Anonyme [1652], LE MERCVRE DE LA COVR, CONTENANT La Harangue des Deputez. La Response du C. M. La Trahison du Duc de Loraine. Le Magazin des Recompenses dudit C. M. Et celuy des Princes. TROISIESME PARTIE. , français, latinRéférence RIM : M0_2452. Cote locale : B_18_3.
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Harangue des Deputez au Roy,
prononcée par la bouche
du P. D. N.

Loquutus sum coram Principibus & non erubescam.

SIRE,

L’Empereur Iustinian ayant écouté vn certain
flateur qui le comparoit à Dieu, luy sauta au collet,
& luy écratigna tout le visage : dequoy fort surpris
dit à l’Empereur, Sire, pourquoy m’égratignez-vous,
& l’Empereur luy respondit, pourquoy me

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mors-tu. Vous, SIRE, qui ne luy cedez ny en Iustice
ny en courage, ie craindrois que vous ne m’en
fissiez autant : car ie ne serois pas seulement digne
d’estre égratigné, mais écorché tout vif, si par vne
insolente flaterie, ie déguisois à V. M. tous les
mal-heurs que le C. M. a causé, cause & causera
dans vostre Royaume. Ie serois lapidé comme S.
Estienne, si ie n’auois dit à V. M. de la part des Parisiens
tous les pechez mortels du C. M. à mon retour
ie n’aurois qu’à me bien tenir, on crieroit sur
moy dés la porte, ô Mazarin, & i’aurois en mesme
temps plus de cent levriers à ma queuë, qui feroient
la curée de ma peau. C’est pourquoy ie supplie tres-humblement
V. M. de me vouloir permettre de luy
representer tous les desordres que ledit Mazarin
fait en son Estat, & specialement dans sa bonne ville
de Paris : la veille que i’en sortis ie vis accommoder
vn homme de toute piece ; c’estoit vn Gentil-homme
Gascon, qui fit rencontre de son Tailleur
à qui il deuoit la façon d’vn habit, & ne le voulant
payer que par rodomontades, ledit tailleur cria sur
luy, ô Mazarin, sur le Pont-neuf, en vn moment, il
sentit pleuuoir sur luy vne gresle de coups de pierre
dont il eut le bras cassé, & son manteau & son épée
prise, ledit Gascon nous iura vn cap de bieu, qu’il
s’estoit trouué en vingt batailles & autant de sieges,
sans iamais auoir receu vn tel affront. Vn autre
homme fit assigner son voisin à la Chambre Criminelle
pour l’auoir appellé Mazarin, afin d’auoir reparation

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d’honneur, & pour venir à minori ad maius :
le Mareschal de l’Hospital, le Preuost des Marchands,
Champlastreux & la Beauuais, l’ont eschapé
belle ; & mesme on a veu quantité de paysans
blessez entrer dans Paris, & arriuer des bateaux
chargez, desquels les Bourgeois s’estans enquis qui
les auoient ainsi traitez, leur respondirent, sont des
Mazarins : cela rend ce nom si odieux, qu’il met
toute nostre Ville en combustion : le Coadjuteur
mesme n’oseroit sortir, de peur qu’on luy prenne
son Chapeau, car ils disent que son Chapeau est
Mazarin & sa Mitre frondeuse, c’est pourquoy il
faut qu’il retourne à la Mitre s’il veut estre en seureté,
mais c’est le diable que sa Mitre est trop
estroite, car sa teste luy est grossie. Ils menacent
mesme de faire vn catalogue des Mazarins, pour
les mener boire à la caue de la Samaritaine. Pour
donc obuier à tous ses desordres, ils supplient tres-humblement
V. M. de l’esloigner du Royaume,
car elle le peut conseruer par sa puissance, mais non
pas par sa iustice (minimum decet libere cui minimum
licet non fas potentes posse fieri quod nefas) ce seroit
pourtant grand dommage, car il pourroit dire
comme Neron disoit de luy-mesme en mourant,
Paris va perdre le meilleur basteleur du monde,
mais s’il a tousiours le mot pour rire à la Cour &
pour pleurer à Paris, pour ne Vous pas priuer de
cette satisfaction, qu’il plaise à V. M. mettre le sieur
Iodelet en sa place, qui en sçait pour le moins autant

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que luy en matiere de raillerie, mais non pas
en fourberie, car il est plus honneste homme. Ne
croyez donc pas, SIRE, ce tygre alteré du sang
de vos sujets, qui vous crie perpetuellement aux
oreilles, vos Sujets sont rebelles, il les faut chastier,
c’est son interest qu’il brouille auec le vostre : mais
considerez que salus populi suprema lex esto, nous
n’auons point d’autre volonté que la vostre, on cache
aux yeux de V. M. l’importance qu’elle a de
chasser cét ennemy commun de l’Estat : il nous veut
rauir ce que nous aymons le plus, qui est V. M.
& nous taschons à regagner ce tresor inestimable
qu’il nous a volé. Il est declaré criminel par Arrest
de Parlement, & cependant il est Iuge & partie
dans sa cause, il dit qu’il se veut iustifier, qu’il se
mette donc en estat, le pendart, qu’il se rende prisonnier
en la Conciergerie, nous instruirons son
procez à la Tournelle, & luy rendrons bonne &
briefue Iustice, il auroit beau sçauoir le chemin de
niort, à bon-bec, nous auons des morgueurs qui
le feroient bien iaser, ils luy feroient aualer vne
douzaine de seaux d’eau, & autant de seruiettes,
mais ce seroit peu de chose pour vn homme qui a
desia deuoré tout le bien de la France : ie croy que
c’est le veritable grand Gosier de Rablais. Enfin,
quelque diable qu’il puisse estre, s’il estoit entre
les mains des Parisiens, ils luy feroient bien-tost
voir quelle heure il est au Quadran de l’Hostel de
Ville, & apres cela chacun beniroit V. M. Il n’y

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auroit Crocheteur qui ne beut vn seau de vin à sa
santé : ce ne seroit que danses que festins, que réjouyssances,
tous les pauures Parisiens seroient enrhumez
à force de crier, Viue lé Roy. La paix que
tout le monde souhaite tant seroit bien-tost faite.
Dieu nous en fasse la grace. Ainsi soit-il.

 

Le Cardinal s’entendant ainsi railler deuant le
Roy, sortit du cabinet bien en colere, & ayant leué
la tapisserie, les yeux tout en feu commença son
discours de la sorte : Auertantur statim erubescentes : qui
dicunt mihi, euge, euge.

Vous voila bien échauffez, ie vous conseille
Monsieur N. d’aller prendre vne chemise blanche,
il vous faudroit tirer du sang peur de la pluresie :
c’est donc icy la Cour du Roy Ptau, tout le monde
y veut estre le maistre : vous voulez que le Roy me
chasse, & ie vous assure qu’il n’en fera rien, vous
auez beau caqueter, nous sçauions bien auant que
vous vinssiez, tout ce que vous vouliez dire, oleum
& operam perdis, car ce qui nous entre par vne oreille
sort par l’autre : ce que Maistre veut & valet pleure,
c’est peine perduë : le Roy veut estre obey, il
n’est plus en brassiere, il est majeur, & s’il ne tient
qu’à cracher du Latin comme vous, ie vous diray
que Potestas res est quæ moneri docerique, non vult, &
castigationem ægre ferat, le Roy est au dessus de la
loy, quodlibet licet, mais que diable vous a fait le
pauure Mazarin, pour luy vouloir tant de mal, vous
a-t’il rogné les ongles, vos Greffiers n’ont-ils pas

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tousiours bonne griffe, ne porte-t’on pas tousiours
à vostre moulin des sacs de requeste, d’appointé à
mettre, de parler sommaire, saluations, contredits,
auertissemens, deffauts aduenir, forclusions, demandes,
repliques, faits, productions, inuentaires,
iugemens, condemnations & amendes, & toutes
sortes d’autres grenes que les plaideurs y viennent
faire moudre, dont le moindre de vos Clercs veut
auoir sa mouture : vos Arrests ne sont-ils pas aussi
épicez qu’ils estoient, vous nous venez icy chicaner
& nous faire des procez de gayeté de cœur, allez-vous-en
iuger Pierre & Guillaume, & nous laissez
icy en patience. Vous dites que ie suis du païs des
Ignorantissimes, mais i’ay de bons seconds, sont
des gens à ma solde, qui ne manquent iamais au
besoin : car pour moy ce que i’ay dit n’est que par
parenthese. Voicy Monsieur le Garde des Seaux
qui vous va bien chanter vostre gamme.

 

Monsieur le Garde des Seaux prit la parole, &
d’vn visage qui se démonte quand il veut, leur
parla de la sorte, Læsa patientia sit furor.

Messieurs, le Cardinal Mazarin est en colere, il
y a long-temps qu’il souffre les iniures de tout le
monde, mais enfin patience échape, ce n’est pas
qu’il soit violent de son naturel, au contraire on
l’accuse d’estre trop debonnaire, mais il est d’vn
pays où on se vange tost ou tard : quoy qu’il en soit
laissons ce discours-la, car i’ay autre chose à vous
dire de sa part, ie veux dire de la part du Roy, on

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se méprend bien sans vin boire. Principi leges nemo
scripsit, licet si liquet.

 

Les Rois sont les Images de Dieu, nous les deuons
reuerer comme des Dieux sur terre, ils sont
peres des peuples, & comme peres ils sçauent
mieux ce qui est vtile à leur famille que leurs enfans,
ce n’est pas que le Roy rejette vos remonstrances,
il les écoute : mais quand le Cardinal aura bandé
ses voiles, croyez-vous que nous aurons la paix,
il y a encore a adjouster icy vn mot de Notaire,
c’est à sçauoir. Premierement, le Roy demande si
Messieurs les Princes mettront bas les armes, s’ils
feront sortir les troupes du Duc de Loraine hors la
France : Ie sçay bien que quelqu’vn me dira que
nous leur auons donné de l’argent pour s’en retourner,
mais telles gens prennent de tous costez, & ie
crains bien qu’ils ne dépensent icy nostre argent
mal à propos : Si Monsieur le Prince remettra Stenay,
Mouron, Clermont & autres places entre les
mains du Roy, s’il renoncera au traité de l’Archiduc,
s’il viendra aupres du Roy luy rendre ses deuoirs,
vous me pourrez dire qu’il ne s’y fiera pas,
tar chat eschaudé craint l’eau froide, mais Guitaut
n’y est plus, nous l’auons laissé à sainct Germain :
s’ils feront rentrer Bordeaux en son deuoir : &
pour dernier article, s’ils ne demanderont plus
rien quand le Cardinal s’en sera allé, car i’ay peur,
moy-mesme qui vous parle, qu’ils ne demandent
aussi mon esloignement ; il ne faut point vous en

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rire Monsieur Seruien, ils demanderont aussi bien
le vostre comme le mien, &c. Sçachez donc des
Princes leurs intentions, afin qu’ils nous en donnent
des asseurances : car le Mazarin est si deffiant
qu’il ne se fieroit pas à Dieu sur bon gage, & me
dit tousiours à vno nimico reconciliato non se fida mai.
Sur tout ne vous fiez pas au peuple, son amour est
la plus inconstante chose du monde, & pour vous
mieux dire dire, son humeur, ferocior plebs ad rebellandum,
quam bellandum : tant are magis quam tueri libertatem,
& puis nous auons deux amorces infaillibles
pour l’attraper, qui est l’esperance d’vn costé,
& la crainte de l’autre. Allez Messieurs, & sçachez
qu’on est sage quand on reuient des plaids.

 

Messieurs les Deputez s’en retournerent bouche
cousuë, aussi estonnez comme des fondeurs de cloches :
& puis Monsieur le Cardinal s’en alla trouuer
Son Altesse de Loraine dans sa chambre, qui regardoit
si l’argent qu’on luy auoit donné estoit de
poids ; dequoy le Cardinal estonné luy demanda,
que fait là Vostre Altesse, & ledit Duc luy respondit :
Ie regarde si vos pieces sont de poids, & si elles
sont bonnes, car on dit que vous estes vn Enchanteur,
ie craindrois que vous ne me baillassiez icy
des feüilles de chesne pour des pistoles, cét or me
semble bien alteré, i’aimerois mieux que vous me
donnassiez des Philippes que des Louys, car de
toutes vos monnoyes de France, ie ne trouue que
l’Escu d’or de bon alloy, car pour le Louys vous

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l’auez trop abaissé. Vostre Altesse a tousiours le
mot pour rire, mais ie vous puis assurer que nous
auions mis fort bas aussi le teston de Loraine : il est
vray, respondit Son Altesse, mais vous serez obligé
de le remettre à son prix. Le Cardinal luy repliqua,
Sapientis est cedere tempori, brisons là dessus,
Monsieur, & parlons d’autre chose. Sçauez-vous
que ie viens de bien lauer la teste à nos Deputez, ils
ont esté aussi bien venus icy comme vn chien dans
vn jeu de quille. Mais, respondit le Duc de Loraine,
si vous les iettez dans l’extremité, ils feront des
gens de guerre à Paris, ce qui vous feroit bien de la
peine, ils offrent de l’argent aux Princes pour leuer
des troupes. Le Card. Ils ne s’accorderont iamais
sur ce chapitre-là, nous y auons donné bon ordre.
Le Duc de Lor. Il faut donc auoüer que les badauts
sont bien aisez à dupper, Paris qui est la plus puissante
& la plus riche Ville du monde, qui peut entretenir
vingt mille hommes de guerre sans s’incommoder
beaucoup, se laisser reduire à cette extremité,
vous estes bien-heureux M. le C. d’auoir
affaire à telles sortes de gens. Le Card. Monsieur,
c’est que la plus grande partie sont attachez à nostre
party, soit par esperance de fortune, soit par
charges qui les obligent, eux ou leurs enfans, ou
leurs freres & parens ; & tel d’entr’eux fait le Frondeur
qui ne l’est pas, car nous auons gagné des principaux
Chefs de la Fronde, sans vous les nommer,
& puis peu à peu nous les mettrons si bas qu’ils ne

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pourront plus regimber contre nous. Pour ce qui
est du peuple, il ne demande qu’à viure, il ne se
soucie pas de quel costé il soit, ainsi nous en viendrons
à bout facilement. Pour ce qui est de la Noblesse
& des gens de guerre, ils n’ont point de si
hautes esperances du party des Princes comme de
celuy-cy, ils ne peuuent pas les recompenser comme
nous, & pour preuue de ce que ie vous dis, Monsieur,
s’il plaist à V. A. prendre la peine de venir en
cette chambre voisine, ie luy feray voir les amorces
qui les attirent à mon party. Le Duc de Loraine
luy respondit, allons voir cela Monsieur le C.
vous m’estonnez beaucoup : aussi-tost ils entrerent
dans vne chambre richement tapissée & meublée,
où il y auoit de grandes armoires qui tenoient tout
vn costé de la chambre, sur lesquels estoit écrit en
lettres d’or,

 

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