Baltasard, Christophle [1645], TRAITTÉ DES VSVRPATIONS DES ROYS D’ESPAGNE, SVR LA COVRONNE DE FRANCE, Depuis le Regne de Charles huictiesme. ENSEMBLE VN DISCOVRS SVR LE COMMENCEMENT, progrez, declin, & démembrement de la Monarchie Françoise, droicts, & pretentions des Roys Tres-Chrestiens sur l’Empire. AVGMENTÉ D’VN SOMMAIRE DES DROICTS de ceste Couronne, sur les Comtez de Bourgongne, Cambray, Haynault, de Genes & Luxembourg. ET LES VICTOIRES ET CONQVESTES DES ROYS LOVIS XIII. dit le IVSTE, & de LOVIS XIV. dit DIEV-DONNÉ, sur les Espagnols, & les Austrichiens, en Italie, Alsace, Flandres, Luxembourg, & Comté de Bourgongne, Catalogne & Roussillon. Par C. BALTASARD. , françaisRéférence RIM : Mx. Cote locale : D_1_6.

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TRAITTÉ DES
VSVRPATIONS
DES ROYS D’ESPAGNE, SVR LA
COVRONNE DE FRANCE.

Depuis le Regne de Charles huictiesme.

D’où procede le iuste sujet des Guerres encommencées du Regne de
LOVIS XIII. iusques à present.

LA Paix est vn bien incomparable. C’est le lien de la
societé humaine, les delices de la Nature, la nourrice
des Loix, de l’Ordre, de la Police : Mais la Guerre,
auec toutes ses calamitez, est beaucoup plus desirable
aux ames genereuses, qu’vne paix mandiée auec desaduantage.
Les Romains, lors que leur Republique
estoit encore en son berceau, voyans les redoutables
progrés que Pyrrhus faisoit en Italie, refuserent la paix qui leur estoit offerte
par ses Ambassadeurs, protestãs d’exposer plustost leur Estat au hazard
d’vne guerre immortelle, que de souffrir vne puissance estrangere en leur
païs. Braue & courageuse resolution, à la quelle si les descendans de Charles
le Grand eussent reglé leurs actions, l’Italie, l’Allemagne, la Pologne,
la Sclauonie, la Hongrie, & toutes les Gaules, autresfois tributaires de vostre
Couronne, SIRE, viendroient encore rendre aux pieds de vostre
Majesté les hõmages de leur seruitude. Et ceste grandeur superbe d’Espagne,
qui cõbat auiourd’huy pour le Sceptre de toute l’Europe, combattoit
seulement auec les autres Prouinces de vostre Empire pour l’honneur de
l’obeïssance : Mais ces Princes autant esloignez de la valeur de leurs ayeuls,

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qu’indignes d’vn Sceptre si puissant, laisserent leur bien en proye à l’ambition
de leurs voisins : & virent deschirer piece à piece ce grand Estat, acquis
en tant d’annees par le sang des François, pour auoir trop voulu gouster
des trompeuses douceurs du repos.

 

La suitte de ce discours fera voir auec quel courage leurs successeurs,
souz la troisiesme race, ont poursuiuy leurs droicts & pretentions, & maintenu
leur grandeur contre l’effort de leurs ennemis, & la rebellion de leurs
vassaux, tesmoin les guerres anciennes de Flandre, d’Angleterre, & de
Bourgongne : & de plus fraische memoire, les voyages faits à Naples, à
Milan, à Gennes, en Piedmont, à Perpignan, à Luxembourg, à Pampelonne,
& mille autres entreprises fameuses où la Iustice de nos armes
auoit rencontré de si heureux commencemens, que la fortune mesme n’en
pouuoit rendre l’issue infructueuse, si nous eussions esté aussi capables de
conseruer, que d’acquerir : Mais les fautes des François n’auctorisent pas
l’Vsurpation des Espagnols : Les droicts que vos deuanciers vous ont acquis
ne laissent pas de subsister apres la perte de leurs conquestes. Il suffit,
SIRE, il suffit à vn grand Roy, à qui l’integrité & la droicture ont donné
le nom de Iuste, & qui peut d’vn coup de pied tirer du ventre de la terre des
armees, capables de dompter tout le Monde, d’auoir de iustes pretentions :
Les voicy qui se presentent aux yeux de vostre Majesté toutes nuës,
& sans fard, chargees des plaintes de la Sicile, de la Poüille, de la Calabre,
du Milannois, de la Flandre, de la Nauarre, & de tant d’autres Prouinces
que l’ambition Espagnole a rauies du sein de vostre Couronne, pour
bastir ce redoutable Empire qui menace de seruitude le reste de l’Europe.

L’ordre des temps les fera commencer par l’Vsurpation des Royaumes
de Sicile & de Naples, long-temps disputez entre les Maisons d’Anjou &
d’Arragon, ausquelles celles de France & de Castille ont succedé.

Des Royaumes de Sicile & de Naples.

LE Roy Henry premier ayant inuesty Guillaume fils naturel de Robert
Duc de Normandie, Roger, Robert Guischard, & Guillaume de
Montrueil, Princes Normans, pretendans que le Duché leur appartenoit,
comme plus proches heritiers de Robert, prindrent les armes contre ce
ieune Duc, se seruans pour pretexte de leur rebellion du defaut de sa naissance ;
Mais Henry obligé de soustenir la querelle de son vassal, se mit en
campagne, défit ces rebelles, & les contraignit de vuider le païs. Ils s’embarquent
auec grand nombre de ieunesse Danoise, & apres mille aduantures
où ils signalerent leur courage, aborderent finalement les vns en Sicile,

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les autres en Calabre ; Prouinces lors sujettes aux Grecs & aux Sarrazins,
dont ces braues Argonautes les ayans chassez, ils y establirent
leurs fortunes, & prirent qualité de Ducs, iusques à Roger II. auquel le Pape
Honoré donna le tiltre de Roy. En recognoissance dequoy, du consentement
de ses Estats, il sousmit les Royaumes de Sicile & de Naples au
Sainct Siege, souz la redeuance de quelque cens annuel. Roger eust pour
successeur Guillaume, surnommé le Mauuais & Guillaume ; Roger qui
mourut auant son pere, laissant vne seule fille legitime, & vn bastard nommé
Tancrede, auquel le Pape Celestin III. refusa l’inuestiture pour le
defaut de sa naissance, & tira d’vn Monastere sa sœur Constance pour la
donner à Henry VI. Empereur, fils de Federie Barberousse, qui s’empara
des deux Royaumes, & fit chastrer Guillaume fils de Tancrede, delaissé
en bas âge. De Henry & de Constance nâquit Federie II. aussi Empereur,
que le Pape Innocent IV. priua de ses Estats, pour les grandes querelles
qu’il eut auec le Sainct Siege. Ce Federic laissa pour heritiers Conrad,
Federic & Conradin, fils de Henry son aisné, qu’il fit mourir en prison
pour auoir conspiré contre luy : eut aussi vn bastard appellé Mainsroy, la fille
duquel nommée Constance, espousa Pierre d’Arragon ; Vnique fondement
des pretentions de la Maison d’Espagne sur ces deux Royaumes.
Conrad fit mourir Federic son frere puisné, à que le pere auoit laissé par
testament partie de la Sicile. La peine suiuit de prés ce fratricide : car luy
estant malade Mainfroy l’empoisonna, & s’estant fait declarer tuteur de
Conradin son nepueu, occupa ses Estats, & donna charge à quelqu’vn de
ses plus confidens de le faire mourir : mais cela n’ayant reüssi, Conradin
s’enfuit secrettement en Allemagne, & cependant le Pape Vrbain interdit
Mainfroy, tant en execution de la sentence renduë par son predecesseur
contre Federic, & sa posterité, que pour ses actions tyranniques, dont
les Siciliens s’estoient plaints au Pape, comme à leur Souuerain. Pour
mettre cet interdit à execution, Charles d’Anjou, frere du Roy S. Louis
est appellé à Rome, & couronné Roy des deux Royaumes, aux charges &
redeuances anciennes enuers le Sainct Siege. Auec ce droict il attaque
Mainfroy, luy donne bataille, & le met en route. Conradin sur le bruit de
ceste disgrace, leue de grandes forces en Allemagne, & se jette dans la
Poüille, où Charles luy estant venu en rencontre le met en fuite : mais
estant pris comme il se sauuoit par mer, il luy sait trencher la teste, & par
ceste mort se rend paisible possesseur de tout le païs.

 

Ceste bonace ne dura pas long temps : car Pierre d’Arragon, competiteur
de Charles, qui estoit tousiours au guet, estant aduerty du mescontentement
que les Siciliens auoient desia conceu contre les François,

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pour les grandes priuautez dont ils vsoient enuers leurs femmes, il enuoye
en Sicile vn nommé Iean Prochyte, pour mesnager l’occasion qui
se presentoit. Ce boute-feu de sedition deguisé en Cordelier, s’en alla de
ville en ville, representant au peuple l’insolence des François, les droicts
pretendus de son maistre, le desir qu’il auoit de les deliurer de seruitude, &
le prompt secours qu’il leur donneroit si tost qu’il les verroit disposez à le
receuoir. Auec ces belles paroles il esmeut tellement les Siciliens, assez
changeans de leur naturel, & d’ailleurs, passionnez de jalousie contre les
François, qu’ils se sousleuerent par tout, taillerent en pieces leurs garnisons,
& tuerent en vn soir plus de trente mil hommes ; ce que nos peres
ont appellé les Vespres Siciliennes.

 

Par vn acte si perfide & si barbare, Pierre d’Arragon se rendit maistre
de la Sicile, & s’y maintint malgré les efforts de Charles, & de ses descendans,
qui eurent assez de peine à conseruer le Royaume de Naples. Apres
le deceds de Pierre, Iacques son fils, ayant pris possession du Royaume
d’Arragon, espousa la fille de Charles le Boiteux, fils de Charles premier,
& renonça aux droicts qu’il pouuoit pretendre aux deux Couronnes de
Sicile & de Naples. Mais la fraude Arragonoise parut aussi tost apres ce
traitté : Car comme Charles s’acheminoit en Sicile, Federic frere de Iacques,
par intelligence qu’il auoit auec luy, & les Siciliens, se saisit de toutes
les places, dont Charles s’estant plaint au Pape, Iacques, pour faire
croire qu’il n’auoit point trempe en ceste entreprise, promit à son beau-pere
de l’ayder contre Federic : mais quand il fut sommé d’accomplir sa
promesse il s’en excusa, & donna souz-main secours à son frere : ce qu’il
n’osoit faire ouuertement, plus retenu par le respect & la crainte du Pape,
que par aucune consideration de son honneur. Neantmoins Federic
voyant que Charles assisté des armes Françoises, s’opiniastroit au recouurement
de ce Royaume, & le tenoit serré de toutes parts ; il fait paix auec
luy, luy remettant, & à sa posterité la Sicile, à condition qu’il en iouïroit sa
vie durant ; & toutesfois si tost que Charles l’eut laissé en repos, il pratiqua
l’Empereur Henry VII. qui auec vne puissante armée jointe aux forces
des Siciliens, assaillit au despourueu Robert II. successeur de Charles, &
l’eust despoüillé de ses Estats si la mort ne l’eust preuenu en ce dessein,
Vostre Majesté, SIRE, remarquera (s’il luy plaist) ce traict de fidelité
Espagnole.

Sous Robert II. la Maison d’Anjou fut diuisée en deux branches, celle
de Charles Martel, fils aisné de Charles le Boiteux & Roy d’Hongrie, à
cause de Marie sa femme, fille & heritiere vnique du Roy Estienne, & celle
de Robert, auquel succeda Ieanne yssuë de Charles sans terre, decedé

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en son jeune âgẽ, Ceste Ieanne ayant espousé André, de la maison de
Hongrie, son cousin germain, le fit estrangler pour ne vouloir souffrir ses
adulteres. Louis frere de ce Prince (pour venger sa mort) entra à main armée
dans l’Estat de Ieanne, & la contraignit de s’enfuir en Prouence,
terre de son patrimoine, mais quelque tẽps apres s’estant laissé flechir aux
instantes prieres de Clement V. lors seant en Auignon, il restablit Ieanne
en son Royaume, en consideration dequoy elle donna au Pape le Comté
d’Auignon. Clement estant decedé, Ieanne se declara ennemie d’Vrbain,
l’vn de ses successeurs, & procura que Clement VI. fust esleu en sa
place, dont Vrbain pour se venger, suscita Charles de Duraz, yssu de la
premiere branche d’Anjou, & l’inuestit du Royaume de Naples. Ieanne
voyant le grand appareil qui se dressoit contre elle par mer & par terre, demanda
secours au Roy Iean, & pour l’y obliger plus estroittement, adopta
Louis Duc d’Anjou son fils, & le declara heritier de ses Royaumes. Louis
passe en Italie auec trente mil hommes : mais auant qu’il mist le pied dans
l’Estat de Naples, il apprit que Charles auoit fait prendre Ieanne pour la
punir, souz pretexte du meurtre du Prince André, mais en effet, pour iouïr
plus seurement de ses Estats. Sur la nouuelle de cette Tragedie, Louis s’auance,
& rencontrant Charles à l’entrée du Royaume, luy donne bataille,
où les François estans vaincus, Louis mourut peu de iours apres de playes
qu’il auoit receuës au combat, laissant vn fils nommé Louis II. qui se rendit
maistre de Naples, & en fut chassé peu apres. Bonisace IX. Pape Schismatique,
couronna Ladislas fils de Charles, pendant que Clement, seant
en Auignon, recogneu de la posterité pour Pape legitime, inuestit Louis
II. lequel repassa en Italie, vainquit Ladislas, mais pour n’auoir pour suiuy
chaudement la victoire, il donna loisir à son ennemy de reparer ses forces,
& retenir les villes en son obeïssance : ce qui rendit le voyage de Louis
inutile, & le contraignit de s’en retourner en France.

 

Ladislas mourant sans enfans, Ieanne sa sœur occupa le Royaume, &
pour se mettre à couuert contre les efforts des François, & les censures du
Pape Martin qui l’auoit interdite, & couronné Louis III. Duc d’Anjou,
adopta Alphonse d’Arragon, sur la recherche qu’il en fit, encores qu’il fust
Cousin germain de Louis, & qu’il luy eust iuré de ne le trauerser en la conqueste
de Naples. Ceste Princesse entree en defiance contre Alphonse,
(comme de faict il se vouloit emparer de l’Estat, & la releguer en vn Cloistre)
elle jetta les yeux sur Louis, le fit sou heritier, & luy mort adopta derechef
René son frere, & peu apres ceste adoption deceda, laissant sa
succession à disputer entre René & Alphonse, qui demeura le plus fort,
ayant surpris René dans Naples par vn canal. Ainsi se voyant en pleine

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[1 lettre ill.]ouïssance, & sans enfans legitimes, il fit legitimer par le Pape Nicolas,
vn sien Bastard nommé Ferdinand, qui luy succeda, du consentement de
Pie II. ennemy des François, comme il paroist par les reproches qu’il fait
par ses lettres au Roy Louys XI. à cause du refus qu’il faisoit de supprimer
la Pragmatique Sanction. A Ferdinand succeda son fils Alphonse, qui
ne regna qu’vn an : Car voyant desia bransler les armes Françoises pour la
conqueste de Naples, il resigna ses Estats à Ferdinand son fils, pour les
mettre à couuert de cet eschec souz la fortune de ce ieune Prince. Ce fut
lors que Charles VIII. fondé sur la cession faite à Louis XI. son pere, par
René & Charles d’Anjou, entreprit ce fameux voyage de Naples, auquel
en moins de six mois il despoüilla Ferdinand, gaigna ceste memorable
iournee de Fornouë, & se fit voye par le fer, malgré les forces de toute l’Italie,
pour retourner en France : Où si tost qu’il eut mis le pied, le desordre,
& la dissolution s’estant glissee parmy les garnisons Françoises ; Ferdinand
qui n’espioit que l’occasion de restablir ses affaires, se jetta dans le
païs, assisté de ses partisans, & nous osta l’honneur & le fruict de ceste belle
conqueste, sur laquelle Charles bastissoit desia le dessein de la ruine des
Othomans. Ce grand Roy touché du regret de ceste perte, fit de grands
apprests pour repasser en Italie : Mais la mort le prit en ce dessein, n’ayant
presque atteint l’âge de vingt-sept ans : Bien qu’il eust égalé en ceste seule
entreprise la gloire des conquestes d’Alexandre. Louis XII. son successeur,
traitta pour le recouurement de ce Royaume auec Ferdinand Roy
d’Arragon, qui auoit aussi ses pretentions sur cet Estat, à telle condition,
que la guerre se feroit à communs fraiz, & les conquestes se partageroient
esgalement. De faict, l’entreprise ayant reüssi heureusement : Et Federic
oncle de Ferdinand, qui prenoit qualité de Roy de Naples, à cause
de son nepueu, estant pris & amené en France, où il eut toute sa vie entretien
honorable ; Louis & Ferdinand d’Arragon partagerent le Royaume,
comme il estoit conuenu. Quelque temps apres, les Espagnols dresserent
vne querelle apostee aux François, qui ne se défioient de ceste trahison : &
les ayans surpris auant qu’ils peussent mettre leurs forces en campagne,
leur osterent la pluspart des places, sans que la religion du traitté faict, &
iuré entre les deux Roys, peust empescher leur violence. Ferdinand, pour
authoriser cet acte frauduleux, obtint du Pape Iules II. grand ennemy des
François, l’inuestiture de ce Royaume. Louis resolu de tirer raison de
cet affront, & ayant fait de grandes leuees, Ferdinand pour destourner
l’orage qui deuoit fondre sur sa teste, rechercha Germanie de Foix, niepce
du Roy, & accorda qu’arriuant son decez sans hoirs de ce mariage, elle
succederoit à la Couronne de Naples, & apres elle, celuy qui seroit Roy

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de France. C’este conuention ratifiee par Ferdinand à l’entreueue qui se
fit à Sauonne entre les deux Roys, fut mise au neant par le traitté de
Noyon, que François premier passa auec les Espagnols, par lequel ils s’obligerent
de payer pour le Royaume de Naples trente mil ducats par an,
& restituer à Henry d’Albret le Royaume de Nauarre, mais toute tromperie :
Car la Nauarre ne fut point renduë, ny les trente mil ducats payez.
Ce qui obligea le Roy François d’enuoyer au recouure ment de Naples le
sieur de Lautrec, qui d’abord prit la ville de Melphes, & en suitte ayant assiegé
Naples, la contagion se mit en l’armee Françoise, & emporta ce braue
chef, par la perte duquel l’entreprise fut rompuë, & nos pretentions ont
tousiours demeuré sans effect, iusques à ce que le ressentiment de tant de
pertes allumant d’vne iuste fureur vostre courage, SIRE, porte vos armes
victorieuses dans les campagnes de Sicile & de Naples, pour sacrifier
les testes de vos ennemis aux Manes de tant de braues guerriers qui ont
sacrifié leurs vies pour adiouster ceste belle perle à vostre Couronne.

 

Il se voit par ce recit, qu’il ne s’agist point icy d’vn droict imaginaire,
ou d’vne pretention fondee sur le droict des armes, mais sur les
plus iustes regles de la Iustice mesmes : Car qui doute que les Papes,
comme souuerains des Royaumes de Sicile & de Naples (ainsi que
les Espagnols le recognoissent en leur payant le cens annuel) n’ayent peû
iustement interdire Federic & ses successeurs, pour les rebellions par luy
commises, & inuestir Charles d’Anjou à l’exclusion de Mainfroy & de
Conradin ? Et quand ils ne l’auroient peu faire legitimement, quel droict
y pouuoit pretendre Pierre d’Arragon, pour auoir espousé la fille d’vn Bastard
non legitime : & consequemment incapable de succeder à la Couronne,
veu que pour ceste raison le Pape Celestin III. refusa l’inuestiture
au Bastard Tancrede ? D’ailleurs, les renonciations faites au profit de
Charles le Boiteux par Iacques & Federic d’Arragon, l’adoption faite
par l’vne & l’autre Royne Ieanne, de Louis premier, second, troisiesme, &
René Ducs d’Anjou : Et du depuis encore l’accord passé entre Louis XII.
& Ferdinand de Castille ; sont-ce pas des tiltres legitimes pour valider nos
pretentions, & renuerser le fondement sur le quel les Espagnols veulent asseoir
leur vsurpation ? Que si on allegue la renonciation faite par le Roy
François au Traitté de Noyon, il faut monstrer premierement les acquits
des trente mil ducats qui se deuoient payer par chaque annee, depuis l’an
mil cinq cens seize, sans lesquels vostre Majesté peut rentrer pleinement
en ses droicts, puis que ceste pretenduë renonciation n’a esté que conditionnee.
Et d’autant que les Espagnols produisent pour piece fondamentale
le Traitté de Cambray conclud en l’an cinq cens vingt-neuf, entre

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l’Empereur & le Roy François, par lequel il renonça aux droicts du Royaume
de Naples, Duché de Milan, & Souueraineté de Flandres : Ie dis
que telle renonciation ne pouuoit preiudicier au Roy François, ny à ses
successeurs, d’autant que le Royaume de Naples, & le Duche de Milan
appartenoient à Messieurs ses enfans, comme heritiers de la Royne Claude
leur mere, fille du Roy Louis XII. de l’estoc de laquelle sont procedez
les droicts de ceste Couronne en Italie.

 

Du Duché de Milan.

L’Estat de Lombardie, auiourd’huy l’vn des principaux estançons de
la grãdeur d’Espagne, fut gouuerné par Lieutenans des Empereurs
qui estoiẽt de la Maison des Visconti, depuis l’an 1286. iusques au tẽps de
Iean Galeas, en faueur duquel l’Empereur Vencelas l’erigea en Duché,
souz la Souueraineté de l’Empire. Ce Duc laissa deux fils, Iean & Philippes,
auec vne fille nõmee Valentine, que Louis Duc d’Orleãs, fils du Roy
Charles V. espousa, ayãt apporté pour dot le païs d’Ast. Iean & Philippes
estans morts sans enfans legitimes, leur succession regardoit les enfans de
Valentine ; d’autant que par le contract de mariage de Louis & Valentine,
il estoit stipulé que la ligne masculine de Galeas defaillant, le Duché
de Milan seroit acquis à Valentine, ou à ses hoirs : mais François Sforce
qui auoit espousé Blanche, fille naturelle de Philippes, s’empara du Duché
pendant que la France estoit trauaillee par les armes Angloises, & les
diuisiõs des maisons d’Orleans & de Bourgongne. Louis XII. auparauant
Duc d’Orleans, estant paruenu à la Couronne, banda tous ses Esprits au
recouurement de ce beau Duché, patrimoine de son ayeule : ce qui luy
succeda heureusement, ayant pris Milan, & surpris Ludouic Sforce, en
s’enfuyant, qui du depuis mourut en France. Par ceste prise Louis s’estant
rendu maistre de tout le Milanois, il en demanda l’inuestiture à l’Empereur
Maximilian, & l’obtint, moyennant cent mil escus pour le droict de
relief, & neantmoins ce Prince, de mauuaise foy, s’efforca de l’oster au
successeur de Louis, comme nous toucherons cy apres.

Apres la bataille de Rauenne, où mourut ce valeureux Prince Gaston
de Foix, nepueu du Roy Louis : les François se voyans despourueuz de
Chef, & pressez de tous costez par les Suisses, Espagnols, Venitiens, &
autres nations que le Pape Iules auoit suscitees contr’eux, furent contraints
d’abandonner tout le Milanois, fors les chasteaux de Bresse & de
Milan, dans lesquels ils laisserent garnison. Louis pour recouurer ceste perte,
traitta auec les Roys d’Arragon & d’Angleterre, & ayant fait de grands

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apprests, mourut, & laissa François Comte d’Angoulesme, heritier de sa
Couronne, & de ses desseins. Ce ieune Roy prit qualité de Duc de Milan,
comme hereditaire à la maison d’Orleans, dont il estoit issu, & ayant passé
les Monts auec vne puissante armée, dessit les Suisses, que le Cardinal
de Sion, ennemy iuré de cet Estat, auoit distraits de nostre party, & en suitte
prit Milan, & contraignit Maximilian S force de renoncer à ses droicts,
à la charge de luy donner en France entretien de Prince : ce qui fut pleinement
executé. François son frere se retira vers l’Empereur Maximilian,
& luy fit tant de promesses, qu’il prit les armes en sa faueur, encore
qu’il eust inuesty Louis XII. & receu cent mil escus, comme nous auons
dit. Ainsi l’armée Imperiale vint assieger Milan, où commandoit pour le
Roy Charles de Bourbon, Connestable de France : mais la braue resistance
que les François firent durant ce siege, & la prudence de leur Chef à
descouurir les trahisons qui se brassoient au dedans, fit retirer l’Empereur
auec grande perte de son armee & de sa reputation, pour auoir entrepris
cette guerre contre sa foy, & contre le deuoir mutuel, auquel le Seigneur
souuerain est obligé enuers son vassal lige.

 

L’empereur Maximilian estant mort, Charles d’Autriche, son successeur,
réueilla cette vieille querelle, souz couleur de restablir François
Sforce, iniustement spolié mais en effect, pour se faire voye par la conqueste
de ce bel Estat à la conqueste de toute l’Italie. Ce fut lors que Charles
de Bourbon, pour quelques legers mescontentemens qu’il auoit receus de
François Premier, se retira vers l’Empereur, lequel pour l’obliger plus
estroittement, & le rendre irreconciliable auec son Prince, luy donna la
charge de son armee qui marchoit au siege de Milan. Le sieur de Lautrec,
qui y commandoit pour le Roy, ayant rencontré les ennemis à la Bicoque,
perdit la bataille, & en suitte, toutes les places qu’il tenoit au Milanois,
quelque effort que peust faire l’Admiral Bonniuet, enuoyé par le Roy, sur
ses intelligences qu’il auoit encore dans Milan. Ce qui obligea François
Premier à faire vn second voyage en Italie, où les François esclairez des
yeux de leur Prince, se porterent si courageusement, qu’à la veuë de l’armée
Imperiale, conduite par le Duc de Bourbon, & le Marquis de Pesquaire,
ils entrerent victorieux dans Milan ; & de là allerent assieger Pauie,
ville forte d’assiette, & lors munie de toutes choses necessaires pour la
guerre. Durant ce siege, le Roy fit vne faute notable, qui causa la ruine de
ses affaires : car il enuoye au Royaume de Naples le Duc d’Albanie, auec
quatre mil lances, & six mil hommes de pied. Ce qui affoiblit tellement
son armee, que comme il vouloit retrancher toutes commoditez aux assiegez,
& empescher l’entree d’vn notable secours que le Duc de Bourbon

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leur enuoyoit ; Les Espagnols voyant sa foiblesse, liurerent bataille, où son
cheual estãt terracé, il fut pris, & son armee taillee en pieces. Pour sortir de
prison, il quitta par le traitté de Madrid le Duché de Milan, auec le Royaume
de Naples, la souueraineté de Flandres, & la Bourgongne : Mais
cette renonciation ne pouuoit preiudicier à ses successeurs, pour les raisons
qui seront representees cy-apres.

 

Or quoy que ce grand Prince eust receu vn si rude eschec, il vouloit neantmoins
tenter encor vn coup la fortune. Le pretexte estoit, la deliurance
du Pape que l’armee Imperiale tenoit assiegé dans Rome. Il enuoye
doncques en Italie le sieur de Lautrec, qui pour tous exploits print Pauie
& Alexandrie : Mais l’Empereur les ayant reprises aussi tost, le Comte de
Sainct Paul les prit, & saccagea l’an suiuant : & comme il se retiroit en desordre,
l’armee Espagnole conduitte par Authoine de Leue, le surprit, &
mit en route.

Ainsi les affaires du Roy estans fort descousuës en Italie, l’Empereur
donna Chrestienne, sa niepce, fille du Roy de Dannemarc, auec le Duché
de Milan à François S force, lequel estant mort sans enfans, le Roy en demanda
l’inuestiture à l’Empereur, qui la luy refusa : Ce qui le fit resoudre à
la force. Pour l’acheminement de son entreprise, il semond le Duc de Sauoye,
son Oncle, de luy donner passage par ses terres : Et pour le refus qu’il
en fit, il entra en main armee en Piedmont, emporta de viue force les
meilleures places, & contraignit le Duc de s’enfuir, & mandier le secours
de l’Empereur, qui ne peust venir à temps pour garantir son partisan de
cet orage.

Le Roy, apres la conqueste du Piedmont, fit quelque progrez au Milanois :
Mais son entreueuë auec le Pape & l’Empereur moyenna vne suspension
d’armes pour dix ans : pendant lesquels, l’Empereur prenant occasion
de passer par la France, pour aller chastier la rebellion des Gamtois,
promit au Roy de luy faire raison du Duché de Milan. Et toutefois ayant
mis ordre aux affaires des païs Bas, il ne tint plus conte de sa promesse.
Au contraire, comme il se vit pressé par le Roy, dit que son Frere & son
Conseil n’estoient d’aduis qu’il quittast vne piece si importante pour la
conseruation des autres Prouinces qu’il tenoit en Italie : Que toutesfois
pour donner contentement au Roy, de son auctorité Imperiale, il erigeroit
la Flandre en Royaume, & la donneroit auec sa fille à Charles, Duc d’Orleans :
Mais le temps fit cognoistre que son intention n’estoit autre que
de repaistre le Roy de paroles. Exemple signalé, outre mil autres qui se tirent
de l’Histoire, que les Espagnols ne desmordent iamais, quelque iuste
sujet qui les y oblige, si ce n’est par la force.

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Ce sont les moyens, SIRE, par lesquels la Maison d’Austriche a rauy
si iniustement à vos predecesseurs ce beau Duché de Milan, qui vaut vn
grand Royaume, & qui est auiourd’huy l’vne des principales colomnes de
la Monarchie Espagnole. Par trois fois la France a tenu ces beaux Estats
d’Italie, Naples & Milan, & par trois fois la mauuaise fortune, ou plustost
nostre imprudence & nos desreglemens nous en ont chassez.

Vn grand Politique de nostre temps l’a touché grauement en ce peu
de mots, Que les Armées Françoises ont plusieurs fois forcé les portes pour
entrer dans Naples & dans Milan, & n’ont pas attendu qu’on les forçast
pour en sortir. Les Espagnols n’y ont fait qu’vn voyage, mais ils y sont
encores.

Il est vray que les Partisans d’Espagne colorent leur Vsurpation de
quelques raisons, ausquelles il est aise de respondre. La premiere est, La
renonciation faite aux Estats de Naples & Milan par le Roy François. La
seconde est, Le Testament de Philippes, Duc de Milan : par lequel il institua
son heritier Alphonse d’Arragon. La troisiesme est, Que la clause
portee par le mariage de Louis, Duc d’Orleans, & de Valentine, est nulle,
pour n’auoir esté authorisee par l’Empereur, seigneur souuerain de Milan.
Pour la premiere obiection, il y sera satisfait pleinement au Traitté
du Comté de Flandres. Pour la seconde, Suppose que la clause dudit mariage
aye lieu, comme elle doit ; Philippes, au preiudice d’icelle, ne pouuoit,
mourant sans hoirs legitime, frustrer les enfans de Valentine de la
succession, ny la donner à Alphonse d’Arragon. Or quoy que ceste clause
n’ait esté validee du consentement de l’Empereur, lors que le contract fut
passé ; neantmoins attendu que l’Empire, estoit lors vacant, & que les Papes,
pendant la vacance, pretendent auoir l’administration de l’Empire,
il suffisoit que le Pape ratifiast ceste clause. Et d’ailleurs, nous auons remarqué
cy deuant que l’Empereur Maximilian inuestit Louis XII. moyennant
cent mil escus pour le droict de relief : ce qui doit fermer la bouche
aux raisons Espagnoles.

De la Flandre.

LE Comté de Flandre, souz lequel est compris l’Artois, saisoit partie
de l’ancien Royaume de Lorraine, & escheut à Charles le Chauue,
par partage fait auec Louis de Germanie son frere. Ce fut luy qui l’erigea
en Comté, & en inuestit Godefroy, surnommé Bras de fer, pour le
dot de sa fille Iudith, au lieu qu’auparauant ce pays estoit gouuerné par
Lieutenans, appellez grands Forestiers, du nom de Forest, qui [illisible]

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langage François signifie Eaux & Bois, dont ce pays estoit remply. Depuis
le regne de Charles le Chauue, vos predecesseurs ont ioüy plus de
sept cens ans durant de la Souueraineté de Flandre. Et lors que les Comtes
ou leurs subiects (peuple naturellement mutin & factieux) se sont voulu
emanciper & soustraire de l’obeïssance qu’ils leur deuoient, ils n’ont espargné
les forces que Dieu leur auoit mises en main pour les chastier, &
ranger à la raison, dont il n’y a que trop d’exemples. Le Comte Ferdinand
pour les rebellions commises contre Philippes Auguste, fut despoüillé de
ses Estats, apres ceste memorable iournee de Bouines, où l’Empereur Othon,
& Iean Roy d’Angleterre, partisans de Ferdinand, surent deffaits,
Guy ayant fiancé Philippes sa fille à Edouard le ieune, fils du Roy d’Angleterre,
le Roy Philippes le Bel, pour l’interest qu’il auoit que les filles
de ses vassaux ne fussent donnees aux ennemis de la Couronne, retint ceste
Princesse pour la marier à sa bien-seance. Le pere s’estant plaint à
l’Empereur Rodolphe, & au Roy d’Angleterre, ils se mirent en campagne
auec de grandes forces : contre lesquelles le Roy ayant assemblé celles
de son Royaume, & de ses alliez, le combat se donna à Furnes, où les
François demeurerent victorieux : Et le Roy, par l’aduis des Pairs, confisqua
le Comté de Flandre. Pour mettre cet Arrest à execution, Philippes
employa Charles, Comte de Valois, à l’arriuee duquel le pays s’estant
sousmis au Roy, Guy & ses enfans furent pris, & amenez en France : mais
apres quelque temps de prison le Roy leur pardonna, & les remit en leurs
biens.

 

Louis dernier, de l’estoc des anciens Comtes de Flandres, estant decedé
sans autres heritiers qu’vne seule fille ; Philippes de Valois, & Iean
son fils mespriserent ceste occasion de reünir vn si beau pays à la Couronne :
car au lieu de donner ceste riche heritiere à Charles leur fils, qui fut
Roy du depuis, ils luy donnerent en mariage Ieanne de Bourbon, preferee
à Marguerite de Flandres, pour son excellente beauté. Ceste preference
cousta cher à la France : car Philippes dernier, fils du Roy Iean (auquel
il laissa par testament le Duché de Bourgongne en appannage) ayant
espousé Marguerite, leurs successeurs s’esleuerent contre nos Roys, & se
rendirent si puissans, qu’ayans attiré les Anglois en France, & nourry les
horribles troubles qui la trauaillerent souz les regnes de Charles VI. &
VII. il n’y eust autre moyen de denicher les Anglois, & remedier aux ruines
de l’Estat, que de faire paix auec les Bourguignons. Et c’est pourquoy
Louis XI. disoit, qu’à tort la posterité auoit donné le surnom de Sage
à Charles V. son bisayeul, pour auoir commis vne si lourde faute, que
de donner l’heritiere de tant de pays à son frere, qui estoit desia partagé

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trop aduantageusement : mais il fit la mesme faute aprés la mort de Charles
dernier, Duc de Bourgongne, en laissant tomber les pays Bas en la Maison
d’Autriche, par le mariage de Marie, fille vnique de Charles, & de
l’Archiduc Maximilian : ce qu’il pouuoit empescher, en la donnant à son
fils, ou à quelque Prince de sa Maison, de l’affection duquel il eust peu
s’asseurer, & qui eust eu moins de puissance que Maximilian. A quoy il deuoit
pouruoir sur toutes choses, veu qu’il auoit assez esprouué par le passé
le danger qu’il y a d’auoir des vassaux si puissans.

 

Le Comté de Flandre estant ainsi escheu aux Archiducs d’Autriche,
ils en firent hommage aux deuanciers de vostre Majesté, iusques à ce que
le Roy François ayant esté pris à la Iournee de Pauie, fut contraint de
passer le Traitté de Madril, & quitter la Souueraineté des pays Bas pour sa
deliurance : ce qu’il accorda derechef par le Traitté de Cambray, pour la
deliurance de Messieurs ses enfans. Et c’est le seul fondement dont les Espagnols
se seruent pour asseoir leurs pretentions. Mais outre ce que nul
n’est obligé à l’accomplissement d’vne promesse faite par force ou par
crainte, chacun sçait que c’est vne des Loix fondamentales de cet Estat,
ou plustost l’vn des piuots sur lequel il est affermy, que le Domaine de la
Couronne est inalienable, & que nos Roys, quoy qu’absolument puissans,
n’en sçauroient disposer au preiudice de ceste Loy. Moyen tres-vtile pour
conseruer sa grandeur, puis qu’il a tousiours empesche la dissipation de ceste
Monarchie. Et c’est ce que les Estats de France assemblez aprés le retour
du Roy François, luy remonstrerent en presence de Charles de Lanoy,
Vice-Roy de Naples, enuoyé par l’Empereur Charles le Quint pour
l’execution du Traitté de Madrid : Sçauoir, Qu’ils ne pouuoient consentir
à ce Traitté, principalement en ce qui touchoit l’alienation du Domaine de
la Courone, dont sa Majesté n’auoit que la direction & l’vsufruict. Certes,
puis que ceste Loy est nee auec la Monarchie Françoise, & que nos Roys
s’obligent si solemnellement à leur sacre à l’entretien & conseruation d’icelle,
ils n’y peuuent legitimement contreuenir. Et pour monstrer que
ceste practique n’est pas nouuelle, aprés que le Roy Iean, pour se liberer
de prison, eut renoncé à la Souueraineté de Guyenne, le Prince de Galles
voulant leuer sur les Gascons vn certain impost extraordinaire, ils le
prierent de les en descharger. Mais voyant qu’il les y vouloit contraindre,
ils luy declarerent qu’ils auoient ressort en la Chambre du Roy de France,
(ce sont les propres termes de Froissard) & qu’il n’estoit mie en l’ordonnance
ny puissance d’iceluy Roy, n’oncques ne fut, qu’il les peust acquitter
du ressort, sans le consentement des Prelats, des Barons, des Citez, & bonnes
Villes de Gascongne, qui ne l’eussent iamais souffert, ny ne le souffriroient, si

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à faire estoit. Voila comme on s’est tousiours pourueu contre les alienations
du Domaine de la Couronne. C’est pourquoy sur l’aduis des plus
fameux Theologiens & Iurisconsultes de l’Europe, Que veu la Loy fondamentale
de ce Royaume, & l’opposition des Estats, telle renonciation portée
par les Traittez de Madrid & de Cambray ne portoit aucune obligation,
& que Charles d’Autriche demeuroit tousiours obligé aux deuoirs
de vasselage & fidelité enuers ceste Couronne. François I. seant en son lict
de Iustice, assisté des Roys d’Escosse & de Nauarre, des Princes du Sang,
Pairs & principaux Officiers de la Couronne, decreta adiournement personnel
contre Charles d’Austriche, pour respondre sur le crime de felonnie
par luy commis contre le Roy son souuerain seigneur : & pour reparation
d’iceluy, voir confisquer & reünir au Domaine de la Couronne les
Comtez de Flande, Artois, Charolois, & autres Terres d’icelles mouuantes,
dont il se trouueroit possesseur. Cet Arrest celebre fut rendu l’an
1536. & signifié és Frontieres des pays Bas, selon les formes anciennes.
Nous laisserons ce differend pour expedier celuy du Comté de Roussillon.

 

Du Comté de Roussilion.

CE pays fut erigé en Comté par l’Empereur Charlemagne, lors qu’il
donna à Louis son fils le Royaume d’Aquitaine. Sur le declin de la
race des Carliens les Ducs & Comtes qui n’estoient auparauant que Gouuerneurs,
s’estans rendus hereditaires, les Comtes de ce pays s’allierent
par succession de temps auec la Maison d’Arragon : & par ceste alliance
ce Comté fut vny à la Couronne d’Arragon, souz laquelle il demeura, iusques
à ce qu’il fut engagé au Roy Louis XI. pour la somme de trois cens
mil escus : Mais la pluspart des places ayant refusé leurs portes aux François,
le Roy les rangea à raison, & les contraignit à receuoir de grosses
Garnisons. Apres la mort de Louis, Ferdinand d’Arragon bien informé
de la trop grande facilité de Charles VIII. lors encore ieune, enuoya en
France vn Cordelier Espagnol, nommé Iean de Mauleon, pour moyenner
la restitution de ce Comté. Ce Religieux ayant corrompu par argent
Oliuier Maillard, Confesseur du Roy, obtint non seulement ce qu’il desiroit,
mais aussi il fit en sorte que Charles quitta les trois cens mil escus,
pour lesquels ce pays estoit engagé, à condition que Ferdinand ne l’empescheroit
point en la conqueste du Royaume de Naples. Ce que Ferdinand
confirma du depuis, & le promit auec de grands sermens, ainsi que
recite Philippes de Commines. Neantmoins il se ligua auec le Pape, &
les Potentats d’Italie, & les assista d’hommes & d’argent pour trauerser

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Charles, qui se repentit puis apres (mais trop tard) de s’estre si inconsiderement
dessaisi d’vne piece de telle importance.

 

Telles liberalitez ont autres fois appauury la France, tesmoin la remise
que fit le Roy S. Louis, contre l’aduis de son Conseil, au Roy Henry
d’Angleterre, des Prouinces de Quercy, Limosin, Perigord, & autres du
Duché de Guyenne, confisquez sur Iean sans Terre, pere de Henry, pour
le crime de felonnie par luy commis : Et ce pour viure en paix (disoit ce
bon Prince) auec son cousin germain. Philippes le Bel fit la mesme faute,
quand il restitua au Roy Edouard I. toutes les places qu’il auoit conquises
en Guyenne, en vertu de l’Arrest rendu contre luy pour pareil crime :
& cependant les successeurs de S. Louis & de Philippes ne furent pas si
fauorablement traittez par ceux d’Edouard, pour exemple aux Princes
souuerains de ne rien quitter de leurs interests qu’auec grande cognoissance
de cause. Pour retourner au Comté de Roussillon, les Roys Louis
XII. & François I. firent tous leurs efforts de le recouurer. L’Armee que
Louis y enuoya assiegea Saulses, & celle de François Perpignan : mais
les Espagnols qui mettent tousiours bon ordre à leurs affaires, y enuoyerent
du secours si à propos qu’il falut trousser bagage sans rien faire.

Adioustons pour dernier traict à ce Tableau des Vsurpations Espagnoles
l’iniuste despoüille du Royaume de Nauarre, patrimoine de Ieanne
d’Albret, illustre ayeule de vostre Majesté.

Du Royaume de Nauarre.

L’Histoire nous apprend que Charles III. Roy de Nauarre, eut vne
fille vnique nommee Blanche, qui espousa Iean, Roy d’Arragon, &
en eut vn fils nommé Charles, qui fut empoisonné par Ieanne de Castille
sa marastre, & deux filles, à sçauoir Blanche & Leonor. Blanche espousa
Henry IIII. Roy de Castille : & estant morte sans enfans, Leonor sa sœur
luy succeda, & apporta en la Maison de Foix la Couronne de Nauarre,
par le mariage d’elle & de Gaston, duquel elle eut Gaston II. & celuy-cy
eut Phœbus, qui mourut sans enfans, & Catherine, qui espousa Iean
d’Albret. De ce mariage nasquit Henry d’Albret, pere de Ieanne d’Albret.
C’est ceste Catherine, sur laquelle Ferdinand, fils de Iean d’Arragon,
occupa le Royaume de Nauarre, bien qu’elle fust sa niepce.

Antoine de Nebrisse, Historiographe & domestique de Ferdinand, recognoist
qu’Isabel sa femme, n’auoit dessein qui la touchast si viuement
que de ioindre la Couronne de Nauarre à celle d’Espagne, disant que
c’estoit vn membre separé du corps, auquel il deuoit estre reüny. Ferdinand

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poussé de la mesme ambition, rechercha tout moyen d’engloutir cet
Estat. Pour y paruenir, il s’aduisa de rompre l’alliance qu’il auoit contractee
auec Louis XII. voulant faire esclore d’vn seul coup deux grands desseins :
l’vn regardoit le Royaume de Naples, & l’autre celuy de Nauarre.
De faict, ayant enleué Naples aux François, comme nous auons deduit,
il se ligue auec le Pape Iules, le pousse à excommunier le Roy Louis, &
tous ses alliez & partisans, notamment Iean d’Albret, duquel il donne le
Royaume en proye au premier occupant. (Nouuelle practique d’oster les
Royaumes qui dependent de la seule disposition de Dieu.) Ferdinand ne
demandoit autre chose, mais il faloit trouuer vn meilleur sujet, pour empieter
auec quelque couleur de raison le bien de sa niepce. A ceste fin il
solicite le Roy d’Angleterre d’attaquer la France par la Guyenne ; luy
promet de l’assister auec vne puissante Armee ; fait courir par tout le bruit
de ce dessein : & pour le faire croire leue quelques troupes, auec lesquelles
il fait mine de se vouloir ruer sur la Guyenne, mais ce n’estoit pas là la
proye qu’il cherchoit : Car ayant demandé passage à Iean d’Albret son
nepueu, (dont il s’excusa, sur ce qu’il estoit vassal de ceste Couronne) il
ietta son Armee dans la Nauarre, souz la conduite du Duc d’Albe, se saisit
de Pampelonne, & des meilleures places, auant que Iean d’Albret
peust leuer des forces suffisantes pour luy resister. Voila, SIRE, l’Histoire
de ceste inique vsurpation. Voyons quels deuoirs fit Iean d’Albret pour
en tirer la raison.

 

Le Roy Louis, au premier bruit de ceste disgrace, enuoya en diligence
François, Duc d’Angoulesme, pour y mettre ordre. Ce ieune Prince
ayant rencontré en Bearn Iean d’Albret, luy conseilla d’assaillir promptement
Pampelonne, auant que le Duc d’Albe s’y fortifiast : Mais il tira tellement
les affaires en longueur, que tous les efforts qu’il fit du depuis demeurerent
inutils. Louis rebuté par vn si mauuais commencement, &
d’ailleurs poussé d’vn extreme desir de recouurer le Duché de Milan, fit
paix auec Ferdinand, à fin qu’il ne trauersast point son entreprise, & laissa
par ce moyen Iean d’Albret & son Estat en proye aux Espagnols. Quelque
temps apres, Louis estant mort, Philippes, Roy de Castille, passa le
Traitté de Noyon auec François I. & promit de rendre dans six mois le
Royaume de Nauarre : Mais ny Philippes, ny Charles son fils ne firent
conte d’executer ceste promesse. Ce qui contraignit François I. d’enuoyer
en faueur de Henry d’Albret son beau-frere des forces au Nauarrois,
souz la conduite d’André de Foix, seigneur d’Asparrault, qui força
d’abord Pampelonne, & quelques autres places d’importance. Neantmoins
son imprudence luy ayant fait hazarder vne bataille, il perdit en

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vne heure toutes ses conquestes, & demeura prisonnier. Le Roy outré de
cet affront, y renuoya l’Admiral Bonniuet, qui prit Fontarabie, sans faire
autre exploict. Charles le Quint, à son retour d’Allemagne, assiegea ceste
place, & la prit, par la lascheté du Gouuerneur nommé Franger, qui
en fut disgracie, & declaré roturier.

 

Reste à examiner les raisons sur lesquelles les Espagnols fondent leur
iniuste possession. Leurs Historiens en touchent deux principales. L’vne
est, l’excommunication de Iean d’Albret, & le pouuoir donné par le Pape
Iules d’enuahir son Estat. L’autre est, le refus qu’il fit aux troupes Espagnoles
de leur donner passage par ses terres.

Pour la premiere raison, Ie dis que l’excommunication du Pape Iules
est vn pretexte, duquel les Espagnols se seruent contre leur conscience,
n’ignorans pas que la puissance Ecclesiastique ne s’estend pas iusques là
que de pouuoir deposer les Roys, qui ne releuent que de Dieu. Que s’il arriuoit
quelque differend entre le S. Siege & les Roys d’Espagne, qui portast
les Papes à les excommunier, & mettre leur Estat en interdit, ils se
garderoient bien d’ouurir leurs portes à ceux qui les voudroient enuahir auec
ce tiltre. C’est pourquoy l’interdit du Pape Iules, & tout ce qui s’en est
ensuiuy, n’a aucun fondement en raison, suiuant mesme la determination
du Concile de l’Eglise Gallicane, que le Roy Louis fit assembler à ceste
fin : & les oppositions qu’on a fait de tout temps aux Papes, quand ils ont
voulu desployer le glaiue spirituel à la ruine des Estats & Principautez.

Pour la seconde raison, Ie dis que Iean d’Albret, comme vassal de ceste
Couronne, n’estoit pas seulement obligé de fermer la porte à ses ennemis,
mais aussi de les repousser par la force. Et d’ailleurs, si les Princes sont
tenus de fauoriser les iustes querelles, & se roidir contre la violence des oppresseurs ;
Qui est-ce qui blasmera Iean d’Albret de s’estre opposé aux efforts
d’vn Prince qui auoit tant de fois abusé de la foy publique, & frustré
doleusement nos Roys de leurs droicts. C’est pourquoy tant plus les Espagnols
alleguent de raisons pour fortifier ceste cause, plus ils en descouurent
l’iniustice : & quelque couleur qu’ils luy donnent, ils ne sçauroient
effacer les marques d’ambition & de conuoitise qui paroissent sur le front
d’vne entreprise si inique.

Voila, SIRE, en peu de lignes l’Histoire des Vsurpations de la Maison
d’Austriche, auec lesquelles elle s’est acquis vn pouuoir si redoutable,
que si vostre pere, ce grand Monarque, n’eust paru au plus fort de nos ciuiles
bourasques, comme vn feu sacré, durant la tempeste, toute l’Europe
ne seroit plus qu’vne grande Monarchie, que la Couronne d’Espagne
couuriroit de son ombre.

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Considerez, SIRE, s’il vous plaist, quel progrez ont fait les Espagnols
sur vos alliez, pendant vostre bas aage, qu’ils deuoient respecter.
Y a-il Prince en Allemagne qui ne gemisse souz leur oppression ? Y a-il
aucune Prouince où ils n’ayent empieté quelque place d’importance ?
N’ont-ils pas occupé en cinq ou six ans les Duchez de Berg & de Iulliers,
le Comté de la Marc, la pluspart du Duché de Cleues, du Landgrauiat
de Hessen, des Ligues Grises, le haut & bas Palatinat, auec la Valteline,
le sujet des Armes qui brillent par toute l’Europe ? A quoy tendent tant
d’intelligences, de menees, de practiques, d’Armees en campagne, de
Sieges de Villes, sinon pour aduancer pied à pied le dessein qu’ils ont
conceu de si longue main d’engloutir vostre Couronne ? Mais si le Ciel
donne longuement à nos vœux l’heur de vostre regne, nous verrons vn
iour ceste puissance sourcilleuse qui nous menace terrassée à vos pieds, &
la fortune des François, qui sembloit estre enseuelie auec ce braue Guerrier,
esleuee par son fils, l’Image de ses vertus, au plus haut estage de
grandeur & de gloire.

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Baltasard, Christophle [1645], TRAITTÉ DES VSVRPATIONS DES ROYS D’ESPAGNE, SVR LA COVRONNE DE FRANCE, Depuis le Regne de Charles huictiesme. ENSEMBLE VN DISCOVRS SVR LE COMMENCEMENT, progrez, declin, & démembrement de la Monarchie Françoise, droicts, & pretentions des Roys Tres-Chrestiens sur l’Empire. AVGMENTÉ D’VN SOMMAIRE DES DROICTS de ceste Couronne, sur les Comtez de Bourgongne, Cambray, Haynault, de Genes & Luxembourg. ET LES VICTOIRES ET CONQVESTES DES ROYS LOVIS XIII. dit le IVSTE, & de LOVIS XIV. dit DIEV-DONNÉ, sur les Espagnols, & les Austrichiens, en Italie, Alsace, Flandres, Luxembourg, & Comté de Bourgongne, Catalogne & Roussillon. Par C. BALTASARD. , françaisRéférence RIM : Mx. Cote locale : D_1_6.