Anonyme [1649], LETTRE D’VN GENTIL-HOMME DE LA COVR, A vn Seigneur qui est à l’Armée, TOVCHANT L’ATTENTAT COMMIS AVX FILLES DIEV A PARIS, En la personne de Madamoiselle de sainte Croix, & toute la suite des procedures dont on a vsé contre-elle. , françaisRéférence RIM : M0_1868. Cote locale : A_5_13a.
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& apres l’auoir tenu long temps enfermé au fond d’vne caue qui luy
seruoit de cachot, ils l’y laisserent trois iours entiers sans manger. Cruels !
de faire ainsi vn supplice de la vie, pour le faire mourir. Encore punirent-ils
sa faim par elle mesme, en ce que renouuellant le supplice de Tantale,
ils attacherent de l’eau & du pain, en vn endroit où il ne pouuoit pas atteindre ;
sa douleur se rendant d’autant plus sensible, qu’il voyoit son remede
present & n’en pouuoit vser.

 

En ce temps, Madame de Glatigny, Tante maternelle de cette courageuse
Fille, qu’elle aymoit encore plus fortement par le mouuement d’vne
inclination raisonnable, que par la proximité du sang & de la naissance qui
est fortuite, vint à Paris pour luy rendre en l’absence de sa Mere tous les
deuoirs de pieté, qu’elle en eust peu raisonnablement attendre. C’estoit
vne ieune Dame douée de toutes ces belles & éclatantes qualitez qui peuuent
rendre vn sujet aymable, & en qui la beauté du visage qui estoit rauissante,
disputoit encore du prix de l’excellence auec la douceur d’vn
naturel, qui estoit charmant ; apres auoir rendu à sa Niece tous les bons
offices qu’elle eust peu exiger de sa propre Mere, partageant auec elle sa
peine & son repos ; & s’interessant si vniment en tout ce qui la touchoit,
qu’elles auoient toutes deux les mesmes ioyes, & les douleurs communes.
Par les longues assiduitez qu’elle luy rendoit tous les iours en ses visites,
elle contracta cette maladie de contagion qui se prend par le commerce,
& qui ne sçait pas discerner de la qualité de l’aage, non plus que de la condition
du merite. La petite verole qui auoit penetré dans le Couuent par
les grilles, n’auoit point esté capable de faire quitter le Cloistre à cette Fille
genereuse, qui n’y estoit engagée que par l’interest de l’honneur, preferant
en ce doute d’estre exposée au péril de perdre la vie, plustost que de se
voir au hazard de perdre l’innocence. Sans prendre elle mesme ce mal, elle
le donne à sa Tante par la communication ; de vray la beauté n’exempte
pas les Dames des indispositions qui sont communes à toute l’espece,
& la mort non plus que les maladies ne sçait point discerner entre la laideur
& la bonne mine. Aussi cette laide & cruelle maladie, qui procede
aux ieunes gens de l’impureté d’vn sang grossier, qui leur a serui long tẽps
de nourriture dans le sein maternel, surprit cette ieune Dame en vn aage
auquel son visage luy donnoit l’empire & la souueraineté des cœurs, que
sa naissance luy auoit refusée. Ce funeste accident toucha extremement
cette fille, & luy fut d’autant plus sensible qu’elle creut en auoir esté la cause,
accusant son malheur d’auoir donné par contagion à sa chere Tante vne
si cruelle maladie, sans l’auoir prise. Ce pendant cette corruption des humeurs,
apres auoir alteré les qualitez secretes d’vn temperament si delicat,
perd toute la composition exterieure du visage, & gaste la beauté du
corps par les mesmes principes, qu’elle en ruine la santé. Ce secret poison
s’estant insinué peu à peu dans les veines, se produit à la fin au dehors sur le
visage, dont il dilate les chairs par des pustules qui semblent tenir de l’vlcere,

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Anonyme [1649], LETTRE D’VN GENTIL-HOMME DE LA COVR, A vn Seigneur qui est à l’Armée, TOVCHANT L’ATTENTAT COMMIS AVX FILLES DIEV A PARIS, En la personne de Madamoiselle de sainte Croix, & toute la suite des procedures dont on a vsé contre-elle. , françaisRéférence RIM : M0_1868. Cote locale : A_5_13a.