Anonyme [1649], LETTRE D’VN GENTIL-HOMME DE LA COVR, A vn Seigneur qui est à l’Armée, TOVCHANT L’ATTENTAT COMMIS AVX FILLES DIEV A PARIS, En la personne de Madamoiselle de sainte Croix, & toute la suite des procedures dont on a vsé contre-elle. , françaisRéférence RIM : M0_1868. Cote locale : A_5_13a.
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& enfle la peau par les tumeurs que l’on pourroit prendre pour
autant d’apostumes qui effacent si fort la figure exterieure de tout le
corps, que le regard seulement n’en est pas supportable. Enfin aprés
auoir esteint la viue flame de ses yeux, qu’elle rongea absolument iusqu’à
ces petits ligamens qui les tiennent attachés, elle passa insensiblement
dans le cœur, d’où elle chassa peu à peu la chaleur auec la vie.
Ce fut à la nouuelle de ce funeste accident que cette fille éplorée accusa
le sort de la laisser en vie, & qu’elle ne souhaita plus de suruiure à
son mal heur, se voyant priuée par vn mesme accident d’vne chere
Tante & d’vne bonne Mere, & se trouuant ainsi reduite à vne double viduité,
sans estre marieé.

 

Présque en ce mesme temps Monsieur le Duc d’Angoulesme mieux
informé de la procedure de N. que la priere & l’interposition de ses
amis luy auoit fait croire iusques à lors estre iuste, regretta beaucoup
que sa maison, qui n’auoit iamais seruy que d’asile à la Vertu, eust serui
en cette rencontre de prison à l’Innocence persecutée. Et ayant escouté
fauorablement les plaintes d’vne mere interessée à la conseruation de sa
fille, il ne la traita plus en Prisonniere ; mais comme vne Personne amie,
& voulut que sa Cour luy seruit plustost de retraite que de geole. Enfin
ces violens autheurs de tant d’enleuemens & de surprises, voyans que
tous les moiens qu’ils avoient employés pour nuire à leur partie, estoient
tombés sur eux-mesmes pour leur nuire plus sensiblement, & que ce
grand cœur dont le courage surpassoit l’aage & le sexe, se fortifioit
par les perils, au contraire d’en d’euenir plus foible ; & bien-loin de
relascher de la constance de ses resolutions que tant de mauuais
traitemens faits à sa mere, laquelle elle aymoit plus que sa propre vie,
luy donnoient encore plus d’horreur & de hayne pour son Persecuteur,
qu’elle ne consideroit plus comme Amant, mais comme ennemy, ils
resolurent de porter leur rage iusques au comble du desespoir, & de
ioindre en vn seul crime l’attentat au sacrilege, offensant en mesme
temps Dieu, la Reyne & le Parlement, & pour tout dire en deux mots,
l’Estat & l’Eglise, qui se trouuent également interessez à la conseruation
de tous les lieux saincts, & nommement du Monastere des Filles Dieu
de l’ordre de Fonteurault, estably en cette ville, Rue S. Denys, lequel
depuis S. Loüis son fondateur, n’est point décheu du premier éclat
de la saincteté qui l’a veû naistre, & ainsi que l’on espere ; il n’en décherra
point soûs la conduite d’vne si sage, si vigilante, & si iudicieuse Princesse,
comme est celle qui gouuerne auiourd’huy tout l’Ordre. Voicy à
peu prés comme la chose arriua.

A peine la mere estoit en liberté, qu’elle se trouua plus que iamais au
terme de voir sa fille reduite en seruitude. Son ennemi, de qui le courage
ne se rebute point par tous ces refus, aprés tant d’inutiles efforts, forme
en son esprit vn dessein dont l’executiõ paroissoit d’abord aussi aisée, que



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