Anonyme [1652], DE LA NATVRE ET QVALITÉ DV PARLEMENT DE PARIS, ET Qu’il ne peut estre interdit ny transferé hors de la Capitale du Royaume, pour quelque cause ny pretexte que ce soit. , françaisRéférence RIM : M0_857. Cote locale : B_15_32.
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SECTION VI.

Combien cette entreprise est dommageable à l’Estat, contraire au bien
public, & honteuse au nom du Roy.

IL ne faut qu’vn adueu de l’experience des choses que
nous voyons, & vne confession qui est plus generale que
particuliere, & plus publique que cachée, pour connoistre
& considerer que iamais les affaires de cet Estat n’ont
esté desesperées, & n’ont veu le comble de leur confusion,
que quand nos Rois ont quitté leur lict de Iustice, & qu’ils
ont souffert que leurs Ministres ou leurs fauoris le violent &
le renuersent. Celuy rencontra fort bien qui dit, que l’armée

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d’Alexandre apres son deceds, estoit comme vn grand
Ciclope que descrit Homere, lequel apres auoir perdu l’œil
qui le conduisoit, donna du nez en terre, & ne se releua plus ;
Paris qui est le plus grand Corps & le plus puissant du
Royaume, a besoin de cet œil de Iustice qu’il conserue sur vn
des Sceptres de la Royauté dedans son Parlement, & si on
luy arrache vne fois, tres-assurément il demeurera sans conduite,
il tombera en ruine, il s’accablera soy-mesme, & nous
verrons bien-tost la Capitale des Gaules, le sejour de nos
Rois, le siege de l’Empire, l’abbregé de la France, l’ornement
de la Chrestienté, l’honneur de l’Europe, & par vne
suite necessaire la Monarchie Françoise en son premier
neant, puis qu’on destruit sa baze, qu’on brise ses colomnes,
& qu’on renuerse son appuy. Apres cela, plus de justice, ny
plus d’obeïssance ; plus d’obeïssance, plus de sujets ; plus de
sujets, plus de Roy ; plus de Roy, ny de Magistrats, desordre
& confusion par tout.

 

Nous sçauons que la guerre a ses Loix aussi bien que la
paix, mais nous sçauons aussi que celle qui pour l’ordinaire
estouffe la justice ne sçauroit se maintenir long-temps sans
la justice mesme ; Quia confundi non debent iura, Imperante iustitia,
dit vn grand Chancelier de l’antiquité, qui est Cassio dore
en ses Epistres, liu. 3. Epist. 43. Nous voyons en l’ordre de
la nature, qu’encore que la corruption soit bien souuent la
cause de la production des choses ; toutesfois elle ne les conserue
pas, mais plustost elle ruine & destruit ce qu’elle auoit
fait naistre ; ainsi quand vn Estat a pris sa naissance de l’iniustice,
ce n’est pas d’elle, mais de la justice seule qu’il doit
attendre son progrez & sa conseruation. C’est pourquoy
Plutarque en la comparaison qu’il fait de Licurgue auec
Numa, dit que ; C’est vne belle chose qu’acquerir vn Royaume par
Iustice, mais que c’est vne plus belle chose encore que de preferer la Iustice
à vn Royaume.

Il y a treize cens ans que nos Rois combattent, & que le
Parlement resiste pour empescher qu’on ne donne atteinte
aux Loix fondamentales de cet Estat, & à la Iustice qui les

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conserue & qui les a fait naistre, & auiourd’huy nous voyons
fous le Regne d’vn DIEV-DONNÉ, d’vn successeur de
Louis le Iuste, & d’vn jeune Roy qui ne peut encore pecher,
cinq ou six proscrits & de nos terres & de leurs patries, entrer
dans les Conseils de sa Majesté, pour en bannir la Iustice,
en chasser les Ministres naturels & legitimes, & y faire
regner le desordre & la confusion qu’ils ont semée dans leurs
Estats, parce qu’ils ignorent les Loix de la France, & qu’ils
ne peuuent auoir d’affection pour vn Royaume qu’ils tiennent
pour ennemy, & qu’ils attaquent quand ils peuuent
lors qu’ils sont chez eux, & qu’ils ne trouuent plus d’azile
aupres de nous. Le Roy d’Angleterre qui y preside, ou doit
presider par le droit de sa naissance, void ses sujets rebelles
qui triomphent de nostre Armée Nauale, qui sont maistres
de tous nos vaisseaux de guerre, & qui sont aux portes de
nos Villes les plus importantes, pour voir si leur Souuerain
continuëra de leur liurer la France pour se reconcilier auec
eux, & se mettre plus facilement en possession de ce Royaume
qu’il pretend, & dont il porte le nom, encore qu’il ne luy
appartienne point, ce qui tire des larmes de sang de tous les
bons François. Le Prince Thomas qui est le plus puissant &
le plus fidelle pensionnaire du Roy d’Espagne, a si bien cabalé
& trompé le Conseil, qu’il a fait prendre à son Maistre,
qui est nostre ennemy iuré, Dunkerque qui vaut vn Royaume,
& Barcelone qui nous coute tant d’hommes & tant de
millions d’or : Nous auons ses trouppes dans tous nos ports
de mer, nous les souffrons dans toutes nos Frontieres, &
nous les voyons à deux lieuës de nostre Capitale, parce que
le Conseil du Roy est à luy, & qu’on aime mieux bouleuerser
toute la France, & sacrifier cent millions de sujets innocens,
que d’esloigner vn mal-heureux Italien qui abuse vne
femme, qui trompe vn jeune Roy, & qui remplit son Conseil
d’Estrangers comme luy, & de nos ennemis comme il est.

 

Et parce que nous n’auons plus que l’innocence & la justice
pour nous, on nous en veut priuer en transferant le
Parlement, & on veut que nous deuenions criminels en

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nous esgorgeans les vns les autres, à cause qu’il le faudra faire
tres-assurément, quand Paris sera sans Iuges, & que tant
d’esprits differens qui le composent seront sans Magistrats ;
qui est vne tyrannie, & vne cruauté inoüye dans toute l’Antiquité,
& que les Rois les plus inhumains & les plus barbares
n’ont iamais pratiquée, puis qu’il est si constant, que ; Ipsi
Tyranni Iustitiam non propter seipsam, sed propter seipsos colere coacti
sunt, comme remarque nostre incomparable Bodin, au chapitre
6. de sa Methode de lire l’Histoire.

 

La Iustice est libre & non captiue, c’est elle qui regle
tout, & qui ne reçoit la Loy de personne, Per me Reges regnani ;
Les bons Rois laissent aux Iuges l’entiere execution
de leurs Ordonnances, & veulent que leurs Arrests ne soient
en rien gehennez, autrement ils ne seroient plus Decisions
ny Iugemens. Philippe de Valois en l’an 1344. & François I.
en 1535. ordonnerent que ceux qui tiendroient leur Parlement
ne souffrissent point qu’on les vituperast par paroles
outrageuses, parce, disoient-ils, Qu’ils representent nostre personne
en tenant nostre Parlement ; Estant certain qu’ils participent
en toute façon à la Souueraineté, puis qu’ils sont partie
du Souuerain, & qu’ils ne sont pas moins grands que celuy
dont ils sont l’organe, & l’image vnique & veritable.
Louis XI. confirme cette verité non contestée, quand il dit
dans son Ordonnance de 1467. Qu’ils sont parties essentielles
de la chose publique, & membres du Corps dont il est le Chef, suiuant
la Loy celebre de cet Empereur Romain, qui declare que ;
Pars Corporis nostri sunt, qu’ils font les plus belles parties de
son Corps.

Et apres cela les traitter de rebelles, de factieux, & les
vouloir contraindre de quitter le Throsne de nos Rois, &
le Temple de la Iustice pour suiure douze traistres, douze
perfides, douze sacrileges, douze aboyeurs de Benefices, ou
d’autres corruptions de la Cour, c’est vouloir prostituer l’authorité
du Roy, affoiblir sa Iustice, briser son Throsne, le
rendre contemptible, des-honorer sa Majesté, & en vn mot
renuerser l’Estat, & tous ses fondemens, puisque comme dit

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Tacite ; Ita rerum compago, conuelli sine conuellentium ruina non
potest, nous nous en voyons à la veille, Dieu veuille en retarder
l’effet.

 

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