Anonyme [1651 [?]], LE MANIFESTE DV CARDINAL MAZARIN LAISSÉ A TOVS LES FRANCOIS auant sa sortie hors du Royaume. Contenant vne exact abregé de toutes les actions de son Ministere. Répondant à tous les chefs d’accusation qu’on luy a obiecté. Descouurant les motifs, les intrigues & la politique, dont il s’est seruy pour entreprendre, pour conduire, & pour establir tous ses desseins. Et le tout, sans que le Parlement, les Frondeurs, les Partizans des Princes puissent s’inscrire en faux, contre pas vne de ses propositions. Nonne morituro licet vni dicere verum Iuu. l. 3. , françaisRéférence RIM : M0_2390. Cote locale : C_11_4.
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LE MANIFESTE
DV CARDINAL
MAZARIN.

IE ne trahirois pas moins le deuoir de ma conscience,
que les interests de mes successeurs
dans le Ministre d’Estat ; si pour rompre le torrent
des inuectiues qu’on fait tous les iours, pour
décrier ma conduitte, ie n’opposois fortement
les inuincibles motifs qui m’ont porté à l’execution
de toutes mes entreprises ; & qui me iustifieront
infailliblement dans l’idée de tous ceux
qui voudront conclurre par vne consequence necessaire,
tirée de mon raisonnement, que ie ne
me suis iamais reglé en pas vn de mes desseins que
sur les maximes des plus grands Politiques du
monde ; & que ie deffie les plus sages de pouuoir
se maintenir dans le rang où mes bons destins
m’auoient esleué, à moins qu’ils n’adorent les maximes
souueraines, que i’ay tousiours reconnu
pour les intendantes & les œconomes d’vne haute
fortune. Il est vray que la creance generale qu’on
a que mes fautes ne sont pas seulement capables
de soustenir vn beau déguisement, fera rebuter le
dessein que i’ay de les excuser ; & que l’idée pretendue
ou veritable de mes fourberies, iettera

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d’abord le soubçon de quelque nouuelle soupplesse
dans les esprits de ceux, qui ne croyent pas seulement
que ie puisse produire vn seul acte de sincerité.
Mais ie suis si conuaincu de celle qui paroistra
dans toute la conduitte de ce Manifeste, que mes
plus grands ennemis seront contraints d’auoüer que
ie ne me suis estudié qu’à contretirer naïfuement
son visage, & que la verité toute nuë m’a du moins
à ce coup charmé, puis que ie m’en vay luy oster le
masque, pour l’exposer auec toute la simplicité qui
me sera possible.

 

Ceux qui font des reflexions des-interessées sur
la condition des premiers Ministres, que la fortune
a esleué de peu, pour les asseoir aupres du timon
des Estats ; ne doutent nullement que la necessité
de s’y maintenir ne leur donne vne dispense
generalle de toute sortes de Loix ; & qu’ils ne
soient obligez par l’engagement d’honneur qu’ils
ont à se mettre à couuert des ialoux sur ce rang,
de trauailler à l’acheuement de leur bon-heur,
par la recherche des moyens qui peuuent oster toutes
sortes d’accez aux attaques de leurs ennemis
Car de croire que la grandeur puisse monter plus.
haut que la ialousie, c’est ce qui m’est autant defendu
par l’experience de tous les âges, que par les sentimens
generaux de tous les Philosophes, qui n’ont
pas trouué moins d’impossibilité dans la separation
des deux, que dans celle du corps d’auec son ombre.

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Cette verité receuë generalement de tous ceux
qui sçauent respecter les principes du sens commun,
m’a conuaincu, que si i’estois éleué par la
faueur de ma bonne fortune, il falloit necessairement
me soustenir par mes forées ; & que, si cette
diuinité peut faire des creatures, elle en laisse toujours
la conseruation à leur propre conduite : pour
cét effet d’abord qu’elle ma mis en main les rénes
de cette Monarchie pendant la Regence de son
Mineur souuerain, ie me suis auisé de preocuper
entierement l’esprit de la Tutrice ; de rauir à ses
premieres inclinations, la place de ceux qui commençoient
à les posseder, & de l’engager insensiblement
à captiuer son authorité, sous les ordres
de ma conduitte, en luy faisant entendre que la
qualité d’estranger, que j’auois commune auec
elle, me rendoit plus propre à seconder toutes ses
intentions ; que l’impuissance de me pouuoir
maintenir sans son entremise ; m’engageroit plus
inuiolablement à ne demordre jamais de la fidelité
de ses seruices ; qu’elle ne pourroit point trouuer
de Fauory auquel elle peut commettre plus
asseurément ses secrets, qu’à celuy qui ne seroit jamais
obligé de les éuanter par aucune consideration
d’Estat ; que le souuenir des mauuais traitemens
qu’il auoit receu des François ne luy deuoit
pas moins donner de dégoust que de soubçon de
leur inconstance, supposé qu’elle vint à s’abandonner

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à leurs caprices ; & qu’enfin l’honneur
que j’auois d’estre né suiet du Roy son frere, la
deuoit en quelque façon porter à me considerer
par dessus tout autre, par la seule reflexion qu’elle
pouuoit auoir que ie ne m’atacherois aux interests
de France, qu’à mesure que ie l’y reconnoistrois
engagée ; & que ie n’auancerois ny ne retarderois
ses affaires, qu’au gré de ses seules inclinations.

 

Ie souhaitterois maintenant que ces ennemis
irreconciliables de ma mauuaise conduitte, me
voulussent faire la faueur de calmer, du moins vn
moment, les orages de leurs passions ; afin de juger
sainement s’il estoit quelqu’autre biais plus
asseuré pour obseder l’esprit de la Reyne, que celuy
que ie prenois du costé de son ambition : & si
ie pouuois plus iudicieusement ménager le dessein
que j’auois de me rendre absolu, qu’en m’efforçant
de m’emparer souuerainement de son esprit,
en me rendant aussi necessaire par la qualité
d’estranger, que ie luy faisois paroistre tout autre
redoutable par celle de domestique.

Le succez fit du moins assez connoistre que
j’auois assez adroittement ménagé ce dessein ? puis
que ie l’emportay glorieusement sur le Duc de
Beaufort ; & que toutes les belles qualitez de ce
Prince ne furent pas capables de luy conseruer
la possession d’vne place que ie venois attaquer,
quelque foible neantmoins que ie fusse par le

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manquement de toute sorte d’aliance dans la Monarchie,
& quelque puissant qu’il fust luy-mesme,
tant par la raison de la parenté, dont il atouchoit
de prés à la Maison Royale, que par les
grands auantages qu’il auoit d’estre le premier
possesseur des libres inclinations de cette Souueraine.

 

Ceux qui me condamnent ensuitte d’auoir ataqué
l’innocence de ce Prince auec des crimes supposez,
& d’auoir tâché de le faire paroistre aussi
redoutable à l’esprit de la Reyne, qu’elle l’auoit
jugé peu auparauant aymable, ne sont que fort
legerement versez dans la Politique ; en ce qu’ils
ne considerent pas qu’vn riual supplanté, est vn
lion déchainé, qui n’espie que les occasions de
se defaite de son vainqueur ; & qu’vne affection
assoupie par les intrigues de quelque ambitieux,
se réueille bien souuent pour rappeller enfin dans
la possession de ses tendresses, celuy qui les auoit
premierement possedées.

C’est cette Politique qui doit ce me semble justifier
le dessein qui m’inspira celuy de le perdre,
& qui fist que ie m’asseuré de la personne de ce
Prince, par la seule raison que j’auois qu’il estoit
assez coupable, puis qu’il estoit à craindre ; &
qu’en matiere d’Estat il ne falloit point considerer
les effets, mais les seules apparences des entreprises,
pour faire arrester leur autheur en qualité

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de criminel Ainsi le jugé que le nouuel honneur
de premier Ministre de sa Majesté Regente, me
donnoit vn plausible pretexte, duquel ie pouuois
du moins apparemment colorer la détention du
Duc de Beaufort ; puis que la raison que j’auois de
le redouter, par la seule consideration que j’auois
que la qualité de Prince le feroit viure dans les ressentimens
de sa derniere disgrace, justifioit assez
le dessein de m’en asseurer, pour ne faire point
aucun faux pas dans la conduitte des affaires, par
la seule incertitude que l’obligation qu’il auoit de
me détrôner me pouuoit faire conceuoir de ma
subsistance.

 

Il est vray que ce motif me porta puissamment
à l’execution de cette grande entreprise : Mais
enfin ie voulus entrer dans la belle lice de mon
Ministere par vn glorieux debut, sur l’idée que
j’auois que la hardiesse de cette entreprise porteroit
la terreur de mon authorité dans l’esprit de
tous ceux qui voudroient desormais attenter à ma
perte ; & que le succez de ce coup placeroit si hautement
ma reputation dans l’estime de tous les
Grands de l’Estat que les plus hardis se rendroient
d’oresnauant les plus souples à l’execution aueugle
de tous mes ordres dans le progrez de mon
authorité, puis que dés son commencement j’aurois
eu le pouuoir de la rendre si redoutable par
l’heureux succez de la plus dangereuse entrepris
du monde.

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Si cette conduitte n’est pas aussi iudicieusement
concertée, que genereusement entreprise, ie pense
qu’on s’en doit prendre aux plus grands Politiques
de la terre, qui semblent tousiours auoir
prescrit pour tres-importante maxime aux premiers
Ministres des Estats, de surprendre d’abord
les plus determinez, par la hardiesse de leurs entreprises ;
de rendre leur authorité inflexible pour
l’execution de leurs premieres volontez, & de
prendre leur premier essor vers quelque chose
d’illustre & d’éclatant, afin de faire redouter par
les broüillons, à mesme qu’il se feroient respecter
par les pacifiques.

Si l’emprisonnement du Duc de Beaufort me
cousta la haine de ceux, que le sang ou l’amitié
sembloient raisonnablement interesser à sa liberté ;
il m’aquist l’estime d’homme de main dans l’idée
de tous les desinteressez ; si bien que tout le
monde iugea d’abord, que i’encherirois de beaucoup
par dessus la gloire de mon predecesseur,
puisque n’estant secondé que par le bras foible
d’vn Mineur, ie me portois d’abord à des coups
d’essay, que l’autre n’eut peu qu’à grand peine
nombrer parmy ses chef-dœuure.

En suitte de ce coup hardy ie m’imaginay malgré
le courage dont ie me laissois flatter par ma
fantaisie, qu’ayant choqué la maison de Vendosme,
il falloit faire pancher toute la faueur du costé

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de celle de Condé, pour faire subsister ma fortune
par la jalousie que ie ferois naistre dans les
familles des Princes, afin que se desunisant les
vns d’auec les autres, pour s’entre choquer, ils me
considerassent plutost comme le sujet de leurs brigues ;
que comme celuy de leurs attaques ; & me
donnassent cependant le loisir de me fortifier dans
la faueur pour m’en seruir, puis apres au gré de
mes inclicinations.

 

Ie confesse neantmoins que l’abaissement de la
maison de Vendosme ne me donna point tant
de mépris de la foiblesse de son impuissance à me
pouuoir nuire ; Que i’eus de ialousie de voir l’éleuation
de celle de Condé, laquelle se préualant
hautement de la gloire que le Duc d’Anguyen
auoit recemment remporté dans ces deux illustres
campagnes de la Flandre, & de l’Allemagne ;
commençoit sans doute à le porter si haut, que
i’eusse eu de la peine à me conseruer dans le plus
bel éclat du milieu de la Cour, sans y disparoistre,
si ie ne me fusse avisé de perdre ce jeune Conquerant
par vn beau pretexte d’honneur, & de rabatre
son orgueil, en le saisant honteusement reculer
en vn lieu, ou depuis peu neantmoins vn autre
General, qui ne peut aller de pair auec luy, ny
pour sa naissance, ny pour sa valeur, auoit merité
le titre d’inuincible.

Pour cet effet, ie le fis artificieusement consentir

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à la campagne de Catalogne, où sans doute
il iroit couronner toutes ses victoires par la plus
illustre de toutes, s’il pouuoit prendre l’imprenable
du Comte de Harcour, lequel ayant trouué
l’écueil fatal du reste de ses triomphes deuant Lerida,
luy laisseroit la reputation du plus redoutable
Capitaine de l’Europe, en suitte des efforts victorieux
qu’il feroit sur cette place, pour la faire
heureusement succomber à ses attaques : Ie ne
manquois pas sous main de le repaistre de mille
belles esperances d’argent & de monde, contre le
ferme dessein neantmoins que i’auois de le laisser
perir à faute de secours, & de n’exposer pas moins
sa vie, que sa reputation à la mercy de ses ennemis :
Cependant que ie les faisois auertir en secret de
fondre auec toutes leurs forces dans la Catalogne,
sur l’asseurance que ie leur donnois, qu’ils
en auroient bon marché, & que le Prince de Condé
ne deuant marcher contr’eux qu’auec la seule
reputation, leur deuoit par consequent releuer le
courage pour en triompher auec plus de facilité.

 

Pourquoy me blame-t’on de m’estre comporte
de la sorte, ou d’auoir trahy, si l’on veut, les interests
du Prince de Condé : Ne sçait-on pas qu’il
est de la plus ordinaire prudence des premiers Ministres,
de mettre des obstacles aux accroissemens
de la grandeur des Princes ; de peur que leur ambition
s’esleuant du pair auec leur fortune, ils ne

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soiẽt enfin assez temeraires pour attenter à la perte
de ceux qui sont placez auprés du timon des Estats
par la seule faueur de leurs Monarques ; Les fauoris
qui iouyssent paisiblement de la douceur
de leur fortune, sans interrompre le bon-heur de
ceux qui peuuent la supplanter, sont d’ordinaire
suiets à des disgraces ; & certainement ils ne meritent
point de posseder le rang absolu où ils sont
esleuez, s’ils peuuent souffrir que quelque autre
les auoisine, sans en estre ialoux.

 

Ainsi suiuant les maximes, que la necessité de se
maintenir prescrit à toute sorte de fauoris, ie ne
me suis pas seulement efforcé de perdre le Prince
de Condé ; mais encore i’ay tousiours taché de
rompre le neud de l’vnion qui pouuoit le lier
auec le reste des Princes, & de nourrir parmy eux
le schisme de la diuision, affin de me renforcer
pendant qu’ils s’affoibliroient les vns les autres ;
& de conseruer ma fortune dans la possession d’vne
heureuse tranquillité, pendant que ie me rendois
le spectateur de leurs diuorce, & que mesme
ie profitois de leur desunion. Cette Politique faisoit
que ceux qui ne m’eussent point regardé sans
ialousie pendant la tranquillité, me consideroient
pendant les orages comme l’arbitre de leur different,
Et ie menageois si bien ma fortune que ie
me faisois rechercher pour appuyer le party de
ceux, qui m’eussent sans doute terrassé, si les querelles

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leur eussent donné le loisir de me regarder
auec enuie.

 

Mais il n’est que les seuls interessez au party du
Prince de Condé, qui me chargẽt du crime de l’auoir
trahy dans l’entreprise du siege de Lerida : le
nombre de ceux qui m’ont soubçonné d’intelligence
auec l’Espagne, apres l’afront d’Orbitello
où l’Admiral perit, & la reprise de Courtray, m’estonneroit
encore d’auantage, si la pluspart ne sçauoit
que mes interests, & mes complaisances font
mon Appologie sur ce suiet ; & que si les pretensions
que mon ambition pouuoit auoir sur cette
contrée d’Italie ne me permettoient pas d’y seconder
les desseins de la France ; Les complaisances
que ie deuois aux inclinations de celle
dont la seul faueur faisoit toute ma fortune,
m’ordonnoient de ne m’opiniastrer point à conseruer
vne place, qui pouuoit autant brider les
desseins d’Espagne, que fauoriser toutes les entreprises
que la France pouuoit faire sur les Pays-bas.

C’est vne folie qui ne peut estre receuë que parmy
les Sages des escholles, que de vouloir entierement
desinteresser vn Ministre, pour ne luy permettre
d’agir, que par les seuls principes generaux,
& le vouloir tellement assuiettir à la consideration
du bien de l’Estat, qu’il ne luy soit iamais
permis de se regarder que par reflection. Ces

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maximes sont belles dans la bouche d’vn Professeur
de Politique ; mais si l’execution en est impossible
elle en est du moins si difficille, que les Estats
n’en ont point encore veu, qui se soient reglez sur
leur conduitte. Ainsi ie pense que quand ie diray
que mes interests ont dõné le brãle à mes desseins,
ie pouray asseurer que ie n’ay agy que par les motifs
les plus communs, & que mesme ceux qui me
condamnent quelque fausse couleur qu’ils emprunte
des interests pubics, pour donner vn apparent
pretexte à leurs inuectiues, ne font de reflection
que sur leurs particuliers.

 

L’abandonnement du secours de Naples,
sur lequel on m’a si souuent battu, n’a esté qu’vn
pur effet de la passion que iauois de maintenir
mon authorité ; & cela mesme ie l’ay iugé si necessaire
pour mes interests, quelque desauantageux
neantmoins que ie l’estimasse pour la France,
que le desdain que les Napolitains auoient fait
d’accepter mon frere pour Vice Roy, m’obligea
de leur faire ressentir en leur donnant vn Prince
François, que si la protection en estoit plus splendide,
elle n’en estoit pas de beaucoup si auantageuse,
& que i’auois le pouuoir de les faire resentir
du mépris qu’ils faisoient de se soumettre
à celuy que mon authorité eust pû rendre inuincible,
si ma naissance ne le rendoit pas si recommandable.

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Ie pouuois bien me comporter autrement auec
ces peuples rebelles, mais l’impuissance de me témoigner
insensible à ce refus, me fit opposer des
obstacles au dessein que la fortune auoit de
mettre encore cette Couronne estrangere sur
la teste du Roy de France, & la crainte que i’eus
de me voir vn iour exposé à la honte de ces peuples
par le seul motif de l’offre que ie auois fait
de leur donner vn Moyne pour Vice Roy, m’obligea
d’en preuenir les effets en faisant auorter
le dessein qu’ils auoient de voir refleurer leur liberté
sous l’Empire des Lys.

Le Duc de Mantoüe n’esprouua pas moins les
effets de cette Politique, lors que demandant la
protection de la France ie payé d’vn refus celuy
qu’il m’auoit fait de prendre ma niepce Martinozzi,
quelque asseurance neantmoins que ie luy
donnasse, de le remettre dans la possession de Cazal,
& de toutes les autres places que le Roy de
France tient en Italie.

On a beau se gendarmer pour me rendre mesprisable
par le peu de soing que i’ay eu de procurer
à la France tous ces aduantages pretendus : Il
estoit trop important que l’honneur que i’auois
d’estre son Premier Ministre ne fut point alteré,
& ie pense au moins qu’en cette qualité ie n’estois
pas trop ambitieux que de pretendre à la Vice-Royauté
de Naples pour mon frere, & à l’alliance

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du Duc de Mantoüe par le mariage de ma niece,
puis que ce rang où ie me voyois esleué, me
pouuoir du moins faire marcher de Pair auec les
plus grands Princes du monde.

 

I’aduoüe, que ce n’est pas auec tant de raison
que i’ay abandonné le Duc de Modene qui s’estoit
si genereusement declaré pour la liberté de
l’Italie, & pour la gloire des François, & que i’ay
exposé à la honte de leuer le siege de Cremone,
par les deffences secrettes que ie faisois aux Chefs
de l’armée de Frãce mes creatures, de ne seconder
que foiblement le courage de ce Duc, pour rendre
ses efforts innutiles, & ses entre prises impuissantes :
quoy qu’il semble neantmoins qu vn Ministre
d’Estat ne doit point tousiours se soumettre
si seruillement à l’exacte cõduite des affaires, qu’il
ne puisse mesme bien souuent les laisser glisser dãs
quelque desordre par sa negligence : & cela mesme
semble donner de plus fortes preuues de son
authorité, en ce qu’il donne assez de pretextes à
la crainte de ses ennemis, pour redouter mesme
sa foiblesse, par la raison du motif qu’ils peuuent
auoir, qu’elle n’est qu’aparente, & qu elle ne tombe
en pamoison que pour s’en releuer auec plus
de gloire.

Toute cette conduite, il est vray, ma fait passer
ou pour imprudent, ou pour traistre dans l’esprit
de ceux qui faisoient les passionnez pour le progrez

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des affaires de l’Estat. Mais les scrupuleux ont
encore enchery par dessus toutes les satyres, lors
qu’ils ont eu le vent du dessein que i’auois de declarer
la guerre au Pape, & de ne pas recõnoistre
son election, que ie ne iugeois point Canonique :
C’est icy qu’ils se sont cõportez à ne m’espargner
point dans leurs inuectiues, quoy que neãtmoins
ie n’aye esté detourné de l’execution de cette entreprise,
que par les resistances du feu Prince de
Condé, qui ne peut iamais gouster que le pretexte
de secourir le Duc de Parme nostre alié, que i’auois
engagé aux frais d’vne guerre, pour rentrer
dans son Duché de Castro, que le saint Siege luy
auoit confisqué, peut iustifier le dessein que i’auois
de conspirer auec les armes de France contre
le Chef de l’Eglise.

 

Mais en cela mesme ie pense que ie n’estois pas
mal intentionne, & que ie pouuois iustifier mon
dessein de renuerser l’Election d’Innocent X. par
la raisonnable aprehention que i’auois, d’auoir
pour Souuerain luge, celuy dont i’auois fait assassiner
le neueu, ie m’en rapporte au iugement des
Sages des-interessez, & des Casuistes les plus scrupuleux,
qui ne peuuent condamner, ny le meurtre
ny la calomnie, lors qu’ils ne tendent qu’à
suplanter celuy qu’vne iuste peur nous fait appréhender
comme l’infaillible autheur de nostre perte ;
ainsi me doutant raisonnablement que le Cardinal

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Pamphilio, ne manqueroit point de rechercher
l’occasion de quelque vengeance, des que
cette Eslection l’auroit mis en estat de la pouuoit
exercer auec plus d’esclat, ie pense que ie pouuois
iustement interesser la France à ma protection, en
taschant de la porter à ne reconnoistre point l’Eslection
de ce Pape, par la seul consideration des
motifs, que i’empruntois d’vne simple bien-seance.

 

Ces affaires estoient encor assez secrettes pour
ne me mettre que dans la haine de quelques particuliers
zelateurs du progrez de l’Estat. L’empeschement
que i’ay porté à la conclusion de la paix
de Munster, a esté le principal & le plus general
escueil de ma fortune, en ce qu’il n’est point de
subiet dans la Monarchie, qui ne se soit senty interressé
dans la continuation de la guerre, sur la
iuste creance, que tout le monde a eu, que l’argent
en estant le nerf, il faloit necessairement se resoudre
à ne s’espargner point, quelque grande que
fut la disette & la desolation, que la longue diuision
des Couronnes auoient porté dans la Monarchie.

Ie pense toutefois que ma iustification n’est
pas impossible si ceux qui me blasme pour auoir
fomenté cette funeste des-vnion, veulent considerer
que ie n’ay regardé que mes interests en les
seruant, comme ils ne regardent que les leurs en

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me condamnant, & qu’outre que i’eusse esté le
plus desnaturé, i’eusse encor esté le plus mal auisé
du monde, si ie n’eusse fortement opposé des obstacles,
au zelle que le Duc de Longueville & le
feu Comte d’Auau auoit de conclure la paix, non
moins à l’aduantage de la France qu’au desauantage
d’Espagne.

 

La reflection que ie faisois sur la mauuaise posture
des affaires du Roy d’Espagne mon Prince
naturel, me donnoit tant de compassion de le voir
reduit à conclure vne paix si outrageuse à sa gloire,
que ie me sentis obligé par la consideration de
toute sorte de respects, de ne seconder pas ses
mauuais destins, en m’efforçant viuement de rompre
le traicté qui s’en alloit estre signé à sa grande
confusion. Ce pendant que ie l’y faisois esperer
que ie menagerois si fauorablement pour luy les
armes de France dans la continuation de la guerre,
qu’il ne faudroit pas beaucoup de resistance
pour les repousser, comme il ne faudroit par mesme
raison que fort peu d’effort, pour reprendre
toutes leurs conquestes.

Ceste compassion, que ie voyois encore authorisée
par la Regente sa sœur, ne me semble pas
assez forte pour soustenir la haine de ceux qui
proscriuent si librement ma teste, en vengeance
des empeschemens que i’ay porté à la conclusion
de la paix ; Mais neantmoins ie puis protester à

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toute la France, que la consideration des interests
du Roy d’Espagne n’en a esté que le moindre motifs ;
& que les reflections que ie faisois sur ma
pauureté, & sur l’impossibilité de ma conseruation
si la paix venoit a estre concluë, m’ont fourny
les intrigues d’esquelles ie me suis seruy, pour
en empescher le succez.

 

Est il quelqu’vn qui ne sçache pas que les Ministres
des Estats ne peschent iamais qu’en eau
trouble ; & que les beaux pretextes de soustenir
leur gloire dans leur diuision, authorisent du
moins en apparence, toutes les leuées de deniers
qu’ils font pour soustenir le faix de la guerre : pour
moy ie ne vois pas qu’il soit possible de s’enrichir
pẽdant la paix ; & les moyens dont ie me suis seruy
par l’entremise des intendants & des fuseliers,
eussent plustost esté des suiets de diuision, que des
sources d’abondance pendant la tranquilité. C’est
pour cette raison en partie que ie me suis opposé
par l’intrigue du Comte de Servient, aux vigoureuses
poursuittes que le Duc de Longue ville faisoit
pour signer ce traicté si fatal à mon agrandissement :
quoy que neantmoins i’en fisse aparemment
le passionné pour ne rebuter pas tout a fait
les esprits de ceux qui ne s’interressoient à cette
conclusion que par les plus pures raisons d’Estat :
& pour cét effet mesme i’ay tenu pendant ie ne
sçay combien de temps à Nuremberg, le sieur de

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Vautour, souz pretexte de negocier la paix auec
les Plenipotenciaires des autres Prouinces, faisant
tousiours esperer au sieur Contarin Ambassadeur
extraordinaire, que la Republique de Venize
enuoyoit comme Mediatrice de tous les differens
qui sont entre les Couronnes, qu’à toute heure
ie luy ferois donner son Audiance de congé, &
les articles de dernieres propositions de paix,
pour les porter puis apres en Espagne : Mais en
effet, ie n’auois rien au monde moins à cœur, que
le bon-heur de ce repos public, tant par la raison
de l’impuissance visible qu’il causeroit à mon enrichissement,
parce que n’estant que fort legerement
ancré dans le gouuernement de l’Estat, la
jalousie des Grands m’enleueroit bien-tost sans
difficulté, si ie ne m’eforçois d’entretenir les feux
de la diuision, afin de les éloigner sous le pretexte
glorieux de les aller esteindre ; & pour asseoir
plus fermement les fondemens de ma fortune,
que ie ne pouuois ny maintenir, ny auancer à
moins que ie ne reculasse ou broüillasse le bonheur
de l’Estat.

 

Il est vray que la trop grande complaisance que
le Duc de Longueville auoit pour ne faire rien
que par les dispositions de la Cour, dont i’estois le
veritable souuerain, fauorisa beaucoup mon dessein,
lors que la qualité de premier Plenipotenciaire
qu’il auoit dans Munster, me faisoit incessamment

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craindre, qu’il ne se defit du Comte de
Seruient, comme de l’instrument de mes intrigues ;
& que sans attendre les volontez de la Cour,
il ne procedast ouuertement à la conclusion de
la paix, que ie n’eusse iamais pû faire desaduouër,
parce qu’outre qu’elle estoit desirée de tous les
peuples, elle n’estoit pas moins desauantageuse à
la Frãce : Quoy qu’il en soit, cela m’a réüssi, i’ay rõpu
le traité, i’ay fomenté la diuision de toute l’Europe,
i’ay partagé les Grands, i’ay remply mes finances,
i’ay achepté de grandes terres dans l’Italie,
i’ay mis ma fortune à l’abry des attaques de
tous mes ennemis, n’ay-ie pas fait, ce que tout autre
voudroit auoir fait, & par consequent n’a t’on
point de tort de me blâmer, puisque ie n’ay commis
d’autres crimes que ceux pour lesquels vn
chacun me porte de l’enuie.

 

On m’a bien obiecté que ie semblois vouloir
obliger les Genois, le Duc de Toscane, les Anglois,
ceux de Hambourg & des autres villes Anseatiques
d’Allemagne, qui gardoient à la France
vne neutralité inuiolable, à deuenir ses plus irreconciliables
ennemis ; en ce que ie pouuois permettre
les pirateries qui se faisoient sur les mers
Oceane & Mediterranée par mes ordres, que
pour rompre le neud qui lioit estroittement la fidelité
du commerce ; mais ie jugé ceste accusation
si foible, qu’elle me semble pas meriter la

-- 23 --

peine de la refuter, par la raison que i’ay, qu’vn
premier Ministre d’Estat ne doit point captiuer si
seruilement son authorité, souz l’exacte obseruation
de toutes les Loix ; & qu’il peut quelquesfois
s’émanciper impunément à quelque chose
de plus hardy, que ce que le commun des Grands
croit estre de son pouuoir.

 

Ie croyois bien en suitte des obstacles que i’auois
heureusement opposé au traité de la paix,
que les impositions ne me donneroient point de
peine, si ie pouuois empescher l’vnion des Parlemens,
ou du moins les faire consentir à ne me
contre quarrer iamais, lors que ie les couurirois
du faux pretexte des necessitez de l’Estat. Mais les
mauuais succez des campagnes dés l’année 1647.
& 48. & les sommes immenses que i’employois à
des decorations de Theatres comiques, choquérent
à tel poinct quelques particuliers zelez du
Parlement ; que le dessein de m’en asseurer, fit en
suitte naistre ces desordres qui n’ont iamais cessé
du depuis de trauerser constamment ma faueur :
Mais quoy ! n’estoit-ce pas le veritable moyen de
placer ma fortune dans son plus haut degré, &
pouuois-ie en suitte de tant d’affrons me dispenser
honorablement du dessein que ie pris puis
apres d’enleuer le Roy, & de mettre le blocus deuant
Paris, afin d’obliger le peuple, par le motif
de la propre famine de me vanger du Parlement.

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Quoy que ce dessein me parust à son premier
abord effroyable ; Ie m’imaginay neantmoins
que i’en ferois porter tout le blasme au Prince de
Condé, si ie pouuois l’obliger d’en faire l’execution,
soubs pretexte que ie luy ferois conceuoir
que ce seroit le veritable moyen de remporter
plusieurs victoires en abregé ; s’il pouuoit faire
succomber le badaud, auec tous ses millions de
combattans, au petit nombre des soldats qui le
seconderoient dans cette entreprise. En effect, ie
l’ébloüy tellement du pretexte specieux de ceste
belle apparence, que ie luy fis espouser ma querelle
auec la mesme passion, que si c’eust esté la
sienne, l’engageant par mesme moyen à porter
le faix principal de la haine publique, & me resoluant
de me seruir vn iour de ceste mesme haine
pour m’asseurer de sa personne, supposé que la
necessité de seconder toutes ses inclinations ; &
l’impuissance d’en souffrir les importunitez, me
deust obliger à m’en defaire.

Que peut on trouuer à redire dãs ceste adresse ?
n’est elle pas bien cõduite ? n’est-elle pas bien menagée,
n’est ce pas à luy principalement qu’on
s’en est pris ; & n’ay je pas beaucoup contribué
par mes secretes menées à le perdre dans l’estime
du mõde, par le moyen des calomnies que ie faisois
semer soubs main, non moins pour en allumer
la haine dans les esprits, que pour effacer en

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quelque façon, lidée qu’on auoit que i’estois, &
l’vnique, & le principal autheur de cette entreprise.

 

Apres ce succez fatal du siege, i’arrestay la Cour
à sainct Germain pendant quelque temps sur le
conseil qu’on me dõnoit, qu’il falloit vn peu laisser
rasseoir la fureur du peuple, auant que de reuenir
à Paris ; & qu’apres cela il n’y auroit plus de
danger d’y r’entrer, pourueu que ce fust dans le
carrosse du Roy, en compagnie duquel la simplicité
où l’aueuglement du peuple respecteroit vn
dragon. Cét aduis réüssit au gré de mes amis, & ie
me vis enfin restably dans mon Ministere, auec la
mesme authorité que i’auois auparauant.

Quelques mauuais Politiques m’ont voulu
rendre respõsable du carnage que ces desordres
firent de tant d’innocens, pour n’enuelopper que
peu de coupables ; ne faisant point de reflection
qu’il vaut mieux perdre vn million de testes innocentes
pour s’asseurer d’vn coupable, que de risquer
l’authorité du Roy ou de ses Ministres, par
l’apprehension de ceste crainte seruille, & qu’il
est plus important qu’vn Souuerain soit absolu
apres le carnage de cent mille hommes, que dependant,
apres leur subsistance.

Neantmoins si ceste hardie entreprise ne réüssit
pas selon les premieres intẽtions que ie m’étois
proposé, les consequẽces, & les suites n’en furent

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pas trop desaduantageuses ; Puis qu’il semble que
cét engagement dangereux fut vn effet de la prouidence
de mes bons destins, qui voulut me ietter
au milieu de tant d’orages, pour me les faire calmer
à ma gloire, & me faire la bute de la coniuration
generalle de toute la Monarchie, pour faire
voir à mes ennemis, par le moyen des resources
que ie deuois trouuer à tant de desastres, que la
fortune qui m’auoit esleué aupres du timon de
l’Estat François, m’en auoit reconnu plus capable
que ceux qui m’en vouloient precipiter.

 

Ne pouuoit-on pas asseurer en veuë de toutes
les probabilitez du monde, que mes affaires étoient
enfin reduites à leur derniere decadence,
que la teinture de mon escarlate estoient effacée,
que mes intrigues étoient en l’impuissance de me
pouuoir fournir des moyens pour me releuer, &
que mesme ie ne pouuois plus estre absolu, quelque
liberté que i’eusse de faire parler vn Souuerain
au gré de toutes mes pas ions, puis que tous
les Parlemens de la Monarchie n’auoient plus de
foudres que pour en escrazer ma teste ; Puis que
toutes les espées de la Iustice ne daignaignoit
plus que pour me massacrer ; puis que les Estrangers
n’attendoient que le consentement de mes
ennemis, pour conspirer auec eux à ma derniere
desolation, & puis qu’enfin les incendies generaux
de toute la France que i’auois allumez, ne

-- 27 --

sembloit brusler ; que pour m’embraser tout vif
comme en victime d’expiation, ou en parfait holocauste
de tous les crimes qui s’estoient commis,
& qui se commetoient tous les iours dans
l’Europe à ma seule consideration.

 

I’ay toutesfois fait auorter à ma gloire toutes
ces menaces ; I’ay si bien déguisé mon visage à la
Iustice, que ie luy ay fait paroistre pour innocent,
ie me suis sauué au milieu des flammes, sans autre
effet que celuy d’y auoir releué l’esclat de ma
Pourpre ? i’ay fait rangainer à mes ennemis auec
la honte de m’auoir attaqué, i’ay repoussé les foudres
des Parlemens contre la creance publique,
qu’il n’estoit point d’azile où ie peusse me mettre
à l’abry de leurs menaces ; i’ay fait succomber par
adresse ceux qui m’auoient visiblement combatu
par force ; I’ay rompu toutes les brigues de la
fronde quelque triomphante qu’elle fust ; & pour
terminer en abregé ce qui me rendroit importun
si ie le déduisois plus au long, ie suis rentré dans
Paris, d’où i’auois esté chassé, par Satyres, par inuectiues,
par haine par affront, & par Arrest prononcé
en dernier ressort.

Ainsi i’ay fait voir dans ma plus grande foiblesse,
que mesme en cét Estat i’estois inuincible ;
dans mon plus grand desespoir, que c’estoit pour
lors que i’abondois en resources ; dans le panchãt
de mon precipice, que ceux qui me poursuiuoient

-- 28 --

auec tant de vigueur, estoient dans l’impuissance
de m’y faire tomber : & à la veille de ma plus grande
decadence, que i’estois enfin dans les approches
de mon plus grand bon-heur. Si ce succez
merite qu’on me déchire publiquement, qu’on
me fasse passer pour vn homme sans teste, pour
incapable de gouuerner vne haute fortune, ie ne
sçay s’il se pourroit iamais trouuer d’assez forts
genies dãs l’idée de ceux qui sont de ce sentimẽt.

 

Que diront donc ceux qui me blasment si ouuertement,
si malgré les iniustes sentimens qu’ils
ont des deuoirs d’vn premier Ministre j’adiousterois
encore, qu’il est de sa Politique d’exciter
quelquefois des orages, afin de les calmer puis
apres auec plus de gloire ; & de s’exposer mesme à
des dangers dont les resources sont apparammẽt
impossibles, afin de donner, en les trouuant, des
preuues de sa suffisance, de mesme qu’en entreprenãt
contre l’aueu des autres Ministres il a donné
des marques de son authorité. Ne peux-ie pas
m’estre comporté de la sorte dans ceste occasion ;
& n’a t’on pas raison de dire en suitte de son succez,
que i’en ay eu le dessein ; quoy que mes ennemis
preschent hautement que i’ay esté le plus
heureux homme de mon temps, la plus furieuse
imprudence du monde : & que j’ay survescu à l’éuidence
d’vn peril où le Ciel deuoit m’abandonner,
en vengeance de ma temerité.

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Ces grandes couruées, quelque desauantageuses
qu’elles parussent à ma gloire, bien loing
de rebuter mon ambition, m’inspirerent plus
puissamment le dessein d’agrandit ma fortune,
par le rehaussement de mon neueu Mancini, &
par le mariage de mes trois nieces, que ie destine
d’abord aux Ducs de Mercœur, de Candale & de
Richelieu, sur la creance que i’auois qu’estant appuyé
de la Reine & du Duc d’Orleans, ie n’auois
qu’à gagner ie Prince de Condé pour en faire
reüssir l’execution au gré de mes desirs.

Pour cét effet, la necessité de fauoriser les
violances du Duc d’Espernon, contre le sentiment
du Prince de Condé, que le caprice ou
l’ambition firent declarer pour le repos de la
Guyenne, me fit ressentir la premiere contradiction
de mes entreprises ; qui fut suiuie de bien
pres du mespris que ce Prince faisoit de se demettre
de la charge de Grand Maistre de la Maison
de France en faueur de Mancini, en eschange
de celle de Connestable, dont ie luy donnois
asseurance par le Duc de Rohan ; & du dessein
qu’il prit incontinent apres de fauoriser le Mariage
de Madame de Pons auec le Duc de Richelieu,
que i’auois destiné depuis si long-temps
à la troisiesme de mes nieces, & de s’opposer à
l’alliance que ie pretendois à la maison de Vandosme,
pour ne perdre point les esperances de

-- 30 --

l’Admirauté, que ie destinois au Duc de Mercœur.

 

Ces oppositions du Prince de Condé, me
firent bien connoistre le dessein qu’il auoit de
m’obliger à luy soumettre toute mon authorité
par la passion que i’auois de faire reüssir mes
mariages, & par l’impuissance de le pouuoir sans
son consentement. Mais ie ne le pris pas du biais
qu’il pretendoit, & son opiniastreté à me choquer,
m’obligea enfin à projetter sa perte, &
celle de toute sa maison. Comme ce dessein
estoit bien chatoüilleux : aussi fallut-il le menager
bien artificieusement, non pas que sa perte
me semblât trop difficile non plus que celle du
Duc de Longueville, puis qu’ils s’estoient tous
deux assez perdus, l’vn par ma protection, l’autre
par son éloignement de Normandie, mais parce
que ie crû que l’engagement que le Prince de
Conty auoit auec la Fronde, feroit auorter mon
entreprise si ie ne la conduisois auec vne prudence
qui ne fut point ordinaire.

Ie m’auise donc d’accorder en consideration
du Prince de Conty, le Tabouret à la Princesse
de Marcillac, & de le refuser à mesme temps à
toutes les autres, qui auoient quelque pretention
à cét honneur ; & pour allumer vne plus
grande haine entr’eux, de le donner à Madame
de Pons à la recommendation de Monsieur le

-- 31 --

Duc d’Orleans & de l’Abbé de la Riuiere ; par ce
moyen ie semé la diuision entre le Prince de
Conty & les autres Frondeurs ; & taché par le
moyen de ces mesmes Tabourets, d’attirer encore
sur ce Prince & sur son frere l’auersion de
toute la Noblesse du Royaume, dont ie fis assembler
les principaux qui estoient pour lors à
la Cour, chez Monsieur le Mareschal de l’Hospital,
par l’intrigue du Marquis de Sainct Megrin :
Ie voulus encore donner au Clergé quelque
sujet de les haïr, faisant assembler dans mon Palais
tout ce qu’il y auoit de Prelats dans Paris, pour
s’opposer au Tabourets de la Princesse de Marcillac
& de Madame de Pons ; & ie fis enfin si bien
par mes souplesses ordinaires que i’obligeay le
Clergé & la Noblesse à demander conjointement
la reuocation de tous les Tabourets qu’on auoit
accordé.

 

Par le moyen de ceste premiere fourbe, ie rauis
à ces Princes l’amitié de beaucoup de personnes
considerables qui se seroient interessés dans
leur ruine : mais comme ce n’estoit que le commencement
de mon jeu, ie poursuiuis plus viuement
ma pointe, supposant que le Duc de Beaufort
& les autres Frondeurs auoient eu dessein
d’assassiner le Prince de Condé, & pour cét effet
mesme i’appostay des gens qui tirerent de nuit
dans son carosse, & suscité à mesme temps des

-- 32 --

faux tesmoins pour les accuser, afin, ou de les faire
entrechoquer mortellement les vns les autres,
ou de faire perir les accusez conuaincus mes plus
grands ennemis par la voye de la justice.

 

Ce dessein fut assez heureusement executé le
mesme iour de la sedition qui fut excitée dans Paris,
apres laquelle prenant adroitement mon
temps, ie fis aduertir le Prince de Condé à l’entrée
du Conseil par son A. R. par l’Abbé de la Riuiere
& le Comte de Seriuent, qu’il eût à prendre garde
à sa personne, & qu’il y auoit des gens à la place
Dauphine assemblez pour l’assassiner : Sur quoy
voulant monter à cheual pour aller reconnoistre
luy-mesme le peril dont on le menaçoit, ie fis
tant que ie le retins, par le commandement de
la Reyne de peur qu’il n’allast descouurir ou dissiper
mes artifices, le conjurant faussement par
les interests que la France auoit à sa conseruation,
de ne sortir point du Palais Royal, & de renuoyer
vuide son carosse auec les flambeaux & la
mesme suitte qu’il auoit coustume d’auoir, sçachant
bien que les assassins pretendus que j’auois
mis en ambuscade, ne manqueroit point de faire
leur descharge.

Le lendemain le Prince de Condé sur le rapport
qu’on auoit tiré plusieurs coups de pistolets
dans son carosse, & que mesme on auoit tué
vn lacquais dans celuy du Comte de Dunas ; n’eut

-- 33 --

plus de peine à donner creance au crime duquel
il auoit tousiours douté, & a poursuiure viuement
la recherche des autheurs de cette coniuration.

 

Quelque mal aduisé se fut d’abord precipité
à imputer ce crime à ses ennemis : mais la peur
de rendre mon accusation suspecte me rendit
plus prudent, & me suggera le dessein de me
seruir de quelques personnes des-interessées
pour faire accuser auec plus de creance, le Duc
de Beaufort, le Coadjuteur, le President Charton,
le Conseiller Bruxelles, le Marquis de la
Boulaye & le reste des Frondeurs ; A pres quoy
ie rechargé sur son esprit pour y fortifier la creãce,
de ce crime que ie rendis encore plus vray-semblable,
par la fausse deposition de Canto,
Sociando, Gorgibus, la Charbonniere, & la
Comete, Commis du Partizan de la Ralliere.

Que peut-on dire autre chose de cette intrigue,
si ce n’est qu’elle estoit aussi prudemment
que viuement poursuiuie, puis que le
Prince de Condé se sentant obligé par tous les
motifs de l’honneur de poursuiure criminellement
ces innocens accusez, & d’engager son
frere à sa poursuite par les interests du sang, choqua
si mortellement tout le party des Frõdeurs
que ie ne deuois trouuer plus obstacle à le ruiner,
supposé que la necessité de mes affaires

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m’en fit brasser le dessein. Ainsi d’vn mesme
coup j’estois asseuré ou de me deffaire de la maison
de Condé si elle succomboit, ou de toute
la Fronde, si toute fois elle n’y pouruoyoit par
sa iustification.

 

Ie voudrois que ceux qui s’en prennent si
souuent à m’a conduitte, m’apprissent la façon
demesnager plus addroitemẽt vne intrigue ; &
qu’ils me marquassent vn peu les defauts que ie
commis dans la trame de celle que ie raconte,
la quelle sans doute eut eu l’effet que i’en pretendois,
si les susdits faux tesmoins chancellans
dans les responces qu’ils faisoient à Doüiat &
Menardeau deputés du Parlemẽt ; & les recherches
que les Frondeurs faisoient de l’amitié du
Prince de Condé n’eussẽt fait ouurir les yeux à
ce Prince, pour luy dõner du soubçon de quelque
fourberie, & le dessein de la reconnoistre,
en escoutant fauorablement les propositions
aduantageuses que les Frondeurs luy faisoient
tous les iours pour proceder à vne parfaite reconciliation.

Si i’auois iusques à present ménagé mon dessein
auec beaucoup de prudence, i’eus besoin
en cette conioncture de le pousser auec plus de
vigueur, lors que faisant obseruer soigneusement
la contenance des vns & des autres par
l’entremise de ceux que i’auois mis aux escoutes,

-- 35 --

ie reconnus enfin, que l’affaire quelque
difficile qu’elle fut, estant à la veille de son accommodement,
me reduisoit à celle de mon
dernier desastre, si ie n’en preocupois le funeste
succez auant la reconciliation, par l’emprisonnement
de ceux, dont la liberté m’estoit la
plus dangereuse.

 

Pour faire reüssir ce dessein ie n’auois qu’à
faire consentir la Reyne & le Duc d’Orleans,
ce qui me fut tres-facille, par le dégoust que ie
donné à la Reyne de supporter dauantage les
importunitez du Prince de Condé, qui pretendoit
iustemẽt que ses seruices passez ne pouuoiẽt
iamais le rendre excecif dans ses demandes ; &
par la jalousie dans laquelle ie ietté l’esprit
du. Duc d’Orleans, le preocupant de mille
mauuaises impressions au desauantage du Prince
de Condé, & luy faisant entendre que les
poursuittes que ce Prince faisoit pour emporter
l’espée de Connestable, ne tendoient qu’à se rendre
souuerain des armées, au preiudice de l’authorité
que son A. R. y possedoit en qualité de
Lieutenant General de l’Estat. Ces menées secrettes
me reüssirent si fauorablement, que ie
fis resoudre ces deux Puissances à l’execution
de la plus grande entreprise qu’on puisse brasser
sous vne Minorité.

Il est vray que i’ay trouué d’abord de la peine,

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par la necessité de m’asseurer des trois freres,
& par la difficulté de les pouuoir faire trouuer
tous trois au Palais Royal, attendu que le
Duc de Longueuille pretextant ses gouttes, à
la veritable raison qu’il auoit de ne s’engager
pas auec ses beau freres dans la poursuite de
l’accusation du Duc de Beaufort, faisoit pour
lors son seiour à Chailliot. Neantmoins ie trauaillé
si heureusement pendant quelque temps,
à me mettre bien dans l’esprit du Duc de Longueuille,
tant par les offres de seruice, que par
les protestations d’amitié que ie luy faisois faire
tous les iours, que ie l’obligeay enfin de venir
à Paris, sous l’asseurance que ie luy donné
que la Reyne auoit accordé le breuet de Duc
au Marquis de Beuvron son nepueu.

 

Pour cét effet ie le persuadé qu’il falloit prendre
le temps de la maladie du Duc d’Orleans,
qui feignit, à mon instance, vne indisposition.
afin de venir au Conseil, où ce breuet deuoit
estre expedié ; cependant que ses deux beaux
freres prendroient à mesme temps l’occasion
de venir visiter la Reyne dans son indisposition
continuée par feinte le Dimanche, le Lundy,
& le Mardy, & d’estre ensemble les tesmoins
du nouuel honneur, que le Marquis de Beuvron
deuoit receuoir ; mais en effet, les veritables
sujets de l’entreprise, que i’auois concertée

-- 37 --

contre leur liberté, & que i’executay heureusement
contre les sentimens de tout le monde,
& auec la satisfaction generalle des Parisiens
qui triomphoient d’entendre l’emprisonnement
de celuy que i’auois fait passer secretement
dans leur esprit, pour l’vnique autheur
de la cherté, par l’empeschement du transport
des bleds.

 

Le Parlement est bien composé de beaucoup
de bonnes testes : mais ie les deffie tous tant
qu’ils sont, de gouuerner plus iudicieusement,
& de pousser plus vigoureusemẽt vne intrigue ;
pourquoy est ce donc qu’il s’en prend à m’a
conduite, puis qu’elle est si prudẽte ? pourquoy
trouuent ils tant à redire dans mes entreprises
puisque ie les sçay si fortement establir à mon
aduantage. I’aduouë bien que ie fis vn faux pas
dans ma conduite, que de ne m’asseurer pas des
Duc de Boüillon & Mareschal de Thurenne,
par la iuste apprehension que ie deuois auoir
que leurs interests seroient pour les ietter dans
les partis des mescontens, & que les troubles de
Guienne leur pourroit ouurir vne porte pour
entrer auec ses peuples oppressez dans le nombre
des demandans : Mais outre que toutes
les preuoyances sont impossibles, ie m’estois
encor assez raisonnablement imaginé,
que si la peur d’encourir la haine publique en

-- 38 --

espousant la querelle du Prince de Condé, n’en
d’estournant ses plus eschauffez partizans, i’auois
assez de moyen ou de les cõbatre auec l’artillerie
de l’Arsenal ou auec les batteries des Finances
du Roy que i’auois à m’a discretion.

 

On me blasme en suite d’auoir mis en compromis
l’authorité du Roy deuant Belle-garde,
& deuant Bordeaux, la reduisant à la necessité
de traiter auec ses suiets, ou de succomber honteusemẽt
à leur resistance ; de m’estre opiniastre
à maintenir le Duc d’Espernon dans son
Gouuernement, contre l’apparence de mon
impuissance visible à le pouuoir faire, d’auoir
rallumé les diuisions de Bordeaux par le chastiment
du Capitaine Richon, mais ie repars à la
premiere accusation, que les promesses d’vn
Roy Mineur peuuent estre retractées par vn
Maieur, & que la foiblesse de son aage ne l’expose
point à la honte, quelque traité qu’il soit
obligé de faire auec ses subjets, & que par consequent
les Bordelois ne doiuent esperer qu’vn
chastiment exemplaire, & le restablissement du
Duc d’Espernon apres la Minorité : A la seconde,
que ie pouuois nullement oublier les interests
du Duc de Candale, & que pour cette
raison il falloit luy tesmoigner iusqu’au bout,
la passion que i’auois de maintenir son pere
dans son Gouuernement, pour luy en asseurer

-- 39 --

le suruiuance : A la troisiesme que toutes les
loix de la guerre, & les motifs de ma propre vẽgeance
concluoit trop inuisiblement à la perte
d’vn Capitaine, lequel n’estant à l’abry de mes
efforts que dans vn petit Chasteau, se rendoit
d’abord trop coupable, comme il me rendoit
d’abord trop honteux par ma resistance.

 

Ce n’est pas ce qui m’a le plus mal reüssi : ie
deuois considerer que le Duc de Beaufort & le
Coadiuteur estoient trop genereux pour s’engager
à mon party par les seuls motifs de l’Admirauté,
& de quelque Abbaye ; & trop iustement
mefians par la longue experience qu’ils
auoient de mon naturel, pour me croire bien
reconcilié auec eux, que pendant que ie ne leur
sçaurois nuire ; & par consequent qu’il ne falloit
point m’en separer auant que ie ne les eusse desvnis
de son Altesse Royale, de peur que se preualant
de l’amitié que ce Prince leur tesmoignoit,
ils ne vinsent à me decrediter dans son
estime comme ils ont fait.

Il est vray que i’ay cru du depuis mon retour
obuier à la necessité de menager auec tant d’attache
la faueur du Duc d’Orleans, en le faisant
consentir par le motif de ses propres interrests,
que ie luy rendois vray semblable, au transport
des Princes du Bois de Vincenne à Marcoussi,
& de Marcoussi au Havre de Grace, affin que le

-- 40 --

reduisant à l’impuissance de me faire craindre
l’eslargissement des Princes par son impuissance
propre à le pouuoir procurer, ie me peusse
dispenser de la necessité de viure tousiours dans
les apprehensions d’encourir sa disgrace, & de
viure auec plus d’indiference [2 mots ill.], d’vn
costé cela m’a reüssi, car enfin les clefs du Havre
ne sont ny ne peuuent estre entre ses mains
si la Reyne n’en lasche la prise : mais le l’autre
les intrigues du Duc de Beaufort & du Coadiuteur
ont tellement renuersé cét esprit, qu’outre
que ie n’ay iamais peu les y faire passer pour ennemis
de l’Estat, ils luy ont fait apprehender
que la liberté des Princes estoit aussi necessaire
que mon esloignement ; & que i’auois mesme
dessein de le faire arrester si i’en pouuois rencontrer
l’occasion fauorable.

 

Voilà où i’en suis Messieurs de Paris, n’est-ce
pas que vous croyez que ce sera le dernier escueil
de ma fortune, & le coup fatal au quel toutes
mes intrigues ne pourront point parer quelque
souueraine que soit la faueur qui me soustient ;
& que les fers des Princes sont à demy
brisez, parce que le Parlement & le Duc d’Orleans
en ont entrepris l’eslargissement. Vous
croyez donc que toutes mes souplesses sont espuisées,
que ie ne suis plus appuyé des grands
de l’Estat, que ie manque d’azilles où ie me

-- 41 --

puisse refugier, & qu’en fin ie suis forcé de ceder
à la vigueur de la Fronde, parce qu’estant secondee
de la faueur du Duc d’Orleans, ie ne suis
point en estat de luy resister.

 

I’en ay bien veu d’autres ; quelque estonné
que ie sois ie ne suis point terrassé : & ie feray
voir à la France par la vigueur que ie tesmoigneray
dans cette coniecture, que la fortune ne lui
procura pas vn lâche Ministre, lors qu’elle me
mit aupres du timon de son Estat. Cependant
parmi les resources qui me restent pour r’asseurer
ma fortune ébranlée, ie croy que la sortie
du Roy ne sera pas vne des moindres, si toutefois
ie puis la faire bien reüssir, non moins par la
faueur des troupes que ie tiens sous les armes
pour la fauoriser, que par l’entremise de mes
partisans qui sont restez à la Cour, pour espier
l’occasion de sur prendre l’imprudẽce des Bourgeois
affin d’en venir plus paisiblement à bout.

En cela mesme ie me suis seruy de precaution
par le moien d’vne lettre de cachet, que i’ay fait
escrire au Mareschal de l’Hospital auant ma sortie
de Paris, luy commãdant qu’il eût à disposer
les villes de son Gouuernement de Chãpagne,
pour le Sacre du Roy, resolu pour le deuxiéme
de Mars : & affin de donner plus de creance à
cette resolution, i’en ay fait retentir la nouuelle
auant ma sortie, de peur que si i’attendois plus

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long temps, on ne iugât vray semblablement
que i’aurois plus d’intention de m’enparer de la
personne du Roy pendant le reste de la Minorité
en le saisant sortir, que de disposer les affaires
à son Sacre, qui ne peut encore estre rendu
souhaitable par aucune necessité.

 

Ie me comporte encor auec cette moderation,
de peur de me laisser engager par le motif
de mes interests à quelque plus dangereuse
extremité. Et le dessein que i’ay de pacifier les
affaires plutost que de les aigrir, me fait encore
suspendre l’execution du conseil où ie puis
estre porté par les poursuittes de l’eslargissemẽt
des Princes, & par l’empeschement de la sortie
du Roy : Ie pense qu’on ne doute pas qu’ayant
le Havre à ma disposition, i’y ay par consequant
la principale clef de la Monarchie, & que
i’en puis ouurir les portes à la Republique d’Angleterre,
que la peur de ses armes nous a fait reconnoistre
depuis peu par vn Ambassadeur
expres, si ie me vois forcé par la consideration
de mes interests, & par le motif des mauuais
traitemens que ie pourrois receuoir de la France.

Neantmoins ie me tiendré tousiours aux escoutes
sans en venir à ces extremitez, iusqu’à ce
que le désepoir de toute autre resource m’y portera ;
principallement si ie puis faire reüssir la

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sortie du Roy, tant par la faueur de la Regente,
que par les intrigues des creatures dont la fidelité
m’est encore inuiolable aupres de leurs Maiestez.
Apres cela ie ne me souciray plus qu’on
porte des Arrests, qu’on proscriue ma teste ;
qu’on commande de me courre-sus ; que le Duc
d’Orleans se declare pour le chef de la Fronde,
pourueu que ie ne voye point à ma queüe vne
armée de 50 mille combatans, ie ne m’en remuré
pas beaucoup, parce que ie iugeré que
tous les autres efforts qu’on pourra faire ne pouront
estre que tres inutiles, & que les menaces
des ennemis donner ont assez d’exercice à nos
troupes pendant les sept mois qui restent de la
Minorité, pour empescher qu’elles ne viennent
pas fondre sur celles qui seront destinées à
la garde de ma personne.

 

Voila le Manifeste de toute la conduite de
mon Ministere, exposé auec toute la sincerité
qui m’a esté possible, comme il ne sera que trop
euident à tous ceux qui me voudrõt faire la faueur
de le lire. Ie n’y mettré neantmoin pas la
derniere main, sans l’accõpagner de quelques
reflections, que tous les des interessez gousteront
infalliblement, apres en auoir pezé murement
les raisons, La 1. que toute la France à
grand tort de procurer mon esloignemẽt, puis
qu’estant plainement assouui, ie n’ay rien plus

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à desirer ; qu’il faut necessairement se resoudre à
tomber apres moy, entre les mains de quelque
Fauory, que la necessité de remplir ses finances
vides, obligera aux mesmes de portemens ; que
les Ministres doiuẽt par necessité s’enrichir aux
despens des peuples, s’ils ont l’ambition de se
maintenir sans se faire des creatures, ce qui ne
se peut autrement que par le moyen de leurs liberalitez ;
que les changemens des Fauoris ne
peut estre que tres desauantageux aux Estats, à
raison de l’impuissance que les nouueaux ont
de se rendre autrement intelligents dans les affaires
qu’auec le hazard de leurs premiers progrez ;
que les Rois n’estant pas sans inclination,
ne peuuent point estre sans Fauoris, & que c’est
vne simplicité de chasser les vns pour vouloir
les autres, puis qu’ils doiuent estre tous esgalement
insuportables, par la necessité semblablement
esgale de leur conseruation ; & qu’ainsi
ces zelateurs pretendus de la tranquillité de l’Estat
procedant à ma perte, procedent necessairement
à susciter de nouueaux desordres, ou par
la necessité que l’honneur m’impose de me
maintenir, ou par la necessité que l’honneur
imposa à mes successeurs, de s’agrandir par les
mesmes voyes que i’ay tenu.

 

FIN.

SubSect précédent(e)


Anonyme [1651 [?]], LE MANIFESTE DV CARDINAL MAZARIN LAISSÉ A TOVS LES FRANCOIS auant sa sortie hors du Royaume. Contenant vne exact abregé de toutes les actions de son Ministere. Répondant à tous les chefs d’accusation qu’on luy a obiecté. Descouurant les motifs, les intrigues & la politique, dont il s’est seruy pour entreprendre, pour conduire, & pour establir tous ses desseins. Et le tout, sans que le Parlement, les Frondeurs, les Partizans des Princes puissent s’inscrire en faux, contre pas vne de ses propositions. Nonne morituro licet vni dicere verum Iuu. l. 3. , françaisRéférence RIM : M0_2390. Cote locale : C_11_4.