Anonyme [1651], LE MANIFESTE DES BOVRDELOIS, Contenant le recit veritaable de ce qui s’est passe dans la ville de Bordeaux le XIII. & XIV. du passé. , français, latinRéférence RIM : M0_2386. Cote locale : C_12_31.
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LE MANIFESTE
DES BOVRDELOIS.
Contenant le recit veritable de ce qui s’est passe dans
la Ville de Bourdeaux le 13. & 14. du passé.

Ceux qui voudront iuger sainement de la conduitte
des Bourdelois depuis qu’ils sont aux
prises auec les Ennemis domestiques de la France,
trouueront qu’ils ont non seulement donné des
preuues d’vne singuliere valeur, mais encore qu’ils
ont desia cét aduantage par dessus tous les autres
François, qu’ils se sont monstrez plus zelés pour
le bien public, ont fait plus deffort pour rompre
ses chaisnes, & semblent auoir entrepris de donner
à tout le Royaume la liberté que nous auons perduë
depuis tant de Siecles.

La Ville de Bourdeaux, quelque changement
qu’elle ait eu dans son estat a tousiours esté traittée
comme libre. Les Romains ne l’ont pas seulement
affranchie lors qu’elle a esté sous leur domination,
ils luy ont encores départy comme à l’vne de leurs
colonnies, l’honneur d’entrer en leur societé, &
& y ont laissé des marques tres illustres qui se
trouuent encores aujourd’huy dans les reliques

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d’vn Palais & d’vn Temple, de la grandeur de leur
Empire. Cette Ville ayant esté sous la domination
de la Monarchie Françoise des son premier Establisement
reçeut vn pareil traittement, & par apres
ayant esté sous Anglois ne pouuant souffrir sa domination
trop orgueilleuuse, ayant appellé les
François retourna à ses premiers Maistres du Regne
de Charles VII. surnommé le Victorieux. Elle
joüit de toute sorte d’immunitez, & de priuileges
iusqu’au Regne de François I. lequel y voulut establir
la leuée du sol pour liure, mais les Habitans
ayant pris le Gouuerneur du Chasteau Trompette
le massacrerent & trainerent par les ruës : ce qui
obligea le Roy d’y enuoyer son Connestable de
Montmorency, lequel s’estant presenté auec vn
Armée de 30. mille-hommes obligea les Habitans
de se rendre n’y voulant entrer que par vne breche,
& nonobstant tout le mauuais traittement qu’ils
reçeurent, la leuée du sol pour liure n’y peut continuer.
Pour n’estre poinct importun ie passeray
sous silence tout ce qui s’est passé dans la Guyenne
depuis nos deniers troubles, le recit de ce qui s’est
fait dans Bordeaux de puis vn mois, passoit icy du
commencement pour vne fable, par apres quelques
vns ont creu que c’estoient des Mazarins qui
faisoient courir le bruict, que le party qui leur est
contraire vouloit secoüer le joug de la Royauté,
afin de le rendre odieux à ceux qui ayment la Monarchie.

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Mais despuis que de personnes de foy ont
asseuré que l’assemblé dite de l’Ormée a preualu
sur le parlement & le party des Princes, que la plus
part des Conseillers & mesme le Prince de Conty,
& les deux Princesses ont abandonné Bourdeaux,
personne ne reuoque plus en doubte qu’ils n’ayent
leué l’estandart de la liberté, & qu’ils ne se vuellent
mettre en Republique.

 

Le XIII. du passé ils firent cette Ordonnance. Sur
l’aduis receu par la Compaignié de l’Ormée d’vn
certain Arrest du Parlement en cette Ville, iniurieux
& desraisonnable, afin d’empecher & détruire
les bons desseins de laditte assemblée. Nous disons
que si ledit Arrest est publie par la Ville, qu’il
sera couru sur les Autheurs adherans & complices
d’iceluy. Faisant deffences audit Parlement sur peine
de la vie d’vser à l’aduenir de semblables procedures,
pour ausquelles s’opposer laditte assemblée, prendra
les Armes enioignant aux Bourgeois de la Ville d’y
tenir la main, à peine d’estre declarez traistre à
leur Patrie, & comme tels bannis à perpetuité de
laditte Ville, & leurs biens confisquez. Signé l’Ormée
auec plusieurs signatures. Laditte ordonnance
a esté Seellée du grand Sceau de cire rouge, dans
lequel est representé vne Ormée pleine de cœurs
enflammez entourée de deux Lauriers, sur lesquels
il y a vn Pigeon en forme de Sainct Esprit, & par
dessus est escrit yox populi yox dei, & c’est autre deuise,

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estote prudentes sicut serpentes & simplices sicuit
columbæ.

 

Cette ordonnance n’empecha pas que le Parlement
ne fit publier ledit Arrest le XIII. dudit mois,
le Iurats de laditte Ville, ayant enuoyé leurs Officiers
& Archers, pour prester main forte à ceux du
Parlement qui le publioient, mais tous ces Archers
ont esté mal traictez par ceux de laditte assemblée
qui prindrent les Armes, arracherent ledit Arrest,
& menacerent de passer outre si le Parlement ne leur
mettoit entre les mains le Registre pour en effacer
ledit Arrest. Quelque diligence que Monsieur le
Prince de Conty ait peu apporter pour appaiser ce
desordre, neantmoins ceux de l’Ormée persistent
dans leur resolution. Le vice n’estant autre chose
que dereiglement, il est impossible d’y attacher la
constance. Le commencement de toute vertu dit
Demosthene, c’est consultation & deliberation, la
fin & la perfection, c’est vne fermette inesbranlable.
Le vulgaire qui se trouue dans l’irresolution, & qui
change, n’est point capable d’vne loüable entreprise.

Seinditur incertum studia in contraria vulgus.

La vertu neantmoins a esté autresfois populaire
dans la Ville de Sparte, tous les Lacedemoniens
estoient vaillans, & nous pouuons dire qu’il n’est
rien qui s’espande si aisement dans vne commune
que la vaillance Militaire. Ie soustiens que la restauration

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de l’Estat François, ne peut estre faite que
par le Peuple. Les grands & les Magistrats sont les
complices & les suppots de la Tyrannie ; si les Peuples
employent d’autres Capitaines que ceux qui
sont d’entre eux pour les deliurer, ils ne feront que
prolõger leurs maux & les rendront encores pires.

 

Les Atheniens voulant retirer l’authorité qu’ils
auoient donnée à l’Areopage, à raison que ces
Senateurs auoient plus de soin de leur profit que de
celuy du Peuple, se resolurent de choisir parmy eux
des personnes de moindre authorité pour les gouuerner,
& comme l’vn de ceux qu’on deposoit dit
au Peuple que ceux qu’ils mettroient à leur place
ne pourroient pas auancer leurs affaires, puis qu’ils
estoient destituez de la science de Gouuerneur,
quelqu’vn respondit qu’ils auoient laisse vne instruction
aisée & qu’il ne failloit faire que le contraire
de ce qu’ils auoient fait.

En suitte de cette ordonnance que l’assemblée
de l’Ormée a maintenuë par les Armes, il s’est fait
d’autres bons reiglements qui tesmoignent en ce
vulgaire, & la valeur & la prudence tout ensemble.
Ils ont formé & donne establissement au Gouuernement
Democratique. Ils ont choisi des Officiers
qui ont soing du bien public, dont les vns sont pour
la milice, les autres pour la police, & comme les
Armes & la Iustice ensemble peuuent tant procurer
la restauration de la France, ils les ont jointes

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ensemble en mesme temps qu’ils ont estably des
Generaux, des Colonels, des Capitaines & des soldats.
Ils ont ordonné des iuges qui doiuent rendre
la Iustice selon toute equité ; Tous procez doiuent
estre vuidez dãs vingt quatre heures sans escriture
ou chiquanerie sans A duocat ny procureur, ayant
consideré que tout hõme qui a procés deduit aussi
bien les raisons de sa cause que le meilleur Aduocat
où procureur de la Cour.

 

Outre que dans les Estats les mieux policez, cõme
celuy des Suisses & des Turcs, cette façon d’administrer
la Iustice est obseruée, nostre France vse a
plus prés d’vne semblable procedure parmy les
Marchans, lesquels par special priuilege vuident
tous leurs differens en peu de temps sans Aduocat
ny Procureur, ayant pour iuges non des Docteurs
en droict, mais de gens de bien qui sont entendus
au trafic & à la Marchandise. Cette Politique Bordeloise
sera bien-tost aprouuée par toute la France,
& puis que leurs armes sont si iustes & leur dessein
si genereux, ie ne doute point que leurs lauriers ne
s’estendent par tout le Royaume, du moins ils ne
peuuent manquer de croistre, où l’on voudra point
de Mazarins.

FIN.

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Anonyme [1651], LE MANIFESTE DES BOVRDELOIS, Contenant le recit veritaable de ce qui s’est passe dans la ville de Bordeaux le XIII. & XIV. du passé. , français, latinRéférence RIM : M0_2386. Cote locale : C_12_31.