Anonyme [1649], LE CONSEILLER FIDEL AV ROY. , françaisRéférence RIM : M0_765. Cote locale : C_1_30.
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LE
CONSEILLER
FIDEL
AV ROY.

A PARIS,
De l’Imprimerie d’Arnould Cotinet, ruë des
Carmes, au petit IESVS.

M. DC. XLIX.

Auec Permission.

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LE
CONSEILLER
FIDEL.
AV ROY.

SIRE,

LES anciens Politiques ont, selon mon iugement, tres-proprement
comparé les Republiques affligées au nauire flottant
sur la mer, agité de bourasques, & de tempestes. Et tout ainsi que
ceux qui sont dans ce nauire conspirent d’vn mesme accord à le
sauuer du peril, les plus forts & les plus robustes courans qui aux
antennes, qui aux cordages, qui à la hune, qui sur le tillac ; les
autres (moins propres aux efforts, mais plus experimentez) restans
pour gouuerner & commander. De mesme la Republique
assaillie de quelques desordres, par guerre estrangere, ciuile, ou
autrement, requiert semblable secours de ses Citoyens, pour
pousser la tempeste arriere, & se garantir de l’orage qui la menace,
partie par forces, & violence, partie par bons conseils &
salutaires aduertissemens.

Celuy-là n’est pas bon voisin, qui ne secourt selon sa puissãce
son autre voisin, quand le feu est en sa maison. Aussi est-il certain
que ceux là ne sont pas bons subiets, qui en telle conflagration,
& embrazement public, ne s’efforcent d’y contribuër, ou pour
le moins n’apportent quelque seau d’eau, pour auec les autres
tascher d’esteindre le feu.

Pour moy ie me suis obligé au mesme deuoir, & de representer

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à Vostre Maiesté, par ce petit discours, les miseres de ce pauure &
desastré Royaume, si iniustemẽt traitté par les pernicieux conseils
de ceux qui sont ennemis de la grandeur de vostre Estat, afin
qu’il vous plaise d’y apporter quelque remede ; lequel, selon mon
aduis, vous deuez chercher & embrasser, pour premierement appaiser
l’ire du bon Dieu, par le quel vn chacun de nous est maintenant
si estrangement trauaillé.

 

Il ne faut pas s’approcher des Princes pour leur complaire : car
c’est les perdre ; mais bien leur dire la verité pure & nette ; où au
contraire les flatteurs, amis de table & de bouche, n’ont autre
but que leur profit, tous leurs conseils ne sont que trahison,
& tromperie, souhaittant toutes sortes de biens aux Princes,
fors qu’vn bon entendement, & la prudence. En fin, SIRE, les
flatteurs font vn mestier sordide, & ont la langue & l’ame venale,
comme est celle du plus pernicieux de tous les hommes de
ce temps ; duquel, au tres-grand regret de tous vos bons & fidels
subiects, & seruiteurs, vous estes tous les iours enuironné. I’entens
parler de ce pretendu Ministre estranger, & tout ensemble
Machiaueliste, que nous pouuons comparer à l’Hirondelle, laquelle
nous rompt la teste de son caquet, quand le temps est
doux & benin, & laquelle aussi nous quitte, & nous abandonne
durant les rigueurs & les plus grandes froidures de l’Hyuer.

Ie dis cecy, SIRE, pour vous ramenteuoir le danger où vous
estes, viuãt auiourd’huy au milieu d’vn si grãd flatteur, qui ayme
le vostre plus que vous mesme, & qui ne tasche qu’à vous perdre,
& vostre Royaume ; estant tres-asseuré, que si toutes ces violẽces
& ces iniustices, dont on vse à l’endroit de vos pauures subiets,
ne cessent bien tost, ne vous en garentiront iamais, ains en hasteront
d’auantage la ruine si manifeste & si euidente.

Neantmoins, SIRE, il vous est aussi aysé d’y pouruoir, comme
ie pense m’estre facile de l’escrire. Il ne reste que d’inuoquer
l’ayde de Dieu, & d’y apporter vostre consentement, pour nous
gouuerner, cõme vos predecesseurs Roys ont fait, & de vous seruir
de bons & naturels subiects & seruiteurs, au lieu de pauures
souffreteux & indigens, qui neantmoins se sont agrandis, & sont
deuenus riches au detriment du pauure, & des despoüilles de la

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veufue & de l’orphelin. Que s’il aduient le contraire, sans doute
que celuy qui est mal à son ayse, ne demãdera, ny ne recherchera
rien autre qu’vne espece de changement, & de remuëment ;
d’autant que par ce moyen, il croira recouurer vne meilleure &
plus aysée façon de viure.

 

Ceux-là vous trompent grandement, SIRE, qui vous persuadent,
que les conseils de cet ignorant Ministre sont à vostre aduantage.
Il n’y en peut auoir de plus seurs, que d’acquerir l’amour
de vos subjets, que vous auez tousiours trouué si zelez & si affectionnez
enuers Vostre Maiesté. Hé, bon Dieu ! se peut-il faire
qu’ayant connoissance d’vn si mauuais traittement, vous ne
chastiez puissamment ceux qui sont les autheurs de tant de desastres,
& de familles ruinées ? Ces trompeurs & ces traistres Conseillers
sont neantmoins viuans sur terre, & pres de vostre Maiesté
à leur ayse, puis qu’il plaist à Dieu ; soit pour nostre punition,
soit aussi pour la vengeance des iniustices qui se commettent.
Ils vous ont embourbé si auant dans ces desordres, que nous
voyons, que si Dieu n’a pitié de nous, & que la Reyne ne se réueille
de l’endormissement duquel ils la tiennent ensorcelée, il
y a grande apparence, que nostre perte & la vostre est inéuitable,
si Dieu n’y met la main.

Ie demanderois volontiers qui a fait le temps si mauuais ? si non
les iniustices commises par l’aduis du plus meschant & enfariné
Politique qui fut onc sur la terre. D’où viẽt nostre grande disette,
& la pauureté où nous sommes reduits ? si ce n’est par l’enrichissement
de quelques voleurs domestiques, qui seroient assez
riches de la quatriesme partie de ce qu’ils ont a present au dommage
du pauure Peuple, & dont vn nombre infiny de gens de
bien & de seruices seroient assez recognus.

Mais quoy ? nostre mal en est là, que la porte est fermée à toutes
remonstrances. Vos Officiers n’ont plus d’audiãce, où il est question
d’argent, pratiquant ce sordide Prouerbe. Pallet oratio auro
loquente. Si bien que l’argent que l’on tire est le plus souuent assigné
sur le sang du pauure Peuple, auquel (si aucun y a) on a
demandé à plusieurs fois plus d’argent, qu’ils n’en auoient de
contãt en leur maison pour acheter du pain à leur famille en ces

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chers & miserables, temps.

 

Qui auroit vny à ce compte tous les deniers & profits des Edicts
faits depuis 25. ans, ils se trouueroient suffisans pour entretenir
long temps vne tres-grande armée, sans molester vos pauures &
desolez subiets. Où au contraire tous ces deniers se sont dissipez,
vne partie employée en bastiments inutils, autre partie en luxe,
& la plus grande partie s’en est allée dans le gouffre insatiable de
ces maudits Monopoleurs & Partisans executeurs de vos Edicts.

A propos de Partisans, l’on sçait leurs Contracts aduantageux,
qui sont faits à leur profit, moyennant les bons presens qui se font
à ceux, qui les fauorisent, profitans encor plus par tels moyens,
que par le credit qu’ils ont en vos espargnes, & sans se mettre en
peine de faire verifier le tout par cét auguste Parlement, duquel
on ne sçauroit assez dignement loüer la fidelité & sincerité de
vie. Cecy, SIRE, n’est point vn conte fait à plaisir, & tout
ainsi qu’on a escrit les actions des siecles passez, les vostres, &
celles de vostre temps & regne, seront escrittes à la Posterité, &
qualifiées du tiltre qu’elles meriteront sans aucun déguisement ;
ce qui n’est pas de petite importance à vostre honneur.

Chassez, SIRE, ces traistres de Financiers qui sont autour de
vous, & qui succent vostre sang, comme sangsuës & harpies,
ennemis des gens de bien, & de vostre Estat, amis de leur bourse
& de leur profit particulier. Vous auez desia commẽcé par quelques
vns, chassez apres eux tous les autres qui les ressemblent :
car telles gens auancent la ruine de vostre Estat, & de vostre
pauure peuple. Dittes à ceux à qui vous auez tant donné, qu’ils se
contentent pour ce coup, & qu’ils sont trop goulus.

C’est vne chose tres asseurée, que si vous croyez, SIRE, vostre
flatteur politique estranger, & pernicieuse mousche, guespe
de l’Estat, il vous fera trébucher en vne peine incroyable, &
vous rendra si desnué de tout, que vous n’aurez iamais vn bon
iour qui vous soit paisible, & n’y aura si petit en vostre Royaume,
qui en sa condition ne se trouue plus heureux que vous.

L’on dit du Cardinal d’Yorck, qui gourmanda iadis toute l’Angleterre,
que quand il parloit, ou escriuoit, il disoit, Moy, & le

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Roy ; & fut si insolent que de faire reuerer son Chappeau dans
son anti chambre aux suruenans, aussi finit-il ses iours de son
propre mouuement, pour ne pas tomber dans vne mort plus infame,
& plus honteuse.

 

Le Cardinal Baluë n’estoit pas meilleur que luy ; Philippe de
Cõmines le qualifiant du tiltre de perturbateur de repos public,
& la Chronique scandaleuse dit, qu’il auoit fait de moult grandes
& merueilleuses diableries.

Vn Euesque de Verdun, qui estoit adherant à ce Cardinal,
estant tombé en faute reconnuë par le Roy Louys vnziesme, esprouua
iustement les Cages de fer, qu’il auoit inuentées, pour
supplicier d’autant plus les Criminels. Et dit-on que ce mesme
Euesque n’y coucha que quatorze mois, ou quatorze ans Aussi
le Cardinal Baluë fut empoisonné, & fit-on vẽdre ses plus riches
& precieux meubles, pour en faire quelques restitutions, soit par
aumosnes, ou fondation de quelques hospitaux.

Que ce Cardinal Mazarin fasse ce qu’il pourra pour vous mettre
en deffiance & soupçon de Vos pauures subiets, de vostre bonne
ville de Paris, vos bons & fideles seruiteurs, qui ne penserent
iamais qu’à vous aymer & seruir, & à prier Dieu continuellemẽt
pour vous, & la prosperité de vos armes : tous ses desseins chimeriques
tourneront en fumée, & toutes ses fausses impressions
s’éuanouyront à sa honte & à sa confusion, peut-estre aussi par
vne fin tragique de ses iours.

Il n’est pas iusques aux Princes estrangers & bons Catholiques,
qui ne demeurent estõnez de telles menées, & s’émerueillent
de ne voir sur quel legitime sujet on fonde la haine que l’on
porte tant à vostre auguste Parlement, qui vous a tousiours si fidelement
seruy en toutes occurrences, soit aussi à vos pauures &
desolez subiets si ce n’est par les faux bruits semez par leurs ennemis,
desquels vous estes enuironné, veu que les vns & les autres
ne parlerent iamais qu’à l’auancement de vostre grandeur,
& de celuy de vostre Estat.

Le Roy Louys douziesme estoit vn bon Prince, & tres-heureux,
il aymoit ses subjets, & estoit aymé d’eux grandement, il
les gouuernoit doucement, & en Pere, comme vous deuez faire,

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SIRE. Le nom de Roy est vn nom d’amour. Car qui a le cœur
d’vn homme à sa deuotion, il peut faire estat de ses richesses &
moyens. Et le subjet qui ayme son Prince, n’espargne iamais sa
vie, ny ses biens pour sa defense.

 

Dion Chrysostome compare les bons Roys aux Bœufs, & les
mauuais aux Lyons, disant que le Bœuf est vn animal de profit,
qui n’a rien sur luy qui ne soit vtile. Vn bon Roy est de mesme enuers
ses subjets. Mais le mauuais Roy n’a rien de bon en luy, non
plus que le Lyon, lequel n’a que des dents pour deuorer, & des
griffes pour deschirer.

Ie cesseray d’en parler dauantage, pour vous dire que vous
chassiez bien loin arriere de vous, tous les Maletoltiers, & donneurs
de memoires au dommage du Peuple, & de la chose publique :
& faites, pour l’honneur de Dieu, faire le procez par vostre
Cour de Parlement, & ne feignez pas de luy bien recommander
cét affaire, à tous Partisans & Estrangers, lesquels ayans trouué le
morceau friant, ont (comme on dit) gagné de l’appetit en mangeant,
& sont à la fin deuenus aussi grands maistres, que les Italiens,
sang-suës du pauure Peuple, Inuenteurs, Ministres, & executeurs
de tous les Edicts de daces, & d’imposts, par le moyen
desquels ce Royaume est si desolé & reduit en tel accessoire, que
tout y est à vendre, & tellement à vendre, que l’on pourroit dire
tout de bon, Royaume à vendre, ainsi que l’on disoit de Rome,
Cité à vendre, lors qu’elle commença à se perdre.

Ce faisant, si vous voulez que vostre Peuple vous ayme à bon
escient, il faut que vous l’aymiez de mesme, & luy fassiez sentir
les effects de vostre amour, & recognoissiez que Dieu vous a
faict & creé pour le Peuple, & non pas le Peuple pour vous. Le
Peuple peut aucunement bien viure, & estre sans Roy : mais vn
Roy ne peut estre sans Peuple. Dieu, SIRE, vous en benira, &
sera prosperer tres-amplement. Ainsi soit-il.

FIN.

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