Anonyme [1649], APOLOGIE POVR MONSEIGNEVR LE CARDINAL MAZARIN, TIREE D'VNE CONFERENCE ENTRE SON EMINENCE ET Monsieur ****** homme de probité & excellent Casuiste. , françaisRéférence RIM : M0_127. Cote locale : A_2_3.
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Le Card. Oüy, & le Roy portoit la myrrhe, & Monsieur le Prince l’encens.

Le Casuiste. C’est à dire que vous aurez tout le profit de ces desordres,
le Roy toute l’amertume, & Monsieur le Prince toute la fumée, ie veux dire
la gloire.

Le Card. Est-ce là tout ce que vous auez à me dire ?

Le Casuiste. Non, ie vis des Monstres s’esleuer au dessus des eaux de la
Seine, qui estoient couuerts d’escailles trenchantes & pointuës, qui auoient
les queuës en formes d’hallebardes, & comme vne fraize de tuyaux semblables
à des pistolets. Ie vous proteste que cela me donna de l’espouuante, &
vn presage presque certain des mal heurs qui ont suiui.

Le Card. Vous resuiez, & vous vous imaginez auoir veu tout cela.

Le Casuiste. Cela n’est point sans exemple, & qui plus est, les effets ne le
dementent pas.

Le Card. Mais si-tost qu’il fit iour, on sçeut nostre depart à Paris, qu’en
disoit-on ? en quel estat se trouua le Bourgeois ?

Le Casuiste. Monseigneur, imaginez vous vne flotte qui vogue dans vn
grand calme, les voiles enflées & le vent en poupe ; le pilote de chasque
vaisseau dort agreablement dans sa cabane, au murmure des eaux, qui
viennent flatter son nauire, quelques-vns des Matelots en font autant, cependant
les autres raccommodent les voiles & les cables, les autres cherchent
les fentes & les endroits les plus malades du vaisseau pour les radouber,
d’autres s’amusent à sacrifier d’vne bouteille de vin au Dieu Neptune, &
d’autres plus enclins à la melancholie, goustent vn contentement resueur
dans la pesche, bref chacun se reposant sur la serenité de l’air & la bonace de
la mer, abandonne le soin de son nauire, & suit le plaisir que la nature ou
son inclination luy demande. Mais au fort de ce calme & de cette negligence
vniuerselle, le Ciel commence à s’obscureir, le Soleil disparoist, &
sa lumiere cede à celle des esclairs, Eole ouure son antre & lasche la bride
aux plus furieux des vents ; Borée, Aquilon & les autres se respandent sur
la Campagne mouuante, la mer s’enfle & s’esmeut, & la pluie qui tombe
d’enhaut d’vne roideur nompareille, enfermant les vents entre deux eaux,
leur donne vne telle force, par l’opposition qu’elles apportent à leur cours,
que l’on entend des siflemens & des hurlemens espouuantables. Les Matelots
estourdis de cét orage impreueu, courent aux cordages & aux voiles,
les Pilotes au gouuernail, & les personnes inutiles aux prieres. Vous
voyez l’horreur & la crainte peintes sur les visages d’vn chacun, le Pilote
accuse les Matelots de leur negligence, & les Matelots accusent le Pilote de
peu de iugement & de preuoyance. Le mal est plus fort que le remede, le
maistre masts est emporté, les antennes sont brisées, les cordages sont rompus,
& il ne reste plus que le gouuernail, encore est-il à demy fracassé, les ancres
sont inutiles, il faut obeïr à la tempeste, se laisser aller au gré de l’onde &
du vent, & se seruir le mieux que l’on peut du gouuernail, pour éuiter les bãcs
& les rochers, & se sauuer d’vn absolu naufrage. Personne n’a regret de faire
vn sacrifice de ses plus riches marchandises pour appaiser la mer, on descharge
le vaisseau de ce qu’il porte de plus precieux, & tous autres secours

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Anonyme [1649], APOLOGIE POVR MONSEIGNEVR LE CARDINAL MAZARIN, TIREE D'VNE CONFERENCE ENTRE SON EMINENCE ET Monsieur ****** homme de probité & excellent Casuiste. , françaisRéférence RIM : M0_127. Cote locale : A_2_3.