Anonyme [1652], LE MEDECIN POLITIQVE, QVI DONNE VN souuerain Remede, pour guerir la France malade à l’extremité. Honora medicum propter necessitatem. , françaisRéférence RIM : M0_2439. Cote locale : B_18_6.
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LE
MEDECIN
POLITIQVE,
QVI DONNE VN
souuerain Remede, pour
guerir la France malade
à l’extremité.

Honora medicum propter necessitatem.

M. DC. LII.

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LE
MEDECIN
POLITIQVE,
QVI DONNE VN SOVVERAIN
Remede, pour guerir la France
malade à l’extremité.

Honora medicum propter necessitatem.

 


IE ne fais point le grand Phebus
Pour remplir le monde d’abus,
Et faire valoir ma science,
Sans merite, & sans conscience,
le ne suis pas vn Atrapeur
Qui par vn langage trompeur
Se mocque de ceux qu’il atrape :
Non, ie ne fais point l’Esculape,
L’Hippocrate, ou le Galien,
Pour gagner finement du bien,

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Et le suis suffisament riche,
Sans auoir mis iamais d’affiche,
Ny iamais fait le Charlatan ;
N’en deplaise à l’Oruiotan,
Cardelin, Dupas, Carmeline,
Auec toute leur Medecine ;
Ie sçauons c’en que ie sçauons ;
Tous leurs remedes ne sont bons
Qu’à guerir vn mal ordinaire,
Et souuent d’vn Visionaire
Qui dans vn grand lict fait le veau,
Sans auoir du mal qu’au cerueau.
Enfin leurs drogues ne sont bonnes
Si ce n’est à peu de personnes,
Et souuent (ce qu’on craint le plus)
Font les Cimetieres bossus ;
Ou bien plustost (chose certaine)
C’est de l’onguent miton mitaine
Qui sur le corps d’vn animal,
Ne fait iamais ny bien ny mal :
Mais moy Medecin Politique
Ie possede vn Art autentique
Qui ne doit rien au grand Vallot,
Quoy qu’il soit le Royal falot
De l’Illustre Pharmacopée,
Dont il fait bien la Chrysopée.
Oüy c’est moy qui possede vn Art
Pour atraper vn fin Renard

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Qui n’a iamais ses tripes soules
Quoy qu’il mange toutes nos poules,
Quoy qu’il mange iusques au cœur
(Ah le maudit, Ah le voleur)
Toute la miserable France.
Oüy François i’ay bonne esperance
Auec l’ayde du Tout Puissant,
De guerir vn mal si croissant,
Ce cruel Chancre insatiable
Qui la tourmente comme vn diable,
Et c’est auec bonne raison
Que i’entreprens sa guerison,
Pourueu que vous mevueillez croire
Sinon, i’auray du moins la gloire,
D’auoir tout fait de mon costé
Ce qu’il faloit pour sa santé,
Car c’est à vous sans repugnance
A pratiquer mon Ordonnance,
Et mal pour vous si mes aduis
Ne sont pas iustement suiuis.
Ie sçay bien qu’on a la creance
Qu’vn demon possede la France :
Mais demon bien plus importun
Que ceux de Louuiers & Loudun,
Ie sçay que certains Exorcistes
Par des exorcismes bien tristes
Taschent de chasser ce Lutin
Nommé le Diable Mazarin :

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Mais ce Diable, quoy quon medite
Ne s’en va pas pour l’eau beniste,
Ny pour des paroles non plus,
Et tous discours sont superflus
Pour chasser ce Demon supreme
Si l’on n’en vient à l’effet mesme.
Ie croy qu’il faut tout à la fois
Employer le manche & la Croix,
Contre ce Tyran effroyable,
Qui sans doute est pire qu’vn diable,
Car les Diables ne mangent point,
Mais Mazarin mange à tel point,
Qu’il ne nous laisse rien à frire.
Marchand qui perd ne sçauroit rire,
Et i’en souffre ma bonne part
Pour m’en estre auisé trop tard.
Vn autre fait la France grosse
Maigre comme vne vieille Rosse,
Sans pouuoir agir, ny marcher,
Et qui ne sçauroit accoucher
A faute d’vne sage femme,
Voy la comme il peint cette Dame :
Mais ce ne sont que visions,
Que feintes, & qu’illusions
D’vn certain Esprit plein de songes,
Qui par d’agreables mensonges
Cherche à diuertir dans Paris
Tant & tant de sortes d’esprits,

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Et qui suiuant sa tramontane
S’en va tantost du coq à l’asne,
Tantost reuient de l’asne au coq,
Sans espargner Mitre ny Froc,
Couronne, Chapeau ny Thiare,
Ce qu’il fait d’vn stile assez rare.
Mais tous ces gens dans leur employ
N’ont pas connu si bien que moy
Ce mal horrible de la France
Qui la poursuit à toute outrance.
C’est vn vilain Chancre maudit,
(Comme ie vous ay dé-ja dit)
François ie vous le dis encore,
C’est vn Chancre qui la deuore,
Et qui la va faire mourir,
Si l’on ne veut la secourir.
François c’est à tous vostre Mere
Qui souffre vne douleur amere,
Et vous n’auez point d’amitié,
Et vous n’auez point de pitié
D’entendre soupirer sans cesse
Cette belle & grande Princesse,
Regardez son affliction
Du moins auec compassion
Regardez ce mal si funeste,
Ce mal bien pire que la Peste
Qui s’enfle tout de vanité
De mordre auec impunité

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Et de succer la pauure France
Sans trouuer de la resistance,
Ce mal rouge comme du feu
Qui ne se soule pas de peu,
Qui la mange iusqu’aux entrailles.
Et la reduit aux funerailles.
O Dieux que son teint est changé
Depuis que son corps est rongé,
Et que cette beauté supresme
Est differente d’elle mesme.
Ses yeux autre fois si puissans
Ne sont que des yeux languissans
Qui semblent mourir de tristesse
En voyant mourir leur Maitresse.
Son visage n’est plus si beau,
L’on diroit qu’il sort du tombeau,
Et loin de ses naturels charmes
Il est pasle & couuert de larmes.
Quiconque la veuё & la voit
Ne dira point qu’il la connoit,
Car vne douleur si cruelle
Fait croire que ce n’est plus elle.
Ses bras iadis si vigoureux
Dont les Roys les plus genereux
Craignoiẽt tant les coups & la force,
Ces bras sõt plus secs qu’vne écorce.
Oüy, ces bras qui d’vn seul reuers
Faisoient trembler tout l’Vniuers,

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N’ont que bien peu de resistance
Faute de chair, & de substance.
Ses mains, helas ! ses belles mains.
Qui prenoiẽt tous les cœurs humains
Maintenant maigres & pelées
N’ont garde d’estre potelées,
Et ne peuuent pas seulement
Bien porter, ny sans tremblement,
Vn Sceptre autrefois redoutable
A toute la terre habitable,
Qu’elles ont par tous les quartiers
Porté douze siecles entiers,
Et ie craint fort que la Couronne
De cette Princesse trop bonne
Ne luy tombe à la fin du Chef
Par foiblesse, & peut estre en bref,
Et qu vn iour cette Souueraine
Ne soit esclaue au lieu de Reyne :
Mais Dieu vueille par sa bonté,
Qu’elle recouure sa santé,
Que sa chair soit bien tost refaite,
Et que ie sois vn faux Prophete :
Cependant on void ce grand corps
Qui cachoit tant de beaux tresors
N’estre plus rien qu’vne Carcasse,
Car il est maigre, plein de crasse,
Sec & noir comme mon chapeau,
N’ayant que les os & la peau.

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Où sont donc ses robos dorées,
Ses belles iupes azurées
Couuertes richement de Lys,
De tant de perles embellis ?
Où sont donc ses grandes richesses
Que n’ont pas les autres Princesses,
Ses prodigieux diamans,
Et tant de rubis si charmans ?
Où sont donc ses perles si grosses ?
Où sont ses triomphans carrosses,
Où sont tant de si beaux Louys
Dont nos yeux estoient éblouis ?
Où sont ces pistoles si belles
Qui venoient des Indes nouuelles ?
Il n’est point mesmes (ce dit on)
De quart d’escu, ny de teston,
On n’en void plus (chose effroyable)
L’or & l’argent est tout au diable
Disons mieux auec verité
qu’vn Voleur l’a tout emporté,
Et qu’il vient encor cette peste
Pour emporter ce peu qui reste ;
Mais le diable l’emportera,
Dieu nous en garde, & cætera.
Enfin la France si pompeuse
De Reyne s’est changée en gueuse,
Et n’aura pas dans peu de temps
Dequoy se mettre entre les dents :

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Mais helas ie meurs de tristesse
Lors que ie voy cette Princesse,
Qui montroit autrefois vn sein,
Si frais, si blanc, si gras, si plein.
Ce beau sein (ô triste auanture !)
N’est maintenant que pourriture,
Depuis que ce Chancre enragé,
Qui n’a iamais assez mangé,
Le plus goulu de tous les Chancres,
A ietté ses dents & ses ancres
Sur ce sein comme en vn beau port,
Où le maudit se plaist si fort,
Qu’il n’en veut point du tout demordre,
Et si bien tost l’on ne donne ordre
Pour chasser vn si grand mangeur,
Il va tout manger iusqu’au cœur,
Et dans cette triste occurence,
L’on pourra dire, adieu la France,
Elle est morte de trop souffrir,
Vn Chancre la faite mourir :
Mais cependant qu’il reste encore
A cette Reyne que i’adore,
Quelque peu d’air pour respirer,
Quelque force pour soupirer
Auec vne voix impuissante,
Escoutons cette languissante.
François, dit elle, mes Enfans,
Que i’ay rendus si triomphans

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De tant de peuples de la terre.
Par mainte & mainte belle guerre,
François, vous que i’ay tous nourris
Dans les delices & les ris,
Que du moins, quelqu’vn me retire,
D’vn si dur & si long martyre.
Ma pauure Reine, mon cher Roy,
Deliurez vous, deliurez moy
D’vn chien de Chancre bien estrange
Qui vous perd tandis qu’il me mange.
Vous Grand Prince Duc d’Orleans
Le plus vieil de mes chers enfans,
Et vous Condé si magnanime,
Que tout craint, & que tout estime,
Me voulez vous laisser mourir
A faute de me secourir ?
Ie sens que mon ame s’enuole,
Et ie pers dé-ja la parole,
En vous disant auec effort,
Qu’vn Chãcre est cause de ma mort
François, sans me faire querelle,
Souffrez que ie parle pour elle
Puis qu’elle ne peut plus parler,
C’est moy qui vous veux quereler,
Si vous ne faites sans replique
Tout ce qu’icy ie vous explique,
Et croyez, qu’il faut de ce pas,
(Si par malheur on ne veut pas

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Suiure mes Conseils fauorables)
Mettre la France aux Incurables,
Et les François aux Quinze vingts,
Du moins ceux qui font tant les fins,
D’autant qu’ils ont vn mal extreme
Pire que l’aueuglement mesme,
Puis qu’ils ont tous des yeux sans voir
Ny leur profit, ny leur deuoir.
ça donc cherchons vn puissant ayde,
Cherchons vn bon, & prompt remede
Pour bien guerir en peu de temps
Ce corps rongé depuis huict ans.
le sçay bien les drogues nouuelles,
Que tous les liures, ou libelles
Ordonnent pour sa guerison
Suiuant le mal, & la saison.
I’ay trouué des discours sublimes
Dans les veritables Maximes,
Qui reglent son gouuernement
Pour fane vn bon temperament.
I’ay parcouru la Decadence
De la Royauté de la France,
Où i’ay trouué contre non gré,
Que l’Autheur ne dit que trop vray.
I’ay veu la Franche Marguerite,
Elle est belle, & de grand merite,
Mais parle vn peu trop franchement,
Comme en parla le Parlement.

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I’ay trouué le point de l’Ouale,
Point, qui n’est point à la Royale,
Pourtant Pont qui ne paroist point,
Vn Point coupable au dernier point :
Mais parmy nos tristes alarmes
I’ay trouué sur tout de grands charmes
Dans le Tu autem que i’ay veu,
Digne d’vn general adueu.
Pour l’vtile Coup de Partie,
Il n’y faut point de repartie,
Car c’est vn remede excellent
Lors que le mal semble trop lent,
Et son Contre-coup n’est qu’vn ayde
Pour mieux faire agir ce Remede,
Afin qu’en ce malheur fatal,
La France souffre moins de mal :
Mais faut il que dans sa misere,
Qui fait qu’elle se desespere.
Vn manchot, vn meschant Coquin,
Vn vieux fou qu’on nome Pasquin,
Auec son gueux de Camarade
Fasse piece a nostre Malade,
En se ioüant de son malheur
Pour accroistre encor sa douleur,
Et se mocque d’elle dans Rome,
D’où vint (mal pour nous) ce grãd hõme
Ce digne, & docte Cardinal,
Ou plutost ce Chancre infernal,

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Qui consume, & mange sans cesse
Le beau sein de nostre Princesse :
mais empeschons le de manger,
Et tachons tous de soulager
Cette Reine en son lict captiue,
Qui paroist plus morte que viue
Ie ne fus iamais Escolier
Dans Paris, ny dans Montpelier,
Pour apprendre la Medecine,
Qu’on croit du monde la plus fine :
Mais pour guerir ce mal icy
Ie m’y connois bien Dieu mercy,
Vous iugerez de ma science
Par cette belle experience,
Fy de liures a fueilleter
I’en sçay plus qu’eux sans me vanter,
Messieurs, ie m’apelle la Roche,
Mon Hyppocrate est ma Caboche,
Mon Galien est mon Cerueau,
C’est dans vn Magasin si beau,
Que ie tiens sans farfanterie,
Les secrets de ma Theorie :
Mais de grace n’en parlons plus,
Tous ces discours sont superflus,
Il faut venir à la pratique ;
çà donc qu aucun ne me replique,
Croyez du moins que mes aduis
Meritent bien d’estre suiuis,

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Q’on obserue mon Ordonnance ;
François ie vay guerir la France
Par vn Remede fort aysé
Qui rendra son mal appaisé
Encor qu’il soit vn mal extreme.
Ie n’ordonne point d’Apozeme,
De Iulep, ni de Lauement,
Fy, tout cela put l’excrement.
Ie deffens qu’elle soit baignée.
Il ne faut rien qu’vne saignée
Proprement faite en temps & lieu,
Et moyennant l’ayde de Dieu,
Vous verrez sans beaucoup de peine
Nostre Malade bien tost saine ;
Ie m’en vay donc vous enseigner
En quel membre il la faut saigner ;
Point au pied : car c’est bon pour celles
Qui font les Chastes & Pucelles,
Encor qu’elles ne les soient pas,
Pour auoir fait quelque faux pas :
Mais il leur faut par cette adresse
Empescher par foi la grossesse,
Et defaire par vn forfait,
Vn enfant premier qu’il soit fait.
Dieu-mercy la France est trop sage
Pour mettre vn tel coup en vsage.
Aussi d’ailleurs, il ne faut pas
La saigner non plus par le bras,

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A cause de trop de foiblesse
Pourroit perdre cette Princesse,
Et nous la voulons conseruer,
Il nous faut donc pour la sauuer,
Sauuer sa veine Cephalique ;
Mais sur toutes la Basilique,
C’est là qu’on ne doit point toucher,
Car son beau sang nous est trop cher
Et de cette veine feconde
Vne goute vaut mieux qu’vn monde.
Messieurs, il ne faut pas aussi
Qu’on se mette fort en soucy
D’ouurir la veine Mediane,
C’est bon pour Philis, ou Diane
A l’aage de dix & sept ans,
Car ie croy qu à lors il est temps
D’ouurir cette veine secrete
Auec vne bonne lancete :
Mais la France vieille beauté
Doit estre Saignée au costé,
Ou par la veine lateralle,
Qu’on nomme proprement Bursale,
Et que l’on peut nommer encor
Veine d’argent, ou veine d’or.
Il ne faut pas dans l’Amerique
Foüiller ny Perou ny Mexique,
Pour trouuer d’vn soing diligent
Cette veine d’or, ou d’argent ;

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C’est dans Paris qu’elle est cachée
Et qu’elle doit estre cherchée,
En vn certain mechant endroit,
Où l’on ne connoit point le droit,
Où chacun impunement vole,
C’est au quartier du Monopole
Autrement dit des Partizans
Gens fort riches & suffisans,
C’est de cette abondante veine
Tousiours enflée & tousiours pleine,
Qu’il faut mettre du sang dehors
Pour sauuer le reste du corps ;
Puisque ces auides sangsuës
D’vn col plus long que ceux des grues
Ont succé tant & tant de fois
Tout le plus beau sang des François ;
Ne faut il pas que pour saint George.
On leur fasse à tous rendre gorge,
Et vomir tout ce qu’ils ont pris,
Deussent ils vomir leurs esprits ?
C’est par cette seule saignée,
(Toute autre partie épargnée)
Et seulement par ce costé,
Que l’on peut rendre la santé
Au Corps malade de la France,
Qui perd dé-ia toute esperance
C’est d’vn sang d’or si precieux,
C’est d’vn sang si prodigieux,

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Et de ses goutes bien semées,
Qu’on verra naistre des armées,
Comme du dragon de Cadmus,
Dont Iules sera bien camus,
De les voir par des stratagemes
Non s’entretuer elles mesmes ;
Mais se ietter toutes sur luy
Pour le chasser du bien d’autruy
Que si nonobstant ce Remede
Ce Chancre qui la France obsede,
Fait le malin & l’arrogant
Il le faut froter d’vn onguent,
Dont la façon toute nouuelle
Chacun doit trouuer bonne & belle,
Autant Riches que mendians,
En voicy les Ingredians.

 

 


Paris pour bien guerir la France,
Recipé par mon Ordonnance,
Six ou sept onces d’Vnion,
Autant de bonne opinion,
Auec dix dragmes de menage,
Neuf ou dix onces de courage,
Cinq ou six grains d’amandement
De Bourgeois & du Parlement,
Vne liure de diligence,
Autant de bonne intelligence,
Dix onces de sincerité,
Le plein cœur de fidelité,

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L’esprit tant des gros que des minces,
Trois liures d’amour pour les Princes
Autant d’horreur pour vn Faquin,
Qu’on nomme Iule Mazarin,
Deux bonnes liures de poursuitte,
Autant ou bien plus de conduite,
Diuers ieux de flutes de Mars,
Grosses grenades à Soudars,
Pommes sauuages de Bellonne,
Fermes groiselles de Charonne,
Fruict de la Visitation,
Graine de Reputation,
Poudre noire d’vn maistre Moine,
Prunes seches de saint Anthoine,
Poix de l’Arsenac fort brulans,
Poires d’angoisse, Coins volans,
Grains d’vne guerriere pastille,
Gros citrons durs de la Bastille,
Mais i’entens à discretion
Sans aucune apprehension,
Sel de Bordeaux, pierre de foudre,
Il faut mettre le tout en poudre,
Et puis apres y mettre eau fort,
Au lieu d’eau de vie, Eau de mort,
Extrait de fer en abondance,
Sablon d Estampes en essence,
De bonne Casse quelque peu,
Chaufer le tout auec grand feu,

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Et [1 mot ill.] l’incorporer ensemble,
C’est vn Remede (ce me semble)
Que l’on peut nommer general,
D’autant qu’il guerit de tout mal.
C’est de cet Onguent admirable,
Onguent sans doute incomparable,
Pauure France qu’il faut froter
Bien rudement, & sans flater,
Ce grand Chancre qui ta chair ronge,
Et boit ton sang comme vne éponge,
Mais froter des mains de Condé,
D’autres bonnes mains secondé,
Et ie tiens pour indubitable,
Quand ce Chancre seroit vn diable
Qu’il s’en ira malgré ses dents,
S’il n’a de pires accidents.
Mais d’ailleurs Paris il t’importe
De froter de la mesme sorte
Tous ces Chãcreaux & Chancrillons
Qui sont nés comme champignons,
En vne nuict, de cette tige,
Qu’on n’en laisse point de vestige
Ny du pere ny des enfans,
Des petits nonplus que des grands,
Il faut suiuant la Medecine
En oster toute la racine
De peur qu’on ne vid quelque iour
Le gros Chancre encor de retour,

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Apres quoy, i’ay bonne esperance,
Que nostre malheureuse France
Recouurera tost la santé,
Et par consequent sa beauté.
On verra cette grande Reine
Marcher dabord en Souueraine,
Et reprendre cet embonpoint
Qu’elle auoit, & qu’elle n’a point ;
On la verra doduë & grasse,
Pleine de douceur & de grace,
Mesler auecque sa beauté
Vne Royalle Maiesté,
On verra son triste visage
Remis dans le premier vsage
De son eclat, & de ses traits
Auec tous ses plus grands atraits ;
Au leu de la crasse & des larmes,
Son teint n’aura plus que des charmes
Meslé de Roses & de Lys
Bien mieux que le teint de Philis.
Enfin cette beauté Diuine,
Qui sur toute beauté domine,
Alors qu’elle se porte bien,
Vaincra tout, & ne craindra rien,
De sorte que dans cette pompe,
Chacun dira, sans qu’on se trompe,
Quel cœur peut auec sa fierté
Resister à tant de beauté ?

-- 23 --


Et que cette illustre Princesse
A d’appas de force, & d’adresse,
Voila les merueilleux Effets,
Que mon Ordonnances aura faits,
Voila mon Souuerain Remede,
Paris, il est temps qu’on s’en ayde,
Il ne faut plus faire le fin.
Pour moy, i’ay fait le Medecin,
Maintenant (sans que ie m’en pique)
Ie vay faire le Politique,
Car c’est la double qualité,
Que i’ay prise sans vanité.
Puis qu’il faut que ie parle encore,
Parlons clair & sans Metaphore,
Pour que mon franc cœur soit cõpris
De tous les francs cœurs de Paris.
Messieurs, vous, en qui seuls abonde
Par dessus le reste du monde,
Le bon sens & la bonne foy,
Raisonnez de grace auec moy.
Messieurs, n’est il pas veritable,
Qu’vn Ministre fort incapable
Gouuerne au moins depuis huictans,
Helas ! que c’est depuis long temps,
Si mal, si mal l Estat de France
Qu’il s’en va tout en decadence ?
Que ce Cardinal bien peigné
Perd ce qu’vn autre auoit gaigné,

-- 24 --


Qu’il a fait perir nos Conquestes,
Qu’il a fait perir tant de testes,
Qu’il ne sçeut point prendre Cãbray,
Qu’il a laissé prendre Courtray,
Qu’il a mal gardé Graueline,
Qu’il a mis le reste en ruine,
Qu’il a volé tous nos Louis,
Qu’il a des millions inouis,
Qu’il a toutes nos Pierreries,
Qu’il ne songe qu’à fourberies,
Qu’il a de Rouzes vn plein sac,
Qu’il aime fort le mic & mac,
Qu’il faut tousiours qu’il trompe ou vole,
Qu’il ne tient iamais sa parole,
Qu’il empescha luy seul la Paix,
Qu’il n’y consentira iamais,
Qu’il aime cent fois mieux la guerre,
Qu’il voudroit tout l’or de la terre,
Qu’il n’a iamais assez de bien,
Qu’il prend tout & ne donne rien,
Qu’il a fait mille voleries,
Qu’il a fait mille tromperies,
Qu’il fut bien iustement banny,
Qu’il ne fut pas assez puny,
Qu’il meritoit d’autres supplices,
Qu’il nous laissa trop de Complices,
Qu’il est reuenu par leur soin,
Qu’il falloit l’enuoyer plus loin,

-- 25 --


Qu’il estoit trop pres à Cologne,
Qu’il eut esté mieux en Pologne,
Qu’il ne deuoit pas reuenir
Qu’il ne veut que se maintenir,
Qu’il cherche à voler d’auantage,
Qu’il veut la France pour partage,
Qu’il n’a pas encor pris assez,
Qu’il n’est pas saoul des vols passez,
Qu’il cause nos fureurs Ciuilles,
Qu’il ruine toutes nos Villes,
Qu’il a voulu perdre Paris,
Qu’il suborne tous les Esprits,
Qu’il veut perdre toute la France,
Qu’il a mis le monde en souffrance.
Qu’il le met tout au desespoir,
Qu’il ne fut iamais Cœur si noir,
Qu’il trouble toutes les Prouinces,
Qu’il tache de perdre les Princes,
Qu’il leur voudroit faire la loy,
Qu’il a charmé le pauure Roy,
Qu’il a charmé la pauure Reine,
Qu’il charma le Duc de Lorraine,
Qu’il l’empescha d’estre pour nous,
Qu’il veut estre au dessus de tous,
Qu’il s’enfle d’vn orgueil extresme,
Qu’il croit estre le Roy luy mesme,
Qu’il le veut faire & qu’il le fait,
Qu’il le meine comme il luy plaist,

-- 26 --


Qu’il l’instruit selon son escole,
Qu’il l’instruit aux coups de bricole,
Qu’il gaste vn Prince si parfait,
Qu’il le rend vn Normand bien fait,
Qu’il retient ce ieune Monarque,
Qu’il ne reuienne dans sa barque,
Qu’il le tient tousiours en soucy,
Qu’il l’empesche d’entrer icy,
Qu’il rend ainsi tout miserable,
Messieurs, n’est-il pas veritable ?
Messieurs, (tout ce qu’il mis à part,)
Sans attendre d’agir trop tard
Il est ja temps de se resoudre,
ça Messieurs, il en faut découdre.
ça gens de Cour, ça bons Bourgeois,
ça Peuple, ça nobles François,
Il faut combatre pour la France,
Il faut combatre à toute outrance
Et montrer d’vn zele parfait
Qu’on est franc de nom, & d’effet,
Frãcs, montrez dõc vostre Franchise,
Pour que la France soit remise,
Et que l’on chasse ce Voleur
Qui fait seul tout nostre malheur,
Faisons contre luy seul la guerre,
Pour l’esloigner de nostre terre,
Et ramener tout à la fois
Vn Roy la merueille des Roys ;

-- 27 --


Parisiens incomparables
Vous qui vous croyez miserables
Voulez vous pas sortir d’icy,
Pour sortir de misere aussi ?
Voulez vous pas prendre les armes,
Et sans faire tant de vacarmes,
Aller contre ce Cardinal
Qui vous traite tousiours si mal,
Et qui de vos biens fait ripaille ?
Ca ça prenons tous de la Paille,
C’est le moyen d’auoir du grain
Pour en tirer farine & pain,
C’est pour auoir vin & pitance,
C’est vne Paille d’importance,
Qui vaut sans doute vn grand tresor,
Elle est aussi de couleur d’or,
Elle marque victoire & ioye,
La paille sauuera la soye,
Velours, tabit, moire & satin,
La paille fait le bon destin,
Et toute la bonne fortune
Dans cette saison importune,
C’est d’où dépend tout nostre honneur.
Abondance, force & bon heur,
Contre le mal qui nous trauaille.
Ca, Messieurs, prenez de la paille,
Prenez en tous petits & grands,
Si vous estes François bien Francs,

-- 28 --


Prenez en tous Chefs de familles,
Prenez en tous garçons & silles,
Hommes, femmes, ieunes & vieux,
Tout chacun s’en trouuera mieux.
Prenez en ieunes Damoiselles
Vous en serez encor plus belles,
De porter vn bouquet paillard,
Ie veux dire vn bouquet gaillard,
Qui ne gastera point vos hardes,
Vous n’en serez pas plus Paillarde,
Au contraire il est inuenté
Pour garder vostre Chasteté,
Ainsi que vos biens & vos vies ;
Prenez en Cloris & Siluies,
Il vaut bien vn bouquet de fleurs
De toute sorte de couleurs.
Ce n’est pas aussi faire entendre
Que vous estes bestes à vendre ;
Mais pour montrer auec fierté
Que vous aymez la liberté,
Qu’on donne vne marque si belle
Mesme aux enfans de la mamelle,
Pour qu’il succent auec le lait
L’amour pour vn signal qui plait,
Et content vn iour par jactance,
Qu’ils ie portoient en leur enfance.
Mazarins prenez en aussi,
Ou bien sortez viste d’icy,

-- 29 --


Au diable la Mazarinaille
Qui ne veut point prendre de Paille,
Quoy ! les bestes en prennent bien
Il n’est point, ny cheual ny chien.
Ny bœuf, ny moutõ qui n’en porte,
Cette Paille sera plus forte
Que le plomb mesme & que le fer,
C’est par là qu’il faut triompher
De Mazarin, quoy qu’il en raille ;
Il faut qu’on parle de la Paille
Desormais parmy les humains,
Comme de l’Aigle des Romains.
Elle est plus qu’on ne sçauroit dire,
Et si le fin Ambre l’attire,
Chacun pourra voir en nos iours
Vn prodige tout au rebours,
Que la Paille attirera l’Ambre,
Auant que l’on soit en Septembre,
Mais aysement & sans effort,
Idest, le foible le plus fort,
Le bien, la pompe, la Richesse,
Le Roy mesme auec la Noblesse,
Horsmis cet Infracteur de Paix
Qu’elle va chasser pour iamais,
Bien loin de l’attirer vers elle,
Car c’est le point de la querelle,
Et cette [1 mot ill.] a la vertu
De l’expulser l’ayant batu,

-- 30 --


Ouy suiuant les meilleurs Oracles
La Paille fera des miracles,
Et des coups si prodigieux
Quelle va rauir tous les yeux ;
Il n’est rien aussi qui la vaille,
On peut dormir sur cette Paille,
Mieux que sur le meilleur duuet
Dont l’on puisse emplir vn cheuet ;
C’est là qu’on repose à son aïse,
Sans craindre ny pou ny punaise
Ny puce de ce grand Vilain,
Qui les laisse mourir de faim.
Enfin cette Paille admirable
Beaucoup plus dure, & plus durable
Que n’est pas le meilleur acier,
Doit regner dessus le Papier,
Et marquer en beaux characteres
Les effets de ses grands misteres,
Auec l’honneur dessus le front
De tous ceux qui la porteront.
Cette paille est nostre esperance,
Il faut par là sauuer la France,
Vn Royaume, vne Reine, vn Roy,
Qui sont tous en grand desarroy ;
Il faut sauuer vne Couronne,
Que dé-ja tout mal enuironne,
Et sauuer par vn grand effort,
Vn Sceptre qui branle si fort :

-- 31 --


Mais il faut sauuer Paris mesme,
Qu’on menace d’vn mal extresme,
Il faut se garder d’estre pris,
Et sauuer Paris par Paris,
Car sauué d’vn malheur funeste,
Paris sauuera tout le reste.
Parisiens donc bons François,
Ie vous prie encore vne fois
De faire voir dans cet orage
Vostre Paille auec grand courage,
C’est assez à chacun d’vn brin
Pour chasser ce beau Mazarin
Sorty de race de gueuzaille,
Qui nous appelle gens de Paille ;
Mais montrons à ce sot mocqueur,
Que nous sommes tous gẽs de cœur,
Et par vne puissance armée,
Renuersons la sienne alarmée.
Croyons ce grand Duc d’Orleans,
On ne void qu’vn cœur d’or, Ieans,
Qu’vn cœur plein d’amour, & d’ẽuie
De nous sauuer à tous la vie ;
Ne sçay ton pas qu’en verité,
Il n’est rien que sincerité,
Et que son Altesse Royale
Fut de tout temps franche & Loyale,
C’est vn Prince digne de foy,
Vn Oncle, vn Frere vn Fils de Roy,

-- 32 --


Et Pere d’vne Damoiselle
Qui nous garde auec tant de zele ;
Que nous deuons bien tous aymer,
Que nous deuons bien estimer
Cette Princesse incomparable,
Mais cette Amazone adorable,
Ce genereux sang de Bourbon
Donc le franc cœur nous est si bon.
O dieux ! qu’elle fit de merueilles,
Par son adresse & par ses veilles,
Ce iour qu’vn coup de sa faueur
Sauua Paris, & son Sauueur.
C’est là cette illustre Pucelle,
Plus grande, plus braue, & plus belle
Que la Pucelle d’Orleans,
Qui doit chasler hors de ceans,
I’entens de Paris & de France
Celuy qui cause leur souffrance,
Cet Italien si matois,
Comme l’autre en chassa l’Anglois :
Mais ne deuons nous pas tous suiure,
Tout le tẽps que nous pourrons viure,
Cet incomparable Condé
Si digne d’estre secondé ?
Quel est ce cœur si plein d’enuie,
Qui n’exposera point sa vie,
Pour vn Heros qui tant de fois
S’est exposé pour les François,

-- 33 --


Et tous les iours encor s’expose
Pour les interests de leur cause ?
C’est luy qui proche de Rocroy
Soutint si bien l’honneur du Roy
Et par son coup d’essay de guerre
Ietta tant d’Espagnols par terre.
C’est luy qui presque au mesme tẽps,
Malgré tant de forts Combatans,
Et tant de force d’vne ville
Força la forte Thionuille.
C’est luy que l’on vid autrefois,
Par d’incomparables exploits
Estonner toute l’Allemagne,
Ainsi qu’vn autre Charlemagne ;
C’est luy que l’on vid à Fribourg,
Cõme à Norlingue, & Philisbourg
Vaincre des forces inuincibles
Par des coups qui sont indicibles.
C’est luy qui rangea sous ses loix
Ce Donquerque & ces Donquerquois,
Qui gourmandoient la terre & londe
Auec leur force vagabonde.
C’est luy que l’on vid prés de Lens
Faire des efforts violens,
Contre vn furieux Aduersaire,
Qu’autre que luy ne sçauroit faire :
Mais pourquoy prẽs-je vn soin exprez
De chercher loin ce que i’ay prez,

-- 34 --


Et des preuues de sa prouesse,
De son cœur & de son adresse ?
N’est ce pas luy qui fit si bien
Dernierement auprez de Gien,
Lors que l’hõme aux paroles fausses
Chia de peur dedans ses Chausse ?
N’est-ce pas ce Mars si hardy,
Qui dans vn beau iour de Mardy,
Vn iour qui porte son nom mesme,
Fit voir vne vaillance extresme ?
Fut ce pas en ce iour si beau
Pour enuoyer gens au tombeau,
Que Turenne en allant se batre
Pensoit faire le Diable à quatre ?
Mais en mesme temps il auint
Que Condé fit le Diable à vint,
Et le chargeant teste baissée
Le fit bien changer de pensée ;
Ah ! que de sang fut repandu,
Bien attaqué bien defendu,
Mais ce Mignon de la Victoire
En eut enfin toute la gloire ;
Qui vid iamais ny tant d efforts
Ny de si grands qu’en fit alors
Ce Prince digne des loüanges,
Non pas des hõmes, mais des Anges ?
Qui vid iamais de tels exploits
Que ceux qu’il fit à cette fois,

-- 35 --


Lors que sa blanche main brulante
Deuint toute rouge & sanglante ?
Qui iamais de tous les Cesars
Essuya de si grands hazards
Qu’en essuya cet Alexandre
Pour attaquer où pour defendre ?
O Dieux ! que ses beaux bras sont forts,
Autant de coups, autant de morts,
Et l’on voyoit tomber ces Drilles
Comme le blé sous les faucilles ;
On le voyoit en mesme temps
Au milieu de ses Combatans,
Sur le derriere & vers la teste
Briser tout comme vne tempeste,
Abatre par vn rude vent
Ce qui se trouuoit au deuant,
Et ietter tout dessus la poudre,
En passant vite comme vn foudre.
Pendant ses effors plus qu’humains
Il sembloit qu’il estoit tout mains
Bien plus puissant qu’vn Briarée,
Et sa contenance asseurée,
Son Cœur, son adresse & son port
Firent mesme peur à la mort,
Qui n’osa iamais entreprendre
De l’approcher ny le surprendre,
Et se contenta de le voir,
Faire, comme il fit, son deuoir,

-- 36 --


I’estime qu’elle fut rauie
De luy donner àlors la vie,
A cause qu’en ce grand effort
Il donnoit si souuent la mort.
Lors Phebus pour mieux le voir faire
Prit sa lunete la plus claire,
Et trouua qu’il faisoit bien chaud,
Mais plus encor en bas qu’en haut,
Car il vid tomber pesle mesle
Vne importune & dure gresle,
Dont les coups estoient si mortels,
Que iamais il n’en fut de tels,
Chacun yoyoit de sa fenestre
Voler par tout, plomb & salpestre :
Et la fermoit bien promptement
De peur d’vn mauuais traitement.
Et lors le pauure saint Antoine
Qui fut iadis vn si bon Moine
Ne daigna sauuer en tel cas
Son Faux bourg d’vn si grand fracas,
Tandis qu’vne troupe indiscrete,
Qui s’exerçoit à la Raquete,
Faisoit voir vn estrange ieu
Auecque des bales à feu,
Lors Condé faisoit des Miracles,
En forçant mille & mille obstacles,
Bourgeois ie n’en puis dire moins,
Vous fustes vous mesmes tesmoins,

-- 37 --


Vers S. Antoine, & vers le Temple,
De ses proüesses sans exemple,
Vous le vistes aller pour vous,
Au milieu du choc, & des coups,
A trauers d’vne grande armée
Contre luy si fort animée,
Qui croyoit desia le tenir,
Pour le perdre, ou pour le punir ;
Mais il arriua le contraire
De ce que beaucoup pensoient faire,
Car en ce combat de Paris,
Tel crut le prendre, qui fut pris,
Tel le tuer (ô vaine audace)
Qui fut tué dessus la place ;
Témoin le braue saint Maigrin,
Qui mourut pour saint Mazarin,
Témoin Nantouillet, & tant d’autres,
Qui croyoient bien hacher des nostres ;
Mais quoy qu’en ce iour importun
Turenne eut quatr’hommes contr’vn,
Et Condé rien qu’vn contre quatre,
Il ne laissa pas de le batre,
Et de le froter diablement,
Messieurs vous vistes bien comment
Sans tant parler de funerailles,
Vous le vistes de vos murailles
Demesler si bien vn combat,
Plus confus cent fois qu’vn Sabat,

-- 38 --


Et s’exercer en cette chasse,
A massacrer de bonne grace,
Quoy qu’il eut regret maintefois
De repandre le sang François,
Mais il falloit bien le répandre,
Pour ne se laisser pas surprendre,
Et pour sauuer vn Sang Royal,
Qui nous doit sauuer de tout mal ;
On vid enfin dans la iournée
La plus funeste de l’année,
Ce grand Prince d’vn si haut rang,
Parmy la poussiere & le sang,
Parmy le choc & le carnage,
Parmy tout le Mazarinage,
Parmy ses plus forts ennemis,
Qui furent lors si bien soumis,
Parmy tant de coups, & d’épées,
Dans le sang tant de fois trempées,
Pendant vn si grand fric, & frac,
Pendant l’horrible toc, tic, tac,
Des mousquets, & des mousquetades,
Dans le grand bruit des canonnades,
Pendant ce tonnerre éclatant
Dont le foudre en écrasoit tant,
Parmy tant de troupes Royales,
Tambours, trompetes, & timbales,
Tant de François, & d’Allemans,
De Valons, Suisses, & Flamans,

-- 39 --


Parmy les flots d’vn tel orage,
Parmy tant de gens de courage,
De combatans, de renuersez,
De tombans, de morts, de blessez,
De pieds, iambes, mains, bras & testes,
De soldats, cheuaux, hommes, bestes,
Poudre, mesche, bales, boulets,
Mousquetons, fusils, pistolets,
Halebardes, picques, & lames,
Casques, cuirasses, feux, & flammes ;
Ce fut parmy tant de fureur,
D’embarras, de peine, & d’horreur,
Qu’on vid ce Prince inimitable,
Des princes le plus redoutable,
Tandis que Monsieur Mazarin,
Ce beau mignon, (& luy bien fin)
pour voir cette illustre dispute
Demeuroit loin sur vne bute,
Musqué, poly, bien aiusté,
Canne en main, espée au costé,
Eminence sur éminence ;
O Dieux ! l’estrange impertinence
De se faire tuer pour luy,
Tandis qu’il rit du mal d’autruy ;
Vrayment c’est vn grand Capitaine,
Ouy pour courir la pretantaine,
Mais pour se battre, & se froter,
Ah ! qu’il n’a garde d’en taster,

-- 40 --


A quelque sot, car sa personne,
Est trop vtile à la Couronne,
Et trop necessaire à l’Estat
De nostre ieune potentat,
(Dit au moins l’Eminentissime,
Qui s’est fait Generalissime)
Mais il n’a pris vn si grand nom,
Qu’afin d’acquerir du renom,
Et n’est pas marri que Turenne
En ait le danger & la peine,
Imitant son Singe tres-bien,
Qui se sert des pattes du chien,
Afin de tirer de la braise
Les gros marrons tout à son aise
Mazarins qui l’aimez si fort,
Allez pour luy souffrir la mort
Vous serez martyrs d’vne Idole
Dont le salaire est bien friuole,
Mais n’importe, ne laissez pas
De courir ioyeux au trespas,
Et de luy donner vostre vie,
Ie sçay qui n’en a point d’enuie,
Ie vous conseille seulement
De le seruir aueuglement,
Vous en aurez, comme ie pense,
Pour le moins cette recompense,
Qu’il donnera suiuant son veu,
Vos charges à son beau Neueu.

-- 41 --


Mourez tous les iours à douzaines,
Pour satisfaire à ses fredaines,
Mancini n’en sera que mieux
Quand vous aurez fermez les yeux.
Mais que dis-ie, mieux, ie me trope,
Vois-je pas la funebre pompe
De ce malheureux Manciny,
Oüy son sort se trouue finy
Alors qu’il commençoit la guerre,
C’en est fait le voila par terre
Ce Neueu Fauory nouueau,
Dont l’Oncle pleure cõme vn Veau,
Et d’vn coup la mort importune
A fait culbuter la fortune.
Ah, si le sieur Mazarini
Deuenoit cõme Mancini,
La France, feroit bien folie
D’auoir plus de Ni d’Italie
Veu qu’vn Ni trop bien soutenu
Nous a mis chacun tantost Nu.
Hé bien, allez gens sans ceruelle,
Soutenez tousiours sa querelle,
Et vous faites massacrer tous,
C’est par là qu’il est Roy des fous,
Puis qu’il vous fait aller sans peine
Aux perils d’vne mort prochaine ;
Mais allez tous seruir ce Chien
Ie ne vous en diray plus rien,

-- 42 --


Pour moy ie veux seruir les Princes,
Exhortant Villes & Prouinces
A faire toutes comme moy,
Car les seruant on sert le Roy,
C’est pour restablir son Royaume
Où comme dans vn leu de paume
Mazarin a tant bricole,
Qu’il l’a dé-ja tout desolé ;
Helas, pauure Roy, pauure Reine,
Qu’vn Paquin vous donne de peine,
Et vous ne considerez point
Qu’il vous ruine au dernier point,
Que vous perdez vostre Couronne
Auec l éclat qui l’enuironne,
Tout pouuoir, & tout vostre bien
Pour garder vn homme de rien,
Sans sçauoir, sans cœur, sans prudence,
Sans honneur & sans conscience,
Qui d’ailleurs a plus qu’il n’en faut
De toute sorte de deffaut.
Quoy donc dans le temps où nous sommes
Vous perdez tant de braues hommes,
Pour conseruer vn Animal,
Qui vous fit, & fait tant de mal,
Et vous en fera dauantage,
Si vous souffrez son tripotage ?
Quoy ! vous mettez tous en danger
Les François pour vn Estranger,

-- 43 --


Tant d’Innocens pour vn Coupable,
De Sçauans pour vn Incapable,
Et pour vous parler en vn mot,
Tant d’Habiles gens pour vn Sot,
Qui va par sa sote ignorance,
Vous perdre auec toute la France,
Que vous feriez bien beaucoup mieux
De l’enuoyer loin de ces lieux,
Vers les bords de la Caribane
Habiter dans quelque cabane,
Puis que ce Fourbe deloyal
Vous tient hors du Palais Royal,
Et dans cette nouuelle France
Faire au moins quelque penitence,
Au lieu de ce pauure Martyr
Mort de trop boire auant partir,
Qui rencontra le Ciel dans l’onde,
Et dans Paris vn nouueau Monde :
Mais qu’est-ce ? nous nous emportons
ça, ie reuiens à nos moutons.
Apres cette excellente Estrenne,
Dont Condé fit don à Turenne
Vn iour de Visitation,
Iour pourtant de compassion,
Que ce grand Mareschal de France,
Auec tant d’aise, & d’asseurance,
Sur ses grandes troupes fondé,
Vers Paris visita Condé,

-- 44 --


Quand Condé suiuant son merite
Luy rendit si bien sa visite,
Et luy riua si bien son clou
En le renuoyant vers saint Cloud.
Apres vn Iour si memorable,
Quoy que funeste & déplorable
Où ce grand Prince si parfait
Fit bien plus qu’on n’a iamais fait,
Apres ses proüesses nouuelles,
Apres des actions si belles,
Lors qu’il sceut auec sa valeur
Sauuer Paris d’vn grand mal-heur
Et puis qu’encor il le conserue,
Faut-il pas que Paris le serue ?
Parisiens faut-il pas tous,
Puis qu’il s’est exposé pour vous,
Que vous luy rendiez la pareille ?
C’est bien le moins qu’on vous conseille,
Vous n’auez pas au moins de quoy
Douter desormais de sa foy,
Apres les choses qu’il a faites,
Et quelles preuues plus parfaites
Ny de sa foy, ny de son cœur
Voudriez vous de ce grand Vainqueur,
Que celles, qu’il vous a données
De son sang, & sa main signées,
Et qu’il vous promet desormais,
Pour que vous n’en doutiez iamais ?

-- 45 --


Messieurs ce n’est pas dequoy rire,
Il ne faut plus luy contredire,
Mais suiure vniuersellement,
Sa conduite, & son reglement.
Il s’agit en cette occurrence
Du salut de toute la France,
Et du bien de tous les François,
Qu’on y songe vne bonne fois,
Il s’agit icy de la vie,
Qu’on nous voudroit auoir rauie,
Il s’agit de nostre bon-heur,
Et du repos, & de l’honneur,
Il s’agit du bien du Roy mesme,
Et de sa puissance Supresme,
Que nous allons à l’aduenir
Deffendre tous, & maintenir,
Encor qu’on chante pour nous nuire,
Que nous songeons à la destruire ;
Non non, il n’en est pas ainsi,
Car maintenant nostre soucy
Le plus grand, comme le plus iuste,
Est de voir nostre ieune Auguste
Regner au milieu de Paris,
Comme il auoit tousiours appris,
Et que ce déloyal Ministre,
Dont le Conseil est trop sinistre,
Qui seul l’empesche d’y regner,
Puisse à iamais s’en esloigner,

-- 46 --


Et s’en esloigner de la sorte,
Que plustost le Diable l’emporte
Si loin, si loin, qu’à l’auenir,
Il n’y puisse plus reuenir :
Mais pour le Roy, quoy que l’on prosne
Paris est proprement son Trosne,
Toute autre ville ne vaut pas
L’honneur d’estre sa Chaise à bras,
Quoy que tous les iours on l’en change
Par vn sot Conseil bien estrange ;
Saint Denys n’est que son Tombeau,
Et cela n’est ny bon ny beau
De l’y tenir auant qu’il meure,
Paris doit estre sa demeure,
Tandis qu’il est vif, sain, & fort,
Et l’autre point qu’apres sa mort,
Mais on change en cette auanture
L’ordre de France, & de nature.
Paris est, sans faire du bruit,
Son Bonnet de iour & de nuit,
Qui met cette Royale Teste
A couuert de toute tempeste,
Et la teste, à vous parler net,
Est tousiours bien dans son bonnet,
Pour se garder de tous desastres,
Et des influences des astres :
Ouy Paris seul auec raison
Est l’Argo de ce beau lason,

-- 47 --


Qui doit, comme le vray Monarque,
Estre en personne dans sa barque,
S’il veut auoir la Toison d’or,
Dont Paris contient le tresor ;
Mais son Tiphys n’est qu’vne beste,
Qui ne veut agir qu’à sa teste,
Et faute de sçauoir son art,
Prend tousiours Marte pour Renard,
C’est Iules cét Esprit malade,
Qui nuict & iour le dissuade
D’y rentrer, s’il n’y rentre aussi,
Mais c’est pour nous vn meschant Si,
Chassons viste cette Pecore,
ça Bourgeois dormez vous encore ?
Voulez-vous tousiours sommeiller ?
N’est il pas temps de s’éueiller,
Et d’aller contre ce Corsaire,
Qui d’vn Roy fait nostre Aduersaire ?
Vous faut-il encor vn souflet ?
Faut-il vn autre Camouflet,
Pour vous faire ouurir la paupiere,
Et courir droit à la Rapiere ?
ça ça, Messieurs il est grand iour,
Faites sans force, & par amour,
Vn coup que l’honneur vous conseille,
ça, ça Messieurs, ie vous éueille,
In primis de la part du Roy,
Qu’vn Perfide tient dans l’effroy ;

-- 48 --


Apres de la part de la Reine,
Car c’est pour la tirer de peine ;
Puis de la part du grand Gaston
Cent fois plus sage qu’vn Caton ;
Tout en suitte ie vous appelle
De la part de Mademoiselle,
Encore vn coup, quoy ! mes Amis
Vous estes encor endormis,
Au nom d’vne rare Princesse,
Que ie tiens pour vne Deesse,
Pour qui le plus grand Roy dormant
Se leueroit bien promptement,
Et s’offriroit en Sacrifice,
De bien bon cœur pour son seruice ?
Vous monstrez bien à cette fois,
Que vous auez des cœurs de bois,
Et que ny vos corps, ny vos ames
Ne sçauent point seruir les Dames.
ça ça, ie vous esueille encor,
De la part d’vn Prince tout d’or,
Que vous deuez assez connoistre
Par tout ce qu’il a fait paroistre
Quand Iule fut si bien Frondé,
C’est ce grand Prince de Condé,
Qui veut pour vous mourir & viure,
Ie vous exhorte de le suiure,
Refuserez vous vn tel Chef,
Qui vous doit deliurer en bref

-- 49 --


De l’Estat triste & miserable
Dont le Mazarin vous accable ?
Vn Chef, qui par ses faits diuers
Pourroit conquerir l’Vniuers,
Pourra-til pas, par sa vaillance
Conseruer Paris & la France ?
ça de la part du grand Beaufort,
Que vous auez aymé si fort,
Et qui tousiours encor vous ayme,
Plus que ses yeux & son cœur mesme,
Puis que ce fut pour vostre amour,
Qu’il exposa tout l’autre iour,
Et qu’il veut s’exposer encore,
Tant il vous ayme, & vous honore,
De la part du Duc de Nemours
Qui faillit à finir ses iours
Deux fois en bien peu de semaines
Pour tascher de finir vos peines
De la part d’vn Duc, comme il faut
Nempe de la Rochefoucaut,
Dont le Cœur paroist au Visage,
Ce qui n’est pas sans grãd dommage.
Bourgeois qui craignez tant la faim,
Voicy qui fournira du pain,
C’est le Marquis de la Boulaye,
Qui fit l’autre iour mainte playe,
ça ça donc, Messieurs, leuez vous
Allons sans crainte, allons aux coups

-- 50 --


Suiuons Condé ce magnanime,
Qui nous conduit & nous anime,
Allons contre vn sot Tabarin,
Allons chasser le Mazarin
Auec tout le Mazarinage,
ça vite, c’est vn badinage,
Messieurs, de nous amuser plus
A des Colloques superflus ;
Il faut netoyer nostre terre,
Il faut faire vne bonne guerre
Pour auoir vne bonne Paix
Qu’on ne puisse rompre iamais ;
Il faut vne paix asseurée
Qui soit d’eternelle durée,
Non pas vne Paix à demy
Comme la veut nostre Ennemy,
Pour reprendre ses voleries,
Ses Intrigues, & Fourberies ;
C’est tousiours à recommencer ;
Messieurs, il y faut bien penser ;
Dautant qu’vne paix si funeste
Ne seroit point Paix, mais bien Peste,
Pour ruiner tout à la fois
Les petits, & les gros Bourgeois ;
Car aurions nous la Paix ciuille
Tant que nous aurions dans la Ville
Vn detestable Italien,
Qui fait la guerre à nostre bien,

-- 51 --


Qui veut perdre toute la France,
Qui ne songe qu’à la vengeance,
Et qui nous le feroit bien voir,
Dés qu’il en auroit le pouuoir ?
Quoy ! voulez vous qu’on s’abandonne
A luy qui iamais ne pardonne,
Et qui loin de vous pardonner,
Vous va plustost abandonner,
A la mercy de cent tempestes ?
Ah, qu’on verra voler de testes,
Que de Bourgeois persecutez,
Que de mal-heurs de tous costez,
S’il a iamais cét auantage
De pouuoir contenter sa rage.
ça donc si nous sommes prudens
Preuenons tous ces accidens,
En chassant bien loin de la France
La source de nostre souffrance,
Cét Excrement des Cardinaux,
Qui seul nous cause tant de maux.
C’est luy qui tient, quoy qu’on l’adore,
Vne autre boiste de Pandore,
Pour verser mal-heur sur mal-heur,
Et nous accabler de douleur.
C’est l’Ennemy de nostre joye,
C’est vn autre Cheual de Troye,
Non pas de bois, mais bien de chair,
Dont l’entretien nous couste cher,

-- 52 --


Et dont on vid, pour récompense,
Sortir l’autre iour de la panse
Tant de soldats auec tambours,
Qui tempestoient dans nos Faux bourgs,
Tandis que l’éminente Beste
Regardoit d’enhaut la tempeste,
Et si nos bons Concitoyens
Sotement comme les Troyens
L’eussent fait entrer dans la Ville,
Helas, loin d’vne Paix ciuille
On ne verroit qu’embrazement,
Que meurtre, & que saccagement,
Nous deuiendrions trestous sa proye,
Et Paris seroit comme Troye.
Toy mesme ô genereux François
Grand, ou petit, qui que tu sois
Tu vas pourrir dans la souffrance,
Si tu ne le mets hors de France,
Puis que cét Estranger fatal
En a fait vn grand Hospital,
Ou plustost vn grand Cimetiere,
Qui ne manque point de matiere,
Et si bien-tost on ne le perd,
Il en va faire vn grand Dessert,
Car desia mesme la Famine
Auec son effroyable mine
En fait languir tant de Bourgeois,
Et les rend secs comme du bois ;

-- 53 --


Dé-ja l’on ne void autre chose,
Qu’vne triste Metamorphose,
Puis qu’on void deuenir les Corps
De forts foibles, & de vifs morts
Dont Iules, quoy qu’on s’imagine,
Est la veritable origine,
Et c’est sans doute qu’il faudroit
Suiuant la raison & le droit,
Perdre vn seul homme si funeste
Afin de sauuer tout le reste ;
Oüy France, il en faut voir la fin,
Fust il encor cent fois plus fin,
Il faut pour luy faire la guerre,
Employer saint Paul & saint Pierre,
Aussi bien ce faux Cardinal
Leur a fait dé-ja bien du mal.
Ah ! que vous auez vn cœur traistre,
Vous tous qui seruez vn tel Maistre
Pour vostre diable d’Interest,
Qui vous tient tousiours en arrest
Comme des Chiẽs apres leur chasse,
Que vous auez mauuaise grace ;
Mais que vous auez peu d’honneur
De suiure vn si sot Gouuerneur,
Pour la promesse d’vn Office,
Pour quelque meschant Benefice,
Ou quelque bonne Pension
Qui gagne vostre affection ;

-- 54 --


Sur l’esperance d’vne Crosse
Pour fourrer vn Asne en carrosse :
Mais Monsieur l’Asne bien souuent
N’atrape rien qu’vn peu de vent,
Car ce grand Trompeur qui l’abuse
D’vn gros Asne en fait vne Buse,
Qui s’efforce bien de voler,
Mais qui ne prend rien que de l’air.
Laissons la ces Esprits de boüe,
Dont ce Maistre Fourbe se ioüe,
Et Maistre Guillaume à son tour
Pourroit bien s’en ioüer vn iour
Tout vient à point qui peut attendre.
Que diable peuuent ils pretendre
D’vn homme auare au dernier point,
Qui tient tout & ne donne point,
Qui toute sa vie a fait gloire,
De tromper, & d’en faire accroire,
Et promet des monts d’or sans prix,
Qui n’enfantent qu’vne souris ?
Laissons donc la ces humeurs basses
Qui cherchent tant ses bõnes graces,
Ces flateurs si fort empressez,
Ces Messieurs les Interessez,
Qui paissent leur ame affamée,
D’vn peu de flamme & de fumée ;
Mais pour nous sans cesse & sans fin,
Crions tous, point de Mazarin,

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Point de Remises, point de Rouses,
Point mesmes de belles Talmouses,
Car ce qui vient de son costé
Est en danger d’estre infecté ;
Point de ses vaines Conferences,
Point de tres-humbles Remonstrances,
Point de ces Deputations,
Qui troublent les affections,
Ce ne sont rien qu’Eschapatoires,
Ce ne sont que des Amusoires,
Et de belles brides à Veaux,
Pour embarasser les Cerueaux,
Et rompre nostre intelligence ;
Il faut vser de diligence,
Si nous desirons d’auancer,
Il faut agir, il faut presser,
Il faut que Mazarin s’en aille ;
ça prenons encor de la Paille,
Mais prenons aussi, vertu-bleu,
Vn Ruban de l’Illustre Bleu,
Ce Bleu pris auec l’Isabelle
Fait voir nostre Vnion si belle,
L’Isabelle auec ce beau Blu
Marque vn Cœur ferme & resolu,
Ce beau Bleu cette belle Paille
Representent gain de Bataille,
Et nous feront en champ ouuert
Triompher en tout temps du Verd,

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Que ce Trompeur à pris sans doute
Pour monstrer qu’il fait banqueroute,
Bien plutost que pour faire voir,
Qu’il ait encore quelque espoir,
Et nous deuons tous faire en sorte,
Qu’il prenne tost la Feüille morte,
Aussi bien que ses Officiers,
Ses Flateurs & ses Creanciers.
ça qu’auec son Verd execrable
Il s’en aille s’il veut au diable,
Ou bien chez les Perroquets verds,
Qui de sa couleur sont couuerts ;
Pour moy, tout cela ne m’importe,
Pourueu qu’il passe tost la porte,
Et qu’il s’escarte loin d’icy ;
Lors nous n’aurons plus de soucy,
Nous ne craindrons plus les alarmes,
Nous n’aurons plus tant de vacarmes,
Comme le iour, qu’vn feu fatal
Pour brusler vn riche Hospital,
Brusla le pauure Hostel de Ville,
Pendant vne fureur Ciuille.
Tous ces maux n’arriueroient pas,
Si Mazarin estoit à bas,
Ou seulement hors de la France.
Chers Bourgeois i’ay bonne esperance,
Et c’est là mon opinion
Que si vous gardez l’Vnion,

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Ce Coyon s’en ira de crainte,
Donnons luy viste quelque atteinte,
Pour accroistre encor son effroy,
Il faut que le Roy soit le Roy,
Non pas ce Demon qui gouuerne,
Donnons luy comme il faut la Berne,
Pour le mettre en confusion,
Et prenons vne occasion,
Qui ne sera iamais si belle,
Cependant qu’il est en Ceruelle ;
ça Bourgeois agissons pour Nous,
Pour le Roy, la Reyne, & pour Tous,
Le salut de toute la France
Dépend de nostre diligence ;
Ne sçauez vous pas bien qu’il faut
Battre le fer lors qu’il est chaud ?
Faisons de nouuelles merueilles,
Et des actions sans pareilles,
A fin de faire voir bien clair,
Que Paris est tousiours sans Pair ;
Car tout le reste le contemple
Comme vn Illustre & grand Exemple,
Pour regler, mais regler tres-bien,
Ses sentimens suiuant le sien,
C’est le premier, & grand Mobile,
Qui sans doute à toute autre Ville,
Doit donner son branle, & ses loix
Pour faire viure les François,

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Qui doiuent aussi tous le suiure,
S’ils sont desireux de bien viure ;
Ouy dans cét orage present,
C’est vn Phare bien reluisant,
Qui doit éclairer tout le monde
Sur cette mer vaste, & profonde ;
Et toy qui vois nos maux diuers,
Grand Paris, petit Vniuers
Tu dois seul tirer de souffrance
Tout Paris, & toute la France :
Paris pour sortir de tout mal.
Il faut chasser le Cardinal,
Et pour auoir vn bien Supresme,
Il faut recouurer le Roy mesme :
Ainsi nous viurons desormais
Auec luy dans Paris en paix,
Et tost par sa bonté Royale
Nous aurons la Paix generale.
Ce sera dans vn si beau temps
Que tous les Cœurs seront contens,
Que les François verront la France
Dans le bon-heur, dans l’abondance,
Dans la Ioye & dans les plaisirs,
Chacun soulera ses desirs,
On y verra, comme en Cocagne
Couler par toute la Campagne
Ruisseaux de laict, & de muscat,
Et de vin du plus delicat :

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On y verra (grand auantage)
Des monts de beurre, & de fromage,
Du gibier tousiours à foison,
Des Cailles en toute saison,
Et les Perdrix bien assorties
Y tomberont toutes roties.
Pour l’or ce métail si charmant
Y sera plus abondamment,
Qu’il n’est dans les nouuelles Indes.
O Dieux ! que nous ferons de brinde
Ah quelle vie, ah quel repos !
Alors de bien vuider les pots
Sera nostre plus grande gloire,
On ne parlera que de boire,
Comme au temps du Roy Guillemot ;
Si maintenant on n’en dit mot
Lors tout ira par écüelles,
Lors on verra laides & belles,
Riches, & pauures bien trinquer,
Les plus vieilles se requinquer,
Pour trouuer ieune mariage,
Et le reste du cariage,
Car Chacune aura son Chacun
Pour auoir vn plaisir commun,
Et par vne égalle fortune,
Chacun trouuera sa Chacune,
Pour viure sous les loix d’Himen.
Parisiens, dites Amen.

 

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EPIGRAMME SVR
la Paille.

Les Parisiens à Mazarin.

 


Monsieur l’Italien Normand,
L’homme à l’insatiable Pance,
O Dieux ! que vous estes Gourmand
D’auoir mangé toute la France.

 

 


Apres tant de si chers Festins,
Où vos grands Diables d’Intestins
A nos despens ont fait Ripaille,
Si nous sommes si fort ardans
A prendre tous vn brin de Paille,
C’est pour vous en curer les Dents.

 

EPIGRAMME SVR
Mazarin.

Les Parisiens aux Mazarins.

 


Messieurs, ne vous estonnez pas
Si l’on prend icy de la Paille,
C’est pour brusler vn Cochon gras,
Dont l’on veut auoir la Tripaille.

 

FIN.

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Anonyme [1652], LE MEDECIN POLITIQVE, QVI DONNE VN souuerain Remede, pour guerir la France malade à l’extremité. Honora medicum propter necessitatem. , françaisRéférence RIM : M0_2439. Cote locale : B_18_6.