Anonyme [1649], APOLOGIE POVR MONSEIGNEVR LE CARDINAL MAZARIN, TIREE D'VNE CONFERENCE ENTRE SON EMINENCE ET Monsieur ****** homme de probité & excellent Casuiste. , françaisRéférence RIM : M0_127. Cote locale : A_2_3.
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ie disois, le feu est au Palais Royal, toutes celles que ie surprenois sans masques
& sans gans cirez, ie leur disois, ho ho Madame, il y a apparence que
vous ne couchez pas seule. Ie descouurois les toiletes, pour voir si elles
auoient conserué les presents que ie leur auois faits. Mais tout en riant ie
mis l’alarme dans le Palais Royal. Les vnes demandoient si c’estoit les barricades,
les autres de quel costé estoit le feu, & chacune s’armoit de son pot
de chambre contre cét element qui n’obeït qu’à l’eau. Vous n’auez iamais
veu vne pareille confusion, quand le feu eust esté dans leurs cheminées, elles
n’en eussent pas fait dauantage. On ne s’amusoit point à plier les hardes, on
les entassoit pesle-mesle dans les coffres, & en moins de rien tout le monde
fut prest à partir. Tout ce qui nous donna le plus de peine, fut de faire resoudre
le Roy à partir, car il n’est pas si enfant que le monde s’imagine.
Lors que ie luy portay la parole qu’il falloit se leuer & sortir de Paris, il me
demanda pourquoy ? Ie luy dis, que les barricades alloient recommencer.
Il me répondit fort bien qu’il ne les craignoit pas, & qu’on luy auoit dit que
les Parisiens l’aimoient bien, & crioient tousiours Viue le Roy. Ie luy dis
qu’ils le vouloient mettre en prison. Il dit qu’il ne le croioit pas. Enfin ie
ne sçauois par où prendre ce petit esprit, & reuins faire mon rapport à la
Reyne de tout cela, l’asseurant que si sa Majesté n’y alloit elle mesme, le Roy
estoit resolu de ne pas quitter Paris. La Reyne y fut sur l’heure, & l’ayant
trouué peu susceptible des apprehensions que ie luy donnois, elle luy dit en
l’embrassant : He quoy mon fils, vous ne voulez pas suiure vostre mere ?
Nous reuiendrons dans deux ou trois iours. Ces caresses accompagnées de
larmes & de toute la puissance de la nature, l’emporterent sur l’esprit du
Roy, & d’autant plus aisément qu’il a le naturel fort bon, & tesmoigne
en toutes rencontres, que si en bien obeïssant on apprend à bien commander,
il doit vn iour estre le meilleur Roy du monde.

 

Le Casuiste. Et Monseigneur le Duc d’Anjoune vous fit il point de peine ?

Le Card. Non, car deux coups de fouët l’eussent bien fait marcher. Mais
il nous fit bien rire, & i’ay peur que quelqu’vn luy eust fait sa leçon.

Le Casuiste. Ne le prenez pas là, c’est tout feu que ce petit esprit.

Le Cardinal. Il nous disoit, Vrayment Monsieur le Cardinal n’est-pas
mal plaisant, de nous faire ainsi traitter pour ses beaux yeux, voila encore
vn bel homme, nous faire leuer à deux heures apres minuit. Mais pourquoy
nous en allons nous ? & où allons nous ? Je luy disois : Les bonnets quarrez
vous viennent prendre pour vous mettre en prison. Oüy vous Monsieur,
ce disoit-il, que ne rendez vous tout l’argent que vous auez pris à maman
& à mon frere ? Taisez vous petit garçon, vous aurez le foüet, qui vous a
appris ces nouuelles-là ? Ne le voy-je pas bien : Vous en iriez vous de Paris
pour rien ? Il n’y a que les voleurs qui vont de nuict. Vous estes vn petit
babillard, leuez vous seulement. Hé Monsieur le Cardinal laissez moy dormir.
Ie vous donneray vne pistole, ne ferez vous rien pour l’argent ? Ie vous
feray donner le foüet. Monsieur le Cardinal voulez vous venir au Parlement,
pour voir qui l’aura plus merité de nous deux ? Ie le diray à vostre
maman. Vous faites bien l’entendu, parce que maman est pour vous. Sans

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Anonyme [1649], APOLOGIE POVR MONSEIGNEVR LE CARDINAL MAZARIN, TIREE D'VNE CONFERENCE ENTRE SON EMINENCE ET Monsieur ****** homme de probité & excellent Casuiste. , françaisRéférence RIM : M0_127. Cote locale : A_2_3.