit fait esperer à toute la France de
mon esloignement. I’ay souffert dans cette retraite
sans dire vn seul mot, ny sans en porter
mes plaintes, ou mes remonstrances, & mes
supplications tres-humbles à vos Majestez, des
Arrests & Declarations qui me chargent des
plus grands opprobres qu’on puisse imputer vn
à homme de bien, & qui a tousiours assez fait connoistre
qu’il n’auoit autre but en toutes ses
actions, que la conseruation de son honneur :
i’ay fait mesme cét effort sur moy, de ne vouloir
pas defendre par des Manifestes ma reputation
si cruellement déchirée, & d’empescher que
mes amis qui sçauoient mon innocence, ne publiassent
ceux que leur affection leur auoit fait
preparer, afin qu’on ne pust auoir le moindre
pretexte de me reprocher, que par cét interest
particulier, & par vne trop grande precipitation,
i’eusse esté cause des retardemens de la felicité
publique, qui n’estoit pas moins dans ma retraite
le seul objet de tous mes vœux, au despens
mesme de la chose du monde qui m’est la plus
precieuse, qu’elle l’auoit esté lors que par la part

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que i’auois dans les affaires, cette felicité se trouuoit
iointe à ma gloire particuliere.

 

I’ay demeuré en cét estat plus de dix mois, &
plus en disposition de m’esloigner encore dauantage
que de retourner, si i’eusse veu que mon
premier esloignement eust produit quelqu’vn
des effets, qu’on en auoit fait esperer. Enfin i’ay
souffert l’amertume de mes malheurs, auec plus
de constance & de force, que ie n’eusse osé me
promettre, & que ie n’eusse eu en effect sans l’adoucissement,
qu’y a porté l’esperance, dont ie
me suis tousiours flatté, suiuant l’opinion des autres,
qu’ils pourroient auec vn peu de tems contribuër
beaucoup au restablissement de l’authorité
Royale, & en suitte au bon-heur des peuples,
qui despend principalement du restablissement
de cette authorité.

I’auois aussi conceu beaucoup d’espoir, que la
Majorité du Roy seroit vn souuerain remede à
tous les maux, qui affigeoient l’Estat, & à produire
generalement dans les esprits, cét effet
auantageux à Sa Majesté, qu’aucun de ses sujets
n’eust plus d’autre pensée, que de meriter l’honneur
de son estime, & de ses bonnes graces, par
ses seruices ; & par la perte de tout son sang, s’il
eust esté besoin. Mais voyant contre mon attente,
& mes souhaits, que bien loin de cette
vnanime conspiration à ses interests, & à ses volontez,
le feu qui estoit auparauant demeuré

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couuert, a parû auec tant d’éclat, & s’est fait sentir
auec tant de violence, qu’il a dé-ja embrasé
diuerses Prouinces, & qu’il peut plus facilement
suiure les autres, qu’il n’est facile de l’esteindre ;
voyant qu’à vne longue guerre estrangere, que
l’Estat espuisé d’hommes & de finances, auoit
dé-ja de la peine à soustenir, s’en est adjousté
vne intestine, d’autant plus dangereuse, qu’elle
brusle les entrailles d’vn corps, qui n’a pas trop
de toute sa force pour combattre au dehors ;
i’ay creu qu’il ne pouuoit estre de bon François,
ny de veritable seruiteur de Vostre Majesté, qui
non seulement sans honte, mais sans crime pust
regarder les bras croisez, la face presente des affaires,
sans y accourir auec tout ce qu’il peut auoir
de forces, & d’amis, & sans sacrifier son bien
& sa vie, pour donner plus de moyen au Roy de
se defendre des puissances redoutables qui l’attaquent.

 

En cette qualité, & comme le plus obligé de
tous, ie me suis preualu, MADAME, de l’affection
genereuse de mes amis, & de la passion
qu’ils ont d’ailleurs pour le bien de l’Estat, pour
faire vn effort auec eux de mettre ensemble vn
corps de troupes assez considerable, pour pouuoir
estre vtile à l’Estat, dans des conionctures si
pressantes ; & ie ne puis exprimer à Vostre
Majesté, la passion qu’il témoignent de pouuoir
en ce rencontre signaler par tout leur zele &

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leur fidelité, & en telle maniere qu’il plaira à Sa
Majesté de l’ordonner,

 

Apres ce premier but de seruir le Roy, que ie
me suis proposé dans mon dessein, & que i’ay
mesme en veuë deuant la reparation de mon
honneur, i’ay songé que ie pouuois chercher en
suite les moyens de ne le laisser pas dauantage
en compromis dans le monde, & que ie ne deuois
pas demeurer dans vn silence & dans vne
moderation inutile, pendant que l’on continuoit
à déchirer ma reputation ; ce qui m’a fait
supplier le Roy tres-humblement de vouloir me
faire rendre iustice dans les formes les plus seueres,
& les plus rigoureuses, sur les crimes dont
on m’a accusé, & sur lesquels on m’a condamné
sans m’auoir oüy, offrant pour cela de me rendre
tout seul en tel lieu qu’il luy plaira m’ordonner :
& i’ose esperer que Vostre Majesté trouuera cette
instance si legitime, qu’elle ne refusera pas la
grace que ie luy demande, de la vouloir appuyer
de ses puissans offices, afin qu’ayant lieu de faire
paroistre que mon innocence est à l’espreuue de
toutes les attaques de la calomnie, les plus critiques,
& les plus malicieux soient contraints
d’aduoüer que ie ne suis pas capable du moindre
des crimes, dont on m’a voulu tacher.

Vostre Maiesté MADAME, a vne passion si
forte pour tous les auantages de cette Couronne,
tant de bonté pour tous ceux en qui elle

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trouue des impressions de ce zelle, & tant d’équité
naturelle : que ie ne puis pas douter qu’il
faille autre chose, pour luy faire approuuer &
agréer mon dessein, que de luy en representer
nuëment les motifs, comme i’ay tasché de faire :
c’est la grace dont l’ose la supplier auec toute la
soûmission, & le respect qui luy est deu : &
comme ie prends la liberté d’en demander encore
vne autre au Roy, qui est d’auoir la bonté de
me dispenser d’auoir aucune part dans le maniment
de ses affaires, quand sa Maiesté auroit assez
bonne opinion de ma suffisance, & la protection
de vostre Maiesté auprés du Roy (en cas
que cette preuention d’vne chose, à laquelle
peut estre sa Maiesté ne songe pas, ne soit point
trop presomptueuse) pour empescher que ie ne
sois pas exposé à commettre vne desobeissance,
comme il arriueroit infailliblement, si on auoit
la moindre pensée de me faire cét honneur, que
i’estime en effet incomparablement moins que
la glorieuse qualité,

 

A Boüillon leDecembre

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Anonyme [1652], OBSERVATIONS SVR QVELQVES LETTRES ECRITES AV CARDINAL MAZARIN, ET PAR LE CARDINAL MAZARIN. , françaisRéférence RIM : M0_2572. Cote locale : C_12_35a.