Fortin, Pierre (sieur de La Hoguette) [1650], CATECHISME ROYAL. , françaisRéférence RIM : M0_653. Cote locale : A_9_2.
Page précédent(e)

Page suivant(e)

-- 35 --

principaux Ministres, vos Secretaires d’Estat, & vos Ambassadeurs qui
vous puissent éclaircir de cette derniere connoissance.

 

L. R. Ce que vous me proposez est impossible. Comme se pourroit-il faire
que ie fusse instruit generalement au deuoir de chaque profession, & chaque
particulier ne l’est pas dans la sienne ?

L. G. Ce que ie vous propose n’est point au dessus de vos forces. Le feu Roy
vôtre Pere en a tres-bien seu la plus grande partie, & si par vne fausse politique
qui a mal reüssi à ceux qui l’ont euë, il n’eust point esté cillé, pendant
sa ieunesse, il eust sceu le tout en perfection. La Morale des Rois a cela de
particulier, Qu’ils ne se peuuent instruire du deuoir d’autruy sans apprendre
le leur. Cette connoissance leur donne vne entrée par tout, & leur découure
d’vne veuë certaine tous les defauts & tous les abus qui se commettent
en chaque profession. Cét aspect qui est direct est plus penetrant qu’vn aspect
de reflexion. L’œil d’autruy ne nous conduit iamais si bien que le nôtre.
En vn mot, SIRE, qui regne autrement, regne en aueugle. Il ne faut point
que la difficulté vous estonne ; les Principes de l’art de Grammaire où vous
allés entrer, sõt plus difficiles que ceux de l’art de regner ; ceux-cy ont en soy
quelques attraits, & s’il plaist à V. M. de se laisser conduire, on peut tenir vn
ordre par lequel l’idée de tant de choses differentes se formera dans son esprit
sans peine & sans confusion. Et c’est de ce premier crepuscule d’Estat que se
doit faire vn beau iour qui remplira de lumiere de vôtre entendement, de
gloire vôtre vie, & de benediction tous vos sujets.

L. R. Dites-moy, ie vous prie, Ne me faut il rien apprendre outre cela ?

L. G. Monsieur vôtre Precepteur qui vous peut enseigner luy seul la plus
grande partie des choses que i’ay dites cy-deuant, vous rendra meilleur
compte que moy de ce que vous me demandez ; Il a esté approché de V. M.
pour cét effect. Ie donneray seulement aduis à V. M. d’appliquer son esprit
aux connoissances solides, & de s’attacher beaucoup plus aux choses qu’aux
paroles. Les belles paroles & les pensées delicates sont productions d’vne
ame gentille à la verité, mais debile & d’vne foible complexion. Elles sont
d’vn si petit vsage dans les affaires, qu’il me semble que les lieux où se debite
cette subtilité pyramidale, sont plustost infirmeries d’esprits doüillets,
qu’assemblées de conuersation. Et quoy que cette façon de vie soit assez innocente
en soy, elle a neantmoins ce defaut de ne contribuer rien du tout au
bien general, auquel chaque particulier doit quelqu’autre chose que de
beaux mots & de belles pensées. Pour attraper vne belle pensée, il faut vne
longue attention, & cette attention decline souuent dans vne réverie. Icy
V. M. me permettra de toucher vn mal où ie crains qu’elle n’ait quelque inclination,
qui est de prendre plaisir de s’entretenir soy méme. Cét entretien
de soy-méme aux ieunes gens est vne absence, ou vn sommeil d’esprit qui fait
si i’ose vser de ce mot, vne parentese dans le cours de leur vie. Les personnes
âgées qui ont appris & veu beaucoup de choses, se peuuent entretenir eux-mémes
auec seureté, & former de la connoissance qu’ils ont du passé, vn raisonnement
interieur pour leur conduitte presente : Mais aux ieunes gens qui
sont sans experience, incapables encore de reflexion, on ne peut pas sans
danger leur permettre cette solitude d’esprit. Et non seulement cette solitude
d’esprit est dangereuse, il y en a encore vne autre qui l’est dauantage, qui
est le commence familier auec les gens de peu. C’est vn desert tout à fait sterile,
ou qui produit de si mauuais fruits que bien souuent vne vertu de valet

Page précédent(e)

Page suivant(e)


Fortin, Pierre (sieur de La Hoguette) [1650], CATECHISME ROYAL. , françaisRéférence RIM : M0_653. Cote locale : A_9_2.