Anonyme [1652], OBSERVATIONS SVR QVELQVES LETTRES ECRITES AV CARDINAL MAZARIN, ET PAR LE CARDINAL MAZARIN. , françaisRéférence RIM : M0_2572. Cote locale : C_12_35a.
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OBSERVATIONS.

VOVS remarquerez s’il vous plaist, dans
cette Lettre, vn grand flux de paroles, assez
mal rangées : mais nous dissimulerons plus
aisement, dans vn estranger l’ignorance de nostre
stile, que nous ne souffrirons en celuy qui a
pris la qualité de principal Ministre de nostre
Roy, le deffaut de iugement, qui paroist lors qu’il
publie ce qu’il deuroit cacher. Le Cardinal Mazarin
est si vain qu’il veut passer pour vn sçauant
escriuain, & ensemble pour vn grand homme
d’Estat : Nous oserons assurer au contraire qu’il
n’est pas meilleur Secretaire, que Conseiller ;
& que celuy qui en ses paroles trompe tousiours
les autres, se trompe souuant luy-mesme dans le
bon sentiment qu’il a de sa suffisance Ce que
nous disons n’est pas seulement vn sujet de confusion
pour luy ; mais de honte pour nous ; qui
auons supporté si long-temps le gouuernement

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d’vn si foible Estranger ; qui apres nous auoir
surpris par finesse, vient pour nous dompter
par la violence. Venons aux obseruations.

 

I. On remarque en premier lieu, que le Cardinal
Mazarin n’adjouste aucune creance
aux Lettres du Roy, si elles ne sont accompagnées
de celles de la Reyne : Encore qu’elle ne
soit plus Regente, vn mot de sa main a plus de
credit auprez de luy, que trois Despeches signées
par celle du Roy, qui luy faisoiẽt entendre,
les dernieres resolutions prises par Sa Majesté,
dans son Conseil, en presence de la Reyne sa
Mere. Mais le secret estant dans l’intelligence
particuliere ; Ce ressort ne ioüant pas, le Cardinal
ne pouuoit estre esbranlé : Iugez s’il est
discret, d’auoir reuelé ce Mystere.

II. Ce que Madame d’Esguillon auoit fait proposer
par Roussereau, estoit : Que le Cardinal auroit
à Rome, la direction des affaires de France,
auec vne grosse pension ; pour faire connoistre
à son pays, qu’il estoit consideré dans le nostre :
ce qu’il auoit desiré pour mettre à couuert (comme
il disoit) sa reputation : Mais comme celuy,
qui n’a iamais abandonné la dessein de se restablir
en France ; rejecta toutes les conditions, qui
pouuoient faciliter sa retraitte à Rome ; on luy
fit à la fin trois depesches, qui luy commendoient
absolument de s’y retirer, & la Reyne
(au moins en apparence) en fut d’auis.

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III. Le Cardinal Mazarin dit ; qu’il a esté persecuté
durant huit mois, auec vne extreme rigueur,
& au grand prejudice de l’autorité Royale. Iugez
si son de part, qui fut premierement volontaire,
puis d’obligation par Lettres du Roy, & de la Reine,
merite le nom de persecutiõ. Et si la prison de
treize mois de deux Princes du Sang Freres, & d’vn
autre Prince leur Beau-frere, ne merite pas plutost,
d’estre appellée persecution ; que le renuoy
au lieu de sa naissance, & de sa dignité, d’vn étranger,
qui nous troubloit ; ayant premierement
par ses violens efforts, & apres par ses lasches apprehensions,
ruïné l’authorité Royale, qui ne
pouuoit estre restablie, que par son esloignement.

IV. Il ne faut point faire tant d’exclamations
contre la Declaration du Roy. Monsieur le
Cardinal doit plus de respect à tout ce qui sort de
la volonté de nostre Souuerain, & porte le
nom, & le sceau de Sa Majesté. Tout ce qu’on
y pourroit trouuer à redire est ; que la peine ordonnée
ne respond point aux crimes, qui y sont
enoncez : estant certain, que sa qualité de Cardinal,
l’a fait espargner, lors qu’on luy deffend
seulement l’entrée d’vn pays où il ne pouuoit
plus estre, ny auec honneur, ny auec repos, ny
auec seureté, & qu’on luy donne à connoistre,
qu’il feroit plus sagement de mettre à couuert sa
vie dans Rome, où il viuroit auec l’esclat de la

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qualité qui luy a esté procurée par la France, &
despenseroit auec splendeur les biens, qu’on luy
a donnez trop liberalement ; ou qu’il a pris trop
hardiment, durant la Minorité de nostre Roy.

 

V. S’il dit, que son intention n’est pas de se faire
voir en Italie ; auec les beaux titres, qui luy sont
attribuez par la Declaration du Roy, & Arrests
des Parlemens : qu’il pres ne garde, que son retour
en France ne luy en acquiere encore de
plus infames ; & qu’il ne soit contraint d’en sortir
auec plus d’ignominie, ou qu’il n’y laisse la
vie, en la voulant oster aux enfans de la maison
Royale, qu’il veut brusler, apres l’auoir pillée.
On ne luy a reproché que la continuation des
guerres du dehors & des pyrateries. On l’accusera
d’estre autheur de nos guerres ciuiles, & d’auoir
desolé la France ; où il vient allumer vn feu,
qui ne se pourra esteindre, que par la ruïne entiere
de sa fortune, ou par l’effusion de son Sang.

VI. Il s’imagine, & dit, que les peuples le tiennent
pour innocent : qu’il sçache que tous les peuples
l’ont en execration, comme leur plus cruël
ennemy. Pour l’estimer homme de bien, & sage
Ministre, il ne faudroit pas que les François eussent
senty les rigueurs de son gouuernement,
par les exactions extraordinaires, & par les passages
des gens de guerre, qu’il a fait viure sans
discipline à faute de payement. Qu’il se souuienne
des barricades de Paris, faites contre luy seul,

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sans chefs, & sans concert ; & il iugera, que ce
qui est fait par les peuples auec vn pareil effort,
& sans estre poussez, vient de leur sentiment. Il
ne pouuoit estre fauorable au Cardinal Mazarin,
lors que deux cens mille personnes dans
vne seule Ville, qui representoit toutes les autres,
desiroient de luy percer le cœur, d’où ils
croyoient que toutes leurs miseres estoient sorties.
Cette demonstration de hayne vniuerselle,
deuoit estre suffisante ; pour faire retirer vne personne,
qui eut escouté la raison, & la religion :
celle là luy eut fait entendre ; ce que la feu Reyne
Mere dit au Mareschal d’Ancre : apres le pillage
de sa maison : que la France n’estoit plus bonne
pour luy : & celle cy luy eut persuadé ; qu’il n’estoit
plus bon pour la France, & deuoit preferer les interests
d’vn grand Royaume, aux siens particuliers.

 

VII. Le Cardinal dit, qu’il ne peut se retirer en
Italie, à cause qu’il y seroit en execration, si on
croyoit, qu’il a empesché la Paix generale : est-ce
à dire, que nous le deuions rappeller ; afin
qu’il acheue de perdre la France, parce qu’il a
ruiné vne partie de l’Italie ? Si nostre dessein estoit
de nous estendre sur cét article, nous ferions
voir que le traitté de Paix, estant sur le point d’estre
signé à Munster, il le rompit par l’entreprise
du siege d’Orbitello, qui ne fut fait ; que pour
menacer Rome, croyant, que la peur feroit tomber

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des mains du Pape, le bonnet de Cardinal,
qu’on ne peuuoit emporter par importunité,
pour le mettre sur la teste d’vn petit chetif Moine,
qui ne fit pas rougir long temps l’escarlate,
qu’il ne meritoit pas, & qui appelloit le Cardinal
Mazarin poultron, comme le Cardinal Mazarin
le nommoit petit fou.

 

VIII. Le Cardinal Mazarin seroit plaisant,
s’il ne traitoit d’vn sujet lamantable ;
lors qu’il se veut descharger du crime d’auoir
empeché la Paix, en disant : qu’on aduoüeroit
par là, que la France l’a reiettée. Comme si les
estrangers ne sçauoient pas, que le Cardinal
Mazarin n’estoit pas la France ; lors qu’il estoit
le tiran de la France : ou si nostre mal-heur
lui deuoit seruir de descharge. Nous nous plaignons
auec raison, de ce que pour arracher quelque
cheueux à l’Espaigne, il a deschiré les entrailles
de la France : & il nous veut persuader,
que nous sommes obligez de couurir ses crimes,
parce que nous en portons la penitence. La verité
est que le Cardinal Mazarin n’a point voulu
terminer la guerre estrangere, de peur que la
ciuile ne s’esleuast contre l’insolence de son authorité :
nous auons maintenant l’vne & l’autre
par la seule folie de celuy, qui en faisant perdre
ses aduantages au Roy ; porte les armes de Sa
Majesté contre ceux qui luy auoient conquis
plusieurs places, & gaigné des batailles, auec peril

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& gloire. Apres cela le Cardinal Mazarin
croid qu’il nous imposera silence, & estouffera
nos plaintes : en escriuant, qu’il se faut bien garder
de l’accuser : parce que toute la France, seroit
criminelle auec luy. Il est vray qu’elle n’est
pas sans faute d’auoir dissimulé trop long temps
les entreprises de l’autheur de ses maux, & de la
desolation de la Chrestienté.

 

IX. Nous respondrons le mesme sur l’article
des pyrateries, qu’il ne veut pas que nous rejetions
sur luy ; disant que par cette confession, nous
serions condamnés à la restitution, & aux dépens.
Helas ! ces restitutions sont dé-ja faites, & ces
despens payez : mais de quelle façon ? demandez
le aux Marchants de Paris, de Roüen, de S.
Malo, de Nantes, de Bourdeaux, de Lyon, de
Marseille, de Thoulon, & autres Villes : ils vous
diront : que trois ou quatre millions, volez sur
les Anglois, sur les Hollandois, sur les Armeniens,
sur les Venitiens, sur les Genois, coustent
le triple aux François, qui font traffic sur les mers
Oceane, & Mediterranée. Que quatre ou cinq
corsaires enrichis, & la part que le Cardinal Mazarin
a eu en leur butin, ont entierement ruïné
nostre commerce ; Outre la hayne dans laquelle
on a ietté nostre nation. Ne sçait-on pas que
par Lettres patentes, il a esté permis a nos Capitaines
de Vaisseaux, & Galeres, de prendre tout
ce qui leur seroit necessaire pour leur subsistance,

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sur amis, ou ennemis, ou alliez, ou non alliez,
& mesmes sur les sujets du Roy ; sans auoir
espargné le Pape, & le grand Duc, qui en ont
fait leurs plaintes ? Ignorons nous que le Cardinal
Mazarin a tiré de ce brigandage dans vne année
iusques à huit cens mille liures, qu’il ioüit
encore à present, sous le nom de la Reyne du
tiers de tout ce qui est escumé sur les deux mers :
& qu’il tient à Thoulon vn homme, qui authorise
ces voleries, & fait la recepte de ce qui en
prouient ? S’il nous contraint d’en dire dauantage,
nous luy ferons connoistre, que nous sommes,
plus sçauans en ses affaires, qu’il n’est en
celles de la France. Il a prié qu’on ne luy communiquast
aucune chose, tãt qu’il sera tenu pour
coupable : Mais en mesme temps, il disposoit
des Benefices, des Charges, des Commissions,
des Emplois, & on ne resoluoit rien dans la cour
que par ses ordres : il eut fait disgracier ceux, qui
auroient dit, qu’il faut accorder quelque grace,
ou ordonner vne peine, ou conclure la Paix, ou
la guerre, sans l’auoir consulté, quoy qu’il fut
sur le bord du Rhin. Il sçauoit donc bien, que
la priere, qu’il ne faisoit qu’en grimace, ne seroit
point exaucée. Il la deuoit addresser, & de
bonne façon à la Reyne, s’il auoit vne veritable
intention de vouloir viure, & de nous laisser en
repos.

 

X. S’il est hypocrite en ses demandes, il n’est pas

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moins trompeur en ses promesses ; lors qu’il assure ;
que sa resolution est de s’aller cacher aux
yeux de tous les mortels, & escrit cela en cherchant
toute sorte de moyens, acheminant plusieurs
cabales, & faisant ses preparatifs pour rentrer
en France par finesse, & par force. Au lieu
de se rendre Hermite, il prenoit la qualité de Generalissime
des armées du Roy, & faisoit des leuées
de gens de Guerre. Ainsi ses actions desmentent
sans cesse ; non seulement les paroles
qu’il donne dans son cabinet ; mais les escrits
qu’il iette dans le public : & nous voyons par
tout, que s’il a la volonté de mentir, il n’a pas
l’industrie de couurir ses menteries.

 

XI. Il demande, qu’il luy soit permis de se rendre
prisonnier dans l’vne des places de Mr le Duc
d’Orleans : ce qui est offert ; pour faire entendre
que Son Altesse Royale a des places, encore qu’il
n’en aye pas vne, qui ne soit plus assurée au Roy,
que ne sont toutes celles, où le Cardinal Mazarin
a logé ses creatures ; qui les tiennent pour
vn estranger, qui fait estat d’auoir à sa ceinture
toutes les clefs de la France ; lors qu’il a ses costez
ceux, qui les gardent pour luy. Mais quelle
effronterie est ce, de se presenter pour estre
le prisonnier de Monseigneur le Duc d’Orleans ?
Il voudroit faire passer pour vn concierge de criminels,
le fils, le frere, & l’oncle de nos Roys.
Ne sçait il pas, que ce grand Prince est genereux,

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sage, & bon ? Comme genereux il ne se veut
point vanger ; comme sage, il est d’auis que le
Cardinal Mazarin sorte du Royaume : & comme
bon, il desire la Paix au dedans ; pour paruenir
à celle du dehors ; & ne souhaite rien si
passionnement, que d’oster le credit à celuy,
qui recule ce grand bien, le croyant contraire à
sa fortune.

 

XII. La teste du Cardinal Mazarin s’estant eschauffée
en escriuant ; il entre en furie : il iette
sa calotte rouge à terre, & la foule aux pieds par
la demission qu’il fait par escrit de son Cardinalat,
auquel il renonce à ce qu’il dit de bon cœur ;
protestant, qu’il tiendra pour vne grace singuliere,
qu’on leue cét empeschement à sa iustification :
il seroit pourtant bien estonné si on l’auoit
pris au mot : des personnes de condition, &
qui font profession d’honneur, luy ayant oüy dire,
en tenant sa calote par le sommet, & la secoüant
auec mépris : voila qui ne tient à rien ; quand
on me l’ostera : il me restera vne qualité plus grande ; qui
ne pouuoit estre, que celle de Roy de France ;
s’estant imaginé, à force de le contrefaire, qu’il
l’estoit en effect. Cette sotte impression le porta
à demander vn inter dit au Pape ; contre ceux
qui l’auoient fait descendre de son thrône ; mais
nous esperons que Sa Sainteté le destornera du
Cardinalat ; s’il ne va bien-tost à Rome, pour y
rendre compte de ses actions. Au reste nous luy

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declarons, qu’il n’y a point en France, ny maison,
ny retraitte pour luy, nous le voulons ou
banny ou mort.

 

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