Anonyme [1649], LES PLAINTES DE LA FRANCE, A MONSEIGNEVR LE PRINCE. , françaisRéférence RIM : M0_2788. Cote locale : C_6_57.
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deüil de la mort de tes freres ou de la tienne, & mes douleurs auroient
ces continuels redoublemens, de voir en mon sang de toutes
parts des fratricides.

 

N’as tu d’autres ennemis que ceux que i’ay engendrez ? n’en
veux tu qu’à ta patrie fils, inplacable, qui prefere la Sicile à ta mere,
& vn Sicilien à tous tes freres. Romps l’enchantement qui t’aueugle ;
defais-toy du charme qui t’abuse, mon fils, ouure tes yeux, regarde
la France desolée qui t’implore, & souuiens toy de la Sicile
qui t’empoisonne ; la meurtriere de mes enfans n’a pour toy rien
que de funeste.

Ce n’est point pour t’animer contre mon ennemie que ie te
montre les larmes qu’elle me cause, & que ie t’enuoye les souspirs
qu’elle m’arrache. Quelque barbare qu’elle m’ayt esté & qu’elle
me soit encore, i’ay plus de soin de ton salut que de sa perte, &
l’amour que i’ay pour toy me sollicite bien plus que la haine que
i’ay contre elle. Qu’elle respire & qu’elle triomphe de mes autres
infortunes, pourueu que ie te sauue de sa rage. Helas mon fils quel
deplaisir m’est-ce de te voir exposé à la fureur d’vn monstre sorty
de ces montagnes ou de ces flots, & qu’ont vomy ces gouffres ardans,
ou ces gouffres humides. I’ay veu iusques icy de combien de
moyens il s’est seruy pour te perdre ; i’ay fremy mille fois de voir
son inhumanité t’exposer inegal au nombre de mes ennemis ; & la
bonté celeste en te sauuant tousiours a exaucé mes vœux, & confõdu
ces artifices. Tu reuiẽs ẽcore tout fraischemẽt d’vn peril d’où
tu n’es eschappé que par miracle ; ô la plus barbare pẽsée & la plus
noire furie que l’enfer ayt iamais dechaisnée ! Ce qu’il n’a peu faire
par tes ennemis ces alliez, il le veut executer par ta mere. Deuiendrois-
tu complice de ces lasches desseins, Heros victorieux en qui
i’ay mis mes illustres esperances, & serois-tu l’ennemy de ta vie &
de ton honneur, au point de seconder vn bourreau, à tous deux
egallement si funeste. Considere plutost, mon fils, à quelle
extremité par luy nostre destinée se treuue reduitte. Te voila
prest à m’arracher le cœur, & moy de mesme à te percer le sein :
Funeste & noir spectacle, où le fils & la mere leuent le bras l’vn
contre l’autre, pour satisfaire à la passion d’vn ennemy qui les
veut perdre tous deux. Ennemy detestable, qui nous ayant offencé

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Anonyme [1649], LES PLAINTES DE LA FRANCE, A MONSEIGNEVR LE PRINCE. , françaisRéférence RIM : M0_2788. Cote locale : C_6_57.