Anonyme [1652], LA VERITÉ PRONONÇANT SES ORACLES sans flatterie. I. Sur la Reyne: II. Sur le Roy. III. Sur le Duc d’Orleans: IV. Sur le P. de Condé. V. Sur le Parlement: VI. Sur le Duc de Beaufort. VII. Sur le Coadjuteur: VIII. Sur le Parlement de Pontoise. IX. Sur Paris: Et sur l’Estat. , françaisRéférence RIM : M0_3998. Cote locale : B_17_18.
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Le Coadjuteur.

IL faut que le Coadjuteur ait vn bon dos, car on
luy fait porter tout le fardeau de l’Estat ; on le
fait l’autheur de tous les desordres, ie pense que
ceux qui ignoreroient son berceau, seroient pour
imputer la preuarication d’Adam à ses suggestions :
certainement il faut estre plus iuste : il faut se contenter
de luy faire porter les fardeaux qu’il s’impose
luy-mesme, sans luy en imposer d’estrangers :
parlons donc de luy sans passion, mais auec verité.

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Le Coadjuteur est vn ambitieux, cela est constant :
C’est vn intrigueur, cela ne se contredit
point ; c’est vn hardy ; tout le monde en tombe d’accord :
c’est vn violent, personne n’en iuge autrement :
voila bien des qualitez qui sont incompatibles
auec la superiorite.

Mais, où dit-on qu’il aspire ? au Ministere d’Estat :
que fera t’il pour y arriuer ? tout : que faut-il
faire pour y arriuer ? il faut destruire tous ceux qui
s’y peuuent opposer : qui sont ceux qui s’y peuuent
opposer ? ceux qui ont desia ressenty les effets de la
puissance des fauoris ; & qui doiuent estre au dessus
par le merite de leurs vertus & de leur naissance :
c’est le Duc d’Orleans, c’est le Prince de Condé :
le premier n’est point à craindre, parce qu’outre
qu’il est trop bon, la proximité du throsne le met
à l’abry des violences : le second est redoutable,
parce qu’il est ambitieux, & qu’il est en estat de
craindre, ceux que la faueur fait approcher du
throsne pour y seruir de premiers Ministres.

Pourquoy est ce donc que le Coadjuteur a plus
estudié de s’attacher au Duc d’Orleans, qu’au
Prince de Cõdé ; puis que ce dernier est à craindre,
& que l’autre ne l’est plus à cause de sa trop grande
bonté la raison en est clairé : le Prince de Condé
ne veut point d’autre maistre que le Roy : le Coadjuteur
veut commander à tous ceux qui seront au
dessous du Roy : l’vn & l’autre visent à mesme but :
le premier par le merite de ses vertus & de sa naissance :
le second par les suggestions seules de son
ambition.

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Il ne faut donc pas s’estonner, fi le Coadiuteur a laissé,
le Prince de Condé, pour s’attacher au Duc d’Orleans
Le Prince ne peut seruir que d’obstacle, à ce qu’il
pretend ; le Duc d’Orleans le peut fauoriser : Voyla
pourquoy le Prince peze sur les bras au Coadjuteur ;
qui fait tout ce qu’il peut pour s’en défaire, & pour le diuiser
d’auec le Duc d’Orleans.

Le Coadjuteur ne hait pas Monsieur le Prince de
Condé, mais il ayme la Souueraineté : Et comme il voit
qu’il n’y peut arriuer par confidence, à moins qu’il ne destruise
le Prince, il n’obmet que ce qu’il ne sçait pas, pour
s’en défaire.

Toutes ces reflections, qui ne sont pas moins infaillibles
que les veritez de l’Euangile, font conclure à certains
politiques, que si le Prince estoit reduit au choix, ou
à la necessité de supporter l’vn des deux Cardinaux dans
le Ministere, ou Mazarin, ou Gondy, il suporteroit le
Mazarin. Ie n’en doute pas ; tous les Sages sont dans ce
mesme sentiment : Le Mazarin a desia tant pillé, qu’il
n’est plus à craindre pour ses pilleries, parce qu’il s’est
remply : Le Coadjuteur, outre qu’il est gueux, s’est encor
tellement endebté, qu’il est à craindre que le peuple
payeroit ses debtes : Le Mazarin n’a point de parens dont
l’eleuation par sa faueur puisse faire ombre â nos Grands,
& diuiser par mesme raison cét Estat : Le Coadjuteur
en a en si grand nombre, qu’il seroit obligé par ses raisons
politiques, de renuerser tous les autres pour esleuer
les siens.

Voyla les raisons generales. Pour les particulieres :
Mazarin n’est ny cruel, ny sanguinaire, ny violent, tout
ce qu’on peut dire de luy, c’est que c’est vn fourbe, vn

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auare, vn ingrat, & vn sot Politique : Le Coadjuteur a
toutes les mauuaises qualitez du Mazarin, mais il n’a
pas les bonnes : Il est cruel & violent, tesmoin, quand il
fut d’auis qu’il falloit sousleuer le peuple pour arracher
les Sceaux au premier President : Il est superbe & arrogant,
tesmoin, lors qu’il voulut l’an passé à la porte de la
grand’Chambre du Palais entrer du pair auec le Prince
de Condé, si ce dernier iustement jaloux de son rang ne
l’eust rudement repoussé : Il est hardy & entreprenant :
Comme il fit paroistre l’année passée dans toutes les assemblées
du Parlement, où il ne venoit iamais qu’auec
vne escorte de General d’armée ?

 

Mais pour conjecturer ce qu’il feroit, s’il estoit premier
Ministre d’Estat, il faut sçauoir, que parlant vn iour
au Comte de Legues, comme on dit, & au Marquis de
Noirmontier, il leur asseura que si le Mazarin eust esté
plus seuere ; c’est à dire, plus cruel, il ne fut iamais decheu
de son rang. Il vouloit dire par la, dit la glose, si
i’estois iamais ce que le Mazarin a esté, ie vous asseure,
Messieurs, que si ie tenois en prison quelque Duc de Beaufort
quelque Mareschal de la Mote, ou quelques Princes
du Sang qui m’eussent choqué, ie ne permetrois iamais
qu’ils en sortissent que les pieds deuant : Mon Dieu,
Mon Dieu, Mon Dieu, que le Mazarin reuienne plutost.

Cela me feroit quasi croire, ce que certains ont remarqué,
que Monsieur le Prince de Condé n’a point poursuiuy
le Mazarin si viuement qu’il eust fait, s’il n’eust redouté
ce successeur, par la faueur du Duc d’Orleans, &
par la vengeance de la Reyne : Ie ne sçay s’il l’a fait,
mais ie suis bien asseuré qu’il l’a deub faire, & que le Coadjuteur
n’a que trop témoigné, que s’il arriuoit iamais à

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la confidence du Roy, il tascheroit d’y debuter par la
perte du Prince : Cela veut dire, que si les peuples veulent
que le Prince les defasse du C. Mazarin, il est iuste
que les peuples mettent le Prince à l’abry de ce qu’il doit
craindre du costé du Coadjuteur.

 

A cela le peuple repartira peut-estre, que le Mazarin
reuienne donc, puis que c’est le moyen le plus asseuré
pour auoir le repos. Desabusons cette creance, car elle
est bien simple : si le Mazarin reuient par indulgence,
comme ie suppose ; Croyons-nous que tous ses ennemis
caleront voile : Croyons-nous qu’ils n’en murmurent
point, le voyant restably : Croyons-nous que ces murmures
ne se fomenteront point dans des secrets monopoles :
Croyons-nous que ces mesmes murmures n’éclateront
point à leur temps, nous serions trop simples.

Le Coadjuteur ayme le Mazarin, mais il l’aime en
predecesseur dans le Ministere : le Mazarin ne feroit iamais
vn faux pas, comme il a de coustume d’en faire par
sa sottise, que le Coadiuteur n’en fit vn attentat, l’exagerant
dans l’esprit du Duc d’Orleans, pour luy faire apprehender
son pouuoir, & pour luy inspirer le dessein de le
destruire, dés le premier subside : que la necessité de remplir
les coffres du Roy, rendroit en quelque façon necessaire
ou plausible : le Coadiuteur battroit aux champs,
pour faire retomber le peuple dans l’aprehension des premiers
pillages : Ne disons pas ce qu’il feroit ; suffit que
nous sçachions qu’il est assez inuentif, qu’il est également
ambitieux, qu’il est encor plus hardy, & qu’il n’est pas
capable de voir le Mazarin daus le Ministere, sans le luy
enuier, & sans se mettre en estat de luy rauir : Cela se peut-il

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sans troubler nostre repos, il faut donc pour nous mettre
à l’abry que les deux Cardinaux soient destruits : que
le Prince nous defasse de l’vn, que le penple nous defasse
de l’autre, & qu’il ne soit iamais parlé de Cardinaux
pour le Ministere, à moins qu’ils ne soient Princes du
Sang, ou qu’ils n’ayent ressuscité vingt & quatre morts,
pour vne épreuue indisputable de leur vertu.

 

On a donc tort de reprocher au Coadiuteur qu’il est
Mazarin, cela est vray, car il ne l’est pas : Mais cela neantmoins
nempesche pas qu’il ne l’ait soustenu. Voyla la
raison : Le Coadiuteur ne peut s’esleuer au Ministere que
par la faueur de la Reyne, & par la perte du Mazarin :
pour meriter la faueur de la Reyne, il faut qu’il la flatte,
où il luy demange ; c’est à dire, qu’il appuye apparemment
les interests du Mazarin, quoy qu’en effet il le deteste :
pour perdre le Mazarin, il faut qu’il ne desempare
iamris l’esprit du Duc d’Orleans : pour donner encor
vn motif â la Reyne de l’aymer, il faut qu’il se porte pour
vn des plus grands ennemis du Prince de Condé. Voyla
bien des contradictions qu’il a, à mesnager : Ce n’est pas
tout.

Pourquoy s’oppose-t’il si fortement aux poursuittes
du Prince de Condé contre le Mazarin : car il est assez constant
que sans la lenteur que les intrigues du Coadiuteur
ont causé dans l’esprit du Duc d’Orleans, le Prince auroit
defia terrassé tout le party de Mazarin : Et si les apparences
ne sont pas trompeuses, nous le pouuons assez coniecturer
de ce qu’il a fait, lors qu’il a eu le loisir de se desrober
aux intrigues pour prendre l’épée.

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Le Coadjuteur veut bien que le Mazarin soit
esloigné, mais il seroit bien marry que le Prince
de Condé l’eust destruict par la force, voila pourquoy
il l’a tousiours affoibly en s’efforçant d’affoiblir
le concours du Duc d’Orleans. Mais pourquoy
cela, me dira quelqu’vn ? C’est que si le party Mazarin
venoit à succomber par vn extréme & visible
foiblesse, le Prince auroit assez de force pour frustrer
le Coadjuteur de l’esperance qu’il a dans le
Ministere, & pour empescher la Reyne mesme de
l’y esleuer : Au lieu que si le Mazarin ne succombe,
que lors mesme qu’il sera en estat de pouuoir
encor resister, il laissera la Reyne en estat de pouuoir
faire choisir au Roy celuy qu’elle voudra, &
le Prince n’aura pas assez de pouuoir pour l’empescher,
& la Reyne sera bien ayse de porter son choix
sur le Coadjuteur, tant en recognoissance de la
complaisance qu’il luy a tesmoigné pour le restablissement
du Mazarin, que parce qu’elle le iugera
capable de seconder aueuglement toutes ses intentions
pour la vanger hautement du Prince de
Condé.

Il resulte de lâ que le Coadjuteur ayme le Mazarin
pour le perdre plus heureusement, qu’il ne
le soustient qu’afin de luy pouuoir succeder lors qu’il
tombera ; qu’il ne choque le Prince de Condé par
la faueur qu’il a chez le Duc d’Orleans que pour
empescher qu’en triomphant hautement, il ne l’empesche
luy mesme de s’esleuer au Ministere d’Estat.

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