Anonyme [1649], LE BON ET LE MAVVAIS FRANCOIS EN CONTRASTE, SVR LE SVIET DE LA GVERRE passée, & sur celuy de la Paix presente. DIALOGVE. , françaisRéférence RIM : M0_586. Cote locale : A_3_12.
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LE BON
ET
LE MAVVAIS FRANCOIS
EN CONTRASTE,
Sur le sujet de la Guerre passée, & sur
celuy de la Paix presente.

DIALOGVE.

FLORIDOR retournant d’vne Conference
où l’on auoit traitté des affaires Politiques
& Morales, fut visité par son amy Ergaste,
qui l’ayant salué l’entreprit de cette sorte.

Ergaste.Que me direz vous aujourd’huy de
nouueau, Floridor ? Ne sçauez vous point
de nouuelles de la Cour ?

Floridor. C’est ce dont ie m’informe le moins, & pourueuque
ie sois certain de la santé du Roy, de la Reyne, & des
Princes, il ne m’importe pas du reste.

Ergaste. Quoy, le bruict qui court d’vne nouuelle guerre
ne vous étonne point ?

Floridor. Non ; car c’est ce que ie ne crains pas, estant bien-asseuré
que leurs Majestez ayans remis leurs Sujets en leur
bien-vueillance, n’ont plus d’autre soin qu’à les maintenir
en paix, & les faire viure en repos, & en tranquillité.

Ergaste. Ie m’estonne de ce qu’vn homme de qualité comme

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vous estes, est si peu sçauant des choses du monde ? Il
n’est rien de plus asseuré que nous aurons encore la guerre,
& leurs Majestez ne se sont dispensées de venit à Paris, que
pour faire quelque paix ou quelque tréve auec l’Archiduc
Leopold, pour en suite tourner leurs armes contre cette ville
mutine, pour acheuer de punir les Parisiens rebelles & desobeïssans,
ainsi qu’ils le meritent.

 

Floridor. Que vos discours me surprennent, & que ie suis
estonné de vous oüit parler de la sorte, contre la raison, &
contre vostre patrie, vous parlez en fort mauuais François, &
en fort mauuais sujet, & ce n’est pas de cette sorte qu’on viẽt
de parler dans vne fameuse compagnie de gens doctes, d’où
ie ne fay que retourner, quoy que l’on aye agité cette proposition,
qui a esté trouuée si ridicule, & si esloignée de toute
apparence, que tous ces nobles sentimens ont demeuré d’accord
que la constance ne fut iamais stable, si la paix inuiolablement
iurée ne demeure tousiours ferme. Ie ne voudrois
pas que vous parlassiez ainsi ailleurs que ceans, car ie craindrois
que vous ne vous missiez en peine, de vouloir rendre
coulpables d’vn si mauuais dessein, des personnes-Augustes
& sacrées, qui ont seellé la paix de leur foy inuiolable. Retractez
vous, & retenez vostre langue, Ergaste, autrement
i’apprehẽde que vous ne trouuiez vostre precipice. O Dieu !
quel crime est-ce que vous ne faites pas, d’accuser ainsi de
perfidie, vn Roy, vne Reyne, & tous les Princes du Sang,
& les Officiers de la Couronne, qui n’ont signé les Articlés
de la Paix auec le Parlement, que pour la rendre eternellement
perdurable. Ces Diuinitez mortelles ont trop en horreur
la guerre, & leurs Majestez sçauent trop bien quelles
insignes cruautez elle a faite à leurs pauures sujects, pour la
faire renastre, maintenant qu’ils l’ont pour iamais bannie de
leur Royaume.

Ergaste. Ne craignez point que ie me nuise en parlant comme
ie parle, interrompit Ergaste, & qu’il vous suffise de
croire, que plus de trente mille hommes à Paris vous diront
le mesme langage que ie tiens ; les apparences en sont trop

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vray semblables pour en douter. Si leurs Majestez auoient
bien, comme vous dites, remis leurs peuples, & particulierement
les Parisiens, en leur amitié, auroient ils refusé de
retourner dans leur Ville, comme ils ont fait, aux Preuost
des Marchands, & Escheuins, qui les en ont esté tres-humblement
supplier, & de leur part, & de celle de tous leur
Citoyens. Appellez-vous faire vn crime à des puissances
Souueraines de chastier par la guerre des Sujets desobeïssans
& rebelles dans la Paix ? Et Bellonne, qui est vne Deesse, est-elle
bien si affreuse pour faire horreur à des testes couronnées,
qui ne conseruent leurs Sceptres & leurs Couronnes
que par elle ?

 

Floridor. Ie ne doute point qu’il n’y ait dans Paris vn fort
grand nombre de gens, qui ont vostre opinion, & vostre
mesme sentiment : mais sont-ce des personnes de vostre merite,
de vostre qualité, & de vostre naissance ? Ce sont des
ames basses, rauallées, & sorties de la lie du peuple, qui ayment
beaucoup plus le mal que le bien, qui ont ces criminelles
pensées, & qui ne les conçoiuent que par la puissante
enuie qu’ils ont, que le desordre & le malheur qu’ils se representent
à leurs sens puisse arriuer. Pourquoy est-ce que durant
le Blocus de Paris Messieurs de la Ville firent publier,
que les Habitans abattissent les hauts-vans de leurs maisons,
bouchassent les souspiraux des caues, & tinssent toutes les
nuicts à leur porte des muids remplis d’eau, si ce n’est au sujet
des personnes dont vous parlez, que l’on craignoit plus dans
Paris qu’on ne faisoit pas les ennemis à la campagne. C’a
bien esté auec vn extréme regret, contre ce que vous venez
de dire, que le Roy, la Reyne, les Princes, & toute la Cour,
n’ont pû prendre le temps de reuenir en cette Ville, apres la
Paix signée, pour l’honorer de leur chere & sacrée presence :
mais ou vous ne sçauez pas les bonnes choses, ou vous deuez
sçauoir qu’au moment qu’ils s’y preparoient, nouuelles arriuérent
que l’Archiduc Leopold auoit desia pris deux places,
& assiegeoit Ipre. C’est ce qui leur fit rompre leur resolution,
& prendre celle de ne perdre point de temps, & de s’en

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aller en diligence à Compiegne, comme elles ont fait, pour
faire auancer les troupes, & les opposer à ce genereux aduersaire.
Ainsi vous ne pouuez pas imputer ce voyage à autre
chose qu’à vne necessité precipitée, & non pas à vne haine
que leurs Majestez ayent pour leurs fideles sujets. Vous accusez
le Roy de cruauté, de dire que ne se contentant pas
d’auoir chastié si seuerement les Parisiens par les armes, par
la famine, & par tant d’autres punitions, ce magnanime Prince,
doux & clement, apres les auoir remis en sa grace, voulant
de nouueau les affliger ? Il faut estre barbare pour auoir vos
sentimens, pardonnez moy si ie vous le dis franchement ; la
verité ne veut point estre cachée, elle desire qu’on la manifeste,
& qu’on la fasse paroistre, Pour ce qui concerne la
guerre, que vous nommez Bellonne, qui est vne Deesse, &
qui ne peut estre en horreur aux testes couronnées, qui ne
conseruent leur grandeur, leur gloire, & leur Estat que par
elle, dites vous, ie veux vous detromper, & vous faire voir
le contraire. Ceux qui ont traitté des affaires Politiques ne
sont pas tous d’accord touchant les moyens dont il faut vser
pour maintenir les Estats. Quelques-vns ont tenu que l’égalité
conserue la Paix & les Royaumes, fondez sur ce que l’on
a dit qu’elle ne fait iamais la guerre. Ce fut bien l’intention
de Platon en sa Republique : mais il en fut mocqué, & les
Thebains mesmes qui l’auoient prié de dresser leurs loix, le
chasserent dés qu’ils reconnurent qu’il vouloit establir cette
maxime pour le fondement de leur Estat ; d’autres ont crû
que les Monarchies se pouuoient conseruer par des inégalitez,
à l’exemple du monde, dont les mouuemens sont
bien d’accord entr’eux, quoy qu’ils soient composez de qualitez
& d’erreurs contraires. Ou peut-on trouuer plus aisément
cette vnion, qui est le vray ciment & le plus asseuré
rempart des Empires, que dans la Paix ? Lors qu’on a feint
qu’apres la mort de Romulus, il inspira cette maxime aux
Romains, de faire tousiours vne particuliere profession des
armes, & que par ce seul moyen ils feroient de leur Republique
le plus florissant Empire du monde : il n’a pas voulu diré

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par là que la Republique, pour le maintenir, émeust vne
guerre ciuile, qu’il leur vouloit faire entendre que s’ils
n’embrassoient cet exercice d’honneur, qu’ils ne sçauroient
iamais s’agrandir, estant vray qu’il n’est point de corps naturel
ny de Politique, qui se puisse bien porter s’il ne s’exerce
souuent. I’auouë qu’il n’est pas seulement iuste, mais qu’il
est necessaire que les peuples s’exercent aux armes, parce
qu’ils s’en rendent plus aguerris, & qu’en cas d’attaque & de
destours, ils sont bien plus capables de l’vn & de l’autre. Sans
cette particuliere professiõ les mesmes Romains ny nos mesmes
François n’auroiẽt pas fait tant de conquestes : mais s’ils
vouloiẽt la guerre, ils l’alloient chercher dans les païs estrangers,
& ne l’introduisoient iamais parmy eux. Sçachez, s’il
vous plaist, qu’il n’y a que les ames pernicieuses qui desirent
vne guerre intestine, & que les gens de bien la fuyent comme
la peste, aussi est elle la destruction du genre humain.

 

Ergaste. I’ay bien souuent ouy dire qu’vn seul Sermon fait
par vn habile Predicateur, estoit capable de conuertir le plus
grand pecheur du monde, mais ie n’auois point experimenté
cõme ie viens de faire à present, que les discours d’vn homme
pussent auoir tant de force sur vn autre, que de le faire,
non pas seulement changer d’humeur, mais aussi d’opinion
& de volonté. Ce que vous venez de me dire, me fait meurement
considerer les paroles que i’ay auancées, touchant
tant de personnes qui publient hautement que la Paix de
Sainct Germain n’est point asseurée, & qu’on ne l’a ainsi arrestée
que pour en mieux continuer la guerre : que le Cardinal
Mazarin a esté trop sensiblemẽt offensé pendant les troubles
derniers en son honneur, pour ne s’en vanger point derechef,
& n’en faire point faire l’amende honorable en effet,
à ceux qui luy ont fait faire en peinture & en papier. Soit que
ie sois inspiré de Dieu, ou que ce me soit vn mouuement naturel,
que vostre entretien me vienne de faire naistre, i’ay la
pensée que de telles gens qui sement par Paris le faux bruict
d’vne seconde guerre, sont ou des meschans François, ou des
creatures Espagnoles, qui font cela à dessein de donner au

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peuple de mauuais sentimens de leur Majestez, ou d’émouuoir
quelque nouuelle sedition populaire, ou bien de mettre
encore plus mal dans l’esprit des François son Eminence,
afin d’auoir plus de moyen & de sujet de médire d’elle & de
la calomnier, afin de luy donner aussi plus d’occasion de s’en
ressentir.

 

Floridor. Ie me rauis de ce qu’en si peu de temps vous vous
soyez detrompé, & que le Sainct Esprit vous aye desillé les
yeux, pour vous faire iuger que tous les mauuais bruicts qui
courent par Paris, ne sont inuentez, comme vous auez dit
fort à propos, ou par de mauuais François, qui veulent noircir
la candeur de l’ame de leurs Majestez, ou par des Espagnols,
qui veulent décrier nos affaires, & les mettre en vn
plus mauuais estat qu’elles ne sont pas, graces à Dieu, afin de
faire émouuoir vne sedition, & de rendre vne haine irreconciliable
entre le premier Ministre de l’Estat & les François.
I’auois oublié de vous dire que le Roy & la Reyne, eurent vn
si sensible desplaisir, de ne pouuoir retourner à Paris, attendu
la necessité des affaires qui les appelloient ailleurs, que
pour arres, & pour marques de leur bien-vueillance, elles
firent venir le priué Conseil à Paris, qui est la vraye representation
des personnes sacrées de leurs Majestez.

Ergaste. Vos raisonnemens me vainquent, & ie suis contraint
d’auoüer qu’il n’y a pour tout point d’apparence d’vne
seconde guerre, puis que leurs Majestez ne peuuent ignorer
les desordres qu’elle a causé à leurs peuples. Ie ne m’étonne
pas de ce que tant de personnes à Paris, ayant crié que le
Cardinal Mazarin auoit esté l’Autheur de nos troubles, ont
si fort declamé contre luy.

Floridor. Quand à moy ie ne veux point entrer en connoissance
de cause, ny absolument asseurer, si c’est à bon ou à
mauuais droict, qu’on a fait à cette Eminence tant d’iniures
& tant d’outrages, il en est ce qu’il en peut estre. Voicy le pis
pour elle, & le plus grand mal que i’y trouue ; C’est que l’Auguste
& Illustre Parlement de Paris, qui ne fait les choses
qu’auec équité & Iustice, l’a rendu coupable & conuaincu

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des maux dont tout le peuple l’a si souuẽt accusé : & cette
conuiction authorisée par deux Arrests celebres & solemnels,
a donné la liberté & la licence à toutes sortes de
personnes de parler de luy, comme l’on discourt du plus
meschant homme du monde. Les iniures qu’on a dites
à ce Cardinal ne m’ont iamais plû, ny satisfait : mais comme
il estoit impossible de le croire innocent sans rendre
le Parlement coupable, mes oreilles se laissoient quelquefois
toucher aux mauuais discours qu’on en faisoit,
sans que pour cela i’eusse d’autre auersion pour luy, que
i’en pourrois auoir pour vne personne indifferente, qui
ne m’auroit iamais fait ny bien ny mal.

 

Ergaste. I’ay tousiours trouué fort estrange qu’apres
auoir enleué nuitamment le Roy, & en ayant ouy faire
tant de plaintes, & secrettes, & publiques, & par le Parlement,
par les autres Cours Souueraines, par le Preuost
des Marchands & Escheuins, & par les corps de toutes
sortes d’Arts & de mestiers, il n’ait preueu le desordre qui
pouuoit arriuer de tout cela, & ne se soit mis en deuoir
d’appaiser l’orage que son bon esprit luy pouuoit bien
representer, qui deuoit auenir à ce sujet. Ie veux que
ce ne soit pas luy qui ait donné l’inuention d’enleuer le
Roy de sa bonne ville de Paris, & qu’il n’y ait rien contribué
du sien que son auis : Neantmoins, comme il sçait,
toutes sortes de gens l’en ont accusé, & de la mesme façon
qu’on luy a autrefois donné la gloire de toutes les
prosperitez qui sont arriuées en nos affaires durant son
administration, pareillement luy a-t’on donné le blâme
de ce qui est suruenu à nostre desaduantage.

Floridor. Voila les malheurs qui suruiennent ordinairement
aux Administrateurs, & aux premiers Ministres
d’Estat, d’estre bien souuẽt blâmez pour des fautes qu’ils
n’ont pas commises. S’il y a dequoy se plaindre du rapt de
nostre bon Roy, il s’en faut prendre à beaucoup de personnes ;
puis que l’experience nous a fait voir que les
Princes du Sang, les autres Princes, & les principaux

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Officiers de la Couronne, estoient tous de cette haute
entreprise. Mais comme ce n’est pas à nous de parler de
ces Augustes personnes, qui sont irreprehensibles, il les
faut laisser là, il y a plusieurs Autheurs anciens & modernes,
qui ont pris la hardiesse & le soin d’instruire ces
Princes, & de proposer amplement quelle doit estre leur
vie & leur conuersation.

 

Ergaste, Pour vous dire mon libre sentiment sur la nouuelle
matiere, qui s’est insensiblement presentée, i’ay
tousiours blasmé ceux qui ont voulu proposer des Loix,
& des façons de viure aux Princes, qui sont les Maistres
des Loix, & qui les donnent aux autres. Ce sont des
Dieux en terre, & comme tels, il faut croire qu’ils
font bien tout ce qu’ils entreprennent, & que de vouloir
disputer & reuoquer en doute leurs belles actions, ce
n’est autre chose que de vouloir attaquer le Ciel.

Floridor. Ie connois bien que suiuant le prouerbe, vous
voulez demeurer loin de Iupiter & de son foudre, sur
l’asseurance que vous aurez de n’estre point accusé de ce
que vous auez teu. Vous pratiquez ce que quelqu’vn a
dit, que blasmer les Princes est vn danger, & que les
loüer est vn mensonge.

Ergaste. Pardonnez moy si ie vous dis que ie n’ay point
pense à cela. I’estime que les Rois & les Princes tiennent
de la Diuinité, & par consequent ie ne croy pas
qu’ils puissent aisément faillir, ou faire chose indigne du
rang qu’ils ont : C’est pourquoy assez legerement i’ay crû
que la guerre que nostre Monarque auoit declarée à Paris
estoit iuste, puis qu’il auoit eu enuie de la faire.

Floridor. Sans respondre à ce que vous venez de dire, il
faut que ie vous fasse sçauoir, que ie me ris de certains
hommes curieux, qui discourans des affaires du monde,
& ne sçachans pas les secrets des hautes pensées du Pape,
de l’Empereur, du Roy, & du grand Turc, donnent à
leurs glorieux faits mille mauuaises interpretations, &
s’imaginent follement que ces grands Princes soient imoccilles,

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qu’ils viuent temerairement, & sans conseil, &
que leurs affaires reüssiroient bien mieux s’ils estoient
aussi bien Princes en effet, qu’ils en portent le tiltre & la
qualité.

 

Ergaste. Ceux-là qui mangent le pain de ces Princes, &
qui viuent auec eux en vne mesme Cour, les offensent
bien dauantage, & bien plus viuement que ces autres
personnes dont vous venez de parler. Pour ce sujet i’ay
leu qu’vn grand Roy auoit accoustumé de dire, qu’il ressembloit
à vn arbre qu’on nomme Plaire, sous lequel plusieurs
personnes se mettoient à l’abry du mauuais temps,
& qui le couppoient apres que l’orage estoit passé : que de
mesme il secouroit plusieurs affligez ; mais qu’apres les
auoir soulagez, il sçauoit bien qu’ils l’outrageoient en
son absence, pour recõpense du bien qu’il leur auoit fait.

Floridor. Ces lasches hommes, & ingrats, ne sçauent pas
que les oreilles d’asnes que l’on attribuë à Midas, ne veulent
signifier autre chose, sinon qu’il entendoit aisément
tout ce que l’on disoit & que l’on faisoit méme. Ils ignorent
encore que les Princes participans de la puissance
diuine, sçauent abaisser les grands, & agrandir les petits.

Ergaste. Si ces Princes chastioient ces gens-là ; ils feroiẽt
vn acte de Iustice : mais pour se conformer à la bonté diuine,
ils aiment mieux estre indulgens & pardonner, que
d’estre seueres & punir.

Floridor. A n’en point mentir la clemence est vne vertu
qui sied bien aux grands Roys, & bien loin de se vanger
des gens qui les outragent ; c’est à ceux-là le plus souuent
à qui ils font le plus de bien. Ie croy que ce qui les oblige
d’agir de cette sorte, est, qu’ils considerent que les passablement
bons se contenteront de la mediocrité, mais que
les meschans estans insatiables, il leur faut aussi plus de
viande pour leur fermer la bouche. Pource que l’on ne
peut pas facilement découurir les grands mysteres des
Princes, il nous doit suffire de sçauoir, qu’ils ont tous
les yeux attachez au Sceptre, & qu’ils ne font aucune

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chose, dont ils ne doiuent receuoir de la loüange plustost
que du blasme. Les actions des Princes sont irreprehensibles,
inconnuës à nostre iugement, & qui ne se peuuent
interpreter. Bien souuent ceux qui nous semblent estre
cruels, sont iustes : ceux que nous croyons ne faire pas la
iustice, sont misericordieux : & ceux qui establissent de
nouueaux Imposts, sont pris pour des auarres ; & ils sont
prudens, & n’agissent ainsi que pour le repos, & la conseruation
de leur Estat, & de leur peuple ; tellement
qu’il se peut faire que nostre mauuais iugement qui nous
trompe, nous fait croire vicieux, les plus vertueux Princes
du monde.

 

Ergaste. Voulez-vous attribuer toutes ces perfections à
tous les Princes ; puis que les Histoires sont plaines de la
mauuaise vie de plusieurs Empereurs, & d’vn grand
nombre de Roys ?

Floridor. Ces Princes là ne l’estoient pas par Nature,
mais par la violence : & pour ce qu’ils n’estoient point éclairez
de la lumiere de la Foy, ils estoient cruels & barbares,
& se faisoient plus craindre, qu’aymer. Ces Tyrans
estoient iniustes, infidelles, lassifs, impudiques, &
ils aymoient les meschans, & persecutoient les bons. Ils
vouloient que pour regner, il fût permis de rompre les
Loix, & c’est ce qui fait qu’il ne se faut pas estonner, si
l’on voyoit suruenir à ces Tyrans vne mort violente, ou
par le fer, ou par le poison. Au cõtraire de cela, les Princes
de nostre siecle sont legitimes, Chrestiens, Doctes,
Prudens, & enuoyez de Dieu, pour maintenir la Iustice
en la terre, nous defendre, chastier les insolens, bannir
les bouffons & les flatteurs, & recompenser les vertueux.

Ergaste. Par ces raisons, nous n’auons point de droit
de nous plaindre, ny de nostre ieune Monarque, ny de
la Reyne Regente sa Mere, de la misere qu’ils ont si
long-temps fait endurer à Paris par leurs armes.

Floridor. Non & de tous les malheurs qui nous sont arriuez,

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il ne s’en faut prendre qu’à nos pechez, qui ont
attiré l’ire de Dieu sur nous ; s’il y auoit lieu de s’en plaindre,
qui deurions nous mieux accuser estre les Autheurs
de nos maux & de nos peines, que ceux qui administrent
les affaires de l’Estat ? C’est pourquoy le peuple qui a pesté
contre le Cardinal Mazarin, est en quelque chose
excusable, puis qu’il n’a deu, ny pû s’attaquer à d’autre
personne, qu’à ce premier Ministre du Royaume, qu’on
croit estre la cause, & le principal suiet de tous les biens,
& les maux qui arriuent à la France. Demandez à la
Guyenne, à l’Anjou, & à la Champagne, n’aguere aussi,
ou beaucoup plus mal menée par les trouppes de l’Armée
d’Erlac, qu’aucune autre Prouince du Royaume,
qui est la cause de leurs miseres. Toutes vnanimement
elles vous répondront, qu’il n’y a point d’autre Autheur
de leur desordre que son Eminence ? Ainsi nous voyons
que ces personnes esleuées en de grandes dignitez, ne
sont pas bien souuent les plus heureuses ; puis que comme
l’on impute à leur conduite toutes les prosperitez
qui arriuent à vn Estat, en contr’échange on les rend
coupables de toutes les disgraces qui luy suruiennent.

 

Ergaste. I’estime que ce n’est pas déraisonnablement
que l’on blâme ces Ministres d’Estat, des mauuais succez
que reçoit vne Monarchie qu’ils gouuernent. Puis
qu’ils sont les principaux Instrumens, qui font mouuoir
tous les ressorts d’vn Royaume, & que le plus souuent
leur auis passe pour vn oracle, qu’on n’ose contredire, il
est iuste, qu’en cas d’vn bon euenement, ils en ayent la
plus grande partie de la gloire apres leur Prince, &
que si les choses reüssissent mal, qu’ils en ayent la honte,
la confusion, & le reproche. Pour ne parler plus de
ces affaires, & songer à d’autres plus necessaires, ie vous
prie, mon cher Floridor, de m’ayder de vostre conseil,
& comme par vostre moyen ; ie suis deuenu de mauuais,
fort bon François, de me donner quelque belle inuention,
pour essayer à destruire cette mauuaise & sinistre

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opinion, que beaucoup de personnes de haute qualité,
& de ma connoissance ont conceuë, que l’absence du
Roy n’est à autre dessein que pour émouuoir vn second
orage, plus grand que le premier, pour en affliger derechef
Paris. Cette terreur pannique a tellement surpris
vn grand nombre d’honnestes gens, que i’en connois
vne bonne quantité, qui s’empressent de retirer,
eux & leur famille de cette Ville, pour se refugier ailleurs,
& euiter le second malheur qu’ils croyent luy
deuoir arriuer.

 

Floridor. Comme ces boutefeux qui sement de si mauuais
bruits, & de si mauuaises nouuelles contre toute
sorte d’apparence & de verité, comme ie l’ay dit au commencement
de nostre Conference, sont gens de mauuaise
vie & de sinistre volonté, il en faut dénoncer quelqu’vn
à la Iustice, pour le faire aussi seuerement chastier,
qu’il le merite. Son supplice donneroit peur aux autres,
& retiendroit leur langue medisante. Si cét expedient
ne vous semble pas bon, y a-t’il pas tant de bouches dorées
en cette Ville, tant de sçauans Predicateurs, qu’est-il
besoin d’autre chose, sinon qu’ils détruisent ce mensonge
dans leurs Chaires, qu’ils confirment les peuples
en la bonne opinion qu’ils doiuent auoir de la veritable
& sincere amitié du Roy & de la Reyne, afin qu’ils
puissent plus doucement & heureusement à l’auenir,
ioüir des doux fruicts de la Paix, que leurs Majestez leur
ont donnée, non pas pour vn, pour trois, ny pour quatre
ans, mais pour tousiours.

C’est où finit la Conference de Floridor & d’Ergaste,
& le moment mesme ausquels ils se separerent, pour chacun
en son particulier trauailler à dissiper le faux, & le
mauuais bruit d’vne seconde guerre semée par des seditieux.

FIN.

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