Anonyme [1649], APOLOGIE POVR MONSEIGNEVR LE CARDINAL MAZARIN, TIREE D'VNE CONFERENCE ENTRE SON EMINENCE ET Monsieur ****** homme de probité & excellent Casuiste. , françaisRéférence RIM : M0_127. Cote locale : A_2_3.
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que vous esperiez le succez de vostre dessein de la foiblesse de nostre armée, &
des auantages de l’ennemy.

 

Le Card. Ie vous confesse bien que cette bataille-là fut vne intrigue de la
Cour, & entre vous & moy ie vous aduoüeray que j’eusse mieux aimé la perdre,
que de la gagner, quoy que j’attendisse de l’auantage de l’vn ou de l’autre
succez. Car ie disois, si nous perdons la bataille, l’Espagnol approchera de
Paris, jettera l’espouuante dans le cœur du Bourgeois, par le rauage qu’il
fera dans la Picardie, & les Parisiens seront dans vne semblable alarme, qu’ils
furent lors du siege de Corbie, le feu estant à leurs portes, ils ouuriront volontiers
leurs bourses pour l’esteindre, il faudra de l’argent comptant, personne
n’en aura que les Partisans, & par ainsi, il faudra que la prudence &
justice de Messieurs du Parlement cede à la necessité, & restablisse ces fideles
limiers qui vont descouurir la proye, pour me l’apporter. Si de l’autre
costé ie gagnois la bataille, me voila puissant, & ie pourray vser de
force pour reduire ceux qui seront durs à la desserre.

Le Casuiste. Vos affaires eussent pourtant mieux reüssi, si vostre Eminence
eust perdu la bataille.

Le Card. Il est vray, mais le mal-heur a voulu que nous l’ayons gagnée. Ce
n’est pas que ie n’esperasse quelque bon succez de nostre Te Deum, qui estoit
tousiours vn fruict de cette bataille. Et de fait ie fis saisir ceux que ie jugeois
apporter plus d’obstacle à mes desseins.

Le Casuiste. Vous ne pouuiez rien esperer de bon d’vne profanation si publique,
outre que vous attiriez l’indignation de Monseigneur le Prince,
de qui vous ternissiez la gloire, en profanant les Saintes Ceremonies de son
triomphe.

Le Card. Il est vray que le pcuple est fort sensible en ce qui regarde la Religion,
mais cela se fit apres la Ceremonie.

Le Casuiste. C’estoit tousiours trahir la foy publique, & donner à croire
que vostre action estoit iniuste & vostre authorité foible, de vous seruir ainsi
de surprise & de profanation pour faire deux prisonniers.

Le Card. Si j’eusse pensé que les choses eussent succedé de la sorte, ie me
serois bien gardé de le faire.

Le Casuiste. Monseigneur, vous deuiez imiter ces pilotes, qui estans
dans vn foible vaisseau, & voyans la mer esmeuë & le vent contraire, ne
laissent pas de s’en seruir pour gagner le port, non pas en se roidissant contre
la force des vagues & du vent ; mais bien s’accommodant à leur impetuosité,
& n’en tirant du seruice qu’à la desrobée ; De mesme voguant comme vous
faisiez, Monseigneur, dans le fragile vaisseau de la minorité, & voyant cette
mer Parisienne esmeuë, & le Parlement vn peu contraire, vous ne deuiez
iamais vous roidir, & ne profiter que de vostre addresse & de la France,
que comme à la desrobée.

Le Card. Vous ne dites pas que j’ay esté trahi, que plusieurs feignoient d’estre
d’intelligence auec moy, pour m’engager à faire vn pas de Clerc, lesquels
m’ont manqué au besoin, & m’ont tousiours rendu les choses plus belles,
qu’elles n’estoient.

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Anonyme [1649], APOLOGIE POVR MONSEIGNEVR LE CARDINAL MAZARIN, TIREE D'VNE CONFERENCE ENTRE SON EMINENCE ET Monsieur ****** homme de probité & excellent Casuiste. , françaisRéférence RIM : M0_127. Cote locale : A_2_3.