Anonyme [1652], OBSERVATIONS SVR QVELQVES LETTRES ECRITES AV CARDINAL MAZARIN, ET PAR LE CARDINAL MAZARIN. , françaisRéférence RIM : M0_2572. Cote locale : C_12_35a.
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OBSERVATIONS.

SVR la response faite par le Cardinal Mazarin
à vne Lettre de Monsieur le Comte de Brienne
Secretaire d’Estat, qui auoit fait entendre au
Cardinal que la volonté du Roy, estoit qu’il se
retira en Italie & sans delay. Sa Majesté ayant
iugé qu’il estoit expediant pour le bien de son
Royaume.

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MONSIEVR,

La Reyne a creu, a ce que i’aprens, que vous
m’auiez enuoyé simplement vne Lettre du Roy
conformément à ce que l’on a accoustumé de
faire à tous les Cardinaux nationaux, lors qu’on
reçoit nouuelles de Rome, que le Pape soit en
danger ; Mais pour moy i’estois priuilegié, puis
qu’outre la premiere du Roy & le duplicata, i’en
ay encore receu vne autre, & trois de vos depesches ;
le tout conçeu en termes si pressans, pour
me faire prendre sans aucun delay la route de
Rome, que i’auoüe d’en auoir esté surpris au
poinct que ie deuois, ne pouuant pas m’imaginer
en quoy i’auois manqué à leurs Majestés, ou
en quoy ie vous auois des-obligé, pour me presser
à faire vn voyage auec tant d’ignominie,
tant de risques & sans aucun moyen de subsister :
& de croire qu’auec vne Lettre de recommandation
pour le Pape on satisfaisoit à tout, comme
si à Rome on estoit si peu connoissant des
choses, qu’on ne sçeust pas inferer, quelle sorte
de protection ie pouuois auoir en ce lieu là,
puis que i’estois abandonné à la persecution de
mes ennemis en France, où le Roy est le Maistre

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Auec tout cela, si i’eusse eu l’honneur de
receuoir vn petit mot de la Reyne, qui m’eust fait
connoistre, que l’intention du Roy & la sienne
estoient que ie m’y en allasse, ainsi qu’elle a eû
la bonté de me faire sçauoir, lors qu’elle a voulu
que ie sortisse du Royaume, & que ie m’en esloignasse
iusques au Rhin ; ie vous proteste qu’apres
auoir mis mes Nieces dans vn Monastere, &
licencié ma famille, ie m’y en fusse allé auec
deux valets, pour confirmer en toutes rencontres
à leurs Majestés, que mon obeyssance est
aueugle, & ma fidelité à toute espreuue. Et en effect
ie suis prest à faire sans aucune replique
ce que la Reyne m’ordonnera là dessus ; quoy
que ie ne puisse receuoir vne plus grande mortification,
que de faire ce voyage en l’estat où ie
suis, qui d’ailleurs ne peut estre que tres prejudiciable
à la dignité du Roy.

 

Sur ce que Madame d’Aiguillon me fit dire
par Roussereau, ie l’ay proposé moy mesme,
demandant les conditions que vous sçauez, &
toute la negociation a abouty à des ordres de
m’y en aller, sans parler d’autre chose. Et ce qui
est de meilleur en cét affaire, c’est qu’on a eu
l’addresse de la faire passer aupres de la Reyne
pour vne grace qu’on me faisoit afin que ie ressentisse
encore quelque effect de la réjoüissance
publique pour la Majorité du Roy. Tout cela m’a
accablé de déplaisir voyant à quel poinct mes

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ennemis se preualoient de ma disgrace, & auec
quel bon-heur ils employent leur addresse pour
me faire receuoir des traittemens si rudes, dans
vn temps, où ie pouuois auec iustice esperer
qu’on donneroit quelque soulagement aux persecutions
que i’ay souffertes huit mois durant,
auec tant de violence, & auec vn si notable prejudice
de l’authorité Royalle.

 

Mais tout cela n’est pas comparable à l’excez
de douleur, dans lequel ie suis apres auoir veu par
toutes les Lettres de quantité de mes amis qui
sont à Paris, & dehors, le desespoir dans lequel
ils estoient du contenu dans la Declaration du
Roy, qui auoit esté registrée au Parlement, & que
l’on crioit par la ville ; tous sans l’auoir concerté,
tombants d’accord, que depuis le commencement
de la Monarchie on n’auoit iamais rien fait
de si sanglant contre qui que ce soit, quelque
crime qu’il eust peu commettre : Personne n’a
osé me l’enuoyer, & ie vous puis iurer de ne l’auoir
pas veuë ; Mais c’est assés de sçauoir que le
Roy declare ; que i’ay empesché la Paix, & fait
toutes les Pirateries sur les alliez de la France ;
pour estre persuadé, que mon Maistre veut que
ie sois reconnu pour l’homme le plus infame, &
le plus Scelerat qui ait iamais esté, & pour le
fleau de la Chrestienté. Et l’on vouloit apres cela
que i’alasse au lieu de ma naissance ; pour faire
parade à mes parens & amis des beaux titres que

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i’ay remportez, pour recompense de vingt trois
ans de seruices, aussi fideles & vtiles, qui iamais
ayent esté rendus par quelque Ministre aussi zelé,
& desinteressé que ce puisse estre.

 

Tous mes ennemis ont trauaillé six mois durant
auec l’application qu’vn chacun sçait, enuoyants
des Commissaires par tout, s’appliquants
à toutes les recherches imaginables ; faisants
mesme aucuns d’eux exciter de faux-temoins ;
pour voir si l’on me pourroit noircir de
quelque crime, qui iustifiast dans l’Esprit des
peuples l’oppression qu’on me faisoit & establir
de plus en plus leur haine contre moy ; sans que
tout cela ait rien produit, que des effets tres-auantageux
pour les detromper, & faire connoistre
mon innocence, & l’injustice auec laquelle
elle estoit attaquée : & dans ce temps-là mesdits
ennemis desesperés de pouuoir rien faire d’ailleurs,
ils ont trouué le moyen auprez de leurs
Majestez, sans estre entendu, de me faire declarer
en la forme la plus authentique, & esclatante vn
voleur public, & le seul empeschement de la
Paix.

Apres cela il me semble, qu’on deuoit plutost
me conseiller de me cacher sans me montrer
plus à personne, & m’enseuelir ; que non pas d’aller
à Rome ; puis que ie ne dois pas seulement
apprehender les peuples de France, mais tous
ceux qui souffrent des maux pour la continuation

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de la Guerre, qui doiuent auec raison ietter
des pierres à celuy, qui en est declaré la cause.

 

Ie sçay bien que leurs Majestez ne peuuent
pas auoir eu connoissance du detail, & de tout ce
qui estoit contenu dans la Declaration du Roy,
car elles sont trop equitables, pour croire par
quelque raison que ce peut estre, qu’elles eussent
voulu consentir a me declarer le plus meschant,
& abominable des hommes, & traistre. Et c’est
vn grand malheur pour le seruice du Roy, qu’il
ne se soit trouué aucun qui ait fait connoistre, de
quel auantage estoit aux ennemis de la France ;
que toute l’Europe par l’adueu de Sa Majesté,
fust persuadée, que son principal Ministre auoit
empesché la Paix. Les Espagnols ne pouuoient
rien obtenir de si auantageux, comme de pouuoir
rejeter sur la France la hayne de la Chrestienté,
pour les maux que la guerre luy fait souffrir,
& ne s’endormiront pas de le bien faire va
loir & d’en profiter : Et les alliez de la France auront
droict par la Declaration du Roy, de demander
auec iuste titre desdommagement des
depredations qu’on a faites, qui vont à des Millions,
ou en cas de refus de faire vne querelle
bien fondée ; puis qu’enfin il est certain, que le
Roy, & l’Estat sont responsables de la conduite
de ceux qui ont la direction des affaires.

Ie sçay que ma consideration n’estoit pas assez
forte, pour obliger quelqu’vn de parler en ma faueur ;

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mais à la verité l’interest du Roy, de l’estat,
& de la Reyne mesme estoient engagez par
tant d’autres raisons, outre les susdites qui sont
tres pressantes, qu’il faut aduoüer ; que ç’a esté vn
estrange malheur ; qu’il ne se soit trouué personne
qui leur en ait dit vn seul mot ; & le mien est
bien dans le souuerain degré, puis qu’outre ce
que ie souffre en mon particulier ; la passion, que
i’ay pour leurs Majestez & pour l’Estat, qui ne
peut iamais finir, me fait aussi presẽtir dãs le fond
de l’ame le contre-coup qu’elles en reçoiuent.

 

Vous voyez bien qu’aprez les crimes, desquels
on a obligé le Roy de me declarer coupable, ie
ne suis plus en estat d’auoir participation d’aucune
affaire : c’est pourquoy vous deuez pas
prendre la peine de m’en communiquer. Et si
mes ennemis n’ont pas le contentement de me
voir aller à Rome, ils auront celuy de me voir
cacher, sans me mesler de quoy que ce soit, iusques
à tant qu’il plaise au Roy de me faire Iustice ;
& le suppliant tres humblement de trouuer
bon, que ie me mette prisonnier en tel lieu qu’il
ordonnera, mesme dans vne place de Monsieur
le Duc d’Orleans ; afin que si i’ay failly i’en reçoiue
vne punition exemplaire. Et pour oster les
difficultez qui s’y pourroient rencontrer, à cause
de la dignité de laquelle ie suis reuestu ; ie receuray
à singuliere grace, qu’il me soit permis
d’en enuoyer la demission ; car aussi bien elle ne

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peut plus estre en ma personne en aucune façon
vtile à sa Majesté. Ie vous seray tres obligé si
vous vous employez en sorte, que cette grace me
soit accordée, que i’estimeray au dernier poinct :
puis qu’elle peut contribuër à la preparation de
mon honneur, & ie vous prie d’excuser encore
pour cette seule fois mes importunitez.

 

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