Anonyme [1652], EXTRAICT DES REGISTRES DV PARLEMENT, CONTENANT Ce qui s’est passé pour l’esloignement du Cardinal Mazarin. , françaisRéférence RIM : M0_1351. Cote locale : B_11_29.
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Du Mercredy vingt-quatriesme Ianuier mil six
cens cinquante-deux.

CE jour, toutes les Chambres assemblées, Monsieur le
Duc d’Orleans y estant, Monsieur le President de Belliévre
a dit à la Cour, les Gens du Roy presens ; Qu’en suitte de
l’Arrest du vingt-neufiesme Decembre dernier, il se rendit à
Poictiers auec Messieurs les Conseillers Deputez le neufiesme
de ce mois ; qu’ils furent aduertis le lendemain de la part du
Roy, qu’ils auroient Audiance le iour suiuant, auquel ils
trouuerent ledit Seigneur Roy dans la Chambre de la Reyne
assis, & ladite Dame Reyne prés de luy ; d’vn costé Monsieur
de Chasteauneuf, & de l’autre Monsieur le Garde des
Sceaux ; derriere estoient Monsieur le Mareschal de Villeroy,
les Sieurs de la Vieuville Sur-Intendant des Finances, &
de Villequier, Capitaine des Gardes : dans la Chambre, les
quatre Secretaires d’Estat, & trois ou quatre autres personnes
de qualité : Ledit Sieur President de Belliévre a dit
au Roy.

Que ce n’est pas auec des simples respects, ny auec des
soûmissions toutes seules, que les Sujets s’acquittent de ce
qu’ils doiuent à leur Souuerain ; Que par les seruices qu’ils
rendent dans les differens emplois qui leur sont donnez, ils
témoignent bien mieux & plus vtilement leur zele & leur
fidelité.

Que la liberté de parler (que les Roys predecesseurs de
Sa Majesté, & les Loix de l’Estat ont donné à son Parlement)
est sans doubte plus agreable & plus necessaire, que
ne seroit l’obeïssance la plus soûmise, & le silence le plus respectueux.

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Que le silence seroit criminel, où l’obligation de parler
est si pressante ; que sans manquer à ce que la Compagnie deuoit
à Sa Majesté, elle n’auroit pû differer plus long-temps
de l’aduertir de quelle importance il luy estoit de tenir le Cardinal
Mazarin esloigné, non seulement de ses Conseils, & de
toute l’estenduë des Terres de son obeïssance, mais aussi des
Frontieres de son Estat, d’où l’on luy a veu exciter tant de
tempestes.

Que l’on pouuoit dire, qu’il n’y a rien en quoy la veritable
authorité de Sa Majesté, & le repos de ses Sujets, se trouuent
plus interessez qu’en ce retour, dont le bruit espandu
trouble toutes ses Prouinces, qui ne peuuent sans vne extrême
apprehension, voir reuenir vn homme que Sa Majesté a
si publiquement condamné, & contre lequel tous les bons
François s’esleuent comme contre leur ennemy commun, la
seule cause, le seul pretexte de la desolation, dont cét Estat
est menacé.

Que ce retour est vne action tellement contraire à la volonté
de Sa Majesté, si precisement declarée touchant sa personne
& sa conduite, que ce seroit vn sujet de reproche eternel
à tous ceux qui ne s’y seront pas fortement opposez. Aussi
ce conseil n’a pû estre donné que par des gens, qui preferent
leurs interests particuliers & la vaine imagination de leur
fortune domestique, à la gloire de Sa Majesté, & à la tranquilité
de ce Royaume.

Qu’apres la Declaration du sixiéme de Septembre dernier,
quand le Cardinal Mazarin auroit toutes les qualitez de la
sagesse, du sçauoir & du bon-heur, il seroit honteux de l’appeller
dans les Conseils, & dangereux de s’en seruir. Qu’il y
auroit de la honte, qu’au premier & plus puissant Royaume
du monde, qu’en la France remplie de tant de grands hommes,
de tant de capables & d’illustres Sujets, & de reputation
entiere, l’on se vit encore assujetty au Ministere d’vn Estranger,
pour qui l’on n’a plus de respect ny d’est me, & à qui
l’on peut iustement reprocher tant de fautes, & de si malheureux
Conseils, que ceux pour lesquels Sa Majesté l’a legitimement

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condamné.

 

Et que sans doute il y auroit du danger de luy confier encore
le secret & le gouuernement de l’Estat, s’il est veritablement
coupable. Et si l’on se le pouuoit encore figurer
innocent, il n’y auroit pas moins d’inconuenient d’exposer
toute la France au ressentiment de sa vengeance.

Que les Sujets de Sa Majesté commençoient à gouster
quelque repos, qu’ils s’imaginoient estably par les deux
Declarations, auec lesquelles ils auoient veu finir la Regence
de la Reyne, & commencer heureusement les premiers
iours de sa Majorité. Que nostre mal-heur troublant l’effet
de la derniere, auoit partagé quelques sentimens ; mais que
la foy de l’autre Declaration se trouuant violée par le retour
du Cardinal Mazarin, l’on auoit grand sujet de craindre de
voir les affaires portées dans vne estrange confusion.

Que celuy que Sa Majesté a condamné comme coupable
par vne Declaration si solemnelle & si publique, entre
dans son Royaume, & comme en triomphe a trauersé toutes
ses Prouinces ; Que par cette entrée l’authorité de Sa Majesté
se trouue blessée, sa parole Royale mesprisée, sa Declaration
aneantie, c’est vn desordre dont les suites ne peuuent estre
que funestes.

Et quand ce seroit vn pur mal-heur au Cardinal Mazarin,
d’estre consideré comme l’autheur, & la seule cause des diuisions
qui troublent cét Estat, il est important qu’il en demeure
esloigné, puisque sa presence suffit pour renouueller les
maux qui sembloient s’appaiser, en faire naistre de nouueaux,
& reduire quasi au desespoir ses Sujets les plus qualifiez, les
plus zelez, & les plus fidelles.

Les émotions que l’on remarque dans les esprits, donnent
lieu de tout apprehender des miseres extrémes que peut produire
ce retour ; mais que ledit Seigneur Roy y peut encore
pouruoir par vn seul mot, vn ordre de Sa Majesté, pour l’esloignement
du Cardinal Mazarin, & de ceux qui sont dans ses
interests. Sa parole Royale, pour l’entretenement de la Declaration
publiée contre luy, peuuent encore calmer les esprits

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& preuenir les maux, ausquels peut estre à l’aduenir, inutillement
l’on tentera d’apporter le remede.

 

Que ce sont les considerations que lesdits Sieurs Deputez
ont estimé deuoir faire entendre à Sa Majesté, pour
le salut de laquelle, & à la felicité de son Regne, ils l’ont
asseuré que ladite Cour contribuera de tout son pouuoir.

Le Roy dit ausdits Sieurs Deputez, qu’il vouloit communiquer
auec la Reyne & son Conseil, & puis qu’il leur
feroit response. Ils se retirerent dans la Chambre de
Monsieur le Duc d’Anjou, & peu de temps apres mandez,
ledit Seigneur Roy leur dit ; Que Monsieur le Garde des
Sceaux leur feroit entendre sa volonté, ce qu’il fit à l’instant
en ses termes.

MESSIEVRS, le Roy m’a commandé de vous dire ;
qu’il est assez persuadé, que la resolution que la
Compagnie a prise, de luy enuoyer des Deputez, est vn
effet de l’honneur qu’elle veut rendre à sa Majesté, & du
desir qu’elle a de contribuer tout ce qui sera en son
pouuoir.

Si dans les termes les plus difficiles des siecles passez, le
Parlement a tousiours rendu des preuues de son affection
enuers l’Estat, comme les actions se suiuent, & que le mesme
esprit les anime, aussi s’asseure-t’on, que quelque rencontre
qui puisse suruenir, il resmoignera tousiours son inuiolable
fidelité.

Il est bien que cette premiere Compagnie du Royaume
donne tousiours exemple à tous les peuples de soûsmission
& d’obeïssance.

Elle n’a pas sceu que M. le Cardinal Mazarin a receu
les ordres de sa Majesté, pour faire des leuées de Gens
de guerre.

Elle n’a pas sceu qu’il luy a esté commandé d’entrer en
France, & d’amener ses trouppes, afin de s’en seruir à fortifier
l’Armée du Roy, & aller plus promptement combattre
les rebelles.

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Et ainsi elle a exercé à l’encontre de luy la seuerité des
Loix, comme ceux qui violent les ordres publics.

Encore que d’exposer sa vie en proye, & de permettre
de le prendre vif ou mort, soit vn procedé tout extraordinaire,
sans exemple, & dont vous iugez assez les
consequences.

Mais maintenant qu’elle apprendra par vous, MESSIEVRS,
les ordres qu’il a receu, & tout ce qui s’est passé depuis,
on se peut promettre qu’elle diminuera beaucoup de cette
premiere rigueur, & qu’elle joindra ses forces auec celles
de Sa Majesté, pour disposer toutes choses à ce calme si desiré
d’vn chacun, & si necessaire à tous.

Il demande instamment de se iustifier ; surquoy le Roy
prendra ses resolutions, qu’il fera bien-tost sçauoir à la
Compagnie.

Autrement il resteroit à Sa Majesté, & à vous aussi sans
doute, vn extréme regret, que le mesme esprit ne se
trouuast pas en celuy qui commande, & en ceux qui doiuent
obeyr.

Elle sçait bien que ce n’est pas assez que les Loix soient
iustes, si la Iustice d’icelles n’est reconnuë par ceux qui y doiuent
estre soûmis, & qui les doiuent executer.

Mais il importe de ne se mesconter pas ; & que ceux qui doiuent
enfin ceder, n’entreprenent pas de l’emporter par vne
fermeté apparente & extraordinaire, puisque en ce rencontre
la Majesté seroit violée, & tous les liens de soûsmission
rompus.

Vous continuerez donc d’honnorer vostre Souuerain,
non seulement en paroles, mais par effects, comme vous
auez accoustumé.

Toutes les parties demeureront jointes à leur tout,
puisque c’est le moyen le plus asseuré pour maintenir l’authorité
Royale en son entier.

Ses bons Officiers, comme vous, auront part à sa gloire,
& il leur tesmoignera en toutes occasions les marques
de sa bien-veillance.

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Firent tres-humbles Remonstrances, se retirerent, &
partirent le lendemain, & arriuerent en cette ville de Paris
Dimanche dernier. FAIT en Parlement l’an & iour
susdit.

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