Anonyme [1652], LE MANIFESTE DV CARDINAL MAZARIN, PRESENTÉ AV ROY par luy mesme à son départ de Ponthoise. , françaisRéférence RIM : M0_2391. Cote locale : B_2_9.
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LE MANIFESTE DV
Cardinal Mazarin, presenté au Roy par
luy-mesme, à son départ de Ponthoise.

SIRE,

La recompense de la vertu est tirée de la vertu mesme,
& les Roys n’ont point de theatré plus releué de
leurs genereuses actions que leur conscience & l’honneur
de les auoir faites, ils se contentent aussi de leur
propre témoignage ; car le blasme ou la loüange qu’on
leur donne n’augmente ny ne diminue leurs gloire.

Ces considerations tres-puissantes m’ont retenu
quelque temps à ne répondre aux escrits calomnieux
qui ont esté publiez contre l’honneur de vostre Majesté
& la reputation de son Conseil. Lesquels outre
qu’ils ont esté tres mal receus des gens de bien, sont
encore plus mal digerez par leurs Autheurs, & sans
aucuns fondements ; Ie les ay negligez, esperant que
le temps, la patience & le mespris, en feroient assez
recognoistre la fausseté. Mais craignant que le silence
n’en authorisa le credit, à cause du nom qu’ils portent
sur le front, & du lieu d’où ils viennent, n’ignorant
pas que parmy les peuples il s’en trouue toûjours
quelques-vns qui sont portez de malice pour se
plaindre de leurs Princes, que les calomnies qui se

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disent contre eux ; quoy que supposées, trouuent toûjours
des oreilles ouuertes à les receuoir, que la saison
est inique, la haine aueugle à supposer des crimes aux
personnes innocentes, & que les injures faites à la Majesté
Royale sont tousiours grandes ; I’ay creu que
vous auriez agreable ce discours, & que vous apprendriez
en le lisant les suittes & les consequences que
produisent en vn Estat, les impostures, & que vostre
Majesté s’en seruiroit comme d’vn Antidotte, & preseruatifs
contre tout ce que l’enuie ennemie iurée de
la vertu & des grandes fortunes en peut dire &
écrire.

 

Sire, Ceux qui desirent troubler vn Estat essayent
par toutes sortes d’inuentions d’imprimer dans l’esprit
des sujets, vne mauuaise opinion du Prince, les
escrits sont les premieres dispositions qui en forment
le dessein ; C’est la porte d’où sort le respect, & par où
entre la rebellion : tous les autres moyens sont faciles
quand celuy qui commande est en mauuaise reputation,
tout ce qu’il dit, & tout ce qu’il fait est sinistrement
interpreté, ses plus iustes actions sont censurées,
& s’il faisoit des miracles, on les feroit passer pour illusions,
s’il a quelques deffauts, comme homme, il est
amplifié & mis en son lustre ; Enfin toutes choses concures
à sa confusion : c’est lors que les Audacieux
éueillent leur Ambition ; & s’il arriue que la volonté
se joigne à l’esperance, d’obtenir quelque bien, l’on
tente aussi le moyen d’y paruenir.

Sire, La medisance continuë en leurs lettres &

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aux discours qu’ils sement par tout, & semblables à
celles de tous les Siecles passez, encore que toutes choses
se changent ; ce n’est toutesfois que de nom & de
visage, la mesme substance demeure : il n’y a que les
accidens qui perissent. On se plaint tousiours que
l’Estat est mal gouuerné ; On se plaint des honneurs
& du pouuoir que les Rois donnent à leurs principaux
Ministres, desquels les seruices ne sont pour [1 mot ill.]
contez, & quoy qu’il semble que l’effort de leurs
plaintes & de leurs calomnies poincte particulierement
contre eux ; C’est le plus souuent vn piege que
l’on tend pour surprendre le Prince : Cette coustume
estant pratiquée de ne médire iamais de son Roy, ny
de luy faire la guerre ouuertement & directement
mais on le fait sous le nom emprunté de ses principaux
Ministres : Aussi est-ce la raison plus considerable,
& pour laquelle les voyes defait contre ceux qui
sont en faueur auprés des Monarques & des Rois, sont
qualifiez du crime de leze Majesté, durant que sous
l’ombre du seruiteur, ou en [2 mots ill.] aux
Maistres. L’Histoire Romaine & celle de France nous
en fournissent plusieurs exemples.

 

Nimphidius estant la seconde personne en l’Estat
Romain, auprés de l’Empereur Galba, assembla tous
les Chefs de la milice Romaine, leur faisant [1 mots ill.]
combien que Galba, quant à la personne, fut vn bon
Prince & tres-moderé, que toutesfois il ne se gouuernoit
pas par luy-mesme ; ains se laissoit mener à sunius
& à Lacon, qui gastoient & brouilloient tout,

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& qu’il les falloit chasser d’auprés de luy de gré ou par
force ; tous les Capitaines plus sages & plus modestes
qui luy refuserent de l’accompagner en ce dessein,
trouuant est range & hors de raison de prescrire à leur
Empereur, de quels seruiteurs & de quels amis il se
deuoir seruir en ses affaires, & d’entreprendre sur sa
Majesté, ce que l’on auroit honte de tenter enuers le
moindre Citoyen de Rome. Et en ce Royaume du regne
de Charles VII. le Duc de Bourbon, le Seigneur
de Bossac, le Connestable de France, & plusieurs autres
Seigneurs, apres quelques libelles diffamatoires
qu’ils auoient semez contre le Sieur de la Trimoüille,
qui auoit tres bonne part auprés de luy s’estant éleuez,
& ayant pris les armes pour le chasser d’auprés du
Roy ; Sa Majesté reputa ce fait comme vn attentat à
sa personne, les declara rebelles, & comme tels, les
contraignit par ses armes de retourner en leur deuoir.
Aussi est ce vne espece de sacrilege, de disputer du
jugement du Prince, & de vouloir reuoquer en doute
s’il a bien ou mal fait à quelqu’vn. La condition des
Roys seroit bien rauallée & abaissée, s’ils estoient
obligez de rendre compte de leurs actions, l’on en
doit plutost admirer les effets que d’en rechercher les
causes ; nous deuons croire que Dieu ne les esleue pas
en de si hautes preéminences, qui ne leur donne des
graces proportionnées à leurs Charges, ce qui est cause,
comme ie croy, que l’on ne les peut fixement regarder
sans s’ébloüir : car il sort de leurs Maiestez de
certains feux estincelans qui nous estonnent, comme

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lors que les Anges se presentent à nos yeux : c’est
tousiours auec trouble & estonnement.

 

N’allez donc plus langues serpentines ? n’allez donc
plus blasmants la reputation de ceux que le Roy estime,
pour leurs merites & pour les seruices signalez
qu’il en a receus, N’enuiez pas la confiance que le
Roy a en eux, taschez plutost à les imiter que d’en
médire ; N’escriuez plus si librement, & ne parlez plus
si legerement des actions des Princes, lesquels non
plus que Dieu, ne font rien qui implique contradiction,
& dont les pensées ne se mesurent pas au iagement
de leurs sujets : car ils ont des intelligences separées
du commun des Conseils impenetrables & des
coups reseruez : il vous est beaucoup plus honnorable
& moins perilleux d’obeïr simplement à leurs volontez,
que d’éplucher & faire vn iugement temeraire
de leurs intentions.

Sire, Auguste Cesar commanda qu’on mist sur la
porte de ce superbe Palais qu’il fit bastir apres la guerre
Philippicque, cette riche deuise, Parce Tempori,
pardonnez au temps pour nous instruire ; qu’il y a de
temps qui obligent les Princes à des choses qu’ils ne
feroient pas s’ils n’estoient pressez de la necessité. C’est
en ce poinct où consiste vne partie de la sagesse de
ceux qui gauuernent les Monarchies, d’obseruer les
temps, & d’obeïr à y ceux, c’est à dire, à la necessité
presente pour [1 mot ill.], à laquelle ils se départent de
la Loy, afin de maintenir l’Estat & les affaires publiques :
aussi arriue-t’il souuent des occasions ausquelles

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les offices & actions d’vn homme de bien sont changées,
& où il conuient faire tout le contraire.

 

Le Soleil qui a le mouuemẽt plus reglé, & qui sert
de mesure aux mouuemens des autres Planttes,
quand il est meu du mouuement de trepidation, semble
byaiser plus que de coustume ; Dieu mesme change
souuent les decrets de sa volonté, & tousiours pour
nostre bien, encores que nous ne le reconnoissions
sur le champ ; de mesme si vostre Majesté a donné
quelques recompenses & fait du bien à quelques personnes
dont les merites luy ont esté connus : aucun
ne s’en doit formaliser, mais au contraire, en loüer &
exalter vostre Royale bonté, qui ne fait que des choses
merueilleuses, incomprehensibles & incomparables
qu’à elle-mesme.

FIN.

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