sembloir s’acheminer à sa souueraine felicité,
dont les desirs des moins genereux estoient charmez.
Ce qui suspendoit en quelque sorte le sentiment
de leur peines. C’est ce qui fait qu’auiourd’huy
que vous leur rauissez ce bien, leur malheur
paroissant à découuert, leur fait voir clairement la
profondeur du gouffre, dans lequel ils restent
plongez, & m’accusent d’vne tyrannie intolerable,
de les auoir ietté en cet abysme sous ce pretexte specieux
du bien public. C’est maintenant en effet
qu’ils sont certainement malheureux, & veritablement
ruinez, puisque ce qu’ils esperoient acquerir
par ces souffrances, leur est osté, & que nous
sommes vrayement coupables, & deuons gemir,
en leur oyant souuent dire ces paroles : Nunc alte
vulnus adactum. MON FILS, il vous est important
de sçauoir qu’en quelque Estat où les hommes
naissent, ils ont vn instinct pour sa gloire &
son accroissement, qui ne se remplit que par les
conquestes que fait le Prince, qui sont vn thresor
où chacun a la liberté de puiser à proportion de son
zele & de sa ferueur. De là vient qu’il leur semble
qu’ils respirent plus librement dans vn grand Empire
qu’en vn petit, & qu’ils nomment leur tout ce
qui appartient au Prince, comme ses Prouinces,
ses Villes, & ses Armées : delà vient aussi qu’ils ont
vne veneration particuliere pour les Conquerans,
quelques imperieux qu’ils soient, & qu’ils honorent
moins les Princes, qui sous quelque pretexte

Page précédent(e)

Page suivant(e)