Laffemas, abbé Laurent de [?] [1649], L’ENFER BVRLESQVE, OV LE SIXIESME DE L’ENEIDE TRAVESTIE, ET DEDIÉE A MADAMOISELLE DE CHEVREVSE. Le tout accommodé à l’Histoire du Temps. , françaisRéférence RIM : M0_1216. Cote locale : C_4_3.
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On en fait venir vne trouppe,
Boire de ce fleuue vne couppe,
Laquelle a bien cette vertu,
Qu’vn esprit vient d’estre batu,
Qu’il pert tous ses coups sur la place,
Elle fait outre qu’elle efface,
Ce qui seroit peu se passer,
Vouloir encore trépasser ;
Car soit que l’esprit elle enyure,
Il demande aussi-tost à viure.

 

 


Anchise aduance en acheuant,
Et meine son fils fort auant,
Sur vn lieu fait à l’aduantage,
Pour voir ces ames au visage,
Puis il dit, mon fils Æneas,
Morbieu ne m’interrompez pas,
Puisque ie vais vous faire entendre,
Ceux qui de nous doiuent descendre,
La belle gloire qu’ils auront,
Et vostre nom qu’ils porteront,
Enfin ie veux si ce temps dure,
Vous dire la bonne auanture,
Tenez ce garçon si courtois,
Panché sur sa lance de bois,
Le destin veut auec la chance,
Qu’il moine le premier la dance :
C’est Syluie Albain, qui naistra,
Et qui vers les quinze ans croistra,
Le sang de Troye & d’Italie,
Aux derniers iours de vostre vie,
De ce fils vous fera present ;
Et ne treuuez vous pas plaisant,
Qu’estant né sans qu’aucun le sçache,
Dans les endroits où paist la Vache,
On le viendra prendre en vn bois,
Pour Roy, qui laissera des Rois :
Auec sa mere Lauinie,
Dont sera liesse infinie :
Et nostre sang doit par ses mains,
Gouuerner long-temps les Albains.

 

 


Le moins esloigné de Syluie,
N’est pas le plus loin de la vie,
Il se doit appeller Procas,
Et sera cét homme en tout cas,
L’ornement de la gent Troyenne,
Dont l’hõneur merite vne Antienne.

 

 


Cettuy-là Capys se dira,
Numiter luy succedera,
Cettuy-cy c’est Syluie Enée,
Belle ame pour les armes née ;
Luy seul portera vostre nom,
Vostre cœur, & vostre renom,
Il viuera comme les Apostres,
Et vaudra mieux qu’aucun des autres,
Qui deuant qu’il y soit mandé,
Auront dans Albe commandé ;
Desquels iugez par les espaules ;
Quels serõt tous ces maistres drosles.

 

 


Pour ceux-là qu’auant estre nez,
Vous voyez desia couronnez,
Auecques des feüilles de chesnes,
Dame, ils vous bastiront Fidennes,
Sur les montagnes vn Chasteau,
Dit Collatin, Castre Nouueau,
Bole, Nomente, Pometie,
Core, & la ville de Gabie :
Ces noms Burlesques Eneas,
Surprendre ne vous doiuent pas,
Tous ces mots deuiendront vulgaires
Dans les moindres Dictionnaires.

 

 


Vous auez bien veu Numitor.
Romulus, plus braue qu’Hector,
Protegera ce sien grand pere ;
Romulus qu’Ilia sa mere,
Ie croy du sang d’Assaracus,
(Maudit soit qui s’en souuient plus)
Qu’Ilia, dis-je, du fait pleine
De Mars, ce vaillant Capitaine,
Suiuant le destin produira,
Quoy que Vestale elle sera ;
Et partant luy du costé gauche,
Mais quand c’est vn Dieu qui débauche,
On le peut faire auec honneur ;
Il sera tres-homme de cœur,
Voyez comme il porte sa creste,
Voyez comme il leue la teste,
Regardez il a le toupet,
Et c’est son pere Mars tout a fait ;
Desia deuant luy l’on dit gare,
Signe que c’est vn homme rare,
Ioint qu’õ m’a dit que dans les Cieux,
Mars le marquoit au coin des Dieux.

 

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Laffemas, abbé Laurent de [?] [1649], L’ENFER BVRLESQVE, OV LE SIXIESME DE L’ENEIDE TRAVESTIE, ET DEDIÉE A MADAMOISELLE DE CHEVREVSE. Le tout accommodé à l’Histoire du Temps. , françaisRéférence RIM : M0_1216. Cote locale : C_4_3.