LES DERNIERS
SVPPLIANS
AVX PIEDS
DE LA REYNE.
MADAME,
Nous nous jettons à vos pieds apres tant d’autres qui
s’en sont releuez sans obtenir grace ; mais nous n’esperons
pas d’en faire de mesme : Car ou nous y vaincrons, ou
nous y mourrons. Apres ce triste effort, qu’à peine nous permet encor
nostre foiblesse ; ou releuez-nous, Madame, ou voyez nous y perdre
la vie. La necessité trop dure & trop amere, qui ne nous conduit
pas, mais qui nous traisne en vostre presence, nous oste le pouuoir du
retour, & nous ne l’attendons que de vous.
Pour vous le persuader, Madame, il n’est point besoin d’éloquence,
il ne s’en treuue point au discours des pauures ; mais aussi sans son
aide, la verité de leur mal-heur ce descouure assez. Si vous voulez ouurir
les yeux sur nos personnes, vous verrez assez dans le triste aspic de
nos visages, ce que vous disent nos paroles ; & sans doute vous aurez
pitié de ces funestes obiets.
Nous sçauons toutesfois que c’est beaucoup demander à la maiesté
de ces yeux, qui sont les astres tout puissans de ce Royaume, que de les
prier de s’ouurir sur nous ; estans les Souuerains dont les influences,
bonnes ou mauuaises, font le son des plus superbes noms, les nostres
sont trop peu pour eux. En particulier il est vray, Madame, que pour
vn heur si grand chacun de nous est trop peu de chose ; mais tous ensemble
nous formons le plus grand Corps de l’Estat que vous commandez.
Vous n’en sçauiez peut-estre rien, Madame, Ceux qui ne gouuernent
pas, mais qui vous abusent, vous ont iusques-icy caché ce malheur :
il y a desia long-temps que nous sommes vne grande & pitoyable
Compagnie ; mais nostre nombre chaque iour ce rend infiny. Vostre
cruel Ministre laisse entre vos suiets si peu de difference, que si la
Anonyme [1649],
LES DERNIERS SVPPLIANS AVX PIEDS DE LA REYNE. , français
Référence RIM : M0_1047. Cote locale : C_10_24.