Laffemas, abbé Laurent de [?] [1649], L’ENFER BVRLESQVE, OV LE SIXIESME DE L’ENEIDE TRAVESTIE, ET DEDIÉE A MADAMOISELLE DE CHEVREVSE. Le tout accommodé à l’Histoire du Temps. , françaisRéférence RIM : M0_1216. Cote locale : C_4_3.
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Ainsi ces ames par prieres,
Taschent de passer des premieres,
Il faut bien croire que ces morts,
N’õt pas fort bon temps sur ces bords,
Mais le maistre de la nacelle,
Prend les vns, les autres harcelle,
Et quand il commence à gronder,
Comme il les fait tous debander.
Æneas durant ce tumulte,
Qui connoist de loin la dispute,
Sans sçauoir pour qui ny pourquoy,
Vierge, ce dit il, contez-moy
D’où vient que les esprits se rendent
A ce fleuue, & ce qu’ils demandent :
Iamais Paris ne fit bruit tel,
Pour sauuer Monsieur de Broussel,
A t’on laissé libre au caprice,
Que ce barboüillé les choisisse ?
Où vont ceux cy ? que font ceux là ?
A quoy la guide dit cela.
Voicy le Styx & le Cocytte,
Vous sçauez ce que l’on éuite,
Qu’il prẽd aux Dieux vn trẽblement,
Quand par le Styx ils font serment,
Et qu’ayme mieux leur eminence,
Leuer la main dans l’Audience :
Cette trouppe que vous voyez,
Ce sont la pluspart gens noyez,
Qui n’ont point eu de sepulture,
Ou que les Loups ont pour pasture,
Ou pour qui chanté l’on n’aura
Deprofundis, ny Libera.
Le bastelier Caron s’appelle :
Ceux qu’il porte dans sa nacelle,
Sont ceux qui furent enterrez,
Et firent gagner leurs Curez.
Pour les corps qu’on traisne aux voiries,
Les pendus, les anatomies,
Ceux qui deffrayent les turbots,
Qui mettent la nappe aux corbeaux,
Et ceux qui sont nez en Sicile,
Ils ont beau trauestir Virgille,
Ronger leurs ongles, iusqu’à tant
Que l’on change de mil six cent :
Ce terme escheu, l’on leur fait grace,
Et comme d’autres on les passe.
Æneas demeure interdit,
A ce pitoyable recit,
Il sent pour eux quelque tendresse,
Dans les malheurs il s’interesse,
Principalement à l’abord
Qu’il vit Leucaspe sur ce bord,
* Leucaspe & le fidelle Oronte,
Dont le vent n’auoit tenu conte,
Qu’auoit ce gourmand engloutis,
Sans songer s’ils estoient rostis,
Dans cette effroyable tempeste,
Que Iunon faisoit de sa teste,
Où Neptune enragea si fort,
Qu’on lit qu’il iura par la mort.
Il void aussi dans cette plaine,
Palinure, qui se demeine,
Luy qui faisant vn Almanac,
Tomba l’autre iour de son bac,
Dans vn element aquatique.
Durant la routte de l’Affrique.
A peine Æneas crut ses yeux,
Il s’approcha pour le voir mieux,
Et n’en doutant plus, Palinure,
Est-ce vous ? par quelle aduanture
Les Dieux vous ont ils esloigné ?
Et pourquoy vous ont ils baigné ?
Dittes donc, car vostre mort seulle
Me feroit donner sur la gueulle,
Du Prophete qui m’a menty,
Quand le maraut m’a guaranty,
Que vous estiez encor en vie,
Et que vous verrez l’Italie :
Helas ! vous ne la verrez point ;
Faut-il qu’il me trompe en ce point,
Luy qui me tint tousiours parolle,
Sans iamais m’auoir donné colle ?
Dieux me voicy bien attrappé.
Non non, vous n’estes point trompé,
Respond le triste Palinure ;
Sçauez-vous que c’est faire iniure
A ce bon maistre deuineur,
Et qu’il est vn homme d’honneur :
Ie ne suis point mort par trop boire,
Rayez-le de vostre memoire ;
Le gouuernail m’estoit resté,
Et quelque sot l’auroit quitté.
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Laffemas, abbé Laurent de [?] [1649], L’ENFER BVRLESQVE, OV LE SIXIESME DE L’ENEIDE TRAVESTIE, ET DEDIÉE A MADAMOISELLE DE CHEVREVSE. Le tout accommodé à l’Histoire du Temps. , françaisRéférence RIM : M0_1216. Cote locale : C_4_3.