Anonyme [1652 [?]], SECONDE PARTIE DV POLITIQVE VNIVERSEL, OV BRIEVE ET ABSOLVE DECISION de toutes les questions d’Estat les plus importantes. SCAVOIR EST, VIII. S’il y doit auoir vn premier Ministre d’Estat. IX. Si tous les Ministres d’Estat ne doiuent pas auoir vne égale puissance. X. Si les Princes, l’Estat, & les peuples peuuent estre pis ou mieux, dans cette egalité de Mnistres (sic). XI. Si l’on doit receuoir vn estranger dans le Ministere. XII. Si l’on doit souffrir qu’vn seul Ministre gouuerne tous les affaires de France. , françaisRéférence RIM : M0_2818. Cote locale : B_17_31.
Sub2Sect précédent(e)

Sub2Sect suivant(e)

QVESTION IX.

Sçauoir si tous les Ministres d’Estat ne doiuent
pas auoir vne égale puissance.

IL est vray qu’il n’y a point de gouuernement
dans l’Vniuers qui puisse subsister sans
l’ordre. Les Anges ont des throsnes, des dominations,
des vertus, des principautez & des
puissances. Les hommes ont des Iuges, des
Magistrats, des Gouuerneurs de Prouinces, &
des Monarques. Et les familles particulieres
ont des maistres, des seruiteurs & des seruantes.
Et cét ordre veut que les vns soient superieurs
aux autres. Mais il n’en est pas de mesme
d’vn Conseil d’Estat, où la Congregation des

-- 9 --

suffrages ne se fait que pour auoir vne égale
liberté d’opiner sur les matieres que l’on met
en deliberation pour la necessité des affaires.
Tout l’ordre que cette assemblée requiert, c’est
que chacun y soit placé selon sa condition,
que celuy qui doit parler apres ne parle pas deuant,
& que l’on y garde le respect que l’on
doit à ceux qui sont plus que les autres. Le sujet
pourquoy on s’assemble, n’a que faire du
rang ny des dignitez des personnes qui sont assemblées,
& si la liberté du sentiment du dernier
Ministre auoit du respect pour la liberté
du sentiment de celuy qui seroit au dessus, il se
trouueroit à la fin que toutes leurs assemblées
seroient innutiles au Souuerain, & que le salut
du peuple & de l’Estat courroit grand risque.

 

Il faut que le premier ne possede cette dignité
que par l’ordre de la reception, s’il n’y est
appellé qu’en qualité de Ministre, ou si le sang
ne luy donne quelque preference au dessus des
autres : car quand il est esleué à ce rang par la
faueur du Prince, il abuse de l’authorité du Souuerain ;
& & par presens ou par menaces, il forme
tous les suffrages de ses confreres à sa deuotion,
& se rend par ce moyen là, maistre absolu
de tous les affaires de la Couronne, qui est
ce qui perd les Estats, & qui ruine tous les
peuples.

-- 10 --

Il n’y a rien au monde qui puisse donner vne
si belle harmonie au suffrages des Ministres
d’Estat, que cette liberté de parler hardiment
sans craindre quoy que ce puisse estre. L’esprit
de celuy qui n’a nulle apprehension de dire ses
sentimens, tient toutes les passions des autres
dans leur deuoir, & les force malgré qu’il en
ayent à ne songer qu’au bien de l’Estat, ou par
emulation ou par crainte.

La puissance absolue de faire toutes les choses
à sa volonté, est tres dangereuse en la personne
d’vn Ministre, elle n’a bonne grace qu’ẽtre
les mains de Dieu, qui seul sçait agir sans
passion, & auec vne iustice qui n’est point suiette
aux deréglemens de la nature humaine.
C’est vne preuoyance eternel & infinie qui ne
se sçauroit deceuoir, & qui penestre iusques au
fin fonds des intentions les plus misterieuses
de toutes les choses creées. Il est vray que les
Rois, en qualité de ses veritables Lieutenans
icy bas parmy nous, & en qualité de ses viuantes
images, doiuent auoir quelque parcelle de
cette puissance absoluë, afin de se faire valoit
par dessus le reste des hommes, selon la volonté
de celuy qui les a constituez en sa place ; d’où
vient que tous les plus grands Politiques de
l’Vniuers n’ont iamais sceu comprendre vn
gouuernement plus parfait que le Monarchique ;

-- 11 --

parce qu’il est le seul tiré apres le naturel,
d’vn Original infaillible : Mais il n’en est pas
de mesme des Ministres qu’vn souuerain doit
tenir tous également dans vne esgalle puissance ;
parce qu’il se rencontre tousiours quelque
conflit de qualitez entre des sujets, égallement
soubmis, quand il s’y en trouue quelqu’vn qui
veut suppediter les autres. C’est d’où naissent
tous les desordres de la nature, & qu’il fait fort
mauuais prendre pour exemple dans le Conseil
souuerain, si l’on ne veut mettre tous ses affaires
en desordre. C’est pourquoy cette prouidence
infinie qui fait regner l’ordre dans toutes
les parties qui composent ce grand tout, a
voulu separer les élemens l’vn d’auec l’autre, en
leur donnant vne égalité de puissances, afin
que malgré la grandeur de leurs cõtraires qualitez,
ils se trouuassent en estat de gouuerner
les affaires de l’Vniuers sans aucun desordre.

 

La raison de cecy en est tres belle & tres excellente :
c’est que dans la diuision de la puissance,
la discorde ne manque pas de si trouuer ;
& c’est la ruine de toutes les choses ; car comme
l’amour & la sympatie sont les causes qui
produisent tous les estres du monde, ainsi la
haine & les antipathies sont les causes qui desolent
& qui detruisent toutes les choses de la terre.
C’est pourquoy cette Deesse que Iupiter

-- 12 --

chassa du Ciel, à cause qu’elle y semoit tousiours
quelques desordres, & qui ietta cette fatalle
pomme de diuision qui causa la ruine de
Troye, ne doit iamais entrer dans les Conseils
des Souuerains pour y semer de la diuision,
dans l’égalité des puissances de leurs Ministres ;
parce qu’il n’en peut iamais arriuer que du desordre
dans les Estats, & du malheur dans les
Monarchies.

 

Si nous deuons estre tous vnis en Iesus-Christ,
pour bien conduire les affaires de cet estat passager,
comme dit fort bien l’Apostre, que ne
doiuent pas estre les Ministres du Souuerain
pour bien conduire les affaires de la Monarchie.
Et si l’on se peut seruir des exemples Sacrez
dans des discours profanes, sans offencer
Dieu, ne voyons nous pas en la sainte & sacrée
Trinité, trois personnes tellement distinctes
l’vne de l’autre, que le Pere n’est pas le Fils,
ny le Fils le S. Esprit, ny le S. Esprit le Fils ny le
Pere, & neantmoins ces trois Personnes sont
tellement egales en puissance, que l’vne ne
scauroit rien faire sans l’autre. Le Pere n’est
pas plus puissant que le Fils, le Fils que le S.
Esprit, & le S. Esprit ne l’est pas moins que le
Fils ny que le Pere. La diuision ne se met iamais
que dans l’inegalité des puissances, & là
où il y a distinction de pouuoir, là il y a distinction

-- 13 --

de volonté, parce que la volonté ne se
forme iamais que sur la nature de la puissance.

 

La puissance d’agir pour le salut de l’Estat, est
donnée à tous les Ministres en general, qui est
iustement ce en quoy consiste le gouuernemẽt
Aristocratique. Et cela se iuge en partie par la
lumiere naturelle, veu que plusieurs esprits iugent
& conçoiuent mieux vne chose qu’vn seul
ne sçauroit pas faire. Iamais vn seul n’a possedé
toutes les graces que Dieu ou la nature
communiquent au reste des hommes, de peur
qu’il n’en abusast ou qu’il ne se glorifiast trop
en soy-mesmes. L’esprit des Prophetes est
sujet aux Prophetes, & ce qui touche vniuersellement
tous ceux qui sont dans le Conseil,
doit estre vniuersellement approuué de tous
les autres, attendu qu’vn homme seul, quelque
parfait qu’il puisse estre, est tousiours enuironnné
d’infirmitez, & par consequent il
peut estre trompé & se deceuoir en ses sentimens,
s’il ne donne vne parfaite liberté aux
suffrages de ses confreres & qu’il les veille
contraindre à consentir à tout ce qu’il desire.
Et certes comme le Seigneur a voulu que toute
l’Eglise son espouse fût regie par vn Conseil
Aristocratique, afin que les Pontifes Romains
& les autres Prelats ne decernassent aucune
chose de consequence de leur teste ; le mesme

-- 14 --

Seigneur a voulu aussi que le Roy ne fist rien
de son propre mouuement, & qu’il consultast
des gens tres vertueux & tres entendus aux affaires,
afin qu’il ne tombast pas dans le precipice
ou tomba Roboam pour auoir suiuy le
conseil des ieunes. S’il l’a voulu ainsi pour les
Papes & pour les Roys, vous pouuez bien penser
s’il voudra qu’vn Ministre d’Estat fasse tous
les affaires du souuerain à sa fantaisie, qui est
vne action tres pernicieuse à la Majesté du
Roy & au bien de tous les peuples, selon la
doctrine du sage qui ne veut pas que personne
du monde se confie en sa prudence. malediction
sur tous ceux qui sont sages en leurs
yeux, & qui sont prudens en eux mesmes, dit
le Prophete Esaye : & par consequent malediction
sur tous les premiers Ministres d’Estat
qui ne veulent pas laisser leurs Confreres dans
vne pleine & entiere liberté de leurs suffrages ;
& melediction à tous ceux qui trahiront leurs
sentimens, leur deuoir, leur Roy, & leur patrie
pour complaire à ce premier Ministre.

 

-- 15 --

Sub2Sect précédent(e)

Sub2Sect suivant(e)


Anonyme [1652 [?]], SECONDE PARTIE DV POLITIQVE VNIVERSEL, OV BRIEVE ET ABSOLVE DECISION de toutes les questions d’Estat les plus importantes. SCAVOIR EST, VIII. S’il y doit auoir vn premier Ministre d’Estat. IX. Si tous les Ministres d’Estat ne doiuent pas auoir vne égale puissance. X. Si les Princes, l’Estat, & les peuples peuuent estre pis ou mieux, dans cette egalité de Mnistres (sic). XI. Si l’on doit receuoir vn estranger dans le Ministere. XII. Si l’on doit souffrir qu’vn seul Ministre gouuerne tous les affaires de France. , françaisRéférence RIM : M0_2818. Cote locale : B_17_31.