Anonyme [1649 [?]], LE IVDICIEVX GASCON, A MESSIEVRS DE BOVRDEAVX, APRES LA PRISE DV CHASTEAV TROMPETTE. , françaisRéférence RIM : M0_1765. Cote locale : C_5_70.
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LE IVDICIEVX
GASCON,
A MESSIEVRS
DE BOVRDEAVX,
APRES LA PRISE DV
CHASTEAV TROMPETTE.

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LE GASCON IVDICIEVX
A
MESSIEVRS DE BOVRDEAVX
Apres la prise du Chasteau Trompette.

MESSIEVRS,

Ie suis si horriblement touché de la disgrace
publique, que pour n’en pouuoir souffrir la continuation
sans desespoir, ie me suis resolu de contribuer
au bien commun mes soins, ma puissance
& ma vie pour témoigner au peuple ce que
i’ay voüé par les mouuemens d’vn cœur tres-fidele
à son soulagement : mais ie luy demande par
grace qu’il desarme sa fureur, pour donner audience
à ma raison & à mon zele, & à mesme
temps ie lui representerai cette Autorité Royalle
que nul ne doit choquer, puis que les moindres
obmissions dans vne obeïssance legitime, sont
des crimes tres dangereux, le Seigneur protege
ses Oints, comme les Monarques du monde autorisent
leurs Lieutenants, & ses subordinatiõs,
sont si necessaires, que la Nature periroit absolument
par la lezion de ses beaux ordres : Que si
vous auez sujet de plainte dans la violente conduitte

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d’vn Gouuerneur, attendez de la Sagesse
le chastiment, que Chrestiennement vous ne
deuez pas souhaitter, & encore moins agir à sa
recherche, toutes ces vnions de Cõpagnie vous
separent de l’amour d’vn Dieu, puis que sa diuine
Majesté s’offence du mespris de celle du Prince :
ie ne veux non plus faire l’Orateur que le deuor,
il suffit d’estre François, pour auoir horreur
du degast & du massacre, Messieurs il n’est point
de mal qu’il ne faille euiter, mais celuy de tout
ruiner & de tout perdre est le moins supportable
Considerez, ie vous supplie qu’en prodiguãt
vostre sang, vos biens & vos vies, vous exposez
ce qui n’est pas à vous, & qui est desia monté deuant
le Tribunal celeste, pour crier vengeance
de son iniuste effusion. La Iustice doit auoir son
cours pour la seureté des hommes : mais il ne
faut pas qu’elle s’explique auec le canon ny l’espée ;
considerons tous que c’est tres-mal traitter
la minorité d’vn Roy parfaitement accomply
de dissiper ses subjets & son bien, & que certainement.
il paroistra quelque miracle à l’honneur
de sa gloire, qui tombera sur les testes coupables,
quelque pretexte specieux qu’ils puissent
prendre, ie ne suis point interessé que par conscience :
mais il faut tousiours esleuer nos pensées
auant d’executer les desseins où nos passiõs agissent
plus que nostre prudence : On dit qu’il faut

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soustenir nos entreprises, quoi qu’elles soient injustes,
ie ne sçay pas par quelle regle ; car puis
que l’homme raisonne & balance ses pensées,
c’est pour changer celles qu’il improuue, & à cela
il n’y a ni honte ni foiblesse, les plus grandes
querelles peuuent estre accomodées, ainsi, Messieurs,
ie vous exhorte de poser toutes vos aigreurs
aux pieds du Roy & vous soumettre aux
bontez d’vne Reine Regente, qui est dãs sa douceur
comme vne Colombe, pour les bons & les
mauuais sans fiel ni courroux, sa Majesté n’a nulle
repugnance au pardon, & de toutes les choses
qui vous choquent n’en prenez que la resolutiõ
d’estre fideles & obeyssans à vos Superieurs : sans
mentir, dans la complaisance que i’ay pour ce
beau Royaume où ie suis né, ie brauerois tout le
reste des Nations, si ie ne me trouuois à mesme
tẽps malheureux & miserable en m’imaginant,
que tres-peu de peuples hors de nous se font la
guerre entre eux-mesmes, Messieurs, pardonnez-moy
s’il vous plaist, si ie vous coniure d’auoir
pitié de l’estat où vous estes, ne vous mettez pas
dans l’Histoire auec des crayons sanglans. Ce
grand Mareschal de Grand mont vous va offrir
ses generositez & les effets d’vne eloquence qui
a charmé les habitans de la plus florissante ville
du monde : escoutez & admirez les graces de sõ
Genie, il est tres-fidele au Roy, & grandement

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populaire, faites qu’il emporte sur vos cœurs les
mémes victoires qu’il a gagnées par tous les lieus
qui ont eu l’honneur de profiter de ses negotiations,
il y a long temps que mes desirs font les
aduances de vostre repos, concluez-le, ie vous
supplie & aggreez que ie vous coniure encor de
donner à la veufue & à l’orphelin le moyen de
respirer auec moins d’alarmes & de miseres, toute
la Prouince souffre de vos dissentions, & voire
la plus grande partie du Royaume, si bien que
toutes les creatures accablées soubs vne pesanteur
si rude, ne respirent que le repos. Messieurs,
prenez l’vn & l’autre & vous le communiquerez
à vn million d’ames que vous entretenez
dans ces abysmes de malheur, d’où vous deuez
vous retirer Cette celebre & riche Ville de Bordeaux
ou tant de richesses abondent, la voulez-vous
sacrifier à vos sentimens particuliers, qu’vn
chacun de vous s’examine soy mesme, & qu’il
cherche dans ses soumissions sa seureté & son auantage,
il est en nous de nous accomoder aũec
les humeurs les plus barbares, puis qu’il est plus
aduantageux de souffrir l’insolence que la cõmettre,
si vous auez suiet de plainte, moderez-en
l’aigreur & vous formerez vne gloire à l’épreuue
de tous accidens. Messieurs de la Iustice, n’improuuez-pas
mon zele, s’il vous plaist, regardez
ces Fleurs de Lys où vous estes assis, leur pureté

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exige de vos Decrets la candeur & la probité.
Ce sont les armes de vostre Maistre que vous deuez
considerer apres Dieu pour animer vostre
zele. Opposez vous par vostre authorité à tous
les desordres, si vous ne voulez respondre deuant
Dieu de tout ce que vous pouuez empescher,
le peuple & le soldat se payent de raison,
si on veut la leur faire entendre : Prenez glorieusement
cette tasche, & Dieu benira vos saintes
volontez. Ce n’est pas assez de faire comme Pilate,
de dire ie m’en laue les mains, cela n’empesche
pas qu’elles ne soient sanglantes si elles n’ẽpeschent
le mal, il ne s’offre pas tousiours de fi
funestes occasions, c’est pourquoy ne negligez
rien dans vn si pressant malheur, & vous nobles
Bourgeois, qui paroissez esgalement soubs des
tristes bannieres, quittez vos armes auec douleur
& repentir de les auoir prises, que toutes vos poudres
soient employées aux feux de ioye de vos
necessaires accomodemens, il vaut mieux crier
Viue le Roy, que fremir dans le feu d’vne colere
dangereuse ; sa Majesté, la Reyne & Messieurs du
Conseil ne souhaitent que la paix, on n’a iamais
veu de regne moins porté à la rigueur, il ne se
fait point de punition seuere ; mais ces extremes
bontez ne doiuent pas faire naistre de licence :
Vous auez emporté la place que vous auez attaquée,
c’est assez, genereux Guerriers, venez à

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la plus importante, surmontez vos aigreurs, dissipez
toutes ses pensées tragiques, qui font du
meilleur Climat du monde, vn theatre de cruauté,
& Dieu appaisera son courroux, ie vous en
supplie, Messieurs, par toutes les alarmes que ie
souffre dans vos maux, par l’extreme desir que
i’ay de leur remede & les aduantages que vous
trouuerez dans la tranquillité. Viuons en paix,
& Dieu sera le protecteur de nos desseins, comme
il est le Dieu des armées ; il n’est point de victoire
qui ne soit trop cherement achetée : Armes
bas, Messieurs, songeons au labourage, plustost
qu’au reglement d’vne armée ruineuse, &
le Seigneur enuoyera sa benediction sur nous &
nos heritages, & apres vne vie paisible & Chrestienne,
nous iouyrons de cette Beatitude ou
nous deuons tous aspirer & que ie vous souhaite
en qualité de vostre tres humble seruiteur, tant
au general, qu’au particulier.

 

FIN.

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