Anonyme [1649], APOLOGIE POVR MONSEIGNEVR LE CARDINAL MAZARIN, TIREE D’VNE CONFERENCE ENTRE SON EMINENCE ET Monsieur ****** homme de probité & excellent Casuiste. Tenuë Sainct Germain en Laye deux iours consecutifs. PREMIERE IOVRNEE. , françaisRéférence RIM : M0_127. Cote locale : C_5_28.
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Le Casuiste. Mais, Monseigneur, vostre Eminence n’a-t’elle iamais consideré,
que Dieu auoit mis entre ses mains tout le bon-heur de l’Europe ?
N’a-t’elle iamais eu horreur de tant de sang respandu, de tant d’Eglises prophanées,
elle qui est vn Prince de l’Eglise ; & d’vne misere vniuerselle, capable
d’attendrir les marbres & les rochers ? Vostre Eminence n’a-t’elle iamais
eu vn mouuement de pitié pour ce pauure peuple François, qui souffroit le
joug auec tant d’obeïssance, & qui vous adoroit comme le Demon tutelaire
de sa Nation ?

Le Card. Vous me comptez-là de belles fadaises, ces sentimens là sont
bons à des ames molles, & à des bigots.

Le Casuiste. Mais ne croyez vous pas en vn Dieu, Monseigneur ?

Le Cardinal. Oüy dea, mais ie croy que s’il prend part aux choses d’icy
bas, il illumine ceux qui y president.

Le Casuiste. Vous voudriez donc rendre Dieu autheur du mal.

Le Cardinal. Brisez là dessus, Monsieur, ie vois bien que vous n’estes
que Theologien.

Le Casuiste. Bien, ie veux entrer en vos sentimens à cette heure. Si tout
vostre but estoit de vous enrichir, l’Espagne vous eust donné deuant sa paix
auec les Estats de Hollande, tout ce que vous eussiez souhaitté pour la faire
auecques la France ; Et le Roy d’Angleterre, que ne vous auroit-il pas donné,
dans l’esperance qu’il auoit que la paix generale estant concluë, les
Princes de deça fussent venus le secourir ?

Le Cardinal. I’ay bien eu cette pensée-là, mais j’attendois que la Reyne
d’Angleterre m’eust demandé vne de mes niepces en mariage pour le Prince
de Galles. Ie les enuoyay vne fois toutes trois expres à Sainct Germain,
pour faire connoissance auec la Reyne d’Angleterre.

Le Casuiste. Ce mariage-là n’eust pas esté au dessous de vostre Eminence.
Mais il me semble que sans cela vous ne deuiez pas laisser eschapper cette
belle occasion de restablir la Religion Catholique en Angleterre, en y
enuoyant des troupes Catholiques, vous qui pretendez à tenir vn iour le
Siege de Sainct Pierre ; car vous sçauez que le denier de ce grand Apostre
estoit vn des beaux reuenus du Pape.

Le Card. Vous reuenez tousiours à vostre bigoterie.

Le Casuiste. Vous m’excuserez, Monseigneur, ie parle du denier de
Sainct Pierre que payoient les Anglois.

Le Card. Le denier de Sainct Denis est plus present que celui là. Et puis
ie m’iray tourmenter pour des personnes qui ne m’en sçauront peut-estre
point de gré ; car combien est-on Pape ?

Le Casuiste. Qu’appellez-vous le denier de Sainct Denis, Monseigneur ?

Le Card. Vous parlez comme si vous ne sçauiez pas que sainct Denis est
le Patron de la France, & que par son denier, j’entends les finances de
France, qui pourront en vne autre saison, c’est à dire quand ie seray Pape,
restablir le denier de Sainct Pierre.

Le Casuiste. Pour retourner à l’Angleterre, il me semble, Monseigneur,
qu’en bon Politique vous ne deuiez pas laisser tomber absolument le Roy

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Anonyme [1649], APOLOGIE POVR MONSEIGNEVR LE CARDINAL MAZARIN, TIREE D’VNE CONFERENCE ENTRE SON EMINENCE ET Monsieur ****** homme de probité & excellent Casuiste. Tenuë Sainct Germain en Laye deux iours consecutifs. PREMIERE IOVRNEE. , françaisRéférence RIM : M0_127. Cote locale : C_5_28.