Anonyme [1651], LE COVP D’ESTAT DE MONSIEVR LE PRINCE DE CONDÉ. , françaisRéférence RIM : M0_803. Cote locale : B_7_10.
Section précédent(e)

LE
COVP D’ESTAT
DE
MONSIEVR
LE PRINCE
DE CONDÉ.

A PARIS,

M. DC. LI.

-- 2 --

-- 3 --

LE COVP D’ESTAT DE MONSIEUR
le Prince de Condé.

IL arriue aux hommes & principalement aux Roys
& Princes de la terre de faire pendant le cours de
leurs vies dans des conjonctures difficilles des actions
heroïques, pleines de merueille & admiration, lesquelles
pour leur consequence en la personne des Souuerains
& grands Seigneurs ont merité le nom de coups
d’Estat. Ces actions sont des productions d’vn esprit
excellent, des ouurages d’vne rare prudence, des effects
d’vne bonne Politique, des mouuements d’vn cœur intrepide,
des resolutions hardies & genereuses, mais plustost
des inspirations d’vne prouidence Diuine, qui
veille pour le bien des Estats : ceux qui ont fait l’Histoire
de leur temps ont esté curieux de les remarquer
pour en faire considerer l’esclat & les merueilles.
l’obserue quelque chose de semblable à ses actions de
courage, dans le procedé qu’a tenu Monsieur le Prince
de puis sa sortie de Paris pour sainct Maur.

La vie de ce Prince a esté vne merueille iusques à present,
sa naissance à reüny deux cœurs diuisez, & à commancé
la bonne fortune de sa maison, dans la suitte, apres
auoir acquis pendant les premieres années de sa ieunesse
les sciences necessaires pour faire vn parfait Capitaine ;
Il a fait le mestier de Prince, qui est celuy de deffendre

-- 4 --

par les armes les interests du Roy & de l’Estat contre ses
Ennemis declarez auec le succez que l’Europe sçait & admire,
en cinq années de guerre, il a surpassé la reputation
de ses Anciens conquerans de la terre & a acheué le temps
du plus grand Capitaine du siecle qui auroit vieilly soub
le harnois : ses triomphes ont fait naistre vne cruelle enuie
dans l’esprit d’vn Fauory, le Cardinal Mazarin, lequel
ne pouuant supporter ceste esleuation, laquelle il a
estimée vn obstacle à sa grandeur & à celle des siens, la
faict arrester, soubs vn pretexte de faits imaginaires &
estudiez Mais il s’est trouué que sa prison, qu’il a pensé
deuoir seruir à l’establissement de sa fortune, par vn contre
coup, a causé sa perte & augmenté la gloire de ce Prince.
Car dans la suitte, le Ciel & la terre ont disputé pour
l’honneur de sa liberté, & par l’éuenement, le mesme
iour a veu sa desliurance, & l’esloignement de ce Ministre.

 

Monsieur le Prince se voyant en liberté a mis tous
ses soins à remettre le calme dans l’Estat, & à nous donner
vne paix generale, que sa detention auoit esloignée, il a
fait reuenir en Cour Madame la Princesse, Madame de
Longueuille, Monsieur de Boüillon, Monsieur de la Rochefoucaut,
& tous ceux que son emprisonnement auoit
escartez, fuyans la persecution de ce Ministre, qui ont
vnanimement protesté à leurs Maiestez de la sincerité de
leurs intentions, fidelité & affection à leur seruice,
Monsieur le Mareschal de Turenne par ses sollicitations
a rompu tous les attachemens qu’il auoit auec l’Espagne,
& s’est rendu aupres du Roy pour luy continuer ses

-- 5 --

seruices. Il a si fort passionné le repos de la France, que
pour terminer ce funeste differend entre le Parlement de
Bourdeaux, la Prouince de Guyenne, & Monsieur le Duc
d’Espernon, il a abandonné ses interests vtils, ayant quitté
à ce Duc le Gouuernement de Bourgongne, qui est de
soixante huict mil liures de reuenu, pour prendre celuy
de Guyenne, qui ne vaut au Gouuerneur que quarante
deux mil liures : sa desliurance a obligé l’Espagne de faire
de nouuelles demarches pour la paix qu’elle auoit refusée
pendant sa prison. Enfin il a mis en vsage toutes sortes de
moyens pour apporter la tranquillité à l’Estat, & reduire
les Ennemis à vn accommodement.

 

Il goustoit les plaisirs de sa liberté dans le repos de son
ame, comme il s’est veu menacé dans cette bonace, &
tout l’Estat d’vn nouueau trouble. Le Cardinal Mazarin
s’estoit imaginé que luy ouurant les portes de la
citadelle du Haure il le rendroit tellement son obligé,
qu’il le maintiendroit dans la durée de son ministere,
contre tous les efforts qu’on faisoit pour le chasser,
s’estant veu trompé dans ses esperances. Ce Prince
ayant bien recognu qu’il ne luy auoit donné sa liberté,
que dans l’extremité, ne la pouuant plus empescher,
& ne luy auoit rendu ce bon office, que pour trouuer
son salut dans sa deliurance, n’ayant point d’autres
moyens pour subsister ; comme il a tousiours l’esprit
du retour, & ne s’est esloigné que pour reuenir ; luy restant
cette pensée, que ce Prince luy est redeuable de sa dsliurance,
& ne luy a refusé sa protection en sortant du Haure,
que parce qu’il n’auoit pas lors iugé à propos de la prendre

-- 6 --

pour le bien de ses affaires : Il a creu qu’auec le temps il
accorderoit son retour, pour cet effect, on a fait de sa part
diuerses tentatiues pour le vaincre ; mais ne s’asseurant pas
de sa volonté, en le faisant rechercher, il a voulu en mesme
temps le perdre par le mesme artifice, duquel il s’est
des-ja seruy si heureusement pour luy, pour entreprendre
sa prison, afin que l’vn des deux peut reussir à ces desseins ;
pour cela il l’a fait accuser des desordres des Gens de Guerre,
& fait courir le bruit qu’il estoit la seule cause qu’il n’y
auoit point de fond dans l’Espargne pour leur payement.
On a dit aux Suisses qu’on ne pouuoit les payer, parce qu’il
auoit absorbé la meilleure pattie des Finances : on a publié
qu’il demandoit tous les iours à la Reyne de nouuelles
graces pour luy, les siens & ceux qui auoient suiuy ses interests,
& qu’elle ne pouuoit plus supporter ses importunitez :
on a dit qu’il auoit affecté le Gouuernement de
Guyenne, pour y former vn party contre le Roy ; enfin on
l’a rendu le suject de toutes les plaintes qu’on a formées
depuis sa sortie hors du Royaume, afin de le rendre odieux
au peuple, & qu’il peust entrer dans l’esprit de quelqu’vn
quelque regret de l’absence de ce Ministre : mais sur toutes
choses on s’est estudié à persuader les peuples qu’il n’auoit
pas seulement consenti à son retour, Mais s’estoit engagé
de le restablir hautement ; pour le faire croire, on a venté
l’entremise de deux femmes de consideration, & on a
fait ostentation de son restablissement dans ses Gouuernemens,
places fortes, & charges, (nonobstant les articles
arrestez dans la conference tenuë auparauant sa liberté)
& de quelques autres bienfaits qu’ils disent que la Reyne

-- 7 --

luy a fait depuis sa desliurance.

 

Ce Ministre ayant appris par ses Creatures qu’on ne
pouuoit obtenir de luy, son retour : mais qu’on auoit assez
heureusement reussi dans les bruits qu’on auoit semez contre
sa conduite, pour se desliurer de l’obstacle qu’il croit
seul trouuer sur son chemin pour son retour : il a creu
qu’il pouuoit prendre encore vne fois contre luy le
dessein de le faire emprisonner : plusieurs aduis luy en
sont venus, ausquels d’abord il n’a peu adiouster aucune
creance, n’ayant peu s’imaginer qu’vn ennemy si esloigné
& banni eust conserué vn si grand pouuoir dans les Conseils
du Roy. Mais luy ayant esté rapporté la nuict du cinquiesme
Iuillet par diuerses personnes de foy, que trois ou
quatre cens soldats assemblez marchoient auec armes &
quelques Officiers dans le fauxbourg Saint Germain, se
souuenant des aduis qu’on lui auoit donnez, il a eu raison
de croire qu’on vouloit s’en seruir pour se saisir de luy. C’est
pourquoy il a esté obligé, pour la seureté de sa personne,
de se retirer hors de cette Ville à sainct Maur, affin de ne
pas tomber dans le mesme malheur, duquel sa bonne fortune
l’a tiré, ne pouuant pas s’asseurer qu’elle lui sera tousiours
fauorable.

Quoy que cette sortie ait eu des raisons legitimes,
neantmoins la nouuelle en a esté receuë diuersement, les
bons François qui cognoissent le zele auec lequel il s’est
tousiours comporté dans ses employs pour le seruice du
Roy, n’ont rien pensé ny attendu de sinistre de cette sortie,
ils ont bien iugé qu’il ne voudroit pas ternir cette belle reputation
qu’il s’est conseruée par sa liberté, ny manquer

-- 8 --

aux obligations qu’il à au Parlement, à Monsieur le Duc
d’Orleans, aux gens de bien & aux peuples pour sa deliurance,
ils ont creu que sa retraite auoit de iustes causes, &
que sa suite nous produiroit du bien. Mais la faction du
C. Maz. n’a pas manqué de s’en preualoir, ses emissaires ont
dit qu’il ne s’estoit absenté que pour ses interests & contenter
son ambition, que le veritable sujet de sa sortie estoit
le refus que la Reyne luy auoit fait du Gouuernement
de Prouence pour Monsieur son frere & de plusieurs autres
demandes, que pour sortir il s’estoit forgé vn pretexte
qui paroissoit foible par ces circonstances, qu’ayant recogneu
ses forces apres sa desliurance par le grand nombre
de ses Alliez, amis & seruiteurs, Gouuernemens, places
fortes & affection des Gens de guerre, il vouloit auoir la
gloire d’emporter à la teste d’vne puissante armée, tout
ce qu’il voudroit proposer & pousser sa bonne fortune
iusques où peut aller la valeur, le courage & le bon heur
d’vn ieune Prince victorieux. Ils ont mesme publié que
cette sortie estoit vn effect d’vne intelligence secrete de
ce Prince auec le Cardinal Mazarin & ses Creatures, pour
son restablissement, lors que la Reine lui auroit accordé
ses pretentions, sur lesquelles elle ne pouuoit autrement
lui donner de satisfaction, de crainte de bailler quelque sujet
de mescontentement à des personnes d’vne haute consideration
qui en prendroient ialousie.

 

Ces discours pernicieux tenoient les esprits en suspend :
mais ses mauuaises impressions qu’on a tasché de donner
au peuple ont cessé par la lettre qu’il a escrite au Parlement
le septiesme du mesme mois de Iuillet, par laquelle,

-- 9 --

apres auoir rendu la raison de sa sortie, laquelle il dit
estre l’aduis certain d’vne entreprise contre sa personne,
par le conseil & pour les interests de ce Ministre :
parce qu’il n’a pas voulu consentir à son retour, il declare
hautement, qu’il n’a point d’autre dessein, n’a point
d’autres pretentions, que d’empescher son retour, &
procurer l’esloignement de ses Creatures, qui ont desia
esté nommées dans la Compagnie, & qu’il nomme
par sa Lettre du vnziesme du mesme mois de Iuillet.
O glorieuse & illustre Declaration, digne de la generosité
& du courage de ce braue Duc d’Anguien, le Prince
de Condé, vn Conquerant, vn gaigneur de batailles,
comme luy, ne pouuoit pas auoir des sentimens moins
glorieux & aduantageux pour le bien de l’Estat, &
les François ne deuoient pas attendre vne moindre
recognoissance de ses obligations pour sa liberté.
Cette declaration estoit necessaire pour détromper &
desabuser les esprits du peuple, de ces bruits iniurieux
qu’on auoit respandus contre luy, mais principalement
pour destruire cette calomnie qu’on luy auoit imposé,
de n’auoir pas seulement consenty au retour de ce Ministre,
mais d’auoir promis de prendre sa cause en main,
pour le restablir auec authorité ; on peut dire auec verité,
que ceste declaration lui donne plus d’auantage &
d’estime, que n’a fait ceste celebre bataille de Lents, mais
plus que n’ont pas fait tous ses exploicts de guerre, puis
qu’elle luy rend plainement l’amour des peuples, & le
fait considerer pour l’hõneur du nom François, & le plus
ferme appuy de nostre liberté. Aussi est elle l’expression

-- 10 --

d’vne belle ame, vne production d’vn esprit incomparable,
vn effect d’vne grande prudẽce, le traict d’vne excellente
politique, vn effect d’vne generosité non pareille,
vn tesmoignage authentique de son zele au bien de l’Estat
& soulagement des peuples, vn Conseil desinteressé
pris opportunément pour le salut de la France, enfin le
Coup d’Estat du Prince de Condé.

 

Cette celebre declaration ne doit point estre suspecte,
elle part d’vn cœur ouuert, qui ignore les trahisons
& dissimulations Italiennes. C’est vne resolution d’vne
ame sincere, laquelle n’est point capable de lascheté
& perfidie, c’est vne explication naïfue de ses intentions,
vn dessein d’vne vertu heroïque ; enfin c’est le langage
veritable d’vn Prince genereux, Prince defoy & do
parole, qui n’a garde de dementir la gloire de sa belle
vie par vne action indigne de son nom & de sa reputation ;
il ne faut pas craindre que mettant toute sa bonne
fortune à se conseruer l’honneur qu’il s’est acquis par
ses exploicts de guerre, il vueille le perdre en s’esloignant
de ses desseins, & il se sent trop obligé au Parlement, à
Monsieur le Duc d’Orleans & à tous ceux qui ont contribué
à sa liberté pour changer ses resolutions en des
entreprises funestes pour la France.

Mais dira quelqu’vn, est-il raisonnable que le Roy &
la Reine abandonnent à la volonté de Monsieur le Prince
ses trois personnes, par ce qu’elles lui sont suspectes ?
le Roy n’a-t’il pas le pouuoir de les retenir, comme il en a
eu le choix ? n’est-ce pas choquer l’authorité Royale, que
de vouloir oster au Roy des Officiers desquels il luy plaist

-- 11 --

de se seruir, & à la Reine ses domestiques : C’est faire
violence à la liberté publique, que de vouloir imposer
la necessité à des particuliers de chasser leurs domestiques,
la condition des Roys ne doit pas estre moins fauorable.

 

Il est vray que parlant en general, c’est donner de la
contrainte à la liberté publique, que de vouloir obliger
vn particulier à changer ses domestiques, mais il ne faut
point faire de comparaison entre la conduite des particuliers,
& celle des Roys & du public : il n’est pas permis
pour la satisfaction d’vn particulier, d’arracher vn seruiteur
du sein de son maistre, mais il est tousiours expedient,
encores qu’il ne soit pas tousiours agreable, de
chasser & de punir des Ministres dangereux & corrompus,
quand il y va du salut ou de la ruine des peuples.
Mais quand ceste comparaison seroit bonne, il se
peut rencontrer des occasions dans lesquelles il est permis
d’imposer cette Loy à vn particulier, par exemple :
le Magistrat a le pouuoir, pour le bien de la paix, de contraindre
vn particulier de chasser de sa maison sur la
plainte des parens, vn domestique turbulent & factieux
qui semera la diuisiõ parmy les proches d’vne famille [1 mot ill.]
& en causera la perte ; si pour le repos & interest d’vne
famille particuliere, la Iustice veut qu’on esloigne des
domestiques sur la demande des parens. Il est plus iuste
de receuoir la plainte d’vn Prince du Sang contre des
personnes qui veulent mettre le diuorce dans vne famille
Royalle, si preiudiciable à l’Estat, & ietter le Royaume
en vn nouueau trouble, & il est plus raisonnable

-- 12 --

de les esloigner pour preuenir ses malheurs : car dequoy
est-il question dans ce rencontre ? Il est question de sçauoir,
si Monsieur le Prince est en droit de demander l’expulsion
de ces trois personnes, & s’il est iuste de luy accorder
sa demande. Qu’a voulu faire le Parlement lors
que conformément à la volonté du Roy & de la Reyne,
il a ordonné que le Cardinal Mazarin vuideroit hors du
Royaume, sans esperance de retour ? sans doute il a voulu
desliurer la France de ce Ministre, non seulement indigne
par ses mœurs, mais incapable, par son insufisance
du rang qu’il auoit l’honneur d’y tenir ; Il a voulu
purger l’Estat de cét estranger, de ce voleur public &
tyran de Sicile, & afin que la France ne souffre plus ses
miseres & ne voye plus la calamité que son ambition &
son auarice ont causé, il a voulu que son banissement
fut perpetuel, que veulent faire ces Messieurs qui entretiennent
vn commerce & intelligence secrette auec
ce proscript, pour son retour en France ? ils pretendent
par diuerses menées, caballes, negotiations, entremises,
& toutes sortes de voyes & moyens de le faire reuenir,
ce sont leurs soings, & c’est à quoy ils trauaillent
continuellement, qu’arriuera-il s’ils obtiennent ce qu’ils
desirent ? La volonté du Roy n’aura pas eu son effect,
l’Arrest du Parlement, suiuy de celuy de tous les autres
Parlemens, deuiendra vne illusion & vne chimere,
& cette iuste & saincte ordonnance demeurera du parchemin
seulement (comme dit ce Ministre par derision).
Monsieur le Duc d’Orleans & tous les gens de
bien trouueront n’auoir eu que de vains efforts. La ville

-- 13 --

de Paris, que des desseins inutils, & les esperances de
peuples seront trompez dans l’attente du bien que
nous deuoit donner son esloignement : non seulement
les iustes intentions du Roy & du Parlement seront
frustrées, Les gens de bien & les peuples deceus
& abusez : mais nous verrons encore ce Ministre deuenu
plus fier, & lors reuestu des qualitez & tiltres
de Duc & Pair de France dans vn temps de maiorité
gourmander les François plus insolemment que iamais,
nous le verrons exercer de cruelles vengeances
contre tous ceux qui ont demãdé sa sortie, mais particulierement
cõtre le Parlement, pour l’auoir obtenuë
& ordonnée, & la ville de Paris pour y auoir beaucoup
contribué ; nous le verrons faire violence aux
Cours Souueraines & leur monstrer le baston, si elles
ont le courage de resister à ses volontez, nous le verrons
traitter les Princes comme des valets, les peuples
comme des Esclaues, & sousmettre de nouueau les
subjets du Roy à la foule des Edirs & l’oppression des
Partizans pour acheuer sa fortune, celle de son nepueu
& de ses niepces, & les combler d’honneurs & de
richesses : enfin nous nous verrons tomber derechef
dans les maux que nous pleurons encores, & desquels
nous sentons iusques à present l’incommodité, &
dans la crainte legitime de ses malheurs : il ne sera pas
permis de demander l’esloignement de ceux qui nous
preparent ce grand nombre de miseres, & veulent reproduire
au milieu de nous le sujet d’vne nouuelle

-- 14 --

guerre ciuile. Quand le Parlement a prononcé le
bannissement du Cardinal Mazarin, il pouuoit prononcer
en mesme temps & auec Iustice leur esloignement :
parce qu’il a eu raison de croire qu’ils estoient
en societé de crimes auec luy & complices de ses maluersations,
infectez du mesme venin, & imbus des
mesmes maximes & conseils : mais quand on leur feroit
cette grace de croire qu’ils n’ont point participé
à ses crimes, ayans ce malheur que d’auoir esté mis
de sa main auprés du Roy & de la Reine, & qu’ils
sont ses creatures, en ordonnant son esloignement,
on a eu sujet d’ordonner le leur conioinctement, &
de comprendre leurs noms auec celuy de ce Ministre :
neantmoins le Parlement dissimulant par sa bonté,
ne l’a pas fait, en lançant son foudre sur la teste de ce
fauory, il n’a pas voulu estendre sa main iusques à
eux dans la croyance qu’il a euë, que ce coup leur
donnant de l’estonnement & de la crainte tout ensemble,
ils en profiteroient, & qu’estans nés François
ils quitteroient l’attachement hõteux qu’ils auoient
auec cét Estranger, & se tiendroient en leur deuoir :
mais tant s’en faut qu’ils ayent changé leurs inclinations
& rompu cette malheureuse vnion, qu’aucontraire,
depuis la sortie de ce Ministre, entretenans
vne estroite correspondance aue luy, & agissans par
ses ordres ; ils n’ont rien espargné & rien obmis
pour faciliter son retour : ceste negociation les rend
aussi coulpables, que ceux qui ont intelligẽce auec les
ennemis declarez de l’Estat & veulent les faire entrer

-- 15 --

en France : car il faut maintenant considerer cét estranger
comme vn ennemy iuré du Royaume, qui
conserue dans son cœur le ressentiment de son bannissement,
& attend les occasions propices pour s’en
venger ; & apres toutes ces prattiques criminelles lesquelles
sont cognues dans le monde, on trouuera
estrange si ce Prince demande l’esloignement de ces
trois personnes, qui se donnent autant de peine à
faire reuiure la cause de nos desordres, que de bons
François s’en donneroient pour reparer vne perte signalée
que nous aurions faite, & on se tiendra scandalisé
qu’il entreprenne d’exclure des conseils du
Roy, ceux qui trauaillent à rappeller vn homme de
malheurs pour la France, qui n’a point d’autre perfection,
que celle de sçauoir coupper nos bources adretement,
ne s’estant pas contenté, pour assouuir
sa conuoitise, de se seruir de tous les moyens iniustes
que le monopole & son esprit ingenieux en partis
luy ont sucgeré : ayant encore inuenté des ieux de
cartes, des ieux de Hoc & autres, pour nous voler
plus agreablement, à la mode de sa nation : enfin on
trouuera mauuais, que par vne suitte naturelle il demande
l’execution des Arrests rendus contre le Cardinal
Mazarin pour sa sortie hors du Royaume. Car
quoy que ces trois personnes n’y soyent point nommez,
neantmoins sans doute l’intention de la Cour a
esté d’exclure des Conseils du Roy tous ses fauteurs &
adherans ; & si deslors ils n’on eu leur effect contr’eux,
ç’a esté dans l’esperance qu’abandonnans ses interests,

-- 16 --

leur conduite dans les affaires donneroit vne
satisfaction toute entiere, & leueroit tous les soupçons
& deffiances qu’on auoit d’eux.

 

Il paroist par le discours cy-dessus, que des subjets
ont la voye de plainte en quelques occasions contre
des Officiers & Domestiques des Roys, & qu’il est de
l’equité de leur faire raison, sans diminution de
la puissance Royalle : car les Roys doiuent la Iustice à
leurs subjets deuant toutes choses, & l’ayant renduë
employer leur authorité pour la faire executer, &
dans ses occasions il n’est pas besoin de les conuaincre
des faicts desquels ils sont accusez, quand ils sont
notoires d’vne notorieté publique ; on sçait qu’il est
difficile, mais impossible de faire le procez à des Officiers
de cette nature, qui ont part à la faueur, & que
leur credit redoutable arreste les depositions, nous
auons l’experience de cette fatalle authorité, dans les
informations lesquelles ont esté faites conte ce Fauory
absent depuis sa sortie, la crainte de son retour & de
ses vengeances quand il sera reuenu, retient plusieurs
dans vn silence criminel & empesche la liberté des
preuues : & on a de la peine de trouuer des tesmoins
contre le plus fcelerat & coulpable de tous les hommes,
tant est grande & formidable la puissance de la
faueur. De sorte qu’on est souuent contraint d’attendre
leur mort, pour faire le procez à leur memoire,
& ces raisons sont cause que dans ce rencontre la voix
publique attestée par des personnes notables & de
consideration est suffisante, & entre les subjets du

-- 17 --

Roy, il n’y en a point qui puisse porter plus legitimement
ses plaintes, & en rendre tesmoignage, que
les Princes du sang, comme ayans plus d’interest à
la conseruation de l’Estat.

 

Ces Messieurs cognoissent bien que le commerce
auec le Cardinal Mazarin, & leur dessein pour son retour
est vn sujet legitime pour demander leur esloignement :
c’est pour cela qu’ils desnient auoir aucune
intelligence auec luy, & auoir fait aucune negotiation
pour son retour : Mais qui sera obligé de
les croire, & qui sera garand de leurs paroles ? Ces
Messieurs instruits dans les maximes de leur Maistre,
ne croyent pas faillir contre la bonne foy, que de faire
vn mensonge pour rendre seruice à ce Ministre
leur maistre, dans la pensée qu’ils ont que c’est rendre
seruice à l’Estat, & qu’ils n’y sont pas obligez. D’ailleurs
ils n’ont garde d’auoüer vne faute si criminelle :
mais plustost leur turpitude : Leur deportemens de
mentent leur bouche ; cette correspondance & l’entreprise
de ce retour par leurs intrigues & menées, est
vne histoire que personne n’ignore, & il est constant
que ce sont les Ministres de ses passions, les confidens
les plus intimes de ses secrets, les depositaires
de son dessein pour son retour, & ses fidels negotiateurs :
pour en estre plus certain & s’en esclaircir dauantage,
il ne faut qu’interroger les habitans des
Villes, & les Maistres des Postes sur le chemin de Cologne,
il ne faut que considerer ce qui s’est passe à
Brisac & à Sedan, & le voyage de Monsieur de Mercœur :

-- 18 --

il ne faut qu’interroger le peuple de Paris, qui
a cognoissance des propositions faites de puis quelques
iours à Monsieur le Duc d’Orleans sur le sujet
de son retour par Monsieur Turgot Conseiller d’Estat :
Il ne faut qu’interroger les plus notables des
trois Ordres, sur le credit qu’il conserue dans les Conseils
du Roy par leur moyen, & dans la distribution
des benefices & charges du Royaume. Enfin il ne
faut qu’interroger ceux qui reçoiuent des lettres &
aduis de Cologne, Rome, & Auignon, ils apprendront
qu’on parle dans ces lieux du retour du Cardinal
Mazarin comme d’vne chose conclue & arrestée :
& ses Emissaires dans Paris ont la hardiesse de dire,
qu’il faut qu’il reuienne : on doit esperer que le Ciel
confondra ses desseins, & que le Parlement cognoissant
la iustice de la demande de Monsieur le Prince,
laquelle respond aux vœux de tous les bons François,
ordonnant l’execution de ses Arrests, & punissant
ceux qui ont contreuenu aux defenses portées par
iceux, vsant de son authorité, il nous desliurera
du mal duquel nous sommes menacez, par les
moyens qu’il trouuera, par sa prudence ordinaire,
pour esloigner les trois creatures de ce Ministre, &
luy fermer à iamais les passages de son retour en France,
luy en faire perdre toutes les esperances, &
mesme luy en oster les pensées.

 

FIN.

Section précédent(e)


Anonyme [1651], LE COVP D’ESTAT DE MONSIEVR LE PRINCE DE CONDÉ. , françaisRéférence RIM : M0_803. Cote locale : B_7_10.