Anonyme [1649], APOLOGIE POVR MONSEIGNEVR LE CARDINAL MAZARIN, TIREE D'VNE CONFERENCE ENTRE SON EMINENCE ET Monsieur ****** homme de probité & excellent Casuiste. , françaisRéférence RIM : M0_127. Cote locale : A_2_3.
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Le Card. Non, pas le quart. Nous auions de certains mauuais Politiques,
qui disoient, qu’il falloit du moins espargner le cœur du Royaume, pour en
tirer du seruice en cas de necessité, & qu’estant bien auec Paris, on pouuoit
gourmander tout le reste du Royaume. Il eust bien mieux valu que les esprits
vitaux de ce cœur eussent esté dans les coffres du Roy, & que vous
n’eussiez pas allaicté cette Vipere, qui empoisonne auiourd’huy tous les autres
Parlemens, & nous menace d’vne entiere ruïne.

Le Casuiste. Il en faut mieux esperer, Monseigneur. Mais pour reprendre
le second point de vostre proposition qui estoit, que c’est l’interest de la France
que vous vous enrichissiez, comment entendez vous cela, Monseigneur ?

Le Card. Tout ainsi que le Soleil & les rayons dont il est enuironné, attirent
auec vne auidité nompareille toute l’humidité de la terre, pour la respandre
par apres auec vn auantage merueilleux. De mesme, comme l’œil de l’Estat
& le Soleil de la France enuironné de mes Partisans, comme d’autant de
rayons, qui alloient chercher l’or iusques aux entrailles, & qui en faisoient
produire mesme par leur vertu, où il n’y en auoit point ; Nous attirions, dis-je,
tout l’or & l’argent de la France, que nous luy redonnions par apres, par nos
despenses magnifiques, & nos superbes bastimens, qui donnoient la vie à tant
de pauure peuple.

Le Casuiste. Mais, Monseigneur, ces Messieurs diront, que vous estes riche
en effet, aussi bien qu’en comparaisons, & que vous n’auez redonné à la
France toutes les finances que vous luy auez rauies.

Le Card. Le temps n’en estoit pas encore arriué, il falloit que ie me misse en
estat, & pouuoir de luy faire du bien auparauant : & pour cét effet j’enuoyois
mes richesses en Italie, pour y acquerir de la reputation, car vous sçauez comment
l’on se gouuerne en ce païs-là.

Le Casuiste. Qu’est-ce que cette reputation eust apporté à la France ?

Le Card. I’aurois donné le boucon à ce Pape cy, s’il eust vescu trop long-temps
(puis qu’il vous faut tout dire) & me serois fait eslire Pape, & pour
ces choses il faut de l’argent, & non pas peu : Iugez apres cela, si ie n’eusse pas
pû rendre la France heureuse.

Le Casuiste. Oüy, en biens spirituels, Monseigneur.

Le Card. Les estimez-vous moins que les corporels ? I’aurois espuisé le
Thresor des Indulgences, & de mes benedictions pour enrichir la France, &
luy aurois payé auec vsure l’indigne metail que i’ay reçeu d’elle.

Le Casuiste. Mais, Monseigneur, quoy que ces choses-là soient infiniment
bonnes, si est-ce que la necessité ne les prend pas pour argent comptant, la vie
de l’ame n’est pas celle du corps.

Le Card. Outre cela, ie l’aurois merueilleusement seruie dans les affaires
temporelles, aux choses où il y auroit eu de la contention entre la France &
l’Espagne, & dont j’aurois esté l’arbitre.

Le Casuiste. Vous sçauez, Monseigneur, que le Pape doit estre le Pere commun
des Chrestiens, & que c’est exposer sa dignité, que de se monstrer partial.

Le Card. I’aurois aussi eu esgard à cela, & n’aurois voulu rien faire qui
m’eust esté preiudiciable.

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Anonyme [1649], APOLOGIE POVR MONSEIGNEVR LE CARDINAL MAZARIN, TIREE D'VNE CONFERENCE ENTRE SON EMINENCE ET Monsieur ****** homme de probité & excellent Casuiste. , françaisRéférence RIM : M0_127. Cote locale : A_2_3.