Anonyme [1652 [?]], SECONDE PARTIE DV POLITIQVE VNIVERSEL, OV BRIEVE ET ABSOLVE DECISION de toutes les questions d’Estat les plus importantes. SCAVOIR EST, VIII. S’il y doit auoir vn premier Ministre d’Estat. IX. Si tous les Ministres d’Estat ne doiuent pas auoir vne égale puissance. X. Si les Princes, l’Estat, & les peuples peuuent estre pis ou mieux, dans cette egalité de Mnistres (sic). XI. Si l’on doit receuoir vn estranger dans le Ministere. XII. Si l’on doit souffrir qu’vn seul Ministre gouuerne tous les affaires de France. , françaisRéférence RIM : M0_2818. Cote locale : B_17_31.
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QVESTION. X.

Sçauoir si les Princes, l’Estat, & les peuples
sont pis ou mieux dans cette égalité
de Ministres.

ME demander si les Princes, l’Estat, &
les peuples sont mieux dans cette égalité
de Ministres apres auoir soustenu qu’il ny
doit pas auoir vn premier Ministre d’Estat, &
que le Souuerain les doit tenir tous dans vne
égale puissance, c’est me demander la raison
pourquoy i’ay dit ce que ie viens de dire. La
fin de ce que l’on fait, & le bien que l’on en
espere, sont si voisins, qu’ils sont bien souuent
pris l’vn pour l’autre, quoy qu’à la rigueur
ils conseruent entr’eux vne difference
formelle ; c’est à dire vne deffinition distincte
& particuliere aussi bien qu’vne conception
differente.

Le bien entant que bien est consideré par
la raison de sa conuenance ; & cette consideration
est autre que celle de la fin, laquelle
comme telle & considerée precisement en
son estre, se conserue à nostre esgard vne certaine
relation dont elle est le terme & le but,

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sous le titre & la qualité de cause finale.

 

Leur diffinition est encore distincte, parce
que le bien est ce propremẽt qui est conuenable
à la personne qui le desire, & la fin est ce
pourquoy i’ay dit ce que i’ay dit, & ce pourquoy
ie dis & soustiens encore de plus que les
Princes, l’Estat & les peuples en seroient beaucoup
mieux, s’il n’y auoit iamais dans le Conseil
du Roy vn premier Ministre d’Estat, & si
sa Maiesté les tenoit également tous dans vne
égle puissance, parce que nous serions également
tous par ce moyen là dans vne eternelle
tranquilité publique.

Toute cette difference ne procede que de
l’aplication du suiet & du regard auec lequel
on le consideré, puis qu’vne mesme chose
peut-estre ditte conuenable, entant qu’elle
nous est appliquée, & souhaitable entant
qu’elle est la butte de nos desirs.

Bref, la fin est ce proprement qui donne
le premier bransle à l’ouurier pour agir & pour
produire quelque chose. C’est elle qui me
met la plume à la main, & qui me fait dire que
s’il n’y auoit point de premier Ministre d’Estat
dans le Conseil du Roy, que le Prince, l’Estat,
& le peuple en seroient beaucoup mieux, par
ce que n’y ayant point de premier Ministre
d’Estat, il n’y auroit point de voleur des thresors

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publics, il n’y auroit point de guerres en
France qui causent tant de malheurs aux François :
Le commerce iroit par tout : & tout l’or
& l’argent du Royaume n’auroit pas esté transporté
à Rome, à Venise, à Amsterdam, à Lucques
& à Gennes. Voyez apres cela si tout le
monde en seroit pis ou mieux, si tous les Conseillers
d’Estat estoient aussi puissant l’vn que
l’autre dans le Conseil, & s’il n’y auoit point de
premier Ministre.

 

Le bien public est vne chose si douce, si aymable,
& si vtile à toute sorte de personnes, de
quelque cõdition & de quelque qualité qu’elles
puissent estre, que si les hommes le consideroient
comme il doit estre consideré, ie ne croy
pas qu’ils ne demeurassent tousiours parfaitement
bien vnis, pour ne pas iamais souffrir vn
premier Ministre d’Estat, où pour mieux dire
vn premier tyran qui en fait subsister vn nombre
infiny dans l’Estat, pour se maintenir, &
pour tirer iusques à la moelle des os de tous les
pauures peuples.

Le bien est l’objet de tous nos desirs, & ce
qui est recherché d’vn chacun auec des passions
incroyables, tout le monde expose ses biens,
son honneur, & sa vie pour l’acquerir : mais le
malheur est pour eux, qu’ils ne sçauent pas bien
connoistre les moyens qu’il faut tenir pour l’auoir,

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ou si quelques vns le sçauent ils ne sont
pas creus de ceux qui ne le sçauent pas, & le
grand nombre des ignorans & des passionnez
l’emporte sur l’esprit des autres. Nous sommes
nous mesmes les artisans de nostre propre malheur,
faute d’escouter ceux qui sçauent quelque
chose plus que nous, & faute de vouloir
appliquer vn veritable remede à tous les maux
qu’vn seul Ministre nous cause. On arme pour
faire fuïr vn homme qui s’est rendu maistre
absolu de tout le gouuernement de l’Estat ; qui
a la personne du Roy & de la Reyne à sa deuotion,
qui a tout l’or & l’argent de France en son
pouuoir, qui se sert du nom & de l’Authorité
du Roy, comme s’il estoit le veritable souuerain :
en vn mot qui peut resister à toutes les puissances
de l’Europe : ou qui perdra absolument l’Estat
deuant qu’on le puisse perdre : on fait du
bruit pour l’obliger à prendre garde à luy, & à
se meffier de toute sorte de personnes : & en ce
faisant nous faisons son salut & la perte generale
de l’Estat & du peuple. Et quand vn esprit
clair-voyant disoit qu’il n’estoit pas necessaire
d’armer pour cela qu’on ruineroit toute la
France & qu’on n’en viendroit pas iamais à
bout, que nous nous mettions nous mesmes
dans le precipice où cét ennemy commun de
Dieu & des hommes auoit dessein de nous ietter ;

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& qu’il y faloit proceder par vne autre voye
bien plus aisée & bien plus asseurée, & à laquelle
on ne perdroit pas ny vn homme ny vn sol,
ny le trafic, ny le commerce, bien loin d’y perdre
la vie, le repos, vne partie de l’Estat & tout
ce que nous auions conquis autrefois sur les
ennemis de cette Couronne, c’estoit vn Mazarin
bien fait, c’estoit vn espion reuestu, c’estoit
vn homme qu’il faloit exposer à la mercy du
public, ou du moins vn homme qu’il faloit lapider
à l’heure mesme sur la place. Suffit que
peut-estre apres cela, Dieu nous fera la grace
de dessiller vne autrefois les yeux vn peu mieux
que nous n’auons pas fait à nos affaires. Il ne
faut iamais menacer vn homme qu’on à dessein
de perdre, & les rodomontades n’ont iamais
bonne grace qu’apres que le coup est fait,
pour n’en pas faire de tres inutiles. Il est vray
qu’vn coup fait à la sourdine, nous feroit bien
voir si les Princes, l’Estat, & les peuples sont
pis ou mieux, apres que nous aurions mis tous
les autres Ministres d’Estat dans vne égale puissance.

 

Mais ce que ie dis presentement dans ce petit
libelle, ne sont que des paroles, il en faudroit
venir à l’effet pour voir si i’auois raison &
pour sçauoir si l’on me deuoit croire : neantmoins
nous voyons bien que puis que tous les

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maux que nous auons, nous viennent Dieu-mercy
à luy, que s’il n’estoit pas, & qu’il ny
en eut point vn autre à sa place (c’est à dire
qu’il ny eût point de premier Ministre d’Estat,
& que tous ceux que nous auons fussent dans
vne égale puissance : enfin qu’il n’y en eût pas
vn qui osast faire le premier mobile pour entrainer
tous les autres par la rapidité de son
ambition demesureé à faire tout ce qu’il luy
plaist) que toute la France seroit en paix, &
que tous les François viuroient auec autant de
satisfaction que nostre premier pere viuoit
dans son Paradis Terrestre auant qu’il se fust
soûmis aux volontez de la femme, plustost
qu’aux persuasions du Diable.

 

Il faut que les Roys ayent tousiours aupres
de leur personne vn Conseil de Ministres d’vne
égale puissance pour euiter tous ces desordres,
par le moyen duquel ils puissent decider
tous les affaires de leurs Monarchies sans passion :
car il n’est rien de plus pernicieux en vn
Estat qu’vn premier Ministre qui se rend
maistre absolu de tous les affaires ; parce qu’il
ne regarde en les faisant que ses propres interests,
& le moyen d’auancer sa maison, ses parens,
& ceux qui tiennent la main à son ambition
demesurée, au preiudice du Roy, de l’Estat,
& du peuple. Il n’est point d’Empire qu’ils

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ne renuersent ou qu’ils ne ruinent pour se satisfaire.

 

Aristote dit en ses Politiques que les bons
Conseillers font les bons regnes. Agamemnon
Roy d’Argos & de Mycenes, & souuerain
Chef de l’armée des Troyens, ne demandoit
aux Dieux que dix Conseillers, comme Nestor
fils de Cloris & de Neliée, pour venir à bout
de toutes ses entreprises, sçachant bien combien
vn conseil donné à propos par des Ministres
des interessez est vtile au Roy & à son peuple.
Appuyons maintenant nostre proposition
des authoritez de l’Ecriture sainte.

Moyse ce grand Prophete, & admirable Legislateur
de la nation Hebraïque, comme il se
plaignoit à Dieu de ce qu’il ne pouuoit pas
bien gouuerner cette multitude de peuple que
son adorable Maiesté luy auoit donné à conduire,
pour le murmure & les seditions desquelles
il vsoit continuellement enuers luy, il
luy fut commandé par ce Souuerain Seigneur,
d’assembler soixante hommes des plus anciens
& des plus gens de bien de tous ceux de sa nation,
afin qu’ils portassent mutuellement autant
l’vn que l’autre la charge de toutes les affaires.
Vous voyez bien par là qu’il ne luy dit
pas, tu prendras vn Ministre estranger qui gouuernera
seul : qui s’emparera de ton authorité,

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qui sucçera tes peuples iusques au sang, qui
chassera les enfans de la maison : qui vous accablera
de guerres ciuiles & de guerres estrangeres :
qui disposera des affaires à son profit, &
selon sa passion & qui ruinera absolument toute
la Monarchie. Theopompe Roy de Sparte
crea certains Ministres d’Estat, à qui il donna
vne égale authorité de controller tout ce qui
se passeroit dans l’administration des affaires,
afin de conseruer par ce moyen-là, & le bien
de ses Estats, & le bien de ses peuples, dont il
se trouua fort bien & tous ceux qui vinrent
apres luy à la succession de la Couronne. Assuerus
esleut les plus Sages de tout son Empire,
afin d’ordonner des affaires sans passion, &
auec iustice. Romulus premier Fondateur de
Rome connoissant auec quelle difficulté vn
homme seul pouuoit administrer le gouuernement
de sa Monarchie, institua cent Senateurs
des plus sages & des plus anciens de toute sa
Monarchie, afin d’auoir le soin de tout
ce qui se passeroit en toute l’estenduë de son
Empire.

 

Et ce qui est important à remarquer apres
tout cela, c’est qu’il n’y en a pas vn de tous ceux
que nous venons de nommer, qui ne se soit
parfaitement bien trouué de s’estre estably vn
Conseil des plus anciens & des plus gens de

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bien de tous ces Estats, à qui les vns & les autres
ont donne vne égale puissance d’opiner, &
de faire ce qu’ils iugeoient à propos, pour le
bien de leurs affaires. Mais aussi il ne s’y en
trouuoit pas vn qui eut failly, qu’à mesme
temps il ne fust pris pour seruir d’exemple à
tous les autres. Bien payez & bien honorez en
bien faisant : Mais bien punis en faisant le contraire.

 

Si tost qu’vn Ministre d’Estat se veut piquer
de suppediter les autres, il se rend à mesme
temps suspect, & par consequent digne de punition,
& indigne de sa charge. Qui ne se contente
pas d’estre égal aux autres, merite d’estre
fait le plus petit, & d’estre humilié auec outrage,
selon qu’il est porté par les decrets de la parole
éternelle. Ceux qui ne font que suiure
l’impetuosité de leurs desirs effrenez, doiuent
estre bannis de la conuersation des hommes.
Aristote dit que le conseil de ces gens là nous
doit estre suspect, & qu’il faut bien prendre
garde à leur procedure.

Quand tous les Ministres d’vn Estat sont
également considerez du Souuerain, & que ce
Souuerain les maintient dans vne égale puissance ;
cette égalité de pouuoir sert de contrepoids,
de niueau, & d’équilibre à toutes les
actions des vns & des autres : ainsi le pouuoir

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de l’vn modere le pouuoir de l’autre ; & le plus
meschant d’entr’eux sçachant bien que pour
tenter à ses mauuaises entreprises, il luy faudroit
essuyer la correction, l’examen, & le refus
d’vn grand nombre de fideles & de clairvoyans,
dont le moindre est aussi puissant qu’il
sçauroit estre, & qu’il courroit risque de son
bien, de sa vie, & de son honneur, si son intention
venoit à estre découuerte, tasche de se tenir
dans son deuoir malgré qu’il en ait par la
crainte du supplice.

 

Au contraire d’vn premier Ministre d’Estat,
qui se voyant maistre absolu de toute l’authorité
Royale, & par consequent à couuert de
toutes les reprehensions de la iustice, s’emporte
comme vn torrent débordé, à faire tout ce
que bon luy semble, sans considerer s’il y va de
la perte de l’Estat & de l’entiere ruine de tous
les peuples. Ce qui nous fait bien voir que le
Monarque, la Monarchie, & les subjets sont
bien mieux dans cette égalité des Ministres.

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