Anonyme [1649], LE MIROIR FRANÇOIS REPRESENTANT LA FACE DE CE SIECLE CORROMPV. Où se void si le Courtisan, le Politique, le Partisan, & le Financier, sont necessaires au maintien & conseruation d’vn Estat. , françaisRéférence RIM : M0_2480. Cote locale : C_6_22.
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Et quant à s’insinuer à la bonne grace du Prince, i’ay quelque fois
appris que l’office du Courtisan, c’est de cognoistre la nature du Prince
& ses inclinations. Et en cecy il y a de l’esprit, mais c’est quand on
se rencontre auec des Princes forts reserrez & dissimulez comme vn
Tibere. Or graces à Dieu, la bonne nature du nostre les releue de ceste peine :
Car sa bonne grace departie esgalement à vn chacun, leur
fait perdre ce vice d’enuie, naturel à tous les Courtisans. Il n’est donc
point icy necessaire d’vser de ruse, ains seulement d’vn naturel vrayement
François.

Où trouueray-ie donc l’estuy de ceste riche piece ? Il faut voir si ce sera
auec les femmes, mais ie les entends desia se plaindre de l’inconstance
& de l’indiscretion de ceux-cy. Et si quelque effrontee a monstré à quelqu’vn
bon visage, si elle parle de luy, ie la voy plutost sur le repentir que
sur la loüange.

Mais posé le cas que ce que nous a dit cestui cy soit veritable, ëst-il
possible que l’on puisse nommer iugement vne alienation d’entendement,
& faire l’amour à vne femme de la façon qu’il se fait auiourd’huy,
c’est à dire luy seruir & luy obeir, n’est ce pas oublier son estre & son
authorité ? Miserables effeminez, appellez vous vos inquietudes perpetuelles,
vos souspirs, vos larmes espanduës, vos paroles la sciues, &
tout ce que la ville de Capouẽ auoit de plus voluptueux pour eneruer vn
Annibal, vn bel esprit ? si vous le faisiez auec quelque conduite, encore
me laisseroy ie aller à quelque croyance, mais de la façon que vous y
procedez, ie n’en puis croire autre chose, sinon que c’est vn desbordement
qui vous conduit en vn precipice. De sorte que quelques vns des
vostres ne sont pas seulement assubiettis aux femmes, mais ils seruent de
femmes, & d’vn amour plus masle ils commencent d’aymer virilement.

Que si vous tenez toutes ces choses dignes de loüange ? Dieu me garde
d’auoir part en vostre confrairie : i’ayme mieux le blasme & le mespris
auec les gens de bien.

Il me reste maintenant à parler des termes bien choisis, & de la Poësie,
mais cela est fort peu de cas. Car i’entends ce grand Seneque (que
ie puis nommer l’intelligence humaine des actions humaine) qui me
dit que telle est la vie tel est le langage, & qu’alors qu’vne republique
se desbauche, le langage effeminé descouure la dissolution des grands
& des petits.

Et qu’ainsi ne soit, tout ce qui se bastit auiourd’huy parmy nous,
n’a que la volupté pour but & pour principe. Tant est (direz-vous)
qu’il y a de l’esprit, au contraire i’y en remarque moins. Car tout ce que

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Anonyme [1649], LE MIROIR FRANÇOIS REPRESENTANT LA FACE DE CE SIECLE CORROMPV. Où se void si le Courtisan, le Politique, le Partisan, & le Financier, sont necessaires au maintien & conseruation d’vn Estat. , françaisRéférence RIM : M0_2480. Cote locale : C_6_22.