Anonyme [1649], LE BON MINISTRE D’ESTAT. , français, latinRéférence RIM : M0_590. Cote locale : A_3_9.
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LE BON
MINISTRE
D’ESTAT.

Comme la Monarchie est la plus asseuree,
& la plus souhaittable, de toutes les formes
de Republique, quand le Roy commande
absolument, & qu’il sçait discerner les bons
& les mauuais Conseils des Ministres d’Estat le plus
souuent interessez. C’est aussi l’Estat le moins asseuré
& le plus à craindre, quand le Roy ny est plus
le maistre en effect, & qu’il n’en conserue que l’image,
pendant que d’autres vsurpent finement son
pouuoir & son authorité ; quand il est preuenu des
fausses opinions d’vn mauuais Ministre, qui ne luy
fait voir & entendre que ce qu’il veut, qu’il n’agit
plus que par l’organe d’autruy, & qu’il est souuent
cause d’vn mal qu’il ne cognoist pas, quand on
s’est tellement emparé de son esprit, qu’il ignore
ce qui deuroit seruir de principe à son raisonnément,

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ne pouuant tirer des consequences veritables
des fondements supposés, en vn mot quand le
mensonge & le déguisement de ceux qui sont auprés
de luy, ne luy font iamais voir la verité qu’au
trauers d’vn nuage. En quoy la condition des
Roys semble veritablement malheureuse, qui pour
estre haut esleués, ont besoin du ministere d’autruy
pour se conseruer dans leur lustre & dans leur
splendeur : elle les empesche de vacquer à beaucoup
de choses, ou le secours d’autruy leur estant
necessaire ils perdent vne partie de ce qui leur seroit
plus honnorable & plus majestueux. Mais aussi
comme il est tres difficille qu’vn Roy conduise vn
grand Estat sans Conseil, puisque dans des affaires
de moindre importance, vn homme iudicieux ne
s’arreste pas à son iugement ; toute sorte d’estat &
de condition ayant besoin de l’assistance d’autruy,
& sur tout celle qui manie les affaires publiques, il
n’est pas possible qu’vn Prince quelque iugement
qu’il ayt puisse vacquer à tout ce qui concerne son
Estat. L’authorité Royalle est vn pesant fardeau,
les Roys sont d’ordinaire portés à s’en descharger,
& quelquesfois ceux qui ne deuroient que les
soulager, les en deschargent si bien, qu’ils le priuent
du plus bel ornement qu’ils deuroient posseder.
L’authorité Souueraine est delicate, elle ne peut
souffrir de compagnon, non plus que de maistre
& comme disoit Alexandre à Darius, tout ainsi
qu’il n’y a qu’vn Soleil aux Cieux pour esclairer la

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Terre, il ne faut aussi qu’vn Roy pour gouuerner
vn Royaume.

 

Cic. [1 lettre ill.].
Offic.

Tac 3.
Ann.

Ce n’est pas qu’il ne soit tres à propos à vn Roy,
de prendre l’aduis de quelques gens de bien, & iudicieux
Conseillers d’Estat, mais il doit tousiours
en estre le Iuge, & ne les pas croire seuls dans le
rapport qu’ils luy font, de ce qui se passe dans son
Royaume mais deliberer auec eux sur ce qui est
à faire quand il en sera informé par la bouche de
personnes non suspectes.

Et puis pour n’estre point trompé & auoir
quelque sorte d’asseurance à son Ministre, il doit
examiner en luy quatre ou cinq circonstances. La
premiere qu’il soit homme de bien, qu’il soit affectionné
à l’Estat, qu’il soit des interessé, qu’il
ne soit point estranger, & la cinquiesme qu’il ne
soit point d’Eglise.

L’homme de bien qui s’entremet au gouuernement
de l’Estat ne doit point auoir d’intention
qui ne soit droitte, il ne doit point se proposer
de fin qui ne soit honneste, l’ambition, la
gloire, les richesses ne doiuent point estre le but
de ses desseins. Enfin il doit estre vertueux, la
vertu a deux branches, la pieté, & la probité, la
pieté c’est auoir creance en Dieu & le seruir, la
probité c’est conduire toutes ses actions au bien,
& ne faire aucun mal aux autres, au contraire les
secourir, la pieté regarde Dieu, la probité nous
regarde & nostre prochain, celle-là est seruir Dieu

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à cause de luy, celle-cy est seruir le prochain à cause
de Dieu, & ne faire à autruy que ce que l’on
voudroit estre fait à soy-mesme, c’est de celuy là
dont le Philosophe a entendu parler, quand il a
dit que les plus excellens d’entre les hommes sont
les bons Conseillers, & c’est le Conseil qui part
d’vn tel homme, que Platon a dit estre quelque
chose de sainct & de Sacré.

 

Aug. lib.
1. de lib.
arb.

Arist. Ret.

De plus comme la vertu est aymable en toutes
sortes de personnes, & digne d’estre recherchee
par dessus toutes choses, le Ministre d’Estat captiuera
la bien-veillance d’vn chacun quand il sera
vertueux ; ce qui est bien necessaire dãs le gouuernement,
car comme il n’y a point d’homme qui
puisse s’asseurer des euenemens, si le Ministre ne
reüssit quelques fois pas cõme il s’est proietté, on
excusera ses manquemens plustost qu’on ne le
blasmera. Au contraire le vice estant hay d’vn
chacun, vn homme auroit les meilleurs desseins
du monde, qu’on ne le croira pas s’il est vicieux,
imparfaict & méchant, nos actions persuadent
biẽ mieux que nos paroles, l’on ne doit pas auoir
creance à celuy qui ne fait pas ce qu’il dit, & il est
bien difficile qu’vn meschant home produise de
bonnes actions puisque par argument contraire
on peut dire du vice ce que le Philosophe à dit
de la vertu habens vnam virtutem, habet omnes, ergo,
habens vnum vicium, habet omnia.

Lact.
firm. Diu.
Inst. lib. 1.
cap. 1.

Arist. lib.
1. Ethic.

La seconde qualité du Ministre, c’est qu’il doit

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estre affectionne au bien de l’estat, car il ne suffit
pas auoir bonne intention si elle ne tend pas au
bien public, vn homme vertueux, ne laisse pas
d’auoir quelques affections particulieres qui le
porteront quelques fois à faire des choses preiudiciables
à l’estat, par exemple il aymera la guerre
& cette affection le portera insensiblement a
l’entretenir : outre, qu’il la croit iuste & legitime,
neantmoins cette guerre ruine l’estat, elle l’epuise
de Finances, le destitue de grands Capitaines,
qui seruiroient bien à le deffendre quand il seroit
attaqué, il la doit éuiter s’il est affectionné à
l’estat.

 

La troisiesme qualité & la plus rare c’est qu’il
soit desinteressé, qu’il ne face rien directement
n’y indirectement contre l’estat ; pour en tirer vtilité
particuliere. Ce qui se trouue tres peu car
cõme il est difficille d’estre éleué & n’auoir point
d’ambition, d’estre parmy les richesses & les mépriser,
en vn mot de trauailler pour le public, &
ne rien faire pour soy, il arriue ordinairement
que les Ministres ont pour but l’ambition ou les
richesses, & le plus souuent tous les deux : & comme
ces deux passions sont les plus difficilles à assouuir
ils ne sont iamais contens plus ils possedent
& plus ils veulent posseder, & pour ne pas
attirer sur soy la honte de prendre à toute main,
& la hayne des peuples en conuertissant les Finances
à leur proffit, ils se seruent de pretextes specieux,

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le plus ordinaire c’est la guerre, & pour entretenir
des armées imaginaires, ils font des leuées
estranges, & confondent l’employ des deniers
publics, en sorte qu’il n’y a que leurs complices
qui en ayent la cognoissance, de ces Ministres la
France n’en a que trop ressenty des effects dommageables,
& l’histoire n’en a que trop d’exemples ;
ce n’est pas d’auiourd’huy qu’elle ressent ce
malheur : mais ce qui la console, c’est quand elle
considere que la pluspart de ces sang-suës, apres
auoir attiré la hayne des peuples, à attiré sur eux
la punition du Ciel, que leur fin a esté aussi tragique,
que leur vie auoit esté criminelle, qu’ils
n’ont laissé à la posterité que des funestes exemples
pour ceux qui veulent les imiter.

 

Enguerrand de Marigny sous Louys Huttin
ne tomba-il pas dans le precipice, qu’il s’estoit
creuse luy mesme par ses volleries & ses concussions,
de combien d’imposts fut-il autheur, la
France ne s’esleua-elle pas contre luy, ne retint-il
pas quarante mille escus que le Roy Philippe
auoit enuoyé au Pape, aussi bien quinze mille
Florins enuoyés à Edmont de Gout[1 lettre ill.] ne tira il
pas des blancs signes du Chancelier qu’il employa
pour comptants & conuertit à son vtilité
priuée ? Enfin ne trahit il pas le Roy en la guerre
de Flandres ?s’estant laissé corrompre par argent ?
Voila les stratagesmes des mauuais Ministres, qui
doiuent craindre aussi vne pire fin que celle du

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gibet, ou celuy-cy finit honteusement ses iours.

 

Et de nostre temps l’exemple du Marquis d’Ancre,
confirme encore cette verité, il est assez commun
pour ne s’y pas arrester, aussi bien que le supplice
dont il fut chastié, qui ne fust pas suffisant
d’appaiser la fureur du peuple par sa mort, il
suffit de dire que quoy qu’il semblast puissamment
ancré dans la France, il ne laissa pas de faire
vn tres malheureux naufrage.

La quatriesme condition requise pour vn bon
Ministre d’estat (c’est qu’il ne soit estranger.)

Il est certain, qu’en quelque pays que nous
soyons nous conseruons tousiours quelque inclination
pour nostre patrie, cét amour est honneste,
son fondment est iuste, son principe innocent
& ses effects si glorieux, qu’il n’y a point
d’hommes qui ne doiue chanter hautement l’amour
de sa patrie, quand il en auroit esté le plus
maltraité, les Themistocles, les Thrasibules, les
Aristotes, chez les Grecs, aussi bien que les brutes,
les Curces & les Scipions chez les Romains
sont d’illustres tesmoins de cette verité sensible.
Et cét amour passe iusques là qu’il semble effaçer
celuy des autres pays, quelques aduantages
que nous en receuions. Or cela presupposé, comment
le Ministre pourra il bien conseiller pour vn
pays, auquel il n’est pas affectionné, mais qui aura
quelques fois quelque different auec le sien, lequel
seroit il plus obligé de fauoriser, ou son pays,

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ou vne terre Estrangere, ne peut il pas vray semblablement
estre gaigné, pour ne pas dire corrompu
par les siens, peut il faire les affaires de l’vn
& de l’autre, peut il procurer leur aduantage égallement,
point du tout il faut que l’vn des deux
ait le dessus, & puis ne conseruera il point en
son cœur le dessein d’y retourner, quand il aura
fait vne ample fortune, ne sera il pas plus content
en son pays, c’est pourquoy il ne cherchera iamais
a s’establir que sur les ruines de l’estat qu’il
sert en apparance.

 

Mais la 5. & derniere condition, il est à propos
qu’il ne soit point d’Eglise autrement son
ambition sera insatiable, il s’estimera plus que les
Princes, croyant que l’Eglise luy donne, ce que
la naissance donne a ceux là, il ne se souciera que
du present parce qu’il n’a point de suitte, & ne
conseillant que pour le present, il n’affirmira iamais
le bien de l’estat pour l’aduenir, apres il desobligera
les Princes, parce qu’il n’espere rien
d’eux, il ne pretend point d’alliance auec eux pour
ses descendants, non plus qu’il ne craint qu’ils se
vangent sur ses successeurs, & mesurant tous ses
interests au dernier iour de sa vie, il se soucie peu
que l’estat perisse pourueu qu’il soit mort auparauent.

Voila le danger qu’il y a d’admettre vn estranger
au gouuernement de qui les conseils sont
tousiours suspects, Illud si quidem nõnumquam compertum

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est inter francos, plus damni in Remp. inuehi,
dum sacerdotis Consilio res agitur, quam cum prudens
aliquis ex sæculi nobilitate rebus gerendis præficitur. Ille
enim nescio qua insatiabili ambitione, omnia sibi vendicat,
hic populi misertus & communitatis detrimentum
suume esse ratus, Reipub. hene vt potest consulit, ille factum
& Pompam ex dignitate metiens, eo audacius diuitias
congerit, quominus vltionem timet, Ecclesiastica
libertate protectus, hic autem opes suas cum Repub. communes
esse non ignarus, ex publico incommodo priuatum
quoque auguratur.

 

Guagu. in
Car.6

C’estoit vn Cardinal Italien, qui du temps de
Charles cinq, gouuernoit l’estat, & qu’vne seulle
parolle de Charles six chassa de son Royaume.

Voyla les Caracteres ausquels le bon Ministre
d’estat doit estre marqué ; & sans faire d’application
au particulier, le diray seulement que si de
nostre temps, la France auoit esté gouuernee par
le Conseil de tels Ministres, nous n’aurions point
veu tant de peuples affligés, tant de Prouinces desolees,
tant de ville desertes & tant de particuliers
ruinés, & pour comble de malheurs, la Capitale
du Royaume, ou pour mieux dire le Chef-d’œuure
de l’Vniuers, en danger de se destruire par ses
propres forces, qui a pourtant moins souffert
dans sa disgrace, que dans la compassion qu’elle
a euë, de voir souffrir tant d’innocens à ses portes,

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dont les clameurs ont retenty iusques dedans ses
places publiques, & de qui elle a veu couler les larmes
dans l’enceinte de ses murailles.

 

FIN.

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