Anonyme [1652], LE GVIDE AV CHEMIN DE LA LIBERTÉ FAISANT VOIR. I. Que les François sont traitez en Esclaues. II. Qu’ils ont droit de tout faire pour sortir d'Esclauage. , français, latinRéférence RIM : M0_1534. Cote locale : B_3_23.
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LE
GVIDE
AV CHEMIN
DE LA LIBERTÉ
FAISANT VOIR.

I. Que les François sont traitez en Esclaues.

II. Qu’ils ont droit de tout faire pour sortir
d'Esclauage.

A PARIS,

M. CD. LII.

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LE GVIDE AV CHEMIN DE LA
Liberté faisant voir.

I, Que les François sont traitez en Esclaues

II. Qu’ils ont droit de tout faire pour sortir
d’Esclauage.

IE sçay bien que ce nom de liberté, que le peuple
Romain, les Iuifs, les Grecs & les Nations,
les mieux ciuilisées, ont eu en telle estime,
qu’ils l’ont cõstituée cõme leur souuerain biẽ, doit
chocquer la plus part de ceux qui liront cét escrit,
parce qu’il semble que les François font gloire
de leur seruitude. Neantmoins comme dans la
plus grande corruption des Israëlites, lors que
l’Idolatrie auoit peruerty l’vsage du vray culte
que l’on doit à Dieu, il se trouua sept mille hõmes
qui n’auoiẽt pas flechy leur genouïl deuant Baal :
aussi nous pouuons dire qu’encore que les François
ayent la plus part flechy le genoüil deuant
ces Idoles de fortune qui leur font entendre par
leur faux oracles qu’on leur doit sacrifier nos vies

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& nos biens, toutes-fois il y a vn bon nombre de
gens de bien, lesquels ayant horreur d’vn Gouuernement
Tyrannique, soupirent apres vne
liberté qu’ils poursuiueront auec la force, s’achant
qu’ils ont de leur costé la Iustice.

 

Il n’y a point de prescription contre les Loix
Naturelles. Ceux qui nous prechent que tout est
au Roy, nos biens, nos vies, & nos fortunes, ne le
croient pas, & on les verroit se dedire si celuy
qu’il disent pouuoir tout prendre exigeoit
d’eux quelque notable partie de leur biẽ sans leur
laisser aucune esperance d’en prendre allieurs.
I. Il est icy question si nous sommes traittés en
Esclaues. Ie ne dis pas si nous sommes Esclaues,
Car personne ne doit reuoquer en doute que
nous ne soyons nés libres. La seruitude est en vne
façon contre la nature & en certaine maniere selon
la nature ayant esté introduite par le droit de
gens. Elle est contre la nature, parce que par la
naïssance l’homme possede la raison qui le rend
maistre de ses volontés, n’estant subject qu’a la
Loy de Dieu, & à celles qui peuuent entretenir la
societé ciuile.

Il est vray qu’Aristote, trouue la domination &
la seruitude naturelles entant qu’il y a des hommes
lesquels par leur sagesse doiuent commander
aux autres lesquels ne possedent qu’vne raison

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ainsi la domination que le mary a sur la femme,
le Pere sur les Enfans, le Magistrat sur le peuple
est naturelle c’est a dire raisonnable parce que
l’homme, le Pere, & le Magistrat ont pour l’ordinaire
vn entendement plus parfait que celuy de
la femme, des Enfans, & du vulgaire. Lors que le
Christianisme fut receu dans l’Empire Romain,
ceux qui estoient Esclaues receurent vne entiere
Liberté, S. Paul ayant conuetty à la Foy Onsime
Esclaue de Philemon, le renuoya à son maistre le
priant de le considerer non plus comme serf mais au
dessus de serf, c’est à sçauoir comme frere bien aymé
& selon la chair & selon le Seigneur, c’est a dire selon
le corps & l’Esprit,

 

L’Empereur Iustinian abolit par vn Edict Authentique
la seruitude entre les Chrestiens, alleguant
que ceux qui ont esté rachetez par le sang
du fils de Dieu, ne doiuent pas estre esclaues des
hommes & que ceux qui sont freres, engendrés
d’vn mesme pere, destinez pour posseder eternellement
le Ciel en heritage ne doiuent pas se
traitter comme Infideles, & nostre Seigneur
mesme declare que ce n’est que des Estrangers
que les Roys exigent le tribut & non de ceux de
leur famille, concluant qu’estant tous freres &
d’vne mesme famille dont Dieu est le chef, ils
sont libres, ne laissant pas de payer à celuy qui receuoit

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le tribut de Cæsar lequel estoit infidelle.
Outre ces raisons qui prouuent en general que
les Chrestiens ne sont point Esclaues, ie pourrois
en alleguer de particulieres pour monstrer que les
François ont tousiours esté libres soit apres que
Cæsar les eust reduits à l’obeïssance de l’Empire
Romain, soit apres qu’ils curent estably cette
grande & puissante Monarchie qui doit tenir le
premier rang entre toutes celles de l’Europe. Ie
ne m’arresteray point sur l’Etymologie du nom
François qui signifie franchise & liberté, ie diray
que dans l’establissement de la Monarchie, & dãs
le changemẽt des trois races les peuples ont conserué
dans son entier leur liberté. Pharamon fut
estably Roy par les soldats François, apres l’auoir
esleué & promené dans le Camp sur leur pauois,
leurs causes estoient iugées par quatre Barons, qui
furent les Autheurs de la Loy que nous appellons
Salique : cette Loy fondamentale de la Monarchie,
laquelle exclud les femmes de la succession
nous monstre clairement que le Royaume n’est
pas a proprement parler vn heritage mais vne dignité
souueraine que les François ont attribuée à
vn seul pour l’administration de leur estat, conseruatïon
& agrandissement de toute la chose publique.
Ceux qui disent que les Roys ne tiennent
leur puissance que de Dieu & de leur espée se trõpent.

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La Monarchie Françoise a esté bastie sur les
ruines de l’Empire Romain les François estant encore
Idolatres, & quoyque l’authorité Royale aye
esté mise entre les mains du plus puissant, neantmoins
il est euident que la force d’vn homme seul
n’a iamais esté si grande qu’elle ayt preualu à tant
de milliers d’hommes genereux qui auoient defait
les forces du peuple Romain. C’est donc des
François mesmes que les Roys ont receu leur authorité.
Car de la faire venir du Ciel ou de leur
seule espée c’est s’abuser. Or cette authorité Souueraine
que les Monarques ont receu de leurs soldats
ou de leurs subjects, n’est pas comme l’on
estime, vne puissance absoluë sur leurs vies &
sur leur bien, il n’y a que Dieu seul qui soit maistre
de nos vies & de nos biens parce que nous les
tenons de luy, mais ne les tenant point du souuerain
il n’a aucun droict sur nos vies que pour le
biẽ de l’Estat, ainsi il iuge & condamne à mort vn
mal faicteur nen point a cause qu’il a pouuoir de
luy faire oster la vie, mais parce qu’il est necessaire
pour la societé cjuile que celuy la qui la veut
destruire soit puny de mort. De mesme la proprieté
de nos biens n’appartient point au Roy,
non pas mesme des Charges & des Offices apres
qu’il les a donné gratuitement ou vendu, car le
don & l’achapt transferent le domaine de la chose

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donnée ou venduë au donatire & à l’achepteur
estant impossible qu’vne mesme chose appartienne
solidairement à plusieurs maistres. Le droict
Royal ne consiste donc pas dans cette puissance
absoluë de la vie & des biens des sujects, mais dãs
vn authorité souueraine de dispenser le chastimẽt
& la recompence selon leur merite. La Monarchie
ne fust pas plustost establie que les Barons &
le peuple françois assignerent vn Domaine Royal
pour l’entretien de la Maison Royale, si grand &
si opulant que le reuenu d’iceluy surpasse de beaucoup
tous ceux des autres Roys & Souuerains de
l’Europe. Or ce Domaine ayãt esté baillé aux Roys
pour maintenir les Charges de leur maison & la
dignité de leur Courõne est inalienable, les Roys
ne le pouuant transferer non plus que leur authorité.
l’adjousteray que pour marque de liberté les
François ont porté vne longue cheuelure depuis
Clodion. 2. Roy iusques au regne de Louys 7. auquel
temps ils la quitterent à l’instance de l’Euesque
de Paris, Pierre Lombard appellé dans les Escholes
maistre de sentences. Mais pour vn plus
grand esclaircissement de l’authorité Royalle, nous
deuons considerer quelle a esté transferée en trois
races par les Estats generaux du Royaume, dans
la premiere race les Roys n’auoient autre reuenu
que celuy de leur domaine, le premier qui mit la

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taille, fut Chilperic, lequel exigeoit pour arpent
de vigne vn septier de vin, & à proportion du
reste, c’est à dire le trentiesme de chaque dentée.
Cette Taille fut imposée à la persuasion de Fredegonde
pour entretenir son luxe ; mais elle ne
continua pas beaucoup d’années, le Roy ayant
perdu ses enfans, quelques Euesques & saincts
Personnages luy firent entendre que Dieu estoit
courroucé contre luy, & l’auoit priué de successeur,
à cause qu’il auoit vsurpé le bien de son peuple,
& deslors il osta la Taille.

 

Dans la seconde race, Pepin fils de Charles
Martel, voulant releuer l’authorité Royale, laquelle
estoit presque aneantie par la foiblesse &
insufisance des Meroüingiens, trouua le moyen
d’affermir son authorité par la decharge des taxes
& imposts, par lesquels Childeric auoit encouru
l’indignation des Francois, & par sa valeur & sage
conduite, à l’ayde des Papes, s’establit dans le
Thrône. Et Charlemagne conquist l’Empire par
la valeur des Frãcois, sans que le peuple fut vexé de
Tailles, & sans qu’il falut mesme soldoyer ses
gens de guerre : car ayant distribué les terres, vn
chacun estoit tenu de seruir à ses despens, sans
viure sur Iacques bon homme. La Monarchie
Françoise fut remise entre les mains de vrais Gaulois,
lors que Hugue Capet descendu d’vne ancienne

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race des Princes d’Anjou, receut la Couronne,
Les Meroüingiens & carlomans estans
Alemands, & par consequent Estrangers &
vsurpateurs. Ce restaurateur de la Monarchie
trouuant le Domaine Royal aliené, fortifia
sa puissance par les Hommages & par l’establissement
du Ban & Arrieban : Car comme
toutes les dignitez & Offices furent renduës
hereditaires, il obligea ceux qui tenoient des fiefs,
qui furent appellez vassaux, de seruir le Roy
en ses guerres certain temps de l’année auec
hommes armez & munis des choses necessaires,
sans qu’il fut permis aux roturiers de tenir aucun
fief, afin de conseruer en son entier le lustre
de la Noblesse. Le mesme Capet departit ces
Bans & Arriere-bans en deux, faisant les vns gens
de cheual, & les autres fantassins, ou gens de pied,
nommez Francs Archers : ces Bans & Arrierebans
deuoient seruir trois mois à la façõ des Romains,
lesquels faisoient seruir leurs soldats pendant la
campagne & apres les renuoyoient cultiuer leurs
terres : Toute cette Gendarmerie marchoit sans
estre soldoyée, & s’appelloit Ban, du mot bannir,
pris pour appeller & non pour exiler : & le temps
qu’il falloit seruir estoit de quarante iours, & l’Arrieban
dautant, sans y comprendre celuy qu’il
falloit pour aller & venir, lequel estoit compté

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pour dix iours : de sorte que le temps d’vne cãpagne
estoit de trois mois. Où nous deuons remarquer
que les gens de guerre ne faisoient point
aucun degast : & neantmoins ils n’auoient point
de solde, laquelle a commencé sous Charles
VII. Le Roy Iean pour soustenir la guerre contre
les Anglois, & pour payer sa rançon, obtint des
Estats qu’on soldoyeroit trente mil hommes,
mais ils deuoient estre payez par les mains de
ceux que les Estats commettroient. Lesdits Estats
changerent tous les vieux Officiers du Royaume
à cause des plaintes du tiers estat. Les aydes & subsides
qu’on a octroyé aux Roys ont tousiours esté
volontaires. Philippes de Valois par ses Patentes
du 17. Febvrier 1349. declare que le subside de six
deniers pour liure qu’il a obtenu, ne preiudicie
pour l’auenir aux libertez & priuileges du peuple,
mais qu’il l’impetroit à vn subside gracieux.
Louys XI. est celuy d’entre les Roys, lequel mettant
les Roys hors de page, a mis les peuples sous
la tyrannie : Toutesfois Louys XII. qui succeda
apres son fils, fut nommé le Pere du peuple, à
raison qu’il ne cherchoit que son soulagement ;
mais pensant auoir trouué le moyen de fournir
aux despens de la guerre qu’il faisoit pour la conqueste
de l’Italie sans fouler le peuple, il a perdu
la France contre son dessein : car il voulut faire de

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l’argent du papier & du parchemin [1 mot ill.] c’est à dire
qu’il rendit la Iustice [1 mot ill.], & du depuis la France
n’a veu qu’vne suite continue le de mal heurs.
La prison de François premier acheua de ruiner le
Royaume, & cette ruine s’est continuée par les
guerres Ciules de la Ligue. Et encore a esté plus
grande sous le Ministeriat du Cardinal Richelieu,
lequel a mis tous les Francois à la cadene, & maintenant
nous sommes aux prises contre le successeur
de sa tyrannie : Mais il est à remarquer en
toute la suite de nostre histoire, qu’outre le changement
de trois races de nos Rois, les François
peuuent donner des marques de leur liberté. I.
En ce que les aisnez des Rois n’ont pas succedé à
la Couronne lors qu’ils ont esté trouuez incapables
de gouuerner vn si grand Empire. Comme
Robert, fils de Louys le Gros, lequel fut fait Comte
de Dreux, & ny luy, ny sa posterité, que quelques
vns estiment estre encore en la race des Seigneurs
de Courtenay, n’ont succedé à la Couronne.
2. En ce que tous les traittez que les Roy Iean
& François premier firent estans prisonniers, furent
censez nuls, iusques à ce qu’ils furent arrestez
par les Estats du Royaume François premier
mesme declara à l’Empereur qu’il n’estoit pas en
sa puissance de luy mettre entre les mains ce qu’il
luy demandoit, & que cela dependoit des Estats

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Generaux, sans lesquels il ne pouuoit disposer des
droicts de sa Couronne.

 

De tout ce que nous venons d’alleguer, il demeure
euident que la puissance de nos Rois n’est
pas si absoluë sur les peuples comme l’on s’imagine.
Mais ce que nous allõs dire, fera voir comme
la France a laissé vsurper peu à peu vn empire
tyrannique à ceux qui l’ont gouuernée sous le tiltre,
ou sous le pretexte de l authorité Royale. Que
les Francois qui ont esté reconnus par tout si genereux,
soient auiourd’huy traittez en esclaues :
C’est ce que ny nous, ny les Estrangers ne pouuõs
reuoquer en doute. A parler selõ le langage
de S. Aug. qu’est ce que nostre Royaume, qu’vn
pays de brigandage ? Quid sunt regna nisi ingentia
latrocinia nisi vbi a dest Iustitia ? Or où est la Iustice ?
est-elle dans la Cour du Roy, on ni trouuera
ni foy, ni loy ? rien qu’abomination, que scandale.
Qu’on examine le Clergé, la Noblesse & le tiers
Estat, & en apres le Peuple, & l’on verra que toute
la France n’est qu’vne tourbe d’esclaues, les vns
tyrans, les autres ryrannisez : les vns sont esclaues
du vice, de l’ambition & de l’auarice, les autres
gemissent sous le ioug insupportable de la misere,
de la necessité. Qu’on confidere en quel estat
sont reduites les Villes & la Campagne, & l’on
verra que les Partisans & les gens de guerre ont

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ruiné les vnes & deserté l’autre, en telle sorte que
tous ceux qui ne sont ou du Monopolè, ou de la
Soldatesque, ne font que languir, attendant ou
leur mort, ou leur ruine.

 

L’Esclaue est celuy qui ne trauaille que pour son
Maistre, qui n’a rien à luy, qui depend en tout &
par tout d’vn autre homme. Le peuple Francois
est traitté de la sorte, il n’a rien qu’il puisse dire
sien, tout est aux Officiers du Roy : le Soldat emporte
ou brusse ce que le Sergent auoit laissé. Le
Roy fait la guerre, pour qui ? pour le bien de son
peuple ? Oüy, mais c’est pour l’auoir & non pas
pour luy procurer : de toutes ses conquestes que
nous en reste t’il, que de plus grandes charges &
de la misere ? On dira que les Espagnols se saisiroient
de la France si les Armées ne l’empeschoient.
I’estime que quand nous serions sous la
domination du Turc, encore serions nous mieux
en toute facon que sous l’Empire de ceux qui
nous gouuernent. Les Mahomettans n’ont iamais
fait tant de rauages, de sacrileges, d’incendies, de
viols, de pilleries, que les gens de guerre exercent
deuant nos yeux. Les Chrestiens de Constantinople
& d’Alger ne payent pas la dixiesme partie
du Tribut que nous faisons : & puis on dira que
nous ne sommes pas Esclaues. Nostre vie n’est
pas en seureté, ny à la campagne, ny à la ville, ny

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dans nos foyers. Il nous faut achepter la Iustice,
encore le plus souuent l’iniustice triomphe de l’equité,
& la faueur opprime l’innocence. Tout
autant de soldats que nous voyons, sont autant
d’ennemis, ou de nos vies, ou de nos biens.

 

Il est vray que nous sommes causes de nostre
mal heur, nos lasches condescendences ont donné
gain de cause à la tyrannie ; mais tout cela
n’empesche pas que si nous voulõs, nous n’ayons
droict de faire & de tout defaire pour nous deliurer.

II. Comme nous auons receu de Dieu l’estre,
la vïe & tous les biens qu’il nous donne : aussi
auons nous vn droict naturel & diuin de les conseruer,
& comme chacun en particulier a droict
de repousser les violences qui luy sont faites par
vn autre particulier. Aussi tout le general a vn
droict encore plus grand de se defaire de ceux
qui destruisent la societé ciuile. Nous auons des
exemples non seulement de plusieurs grands
hommes, lesquels apres auoir fait tous leurs efforts
pour deffendre leur liberté & celle de leur
Patrie, ont mieux aymé perdre le iour que de tenir
leur vie & leurs dignitez des Tyrans ; mais encore
des Villes & des Nations entieres ont mieux
aymé s’enseuelir dans leur ruines que de suruiure
à leur liberté. Mais il semble que nous soyons de

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ceux que les interests publiques ne touchent
point, Tantum ex publicis malis sentimus quantum
ad priuatas res pertinet : mais croyons nous que
dans la ruine de toute la France, la nostre n’y soit
pas comprise ? Trouuons nous vne grande consolation
dans nos miseres, d’auoir beaucoup de
semblables ? Certes il vaut mieux par vn effort
genereux se faire quitte pour vne bonne fois des
Tyrans & de la tyrannie.

 

Nous auons besoin d’vn guide au ehemin de
la liberté, vn chacun en sçait le chemin, il est
court, il n’y a pas demi iournée, voire pour deux
heures de chemin. Quelques vns disent qu’il y a
dix-sept cens mil Clochers en France, que prenant
vn homme de chaque Parroisse, on feroit
vne Armée effroyable, qui destruiroit le Mazarin
& tous les supposts du Mazarinisme ; mais ce
chemin me semble trop long, encore n’est il pas
bien asseuré : car plusieurs de ceux qui sont en
toutes les Parroisses sont Mazarins. D’autres ont
proposé que puis que l’on a promis cinquante
mil escus à quiconque representeroit le Mazarin
mort ou vif à Iustice, on n’auroit qu’à mettre les
cinquante mil escus entre les mains d’vn homme
genereux, & qu’en donnant vn escu à ceux qui le
voudroient suiure, il trouueroit cinquante mil
hommes dans Paris qui prendroient les armes

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iroient fondre dans S. Denys, & dans moins de
six heures, ou defairoient les Mazarins, ou les
obligeroient de s’esloigner par leur fuite bien
loin de nos murailles. Il y en a qui trouuent encore
vn autre moyen plus court & plus asseuré,
qui est de donner l’authorité Souueraine à son
A. R. puis que le Roy abandonne pour vn Estranger
son Estat, ses Princes & son Peuple : & ce dernier
moyen est le chemin royal pour paruenir à
la liberté que nous demandons. Car par la liberté
ie n’entends pas le libertinage, comme plusieurs
pourroient entendre, ni la puissance de faire le
bien & le mal, comme les Molinistes estiment,
du moins auec impunité, mais vne liberté opposée
à la seruitude, ou Esclauage, qui est l’independance
ou l’affranchissement de la misere & de
l’oppression. Les peuples qui sont les plus libres,
sont ceux qui sont plus sujets aux Loix. Et nous
sommes Esclaues, parce que si nous auons de
bonnes Loix, elles sont muettes, & leur transgression
n’est pas plus commune que l’impunité.
Mais reuenons aux moyens qui sont proposez
pour nous affranchir de la tyrannie. La necessité
seule les peut rendre licites ; mais outre la necessité
la raison les rend legitimes. Le premier est
trop long, & nous auons besoin d’vn prõpt remede :
le deuxiesme est aisé, estãt certain qu’on auroit

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aussi tost trouué cinquante mil hommes dans Paris,
qui sortiront auec leurs armes pour combattre
le parti Mazarin, qu’on aura consigné cinquante
mil escus pour les distribuer à vn chacun. La difficulté
qui se trouue dans l’execution de ce moyen
se doit prendre du costé des Princes, de Messieurs
du Parlement & de la Maison de Ville, lesquels
ne pourroient souffrir que le peuple de Paris prit
les armes, de peur qu’il les voulut retenir iusques
à ce qu’il eust recouuert sa liberté toute entiere,
& qu’il eust mis bas la tyrannie auec ses dependances
& son appuy.

 

Mais si nos Princes & leurs Partisans ne sont
meilleurs Politiques qu’ils ne se sont monstrez
iusques à present, il est à craindre que le peuple
qui se void tantost reduit à la faim, n’excite vne
sedition, demandant ou la paix, ou du pain. La
Prophetie de Nostra-Damus se void quasi accomplie,
qui dit,

 


La grand Cité qui n’a pain qu’à demy,
Encore vn coup la S. Barthelemy,
Vn Fascigere tombera sous la lame,
Voulant seruir vne puissante Dame.

 

Ie n’adiouste point foy au dire des Poëtes non
plus qu’aux Deuins ; mais sçachant que le Sage
maistrise le destin, & qu’il n’est aucun mal dans
la Cité que le Seigneur ne fasse, Non est malum in

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Ciuitate quod non fecerit Dominus. C’est luy qui
aueugle & qui illumine l’entendement, qui endurcir
le cœur des meschants & ramolit celuy des
iustes, qui transfere les Empires de famille en famille,
de nation en nation, pour punir les pechez
des Peuples, ou les crimes des Souuerains qui ont
abusé de leur authorité, comme nous pouuons
voir dans nos Histoires. Il est du droict naturel &
par consequent inuiolable, que les hommes viuent
en commun & constituent vn estat pour
leurs vies & leurs biens dans vne societé ciuile :
Mais que cét Estat soit Monarchique, ou Aristocratique,
ou populaire, c’est vn droict positif subordonné
au premier, c’est pourquoy il arriue
des reuolutions de l’vn à l’autre, comme il s’est
fait en plusieurs Nations, & mesme de nostre
temps chez nos voisins.

 

Iam proximus ardet,
Vlcalegon.

Il seroit bien difficile, quelque changement
qui suruint au nostre, qu’il nous arriuast encore
pire, nos maux estant paruenus à la derniere periode
de leur violence, que les Medecins appellent
acmé. Si nous iettõs les yeux hors du Royaume,
nous verrons par quelle sorte de gouuernement
les peuples viuent heureux & mal heureux,
& ie m’asseure qu’vn chacun pourra dire,

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Video meliora proboque,
Deteriora sequor.

Il nous seroit pourtant plus aisé de courir dans
le chemin de la liberté que d’aduancer encore
long-temps dans celuy de la seruitude. Nous n’auons
qu’à faire demy tour à droict, & nous y voilà.
Si nous voulons la liberté entiere, nous la pouuons
recouurer : i’entends par cette liberté l’establissement
des Loix & de la Iustice, qui ne peust
estre que par le changement, ou plustost par vne
abolition entiere de ce nombre infiny d’Officiers
de chiquane & de monopole. Par cette liberté
i’entends la deliurance des Imposts que la tyrannie
a mis sur les necessitez de la vie. Par cette liberté
i’entends la securité de la vie & de nos biẽs,
la franchise ou l’exercice paisible du commerce
sans lequel les hommes ne se peuuent entretenir.
En vn mot par cette liberté i’entends vne independance
de la domination arbitraire des plus
forts & des plus puissans, constituant le salut du
public pour souueraine Loy, ayant pour reigle
du gouuernement ces deux maximes.

I. Que tout homme qui viura sans faire tort à son
prochain ny en sa vie ny en ses biens ny en son honneur
sera tenu pour Citoyen & protegé.

II. Que nul de quelque condition ou dignité qu’il soit
ne pourra impunement nuire a aucun suject, ou en sa

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vie ou en son bien, ou en son honneur.

 

Penses vous que pour sortir de la seruitude où
nous sommes, il falut faire de grands efforts ou
que les moyens par lesquels nous nous en pouuõs
tirer soit injustes ? Ie sçay qu’il ne faut point faire
du mal afin que le bien arriue, non sunt facienda
mala vt inde eueniant mala. Mais ie sçay aussi que
toute nostre obeïssance nos respects, nos condescendences,
nos coustumes, tout cela n’est qu’vn
droit pour le plus positif, Et que la liberté que ie
propose est vn droit naturel lequel a besoin d’vn
peu d’ayde mais nous n’auons qu’a nous seruir
d’vne partie de nos forces pour nous rendre heureux.
Quelque estime qu’on face de la valeur
neantmoins elle ne doit pas estre mise parmy
nous entre les choses rares elle est aussi bien populaire
à Paris qu’à Lacedemone. C’est vne addresse
de ceux qui nous gouuernent, de retenir le
peuple par quelque esperance de paix, par promesses
d’vn accommodement, & par des asseurances
de l’esloignement de celuy qui cause nos
mal heurs (quoyque l’on sçache de bonne part
que celuy qui fait semblant de poursuiure cét
esloignement, l’empesche maintenant, ne se
trouuant pas satisfait en toutes ses pretensions)
Si dis-je, le peuple n’estoit retenu, on le verroit
prendre les armes, courir à sainct Denys, au chemin

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de la liberté, & charger de fer ceux qui les
ont detenus dans les chaisnes. Quand on fera demy-tour
à droict, & qu’on declarera que l authorité
Souueraine appartient au Fils de Henry le
Grand, Gaston Fils de France, Duc d’Orleans :
Pensez-vous que les François fassent contre les
Loix fondamentales de la Monarchie. Les Mazarins
seuls le croiront, mais les veritables François
peuuent soustenir le contraire, puis que ces Loix
sont, Gallorum rex maior natu & Masculus este.
L’ame de la Loy n’est que de donner la Couronne
à celuy du Sang Royal, qui est capable de la maintenir,
& c’est le maior natu que la Loy ordonne :
car la mesme raison qui en exclud les femmes en
doit exclurre ceux qui ont la raison plus imbecille
que les femmes.

 

Ceux qui ont delaré les Roys Majeurs à l’aage
de treize ans, ont esté bons œconomes, mais
mauuais Politiques. Pour disposer d’vn heritage
de trois sols, il faut auoir atteint l’aage de vingt-cinq
ans, & pour gouuerner vn Royaume, il ne
faut que quatorze. Comme si tous les Roys
estoient des Salomons, ou que l’on se doiue contenter
que nostre ieune Monarque a esté esleué
entre les mains du Cardinal Mazarin, & qu’ayant
eu les exemples de feu Manchiny deuant ses
yeux, Malitia suplet ætatem. Il nous faut vn Souuerain

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doüé des vertus Royales, de la sagesse &
de la valeur. Les Grenoüilles demanderent vn
Roy à Iupiter, qui leur dit de prendre vue buche
plantée au milieu de leur estang : s’estant approchées
de ce bois, & à la fin s’estant mises en troupe
dessus la buche, commencerent à la mespriser
& retournerent à Iupiter luy requerir vn autre
Roy, lequel leur donna la Cicoigne, qui les deuoroit
toutes l’vne apres l’autre. Nous ne voulons
ny buche ny Cicoigne. Nous ne voulons
point vn Roy incapable de gouuernement, ny
qui nous deuore, ou nous laisse deuorer par les
Ennemis ou par le Monopole. Nous aymons la
Royauté & detestons la tyrannie, & ne trouuons
point de plus seur chemin à la liberté que de
nous deffaire du Mazarin, & mettre à bas le
Mazarinisme. Nous auons veu que les François
sont libres, & qu’ils sont traittez en Esclaues,
que nous pouuons tout faire pour recouurer
nostre liberté. Puis que le droict positif
doit ceder à celuy de la Nature, nous auons
veu que de tous les moyens pour sortir de la
seruitude, il n’en est point de plus prompt, do
plus asseuré & de plus agreable que le dernier,
Il ne reste qu’à mettre la main à l’œuure pour
l’execution : & il est tres certain que si les Parisiens
donnoient à entendre à la Cour que Paris

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ne se peut passer de Roy, nous verrions sa
Majesté abandonner le Mazarin pour se conseruer
la Couronne.

 

FIN.

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Anonyme [1652], LE GVIDE AV CHEMIN DE LA LIBERTÉ FAISANT VOIR. I. Que les François sont traitez en Esclaues. II. Qu’ils ont droit de tout faire pour sortir d'Esclauage. , français, latinRéférence RIM : M0_1534. Cote locale : B_3_23.