Anonyme [1652], LA VERITÉ PRONONÇANT SES ORACLES sans flatterie. I. Sur la Reyne: II. Sur le Roy. III. Sur le Duc d’Orleans: IV. Sur le P. de Condé. V. Sur le Parlement: VI. Sur le Duc de Beaufort. VII. Sur le Coadjuteur: VIII. Sur le Parlement de Pontoise. IX. Sur Paris: Et sur l’Estat. , françaisRéférence RIM : M0_3998. Cote locale : B_17_18.
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LE PRINCE DE CONDÉ.

Le Prince de Condé a l’esprit perçant, ambitieux,
hardy, vigilant, actif, infatigable, à l’espreuue
de la fortune & de ses reuers : Voila les qualitez
qu’on luy donne, Elles sont en elles mesmes
toutes innocentes, elles peuuent estre mauuaises
en leurs obiets. Ses ennemis mettent ces qualitez
dans l’excez, ses amis les retiennent dans la moderation
& dans les bornes. N’escoutons ny les vns
ny les autres, parlons auec indifference & iugeons
de cela sans passion.

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Auant le blocus de Paris c’estoit le Dieu de l’Estat :
Il n’y auoit que l’enuie qui luy peust contester
pour lors, ces sept qualitez sus nommées, dans leur
plus parfaite moderation ; mais l’enuie n’est que
l’ombre de la vertu. Apres le siege la haine a changé
les iugemens, parce qu’elle a alteré les imaginations,
dans ceux qui ne reglent leurs iugemens qu’à
l’interest.

Mais, sans flater le dé, quel fut le crime du Prince
de Condé dans ce siege. C’est sa trop grande passion
pour maintenir l’authorité Royalle : C’est sa
trop grande soumission aux ordres d’vne Souueraine :
Parlons franchement, luy qui estoit inuincible
se laissa vaincre par les larmes de la Reyne ; elle l’engagea
sa parole par les adresses de femme, & par les
charmes de souueraine ; sa parole engagée l’obligea
à la poursuite qui a causé toutes ses trauerses & les
nostres. Iusques-là ie ne voy point de plus grand
manquement que celuy de n’auoir point esté Prophete
pour preuoir les fautes de ce dessein.

Les autres disent, que si l’ambition de ce Prince
n’eut esté fort moderée, il n’y auoit pas plus loing de
luy à la souueraineté, que de sainct Germain à Paris :
i’en iuge autant, & auec moy tous les plus sensez :
Pourquoy est-ce donc qu’il ne se laissa point gaigner
à ce charme ? Parce qu’il n’est pas moins vainqueur
de l’ambition que de nos ennemis ; Parce qu’il vouloit
seruir non pas destruire son Roy. Il n’a donc
point esté mal heureux que d’auoir esté sujet d’vne
femme, ou de n’auoir peu desobeïr sans fonder le
soubsçon raisonnable d’vne ambition desreglée.

Laissons le Siege : Passons à son emprisonnement :

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qu’est-ce qui l’arreste ? quel crime ? quel attentat ?
C’est son courage, c’est sa vertu ? & par contre coup
c’est l’ingratitude, c’est la méconnoissance : S’il eust
peu craindre ses obligez, ou si ses obligez eussent
eu du cœur il estoit sans danger. La Reyne ne le fait
arrester, que parce qu’il l’a seruie ; Parce que s’il ne
l’auoit point seruie, elle n’eust seulement pas ozé
ietter les yeux sur luy que pour l’admirer.

 

Le voila donc en prison, pour y auoit tenu pendant
trois mois les ennemis de la Reyne qui s’attendrit
le premier ? de l’obligé, ou du de obligé. La
Reyne est capable de toutes les foiblesses des femmes
excepte des genereuses : La compassion & les
tendresses, luy sont inconnuës. si elle pleure, ce n’est
iamais que de desespoir.

Le peuple, qui pretendoit auoir esté desobligé par
le Prince se repent de s’en estre vangé par complaisance
à son mal-heur. L’affection rafroidie se reschaufe
viuement : on n’en veut plus qu’aux fers qui
captiuent la gloire de l’Estat : On voit que la Reyne
bute à la tirannie, parce qu’elle n’a point de frein :
on crie, Liberté, liberté. Les ennemis du Prince
voyant que son eslargissement ne peut plus estre refusé,
se disposent à le procurer : le Coadiuteur mésme,
qui ne voudroit iamais ouїr parler du Prince
que par vn Deprofundis ou dans vne Oraison funebre,
fait le bon valet : Il n’y a plus d’ennemy. Le Mazarin
mesme pour preuenir l’affect on publique
s’en va faire le Geolier. Le Prince sort, le Mazarin
s’en va, tout le monde respire :

Qui nous enuie donc ce repos : C’est le Prince de
Condé disent quelques-vns : C’est la Reyne disent

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les autres : L’vn & l’autre est vray : Mais la Reyne
attaque, & le Prince se deffend : ainsi par diuers
motif les deux sont les deux causes de nos malheurs :
Il est question du restablissement de Mazarin,
la Reyne le veut, le Prince ne le veut pas : la
Reyne en cela, choque tout le peuple ; le Prince,
le fauorise. La Reyne neantmoins est resoluë de
r’auoir son Mazarin à quelque prix que ce soit : Elle
ne le peut sans perdre le Prince ; elle s’y resout :
Le Prince se retire, la Reyne le poursuit à main armée.
Voila nos troubles r’alumez.

 

Quelques vns ont dit que le Prince eut bien desorienté
la Reyne & tout son Conseil pretendu ; s’il
se fut retiré à Stenay, & s’il se fut contenté d’enuoyer
son frere à Bordeaux. Ie ne suis pas trop esloigné
de ce sentiment : Et ie pense que la Reine eust
fait dans cette conioncture comme l’Asne de Buridan,
qui mourut de faim entre deux boisseaux d’auoine
ne sçachant pour quel se determiner. Ie suis
bien asseuré que le Prince eut eu en moins d’vn mois
vne armée de vingt mil hommes, & que la Reyne
eut esté contrainte de respecter les Loix de l’Estat
qu’elle auoit enfreintes par l’establissement de son
beau Conseil. Le Roy n’eut pas esté obligé au voyage
de Gayenne, parce qu’il eut esté vn peu trop dangereux :
que les Politiques discourent là dessus, le
champ en est beau.

Bordeaux fut preferé par le Prince ; parce que
son dessein estoit de s’y retirer sans faire la guerre :
La necessité de sa deffense l’obligea d’armer : Cet
armement a soustenu toutes les forces de l’Estat
esclaues de Mazarin, pendant cinq ou six mois.

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Les Gens du mestier confessent que tout autre que
le Prince eust succombé dans moins de quinze
iours.

 

La necessité des affaires, le r’appelle : Il arriue
en Polexandre, c’est à dire d’vne façon qui ne
trouuera peut-estre point de creance dans l Histoire,
Il trouue vne armée de huict mil hommes : Il
signale son retour par vne desroute de Mazarins,
il est receu dans Paris, dans le Parlement, & dans
le cœur des peuples les Mazarins en enragent,
les Frondeurs s’en resiouїssent, la Cour desespere.

Me voila maintenant où tout le monde m’attend.
On croyoit quelle Mazarinisme ne dureroit
pas quinze iours ; les commencemens fottifioit
cette creance ; l’vnion qu’on esperoit plus forte entre
luy & le Duc d’Orleans n’y contribuoit pas de
peu. Le Coadiuteur, & la Cheureuse sa Coadiutrice
ne paroissoit plus deuoir estre en credit : Le
Mareschal de l’Hospital, & le Preuost des Marchands
n’estoient plus regardez que comme des
instruments sans force. Enfin on esperoit tout de
luy.

Le peuple neantmoins qui ne iuge que de l’escorce
s’est plaint de sa conduite : On luy a tout imputé,
les aduantages & les desauantages. On le fait
la cause de cette langueur qui a paru dans les affaires :
On veut croire qu’il ne regarde que ses interests ;
le Coadiuteur trauaille beaucoup pour establir
cette creance : les vns la reçoiuent, les autres
la reiettent ; Voyons ce que nous en deuons
iuger.

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La langueur est sans doute vn effet de la conduite
qu’on a tenu : c’est pourquoy afin que la longueur soit
vn mauuais effet, il faut que la conduite qui en est la
cause soit mauuaise. Si le Prince auoit esté le maistre
& le premier mobile de cette conduite, ie luy voudrois
imputer tous les desordres qui en ont esté les funestes
consequences : Mais n’ayant iamais esté l’independant ;
les raisonnables peuuent il le blasmer de
n’auoit point fait ce qui ne dependoit point de luy.

On sçait comme il a fait quand il a esté le maistre :
à Chastillon, à S. Denis & au Faubourg S. Antoine :
de là on peut coniecturer ce qu’il eut fait, si ses volontez
eussent esté les maistresses dans les autres occasions.

Quel est donc ce fatal remora de tous les grands
desseins de l’Estat. Quand le Prince arriua, il eut
vne armée a conduire, vne puissante ligue de Mazarins
dans Paris à rompre l’esprit du Duc d’Orleans à
menager. Chacun des trois demandoit le Prince tout
entier : il a fallu neanmoins qu’il se soit partagé, pour
se donner aux vns & aux autres selon leurs besoins.
Quelque lent qu’on soit, pourueu qu’on aille, lors
qu’on trouue tant d’obstacles, on va bien viste : quand
le Prince s’est donné à son armée, il en a bien battu
les ennemys ; quand il a entrepris la ligue des Mazarins,
s’il ne la rompuë il l’a bien affoiblie : quand il
s’est attaché au Duc d’Orleans, il en a dit on, presque
detaché le Coadiuteur, il est du moins asseuré que les
visites n’en ont point esté si frequentes. Si pendant
qu’il eut esté à la teste de ses troupes, quelque autre
que luy eut esté capable de rompre la ligue des Mazarins,

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de fortifier le Duc d’Orleans contre les souplesses
du Coadiuteur, ie ne doute pas que nous n’eussions
desia oublié le nom de Mazarin : Mais comme
il a fallu qu’il se soit partagé à tant de necessitez ; les affaires
ont esté plus lentes que l’impatiẽce des peuples.

 

Quelques passionnez en attendoient plus de violance.
Ils disent qu’il falloit se deffaire du Coadiuteur,
puis que le Coadiuteur estoit vn obstacle au bien public.
Si ce Prelat ne meurt que par les mains ou par
les ordres de ce Prince, il sera immortel : il ne doit
perir que par l’entreprise de quelque esprit plus bas
& de quelque plus lasche main, Le Prince n’est capable
que de faire des coups de Prince : si le public se
ressent des intrigues du Coadiuteur, que le public s’en
vange. C’est à tort que le public attend que le Prince
soit l’instrument de ses passions : il trauaillera bien
pour ses interets, mais il ne les poussera point par vn
coup de lascheté.

D’autres passionnez, aussi fols que les precedents
disent que le Prince ne deuoit point menager le Duc
d’Orleans & le Parlement auec tant d’attachement ;
ces politiques ne regardent que leurs interets ; ils voudroient
qu’vn premier Prince du Sang, se fut comporté
en Tribun du peuple : Ils voudroient qu’il eust
iustifié par sa conduite les calomnies de la Cour, qui
ne reproche au Prince que la violance : mais il a dementy
ses reproches par l’experience d’vne moderation
inoüye. Les violances sont des brutalitez, lors
qu’elles ne se font que par le caprice d’vn particulier :
lors qu’elles se font par le concert des sages, ce sont
des coups d’Estat.

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Au reste il n’est pas croyable, disent certains, que
le Prince ait iamais esté en dessein de pousser le Roy
à bout : Il a voulu menager les interests de sa Maiesté
& les interets des peuples : si la Cour eut esté moins
malicieuse & mieux conseillée, tout se fut apaisé. Et
lors quelle a veu que le Prince armé de sa iustice
estoit assez fort pour luy resister, & peut estre pour
la conuaincre, si elle n’eut esté plus opiniastre qu’il
n’a esté ambitieux ; ne falloit il pas que d’opiniastre elle
vint raisonnable. Mais elle s’est preualuë de la generosité
qu’elle a reconnu en luy : C’est ce qui nous a
fait languir, parce que nous auons tousiours reculé de
luy donner le coup de grace.

Quelle est donc la cause de la longueur des affaires :
C’est la necessité que le Prince a eu de se partager
à des emplois dont le moindre demandoit tout
vn Prince de son merite. C’est la dependance d’vn
superieur qui agissoit par d’autres ressorts : C’est sa
moderation qui luy a tousiours fait menager les interets
du Roy, à mesure qu’il destuisoit ceux du
Mazarin son Fauory : C’est l’imagination des peuples
qui traittent de longueur ce qui va plus lentement que
leurs desirs.

Si nos affaires auoient eu tant de langueur, ceux
de la Cour en auroient eu plus de vitesse : car il
n’est pas possible qu’vn party soit lent, que le contraire
ne s’en preualle.

Quels sont les aduantages de la Cour ? qu’à
telle profité de cette langueur pretenduë. Auec
huit mille hommes le Prince en a fait perir vingt-cinq
mil, il a dissipé la ligue qu’elle fomentoit depuis

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si long-temps dans Paris : Il a fait auorter tous
ses desseins. Il a sauué Paris lors quelle le destinoit
au sang & au carnage : il a fait ce que tout autre
que luy ne pouuoit point faire. Si c’est languir, le
procedé de la Cour est donc mort, ou nos impatiences
sont trop precipitées.

 

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