Anonyme [1649], LETTRE D’VN GENTIL-HOMME DE LA COVR, A vn Seigneur qui est à l’Armée, TOVCHANT L’ATTENTAT COMMIS AVX FILLES DIEV A PARIS, En la personne de Madamoiselle de sainte Croix, & toute la suite des procedures dont on a vsé contre-elle. , françaisRéférence RIM : M0_1868. Cote locale : A_5_13a.
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corde pour la tirer tout d’vn coup au haut de la muraille, mais la tresse
fut plus foible que sa violence : elle ceda à sa cruauté en se détachant de
ces fibres deliés qui luy seruoient de racine, & luy demeurant dans la
main, elle fut encore vne marque sanglante de sa rage & de sa fureur.
Le cruel Autheur de tous ces des-ordres les regardoit auec complaisance ;
& ou il les faisoit luy mesme, ou il approuuoit ce qu’il ne faisoit pas. Se
voyant en fin vaincu par vne Fille, il pensa creuer de depit, & redoublant
sa cruauté auec ses cris, il voulut faire vn dernier effort pour l’enleuer, encore
plus violent que tous les autres. Tandis que d’vn costé il anime ses
gens par la parole, il ayde aux autres par le conseil, & s’efforçant luy mesme
de l’enleuer en haut auec violence, il quitta icy la qualité d’Amant
pour deuenir son Bourreau. Le voyant employé à vn si cruel office, elle
eut trop de temps & assez de presence d’esprit, pour luy dire ; Ah, Barbare,
ne serois-ie point assez malheureuse si tu ne m’affligeois pas toy mesme ! Tu
penses me tenir, sçaches que tu ne m’auras pas. Et disant ces paroles elle le
iette en arriere du haut en bas de la muraille dans la ruë, & tombe elle
mesme de l’autre costé sur la terre, ne sçachant pas à vray dire si elle estoit
viuante ou si elle estoit desia morte. Encore son ennemy la voyant tomber
en tombant luy mesme, enrage de voir sa peine inutile, & toute sa malice
vaine & infructueuse, croyant qu’elle fust morte des coups qu’il luy
auoit donnez, aussi bien que de sa cheute ; Te voila, dit-il, où ie t’ay il y a si
long temps desirée ; si tu n’es point à moy, tu ne seras à personne.

 

Ce pendant la pauure Fille reuenuë a elle mesme, apres vn profond assoupissement
de son esprit, & vne generale interdiction de tous ses sens ; &
voyant que ses ennemis auoient cedé à la multitude du peuple qui se rendoit
secourable en son malheur ; La premiere chose qu’elle fit, fut de leuer
les yeux & les mains au ciel pour le remercier de sa deliurance, puis se souuenant
du vœu qu’elle auoit fait à la Vierge dans l’accez le plus violent de
son mal, elle le renouuella plus fortement en cette rencontre, & s’obligea
par vne espece de serment solemnel & irreuocable d’offrir à ses Autels auec
vn present de cent escus l’hommage de son estre & de sa vie. En effet le
secours de la Vierge luy parut en cette occasion si present & si sensible,
qu’à peine eut-elle formé son vœu, qu’au rapport mesme de l’vn de ses ennemis,
son corps s’appesantit au delà de l’ordinaire, & elle sentit des forces
par dela la santé de son corps, & la generosité de son ame. Et certainement
à iuger de la chose dans sa verité, cette victoire doit estre mise au nombre
de celles de la Vierge, puis que ce fat au iour de sa feste & dans l’enceinte
de sa maison, qu’elle fut remportée.

Encore ses ennemis ne peurent reculer que par de nouueaux crimes : Ils
blesserent deux hommes à coups de fusils en leur retraite, & creurent auoir
beaucoup fait que d’estre eschapez en seureté. En reconnoissance d’vne
faueur si signalée, ces bonnes Religieuses chanterent le matin mesme le
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