Anonyme [1652], LE MYSTERE EVENTÉ, OV LA RESPONSE A VN LIBELLE M. , français, latinRéférence RIM : M0_2523. Cote locale : B_20_49.
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Le Mystere éuenté, ou la Response
à vn Libelle Mazarin.

Nous sommes arriuez dans vne certaine
conioncture d’affaires, qu’on ne peut
sans trahir sa Patrie, souffrir qu’on publie
des libelles qui sont comme autant
d’Apologies pour le Mazarin. Pour moy ie m’imagine
que le silence est criminel en cette rencontre,
& qu’on ne peut tollerer ce procedé sans se rendre
coupable. Ce n’est pas vn moindre crime, que
de renuerser auec insolence les images de nos Temples,
puis qu’à tout homme de bien la Pattie est vne
chose sacrée. Nous deuons tout à la Patrie ce dit vn
Ancien & le Poëte,

Amor Pariæ ratione valentior omni.

Ce qui rend dautant plus cette affection legitime en
cette presente occasion, c’est qu’elle est authorisée
par la raison, ou plustost par mille raisons. L’Antiquité
nous fournit vn tres-grand nombre d’exemples
de ceux qui ont prefere le salut & la liberté de
leur pays à leur propre vie. Brutus premier Consul,
Curtius, Gentius Cippus qui se bannit soy-mesme
pour la liberté du pays, vn Publicus Decius, vn Scipion
l’Affricain, & vn million d’autres qui embellissent
les Histoires. Pour moy ie ne voy rien de si
genereux comme la réponse de Trasibule, D[4 lettres ill.]ciam

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vt quantas ipse gratias debeo Patriæ, videar retulisse.
Ce braue nous apprend combien nous sommes
redeuables au lieu qui nous a donné l’estre : & Valere
le grand adiouste pour la recompense de ces beaux
mots, que affectum illum inclytum destructæ tyrannidis
opus laude cumulauit. Cette matiere est si belle qu’elle
m’emporte.

 

Ayant veu ces iours derniers vn libelle de cinq ou
six fueilles, qui ne se donne que sous le manteau, i’ay
creu qu’il estoit de mon deuoir d’y respondre. Ce libelle
fut apporté chez moy par vn inconnu, enueloppé,
& qui auoit pour inscription, A Monsieur.....
ruë neuue S. Louys aux Marests. Ce paquet m’ayant
esté rendu le soir par mon laquais, ie fus vn peu
estonné à l’ouuerture, lors que i’y vis des fueilles imprimées,
toutefois ie me figuray que ce deuoit estre
quelque piece d’importance ; & comme ie suis fort
curieux de ces matieres qui traitent de la politique :
ie ne fus pas visiter, ainsi que i’ay de coustume, Madame
la Marquise de...... afin de contenter promptement
ma curiosité. Cét ouurage est, à vray dire,
vn galimatias pompeux, & qui pretend prouuer
l’innocence du plus coupable de tous les hommes.
Ie ne pense pas que ce soit vn François qui l’ait composé,
c’est vn homme qui a creu auoir fort bien appris
nostre langue, pour en sçauoir quelques beaux
mots qu’il a ioints ensemble, sans liaison & sans cousture.

Pour moy ie m’imagine voir vne femme, qui
pour paroistre richement vestuë, s’est couuerte d’vne

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belle piece de toille d’or, sans attendre que le tailleur
luy ait donné sa forme. Mon dessein est de répondre
à cette piece suiuant ses sections, commençons
donc.

 

Que le Mazarin est de tres-basse & tres-honteuse
naissance, quoy qu’vn Moine defroqué ait fait sa genealogie,
& qu’vn Poëte de ce temps ait promis de
le faire descendre d’vne race illustre, mais cette genealogie
seroit toute fabuleuse.

Que l’on croye donc si l’on veut qu’il est de race
des Geans, ou de ces hommes qu’Ouide a fait naistre
armez.

Qu’il a serui le feu C. de R. en qualité de boufon,
& qu’il en a excroqué de bonnes nipes.

Non ignora cano cuiquam nec egentia testis.

Que la fortune l’a esleué aux grandeurs par vis
pur caprice, comme elle fait souuent vn grand d’vn
valet. Ce sont des effets de la plus sotte de toutes
les femmes, & pour l’excuser les Peintres luy ont
donné vn bandeau.

Qu’il est plus ignorant qu’il n’est beau, & que le
terre n’a iamais veu vn si impertinent Politique.

Qu’il a beaucoup pillé la France, & qu’il s’est serui
d’vn grand nombre de mains pour faire ses rapines.

Qu’il fait des sieges tres-mal à propos, témoin
celuy de Paris, celuy de Bordeaux, & en ces iours celuy
d’Angers.

Pour ne parler que du dernier, les deux autres
l’ayant couuert d’infamie, & luy ayant acquis beaucoup

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de haine, ce dernier est tres-ridicule.

 

Vn Ministre d’Estat doit pour maintenir sa grandeur,
ne rien entreprendre qu’il n’en vienne glorieusement
à bout, que s’il fait autrement, il deuient
le ioüet & la fable de la populace ; de sorte qu’on
fait aussi peu d’estime de luy que de Pierre du Quinet,
ou de Blaise des petites maisons.

Angers ne veut point receuoir le Mazarin en ses
murs, ce Ministre fait à la haste l’assiege, il l’emporte,
il n’y entre pas ; ie demande si c’est là vn sujet de
quoy triompher.

Si le Mazarin sçauoit ce que c’est que la politique
il y auroit entré, il le deuoit faire ou creuer, apres
auoir assiegé cette ville. Pleust à Dieu que le dernier
luy fust arriué, pour le bien que ie luy veux.
Quelques-vns croyent que la vie est moins precieuse
que l’honneur, par consequent il auroit perdu ce
qui vaut moins que l’honneur. Mais ne nous égarons
pas de nostre but, & disons sans témoigner
d’animosité, qu’il est, si ses partisans le veulent,
tres-innocent de tout ce dont on l’accuse, que l’on
puisse faire vn Sainct de sa personne, il suffit qu’il
est Estranger, & que la France n’est point si dépourueuë
de bons esprits qu’elle n’en ait plusieurs, capables
de remplir la place qu’a tenuë le C. de Richelieu.

On ne peut comparer le Mazarin au grand Armand,
si ce n’est qu’on veuille égaler Corbeil à Constantinople,
& Gentilly à la ville de Rome.

La France a encore à present des hommes de merite
& de sçauoir, qui pourroient remplir la place

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qu’occupoit le grand Richelieu, quoy que la mort
nous ait osté Monsieur d’Auaux, qui estoit le seul,
selon mon iugement, digne de cét employ, il nous
en reste aujourd’huy quelques-vns dignes de cét
exercice. Il faut auoüer que c’est vne perte bien sensible
à la France que celle de Monsieur d’Auaux, puis
qu’on peut dire que cét homme auoit toutes les qualitez
propres à vn Ministre d’Estat. Il auoit vne
tres-grande connoissance des langues, vn tres-eminent
sçauoir, & ce qui est de plus considerable, l’ame
tres-bonne, & tres-portée au bien des peuples.

 

Vn si beau sujet me rauit, n’y ayant point de matiere
qui me plaise à l’égal de la loüange, qui est le
legitime tribut qu’on doit à la vertu. Ie ne puis
souffrir la Satyre, quand mesme elle seroit faite contre
Neron, contre Eliogabal, ou contre le Marquis
d’Ancre.

Disons donc que cette place pourroit estre remplie
par ce braue Cardinal de Rets, dont le S. Pere
vient de reconnoistre le merite, par la promotion
qu’il en faite au Cardinalat. Ie ne veux rien dauantage
à sa loüange, puis que de dilecto nunquam satis.

Retournons à nostre thesme, & concluons en disant,
que l’on peut croire probablement que le Mazarin
est tres-coupable, puis qu’il a esté banni par
des Declarations du Roy, par les Arrests du Parlement,
les Princes y seans ; de sorte qu’il n’y a point
d’Apologies qui osent se vanter d’auoir autant de
forces que ces Declarations de Sa Majesté, & que
ces foudres des Parlemens. Quand ces Apologies

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seroient de la façon des S...... ou des N...... ce
ne seront tout au plus que de belles fadaizes, ou des
brides à veaux.

 

Lecteur, si ru en veux dauantage pour ton sol
marqué, tu n’es pas sage, n’en voila que trop, puis
que ie suis lassé d’écrire contre vne piece si ridicule,
& qui veut nous faire croire vne heresie, quand elle
nous dit que Mazarin vaut beaucoup ; s’il estoit vray,
ie voudrois l’auoir vendu & liuré à quelque riche
marchand qui m’eust bien payé, & pour lors ie quiterois
la plume pour prendre le verre, & ie boirois
à ta santé du meilleur qui soit à la tauerne. Adieu,
iusqu’au reuoir.

FIN.

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