M. L. [signé] [1650], LETTRE OV EXHORTATION d’vn Particulier A MONSIEVR LE MARESCHAL DE TVRENNE, Pour l’obliger à mettre bas les armes. , françaisRéférence RIM : M0_2249. Cote locale : D_2_38.
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Mais quoy, vous estes si glorieux, & les belles actions que
vous auez faites, iettent de si viue lumiere, que vous estes
bien aueugle si vous ne la voyez. Se pourroit-il que vous
vous estimassiez pauure dans vostre abondance, & que le
reste du monde cogneust mieux que vous combien vous
valez, ou plustost que vostre vertu n’a point de prix. Certes,
les grandes choses que vous auez faites vous ont acquis vne
reputation si haute, qu’il est bien mal-aisé que vous la releuiez
plus qu’elle est. Vous ferez des efforts, vous vous elancerez ;
mais au lieu de monter plus haut, vous vous ietterez de ce
sommet dans ce precipice, & vous apprendrez à vos despens,
qu’il est des bornes & des barrieres au delà, desquelles la
gloire des hommes ne peut pas aller. Vous imaginez-vous
que le souhait d’vn autre monde que faisoit Alexandre, ne
fut pas plustost vne marque de son imprudence que de son
grand cœur, & qu’ayant porté, & son courage & son bonheur
iusques où il deuoit aller, ses desseins infinis ne tesmoignassent
pas plustost sa foiblesse que sa force, & ne fussent
pas plustost des mouuemens de sa vanité que de sa raison. Les
Grecs qui par le refus de passer outre dans les Indes, donnerent
des bornes à ses conquestes, furent à mon aduis plus sages
que luy. Et la mort qui l’osta ieune du monde, asseure
bien mieux sa gloire & la grandeur de sa renommée, qu’il ne
l’eust pas fait s’il eust vescu. Il alloit peut-estre enseuelir dans
le fonds des Indes ce grand bruict qu’il auoit acquis, &
quand tout l’Orient eust flechy sous ces armes triomphantes,
il y auoit encores en Occident vn peuple vainqueur qui
eust peut-estre vaincu ce victorieux.

Ie croy, Monsieur, que vous m’entendez bien, sans que ie
m’explique, vous faites assez la conclusion de ce discours
vous-mesmes sans que ie la fasse. Vous voyez bien que ie
veux dire que le courage cesse d’estre ce qu’il est, quand il
cesse d’estre sage, & qu’il doit suiure les regles de la prudence
à moins que d’estre dereglé. Il faut qu’il se limite aux entreprises
raisonnables, sans se porter aux impossibles. Il faut
qu’il se contente, & qu’il se sçache retenir comme il doit se

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M. L. [signé] [1650], LETTRE OV EXHORTATION d’vn Particulier A MONSIEVR LE MARESCHAL DE TVRENNE, Pour l’obliger à mettre bas les armes. , françaisRéférence RIM : M0_2249. Cote locale : D_2_38.