Anonyme [1652], DE LA NATVRE ET QVALITÉ DV PARLEMENT DE PARIS, ET Qu’il ne peut estre interdit ny transferé hors de la Capitale du Royaume, pour quelque cause ny pretexte que ce soit. , françaisRéférence RIM : M0_857. Cote locale : B_15_32.
Section précédent(e)

DE LA
NATVRE
ET QVALITÉ
DV
PARLEMENT
DE PARIS,
ET
Qu’il ne peut estre interdit ny transferé hors
de la Capitale du Royaume, pour quelque
cause ny pretexte que ce soit.

Ierem. cap.vers.

A PARIS,
Chez FRANÇOIS PREVVERAY, ruë saint Iacques, au
Croissant d’argent, proche la porte.

M. DC. LII.

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DE LA NATVRE
ET QVALITÉ
DV PARLEMENT
DE PARIS,
ET
Qu’il ne peut estre interdit ny transferé hors de la
Capitale du Royaume, pour quelque cause
ny pretexte que ce soit.
SECTION I.

De l’Origine, establissement, progrés, puissance, grandeur & majesté
du Parlement de Paris.

CE n’est pas mon dessein de remplir ce discours
de mille & mille recherches curieuses & necessaires
qui pourroient se rapporter pour embellir
le fond de cette Section, & prouuer que les
Autheurs les plus sensez & les mieux receus,
n’ont point espargné leurs loüanges non plus que la verité,
quand ils ont dit & publié, que ce grand Senat estoit la gloire
du monde, l’honneur de la France, & l’appuy de la Monarchie.
Ie veux seulement par forme de maximes sommaires

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poser pour fondement, que dans la premiere Race de
nos Rois les Francs s’assembloient tous les ans, sans que
personne pust se dispenser de s’y trouuer, à moins que d’vne
excuse tres-legitime ; le Roy y tenoit le premier rang dessus
vn Tribunal esleué par dessus les autres.

 

C’estoit dans cette assemblée que se faisoient les Loix, la
police generale de l’Estat, les traittez de Paix, les declarations
de la guerre, les alliances generales & particulieres,
& en somme toutes les affaires les plus grandes & les plus
importantes du Royaume. Tout se decidoit par la liberté
des suffrages ; tout le monde auoit part à la deliberation, parce
que ceste Monarchie a esté fondé sur la liberté, n’y ayant
point de gouuernement plus legitime ny plus naturel. Tacite
qui estoit tesmoin de nostre ancienne façon d’agir & de
gouuerner, parlant des premiers Germains dont nous sommes
descendus, dit en son Liure, De Morib. Germanor. cap. 1. 2.
Qu’ils faisoient leurs Rois de la maison la plus Noble & la
plus Illustre, mais qu’ils n’auoient pas la puissance de faire
tout ce qu’il leur plaisoit ; Regibus non est infinita, aut libera potestas ;
& s’expliquant dauantage au Chapitre suiuant, il adjouste ;
qu’il est bien vray que les Princes deliberoient seuls
des petites affaires, mais des grandes & de celles de consequence,
tous en general chacun opinant selon que l’aage le
portoit, ou qu’ils estoient eloquens & bien disans, leur authorité
prouenant plustost de leurs persuasions, & de la force
de leurs raisons, que non pas de leur pouuoir ny de leur
puissance de commander absolument ; Rex, vel Princeps, provt
ætas cuique, provt facundia est, audiuntur authoritate suadendi magis,
quam iubondi potestate.

Dans la seconde Race, la France s’estant accruë par les
conquestes de Charlemagne & de ses Enfans, il fut impossible
d’assembler comme auparauant toute la Monarchie. On
reduisit cette Assemblée generale aux Principaux du
Royaume, qu’on faisoit aussi tous les ans, tantost dans vn
lieu, & tantost dans vn autre, sans en auoir aucun de certain
ny d’ordinaire.

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Cette forme de gouuernement se continua dans la troisiesme
Race pendant trois cens ans, où rien ne s’est traitté
ny conclu qu’auec cette authorité publique, n’y ayant autre
Tribunal pour les affaires d’Estat, & la police generale du
Royaume que cela ; c’est pourquoy nos Historiens ont appellé
ces Assemblées ; Iudicium Francorum.

Sous le regne de Philippe Auguste, qui viuoit en l’an 1182.
ces sortes d’Assemblées par le iugement desquelles tout
estoit resolu, changerent de nom, & non pas d’authorité,
estant appellées Parlement, & fut long-temps ambulatoire,
iusques au Regne de Philippe le Bel, qui le fit sedentaire enuiron
l’an 1300. & celuy de Louis Hutin son fils, qui luy
donna son Palais peu de temps apres pour en faire vn Corps
ordinaire & Politique, qui dure encore aujourd’huy auec
plus de splendeur & de majesté que iamais.

Ce Parlement ainsi estably, & les affaires d’Estat & publiques
ne se presentans pas tous les jours à decider, il commença
à connoistre par appel des causes importantes & de
consideration qui regardoient les particuliers, & les Communautez ;
sans perdre pour cela la connoissance des affaires
publiques, n’ayant garde de renoncer à vn droit si auantageux,
puisque c’estoit la source de son establissement, & qu’il
ne representoit pas moins cette Assemblée generale des
Francs, conseruant tousiours sa premiere dignité & son ancien
pouuoir, encore qu’il fust sedentaire.

Et de fait, nous voyons que le Parlement de Paris a toûjours
esté vn abregé des trois Estats, puisque nous y remarquons
encore aujourd’huy l’Eglise representée par vn nombre
de Conseillers Clercs ; la Noblesse dans la personne des
Princes du Sang, & des Ducs & Pairs de France Clercs &
Laics, qui sont les premiers de la Couronne ; & deux cens
autres familles Illustres & notables, qui reuestent & qui
composent cet Auguste Senat. Si bien que ce Corps & cette
Compagnie en son entier estant mixte de la sorte, est encore
l’image & le racourcy de tous les Ordres du Royaume.

Le Roy y a son lict de Iustice, à l’exemple du Tribunal sur

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lequel il estoit tousiours esleué dans l’Assemblée generale
des Francs, au commencement de la Monarchie, ou dans
l’Assemblée des grands de l’Estat en la seconde Race, & plus
de trois cens ans dans la troisiesme, comme nous venons de
remarquer. Le Chancelier mesme qui est le premier Officier
de la Robbe, & le premier membre du Corps de ce Parlement,
& non pas le Chef, comme remarque Monsieur le
President Seguier dans vne Remonstrance du 2. Mars 1571.
y a sa place ; Il est aussi dans le Conseil secret du Roy, mais il
n’y peut faire aucun acte de iurisdiction, quand il s’agit d’vne
affaire qui regarde le Roy & le peuple ; c’est dans le Parlement
seul qu’il doit la resoudre, comme nous le voyons encore
tous les iours sans difficulté quelconque. On y traite
encore à present les mesmes matieres qu’en ces premiers
temps ; le Roy y enuoye tousiours les motifs qu’il pretend
auoir de faire la guerre, & de la declarer ; & les Estrangers
ne croyent point la paix concluë auec nous, qu’apres que le
traitté y a esté verifié les Chambres assemblées.

 

C’est vne loy fondamentale en France, que rien ne peut
estre imposé sur les sujets du Roy, & qu’on ne peut faire aucun
Officier nouueau, que par le consentement du Parlement,
qui represente l’adueu general de tout le peuple. On
sçait qu’il connoist du Domaine, du droit de Regale, des
Duchez & Pairies, & de tous les droits eminens de la Couronne.
Il est seul qui peut faire le procez aux Princes du
Sang, aux Officiers de la Couronne, aux Ducs & Pairs, &
autres grands du Royaume. C’est luy qui fait les Regens, qui
declare les Maioritez, qui authorise les Ordonnances, &
qui maintient la Loy Salique, comme nous auons veu en la
personne de Philippe de Valois contre Edoüard Roy d’Angleterre,
& en celle de Henry IV. pendant la Ligue, ayant
rendu le calme à toute la Monarchie par vn seul de ses Arrests.
Le deffunt Roy y enuoya luy mesme son testament,
sçachant bien qu’il ne pouuoit auoir d’authorité dans le public
sans cela, parce qu’il y disposoit de la Regence, & de
l’ordre du gouuernement.

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Ie pourrois m’estendre dauantage sur ce sujet necessaire
& considerable, mais comme ie reserue cette entreprise pour
vn Ouurage plus solide, & plus particulier, où nous approfondrons
& justifierons plus amplement & plus authentiquement,
la puissance, la grandeur, & la Majesté de cét Illustre
Parlement, venons à nostre Section seconde, & monstrons
que le tiltre que nous luy donnons n’est pas moins veritable,
que la doctrine que nous soustenons est saine & raisonnable.

SECTION II.

Que le Parlement de Paris estant né auec la Royauté, il ne peut estre
interdit ny transferé, qu’auec le Siege de l’Empire, & le
Throsne de sa Majesté.

Encore que ce soit vn crime aujourd’huy, & qu’on appelle
seditieux & mauuais François, ceux qui parlent
de la Iustice qu’on doit au peuple, & l’obligation que
nous auons de maintenir & conseruer les Loix fondamentales
de l’Estat, sur lesquelles les Rois subsistent, & font serment
quand ils sont Sacrez ; Ie crois neantmoins que ie ne
fais aucun tort à la Souueraineté de sa Majesté, ny à ma qualité
de sujet, de representer fidellement ce qui en est, & de
faire connoistre à son peuple quelles elles sont, & à luy ce
qu’il doit pour ne les point enfraindre & violer, puis que sa
toute-puissance gist à l’execution de la Loy, & non pas à sa
destruction.

Nous venons de representer en peu de mots la nature &
la qualité du Parlement de Paris, qui estant aussi ancien que
la Couronne, & representant en son entier toute la Monarchie
Françoise, ne peut passer pour vne Compagnie à l’ordinaire,
& sujette à l’inconstance de la Cour, & à la passion de
quelque fauory insolent. Et encore que tous nos Historiens
& Politiques demeurent d’accord de cette verité certaine,

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ie veux neantmoins pour la confirmer de plus en plus, rapporter
ce que le Parlement en Corps en fit entendre au Roy
Louys XIII. dans sa Remonstrance du 21. May 1615. dont
voicy les propres termes.

 

Philippe le Bel, qui premier rendit vostre Parlement sedentaire, &
Louys Hutin qui l’establit dans Paris, luy laisserent les mesmes fonctions
& prerogatiues qu’il auoit à la suite des Rois leurs predecesseurs.
C’est pourquoy il ne se trouue aucune institution particuliere de vostre
Parlement, ainsi que de vos autres Cours Souueraines qui ont esté depuis
erigées, comme tenant vostredit Parlement, la place du Conseil
des Princes & Barons, qui de toute ancienneté estoient prés les personnes
des Rois, NAIS AVEC L’ESTAT. Et pour marque de ce, les
Princes & Pairs de France y ont tousiours eu seance, & voix deliberatiue ;
Aussi depuis ce temps y ont esté verifiées les Loix & Ordonnances,
Edicts, creations d’Offices, Traittez de Paix, & autres plus importantes
affaires du Royaume, dont Lettres patentes luy sont enuoyées
pour en toute liberté les mettre en deliberation, en examiner la Iustice
& le merite, & y apporter modification raisonnable. Voire mesme ce
qui est accordé par nos Rois aux Estats Generaux doit estre verifié en
vostre Cour où est le lieu de vostre Throsne Royal, & le lict de vostre
Iustice Souueraine. Et neantmoins, Sire, ceux qui veulent affoiblir
& desprimer l’authorité de cette Compagnie, s’efforcent de luy oster la
liberté que vos predecesseurs luy auoient perpetuellement accordée, de
leur representer ce qu’elle iugeroit vtile pour le bien de leur Estat. Nous
osons dire à vostre Majesté, que c’est vn mauuais Conseil qu’on luy
donne, de commencer Pannée de sa Majorité par tant de commandemens
de puissance absoluë, & de l’accoustumer à des actions dont les
bons Rois comme vous, Sire, n’vsent iamais que rarement, &c.

Monstrelet qui n’a point ignoré nos Maximes, appelle le
Parlement de Paris, Conseil Royal, dans son Histoire de France.
C’est pourquoy ce grand Senat estant né auec la Royauté,
& faisant la baze & le fondement de tout l’Estat en general ;
& nos Rois y ayant estably de tout temps le Throsne
de leur Grandeur, & le lict de leur Iustice sans iamais y desroger,
il est certain qu’il ne peut estre interdit ny transferé
qu’auec le Siege de l’Empire, & le nom de la Capitale, puis

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que le Roy ne peut point se separer de sa Iustice, ny se dispenser
des Loix fondamentales de son Estat, sans premierement
renoncer à la Royauté. Et quand nous lisons que nos
Souuerains ont tenu quelquefois leur lict de Iustice en d’autres
Parlemens que celuy de Paris, ce n’a esté qu’à leurs premieres
entrées dedans les Villes où il y en a, ayans accoustumé
de les fauoriser de cét honneur, & d’y seoir vne fois pour
y faire esclater leur Iustice Souueraine, de laquelle despend
leur authorité, & la manutention du Royaume.

 

Que si par vne entreprise qui pourroit renuerser les Loix
fondamentales de l’Estat, & violer ce qu’il y a de plus saint
& de plus sacré, vn Roy mal conseillé vouloit tenter ce
changement dangereux & prejudiciable à sa Couronne, il
faudroit tres-assurément le proposer & en ordonner auec
les Princes du Sang, les Compagnies Souueraines, les Estats
du Royaume, & tous ceux qui y ont interest, puis que les
Loix originaires de l’Estat ne se changent & ne s’alterent
point, que du consentement general de ceux qui les gardent
& qui les reconnoissent ; C’est l’vsage, c’est la pratique, &
personne ne peut en vser autrement auec prudence & Iustice.

Dauantage ce Parlement estant se dentaire & perpetuel,
il ne peut estre interdit ny transferé, sans quitter son nom,
& renoncer à la qualité & stabilité de son institution ; Cela
est bon au Conseil Priué, & au grand Conseil qui n’ont
point de territoire ny de sieges arrestez ; Leurs chaires pleantes
& mobiles, sont tousiours en estat de marcher auec leurs
personnes & leurs charges ambulatoires ; où les bancs continus
& cramponnez des Parlemens ne quittent plus les murailles
qui les soustiennent, & ne sortent iamais des lieux où
nos Majeurs les ont vne fois placez ; autrement quelle confusion,
& quel cahos si vn million de plaideurs estoient obligez
& contrains de suiure leurs Iuges & leurs Magistrats
tantost dans vne Ville, & tantost dans vne autre, d’vn bout
du Royaume à l’autre, & traisner mille chariots de Registres
& de papiers importans, qui seroit rompre la societé ciuile,

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exposer tous leurs biens & leurs fortunes aux dangers des
chemins, & faire des vagabonds de tant de bons Citoyens
qui sont vnis & attachez à leurs femmes & à leurs enfans sans
trouble & sans inquietude.

 

Choppin dans son traitté du Domaine de la Couronne de
France, liu. 2. tit. 15. num. 6. parlant de la nature de Paris,
dit, Que Philippe IV. surnommé le Bel, donna & assigna le Palais
Royal pour le consacrer à la Deesse Themis, & pour y exercer PERPETVELLEMENT
la Souueraine Iustice, & rendre son Parlement
de France FIXE, ARRESTÉ, & SEDENTAIRE, qui
auoit esté auparauant ambulatoire ;
Induxitque forum patribus dans iura vocatis,

Iuraque ab hac terra cetera terra petet.

Comme dit Ouide en ses Fastes, liu. I. predisant la grandeur
de la Ville de Rome, & sa majesté par dessus toutes les
autres de l’Empire, par la stabilité de son Senat, & le Throsne
immuable de ses Souuerains.

De plus les Offices de ces grands Senateurs François estans
perpetuels, & vendus par le Roy mesme, il faut qu’il les en
fasse jouïr en la façon qu’ils les ont trouuez, & suiuant les
conditions de leur establissement ; Quand Silla estant Preteur
à Rome, dit à Cesar qu’il vseroit à l’encontre de luy de
l’authorité & du pouuoir que son Office luy donnoit : Cesar
sans se formaliser en façon que ce soit, respondit qu’il auoit
raison de l’appeller sien, puis qu’il l’auoit achepté. La priuation
des Charges ne se fait en France, que par vacation, par
mort, ou pour crime & forfaiture prouuée & iugée ; il en est
de mesme pour la destitution, & ce à cause de la venalité
permise des Offices.

Loiseau en son traitté des Offices, liu. 1. chap. 14. num. 21.
dit ; Que les interdictions estoient tolerables quand les Charges
estoient données gratuitement ; mais maintenant que le Roy les
vend si cherement, il seroit Iuge & partie en les priuant sans
connoissance de cause pour les reuendre à d’autres. Pour interdire
des Officiers il faut qu’ils soient criminels & Iugez

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tels ; où au contraire nous voyons que des perfides, des parjures,
& vne douzaine de faux freres qui se sont bannis
d’eux-mesmes du lieu de leurs Majeurs, entreprennent par
vn aueuglement punissable & vne temerité criminelle, d’interdire
& de supprimer la source de leur splendeur, les Colomnes
de l’Estat, & les Conseruateurs du lict de Iustice de
nos Rois.

 

Nous lisons dans les Recherches de Pasquier, liu. 2. chap.
4. Que le Roy Charles VII. interdit les Officiers du Parlement
qui resterent à Paris, par sa Declaration du 15. May
1436. parce qu’ils reconnoissoient le Roy d’Angleterre qui
s’estoit rendu maistre de cette Capitale, & presque de tour
le reste du Royaume ; Et cette peine estoit bien petite, puisque
cette rebellion & cette infidelité en meritoit vne plus
grande, & plus atroce encore.

L’Histoire de nos jours nous apprend, & non pas sans
douleur, que par vne Declaration du 23. Ianuier 1649. donnée
à Saint Germain en Laye, on fit vn coup d’essay pour tascher
de renuerser cet Auguste Senat, afin de mettre le Cardinal
Mazarin dessus le lict de nos Rois, & le declarer l’vnique
& le seul qui pouuoit soustenir cet Estat, que sa conduite
mal-heureuse a mis dans son penchant, ce monstre de
Declaration estant son Panegirique, aussi bien que l’inuectiue
& la satire contre ce grand Parlement. Et parce que cette
entreprise est sans exemple, & que l’insolence de son Autheur
est sans égale, il importe d’en rapporter les motifs &
les poincts principaux, pour faire connoistre le crime qui
l’accompagne, la fausseté qui luy donne couleur, & la peine
qu’on doit attendre vn jour de celuy qui fomente & qui fauorise
vn attentat si noir, si inoüy, & si dangereux ; Les actes,
dit-il, de rebellion & de desobeïssance ouuerte commis en dernier lieu
par les gens se disans tenir nostre Cour de Parlement de Paris, font
assez connoistre auiourd’huy la verité des motifs portez par nostre Declaration
du 6. de ce mois, qui nous ont obligé de nous retirer de la
ville de Paris pour mettre nostre personne en seureté, & ne demeurer
pas exposé à l’insulte qu’ils meditoient de faire pour s’en saisir, &c.

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C’est vn aueuglement qui ne se peut conceuoir, que des Magistrats
instituez par le Souuerain pour rendre la Iustice à ses suiets, qui n’ont
point d’authorité qui ne soit formée de la main des Rois, qui peuuent
par consequent la suspendre, ou la retirer lors qu’ils en abusent ; ayent
entrepris d’esleuer cette authorité au dessus de celle des Rois, mesme
s’emparer du gouuernement & de l’administration de l’Estat, par vne
vsurpation qui n’a point d’exemple dans les siecles passez, & essayer de
rendre leur party plus considerable en flattant & authorisant les desgousts
de diuers Princes & grands du Royaume, que le bien de l’Estat
& nostre seruice nous a empesché de pouuoir satisfaire dans leurs iustes
pretentions. Qui pourra croire à l’aduenir que l’impudence & la rage
de ces meschans (parlant du Parlement de Paris dont il se dit le
Chef) se soit portée au poinct de l’exercer contre nostre propre Personne
en choses indifferentes à leur esgard ? Et vn peu apres.

 

Il est vray qu’on s’estonnera moins qu’ils offencent leur Roy de cette
sorte, quand on sçaura qu’ils ont en mesme temps manqué au droit
des gens, & au droit Diuin, empeschant les Ambassadeurs des Couronnes
& des Princes estrangers de se pouuoir rendre prés de nous, &
qu’aucun Euesque de ceux qui se sont trouuez renfermez dans Paris,
ne put en sortir pour aller à sa residence, comme ils ont tousiours tesmoigné
de le souhaiter passionnément, ayant horreur de voir à leur
face vne Ville armée contre son Souuerain, & de n’y pouuoir apporter
aucun ordre. Et nous esperons que nos suiets reconnoistront quel est ce
monstre de Gouuernement qui pretend regner sur eux, par la destruction
de la puissance legitime, & establir la Tyrannie, se mettant dans
le Throsne des Rois qui regnent si heureusement depuis tant de siecles ;
C’est pourquoy ne pouuant plus souffrir sans manquer à ce que nous deuons
à nous mesmes, les attentats d’vne Compagnie qui n’a autre puissance
legitime que celle que nous luy donnons ; Apres auoir veu que
sa rebellion est allée iusques à armer nos bons suiets de la Ville de Paris
contre nous, &c. Vsurpant en tout les fonctions de la Royauté, & faisant
toutes les actions qui n’appartiennent qu’à vn Souuerain ; Nous
nous sommes enfin resolus, quoy qu’auec vn extreme regret à l’esgard
des bons qui sont de ce Corps, d’esteindre & supprimer entierement
cette Compagnie, & de retirer la puissance qu’ils ont de nous, &c. A
CES CAVSES, &c. Nous auons cassé, reuoqué, & annulé, cassons,

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reuoquons, & annulons tous les Arrests donnez depuis nostre Declaration
du 6. Ianuier 1649. par les gens se disans tenir nostre Cour de
Parlement de Paris, comme donnez par attentat & entreprise ouuerte
sur nostre authorité, & par gens qui n’ont aucun pouuoir, &c.
Enioignons ausdits gens se disans nos Officiers du Parlement de sortir
de nostre Ville de Paris dans huictaine à compter de la datte des presentes,
leur faisant tres-expresses inhibitions & deffences de faire aucunes
assemblées, tenir aucune Cour, ny Iurisdiction ; Et à faute d’obeir
à nos commandemens, & de cesser les entreprises & attentats
qu’ils ont commencé ; Nous auons de nostre mesme science, puissance,
& authorité, adioustant aux peines portées par nostre precedente Declaration,
esteint & supprimé, esteignons & supprimons tous les Offices
dont se trouuent à present pourueus les Officiers de ladite Cour,
leur faisant deffence d’en faire aucune fonction, & à tous nos autres
Officiers & suiets de les reconnoistre pour Iuges à peine de desobeissance :
Donné à Saint Germain en Laye, le 23. Ianuier 1649.

 

On void assez par le stile de ces Patentes la passion & l’aueuglement
des Ministres, & par l’effet & l’euenement qui
les suiuit, que toutes ces violences ne sont que des coups
d’vne passion desreglée, & des jeux de femmes & d’enfans,
qui causent neantmoins beaucoup de honte à leurs Autheurs,
beaucoup de troubles dans l’Estat, & beaucoup de
prejudice à l’authorité du Roy qui ne doit iamais se compromettre,
ny se prostituer ; Puis qu’a la fin de toutes ces Tragedies
sanglantes & funestes, le Parlement tout condamné &
tout interdit qu’il est demeure le Maistre, fait voir la iustice
de son procedé, fait confirmer ses Arrests, & supprimer ceux
de ces mauuais Politiques, qui sans doute se rendent ridicules
en publiant tant de Pancartes estonnantes & fulminantes,
sans seulement faire peur aux Clercs, ny aux Procureurs
de la Cour ; Ce que cette Compagnie sage & prudente fit
bien paroistre en continuant de rendre la Iustice, & trauaillant
à la conseruation & reformation de l’Estat, sans auoir
aucun esgard à cette interdiction pretenduë & ridicule.
Qu’ainsi ne soit, le 17. Fevrier 1649. Messieurs les Gens du
Roy ayans receu vn passe-port de saint Germain en Laye

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pour aller trouuer la Reine Regente, auec cette inscription ;
A Messieurs Talon, Bignon, & Meliand, cy-deuant nos
Aduocat, & Procureur Generaux dans nostre Cour de
Parlement ; Voyans ces qualitez nouuelles, & ce stil injurieux,
refuserent le passe-port, & ne voulurent partir tant
qu’ils en eurent vn autre en bonne forme qui leur fut enuoyé
le iour mesme.

 

Ces actes publiques, & ces entreprises sans effet, font
assez connoistre l’inconstance & foiblesse de ces Ministres
qui ne peuuent souffrir de contradicteurs en leurs tyrannies,
& qui interdisans tant d’Officiers fideles & necessaires plus
qu’eux mille fois, veulent faire comme Cleomenes qui massacra
tous les Ephores, pour estre maistre seul de l’Estat &
de la Iustice.

Ie ne puis obmettre ce qui se passa en cette mesme année
1649. pour seruir de regle & de prejugé au temps present,
sçauoir que le Conseil d’Enhaut ayant enuoyé vne Declaration
au Presidial d’Orleans pour iuger Souuerainement &
en dernier ressort, auec deffences de plus reconnoistre le
Parlement de Paris qui est son reformateur legitime & naturel ;
Ces petits Officiers chatoüillez du nom d’Independans
& de Souuerains, enregistrerent leur nouuelle attribution,
& se mirent en deuoir d’en joüir auec peu de respect,
& trop de precipitation, dequoy le Parlement aduerty, voulant
les maintenir dans le deuoir, & leur apprendre le peu
d’estat qu’ils deuoient faire d’vne interdiction qui ne se peut
entreprendre pendant vne Minorité, ny lors qu’vn Roy
n’est point en liberté, ny dans son lict de Iustice, ny dans
quelque autre temps, ny pour quelque pretexte que se puisse
estre, donna l’Arrest qui s’ensuit le 8. Fevrier 1649. La Cour
toutes les Chambres assemblées, ayant deliberé sur la Lettre du Substitut
du Procureur General du Roy à Orleans, du 30. du mois de Ianuier
1649. escrite audit Procureur General, & apportée à ladite Cour
ce matin par les Gens du Roy, faisant mention du refus fait par les
Gens tenans le Presidial audit lieu d’executer les Ordres & Arrests
de ladite Cour à eux enuoyez, & de ce qu’ils ont fait registrer vne

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Declaration pour juger Souuerainement ; Ouy lesdits Gens du Roy, &c.
A esté arresté & ordonné, que les Lettres de ladite Cour, & les Arrests
d’icelle seront derechef enuoyez ausdits Officiers du Presidial,
Preuosté, Maire & Escheuins d’Orleans, ausquels elle enjoint de les
receuoir, faire registrer, & executer incessamment à peine d’interdiction ;
Leur fait tres-expresses inhibitions & deffences de receuoir,
deferer, & reconnoistre autres ordres contraires à ladite Cour, donnez
pour maintenir l’authorité du Roy, & la tranquillité publique. Leur
fait en outre deffence de connoistre & iuger d’autres matieres que de
celles à eux attribuées par les Edicts du Roy verifiez en ladite Cour.
Enjoint au Gouuerneur & Suiets dudit Seigneur Roy de ladite Ville tenir
la main à l’execution, à peine d’estre declarez pertubateurs du
repos public.

 

Le 16. ensuiuant il donna pareil Arrest pour tous les Officiers
de son ressort, qui ne manquerent pas d’y obeïr, comme
ils y sont obligez ; Ce qui maintient l’Estat & les suiets
dans vn ordre, vne tranquillité, & vne abondance qui ne
se trouue point auiourd’huy, à cause des traistres & des faux
freres qui ont renoncé à leur honneur & à leur serment pour
se vendre & prostituer à l’ennemy de l’Estat, au Bourreau
des peuples, & au destructeur de la Iustice.

Apres cette interdiction imaginaire, & qui ne fut point
signifiée, non plus qu’executée, les choses venant à s’accommoder,
son Altesse Royale disant en la Conference qui
se tint à Ruel le 11. Mars 1649. auec les Deputez de cette
mesme Compagnie interdite pour des procez, & reconnuë
pour les affaires d’Estat, que le Parlement de Paris estoit supprimé,
& qu’il falloit le restablir à Tours, Monsieur le premier
President luy respondit auec beaucoup de vigueur &
de verité, Que cette suppression n’auoit pas esté verifiée, que la puissance
des Rois estoit bornée aux Ordonnances & Loix du Royaume qui
desiroient cette verification, ce qui luy ferma la bouche, & à tous les
Ministres.

Apres plusieurs contestations on conclut vn Traitté ce
mesme iour, & les articles en furent signez, le second desquels
porte, sans plus parler d’interdiction, Que le Parlement

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se rendra suiuant l’ordre qui luy sera donné par sa Majesté à saint
Germain en Laye, où sera tenu vn lict de Iustice par sa Maiesté, auquel
la Declaration contenant les articles accordez, sera publiée seulement,
apres quoy le Parlement retourna à Paris faire ses fonctions
ordinaires.

 

Monsieur le premier President, auec les autres Deputez,
ayans rapporté ces articles & ce traitté de Paix, la Cour deliberant
sur iceux le Lundy 15. Mars 1649. elle ordonna à l’esgard
du second que nous venons de cotter, que les Deputez
du Parlement retourneroient à saint Germain en Laye pour
faire instance d’obtenir la reformation de quelques articles,
sçauoir de celuy d’aller tenir vn lict de Iustice à saint Germain,
& prier le Roy d’en dispenser le Parlement, pour estre
trop contraire à la Majesté d’vn Senat dont il est le Chef, &
premier Senateur, qui ne peut souffrir de taches ny d’atteintes
quelques legeres qu’elles soient, non plus que la Vierge
qu’il represente, & qu’il conserue auec tant d’integrité qui
est la Iustice ; Ce qui fut accordé sans difficulté quelconque,
& fut dit qu’il enuoyeroit seulement ses Deputez à saint Germain
en Laye le Mardy 6. Avril ensuiuant, pour complimenter
leurs Majestez, & les assurer de son obeïssance & de sa fidelité ;
Le Corps de la Compagnie demeurant dans le lieu de
leurs Majeurs qui ne doit iamais souffrir d’eclypses, ny de
changement qu’auec les fondemens de la Monarchie de laquelle
il est le premier & principal appuy ; Arca fœderis in locum
suum, in oracuum Templi, in sanctum Sanctorum, subter alas
Cherubin ; Reg. lib. 3. cap. 8. vers. 6. qui sont les Anges Gardiens
du Royaume, ces Tuteurs des Rois, & ces conseruateurs du
Temple de la Iustice, & des Loix, fondamentales de l’Estat.

Ce grand Parlement qui ne diminuë rien de sa force, ny de
son pouuoir pour les broüillards & les nuées qui le troublent
& qui l’offusquent sans le toucher, sçachant que le Conseil
qui n’aime que le desordre & la confusion, taschoit d’abattre
sa Iustice & son authorité, il donna Arrest le 4. Fevrier 1649.
portant que ; Sur ce qui a esté proposé qu’il a esté donné vn Arrest au
Conseil tenu à saint Germain en Laye depuis peu de iours, portant que

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tous les Contracts & obligations faites en cette Ville de Paris le 5. Ianuier
seront nulles, ce qui est contre l’ordre & equité, & fait à dessein
de troubler le repos & tranquillité publique, & renuerser le commerce
d’entre les fideles suiets du Roy ; La matiere mise en deliberation, Ladite
Cour toutes les Chambres assemblées, a ordonné & ordonne que
tous lesdits Contracts & obligations & autres actes faits & passez en
cette Ville entre tous particuliers & Communautez, vaudront & seront
executez comme bien & legitimement faits, nonobstant tous iugemens
& lettres à ce contraires ; Et sera le present Arrest affiché, &c.

 

Ce ne seroit point assez à cette source de Iustice de se conseruer
soy mesme dedans sa pureté, sans monstrer que son
pouuoir est assez grand & assez puissant pour maintenir &
proteger ceux qui l’implorent, & qui sont sortis de son sein.
Toute la France sçait, que les Ministres ayans mené le Roy
Mineur au Parlement le Mercredy 15. Ianuier 1648. pour y
faire verifier six Edicts bursaux par la force de sa presence ; Le
lendemain tous les Maistres des Requestes ausquels on auoit
donné douze Compagnons nouueaux par l’vn de ces Edicts,
s’assemblerent dans leurs Chambre au Palais, & resolurent de
s’opposer à l’execution de l’Edict qui les concernoit comme
ils firent dans la grand’Chambre, & de chercher en suite aupres
du Parlement les moyens de se garantir & se deffendre
de la violence de cette nouuelle creation, & de l’injustice des
Ministres qui l’appuyoient & qui la desiroient. Cette deliberation
estant venuë à la connoissance de la Reine Regente, &
du Conseil, elle les fit mander le mesme iour sur le soir au Palais
Royal, où s’estans trouuez, Monsieur le Chancelier leur
dit en presence de leurs Majestez, que le Roy auoit esté informé
de plusieurs deliberations qu’ils auoient faites, lesquelles
estoient entierement contraires au bien de l’Estat, & aux
assaires presentes du Royaume, &c. C’est pourquoy il auoit
ordre du Roy de leur interdire l’entrée de ses Conseils, jusques
à ce qu’ils eussent rapporté toutes leurs deliberations
pour estre lacerées & biffées en leur presence.

Les Maistres des Requestes moins estonnez qu’auparauant
de ce mauuais traittement, qui fut encore suiuy de quelques

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paroles aigres de la Reine qui leur dit, que c’estoient de
belles gens pour s’opposer aux volontez du Roy son sils ; Ne
laisserent pas de poursuiure leur premier dessein, & d’entrer
dés le lendemain Vendredy matin dans la grand’Chambre
au nombre de quatre suiuant leur priuilege, pour demander
acte au Parlement toutes les Chambres assemblées, de l’opposition
qu’ils formoient à la verification de l’Edict de creation
de douze Maistres des Requestes nouueaux, & à l’execution
de l’Arrest de verification qu’on disoit y auoir ; Alleguans
pour moyen, que le Roy ne pouuoit créer d’Officiers
dans les Compagnies Souueraines pendant sa Minorité ; Surquoy
le Parlement leur donna acte de leur opposition qui seroit
jugée les Chambres assemblées ; Ce qui estourdit tellement
les Ministres d’Estat, & les autheurs de toutes ces nouueautez
oppressantes, qu’on les restablit le Mercredy 8. Iuillet
1648.

 

Ces Messieurs non contens d’vne victoire si glorieuse pour
eux, & si infame pour les chercheurs d’argent de peuple, en
voulurent encore vne confession publique, & contraignirent
les Partisans de leur persecution, de deffaire par vn Edict honteux
ce qu’ils auoient entrepris par vne patente injuste & violente ;
Lequel fut publié & verifié au Parlement le Roy y
seant en son lict de Iustice le 31. Iuillet ensuiuant ; Et ce auec
des Eloges d’autant plus indignes d’vn Souuerain, & de ceux
qui le conseillent, qu’ils sont donnez à des Officiers qui se seroient
contentez de moins ; qui est veritablement prostituer
l’authorité Royale, & la rendre contemptible entierement ;
Voicy comme ils sont conceus dans l’article 13. de cette Declaration
deplorable ; La necessité de nos affaires nous ayant obligé
cy-deuant de faire plusieurs creations d’Offices, entre autres de Maistres
des Requestes de nostre Hostel ; Ayant consideré les seruices qui nous
ont estez rendus par lesdits Maistres des Requestes de nostre Hostel
en diuerses occasions importantes, dont nous auons vne satisfaction
singuliere joint le grand nombre d’Officiers qui y sont à present ; Nous
auons iugé à propos, ayans esgard aux instances qui nous en ont esté
faites, de supprimer lesdits offices de Maistres des Requestes créez

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par nostre Edict du mois de Decembre dernier ; Et à cette fin nous auons
reuoqué & reuoquons ledit Edict de creation de douze Maistres des
Requestes ; Verifié nous y seant en nostre lict de Iustice, & iceux Officiers
auons supprimé & supprimons, sans qu’en consequence dudit
Edict il y puisse estre cy-apres pourueu. Voila comme on desaduouë
publiquement & solemnellement, ce qui se fait dans le
Cabinet des Partisans auec trop d’imprudence & de temerité,
& comme on louë par des actes eternels & authentiques,
ceux qu’on traittoit de belles gens, & de peu de consideration
en discours familiers. O jeune Roy ! quand serez-vous
mieux seruy, & plus fidellement conseillé.

 

Toute la France sçait, & se mocque que ce mesme Conseil
ayant interdit le Parlement de Bourdeaux en l’an 1650.
& que voulant en faire autant de celuy de Thoulouse, il en
demeura aussi sot, & aussi peu satisfait, que ses parchemins
bien seellés & mal executez ont esté peu reuerez & peu reconnus ;
Puis que ces patentes n’ont seruy qu’à faire voir
que ces Ministres interessez sont assez imprudens pour entreprendre
toutes sortes de choses, & assez lasches & assez
foibles pour n’en pouuoir executer aucune, qui est pecher
contre les maximes & les principes du mestier qu’ils font, &
dont ils s’acquittent si mal. Et pour monstrer que ie ne parle
ny par ignorance, ny par passion, il faut pour ma justification,
& la conuiction de ces dangereux Politiques, que ie rapporte
fidellement les propres termes des Remonstrances que le
Parlement de Bourdeaux fit au Roy, & à la Reyne Regente
le 3. Septembre 1650. imprimées chez Bessin à Paris 1650.
pag. 8. & 15. touchant cette interdiction pretenduë, Les voicy
sans desguisement quelconque.

Monsieur le Chancelier ayant accordée & seellée l’interdiction du
Parlement de Bourdeaux en l’an 1650. par l’ordre du Mazarin, duquel
il n’est que l’Officier & le Ministre ; il seella encore vne Declaration
en blanc au nom du Roy, dattée d’vn iour apres l’interdiction,
portant reuocation pour vne partie des Officiers du Parlement, qui fut
remplie par le Duc d’Espernon dans Bourdeaux mesme du nom de ceux
qui luy estoient le moins odieux. Cet Ouurage de diuer ses mains, escrit

-- 20 --

de diuerses lettres, en deux diuers endroits du Royaume si esloignez
l’vn de l’autre, fut signifié le lendemain de l’interdiction par les
Huissiers à la Chaisne qu’il auoit enuoyez, & remis és mains du Procureur
General de ce Parlement. Et vostre Maiesté peut iuger par la
liaison de ces artifices si grossiers, auec quel mespris de l’authorité Royale,
& auec quelle iniure de la dignité de vostre Regence on a publiquement
fabriqué vn crime de faux au Seau, & auec quel abandonnement
on a prostitué l’Image du Roy, pour satisfaire à la fureur & à la
vengeance d’vn particulier, contre les droits & les Priuileges d’vne
Compagnie Souueraine. Et sept ou huict pages apres. Monsieur le
Cardinal s’est fait expedier au Seau, qu’il change de main quand il
veut, vne Declaration de Generalissime de France, & a fait fermer
ce Seau depuis six mois pour les expeditions des offices de cette Compagnie,
qui est vn nouueau genre d’iniustice. Et contre les anciennes Ordonnances,
& les termes exprés de la Declaration de Decembre 1649.
fait expedier incessamment des Euocations generales en faueur de
ceux qui ont commis des cas execrables dans la Prouince, pendant ces
mouuemens, auec des termes infamans contre l’honneur de la Compagnie
qui demeure chargée d’opprobres, & priuée de sa Iurisdiction
par des tiltres où vostre Seau est appliqué, & par l’exemption qui est
accordée à ces coupables, &c.

 

Ce n’est pas d’aujourd’huy que les Adorateurs des fauoris,
& les fauteurs de la maltote & des partisans se seruent
de ces remedes iniustes & violens, mais nous sçauons aussi
que ceux qui en connoissent le foible & l’iniquité en font si
peu d’Estat, qu’ils n’ont iamais esté publiez & signifiez, que
pour estre cassez & reiettez presque au moment de leur naissance.
Les Registres du Parlement nous apprennent, que le
Conseil d’Estat ayant donné vn Arrest à Fontaine-Bleau le
18. Septembre 1578. par lequel les Greffiers & les quatre
Notaires de la Cour estoient inter dits de leurs Charges, faute
d’auoir par eux payé les taxes nouuelles esquelles ils
estoient cottisez ; La Cour par son Arrest du 23. Octobre ensuiuant,
leue ladite interdiction, & enjoint aux Greffiers &
quatre Notaires d’icelle de signer toutes les expeditions,
nonobstant l’interdiction à eux faite en vertu de l’Arrest dudit

-- 21 --

Conseil, ce qu’ils firent sans se mettre en peine dauantage.

 

Comme si les Ministres d’Estat auoient fait vœu de ne iamais
commettre que des iniustices, & de ne pas deuenir sages
à leurs propres despens en corrigeant leurs fautes passées ;
sans considerer que tant d’interdictions temeraires &
inutiles ne sont que des marques de leur foiblesse, & de leur
imprudence, ils sont encore si opiniastres & si aueuglez
dans leur erreur, qu’ils font imprimer vne interdiction nouuelle
du Parlement de Paris à Pontoise le dernier iour de
Iuillet 1652. Et parce que les Colporteurs l’ont debitée secrettement
& comme en cachette pour en tirer quelque
douzains, il importe de desabuser les lecteurs de cette Gazette,
pour leur faire connoistre le peu de fondement de
cet escrit, & les nullitez & les precipitations qui s’y rencontrent,
si tant est que quelque mauuais François, ou quelque
traistre à sa Patrie y voulut adiouster la moindre creance, &
luy donner quelque rang parmy les actes publics de nos
Registres approuuez.

Cette Pancarte qui contient douze grandes pages, exposée
dãs les trois dernieres sous le nom d’vn Roy de quatorze
ans, tres-mal informé, & encore plus mal conseillé ; Que
l’authorité violente que les rebelles ont vsurpée dans nostre ville de Paris,
n’a laissé aucune liberté à nostre Parlement, nous auons transferé
& transferons par ces presentes nostredite Cour de Parlement de Paris
en nostre ville de Pontoise, où nous voulons & entendons, que tous les
Presidens, Conseillers, nos Aduocats, & Procureur general, Greffiers,
Notaires & Secretaires, Huissiers, Aduocats, Procureurs & autres
officiers & supposts d’icelle, ayent à s’y rendre incessamment pour
y faire la fonction de leurs Charges, &c. Et cependant iusques à ce
qu’ils ayent satisfait à nostre commandement, nous leur auons interdit
& interdisons toutes fonctions & exercices de leursdites Charges,
à peine de faux, & d’estre procedé contre ceux qui auront refusé d’obeir
comme contre des rebelles & desobeissans, selon la rigueur de nos Ordonnances.
Auons fait & faisons tres-expresses inhibitions & deffenses
à tous nos suiets de quelque qualité & condition qu’ils soient, de

-- 22 --

se pouruoir à l’aduenir pardeuant eux ny ailleurs, que pardeuant les
gens de ladite Cour qui se trouueront assemblez en ladite ville de Pontoise,
le tout à peine de nullité des iugemens, & de desobeissance, &
d’estre les contreuenans declarez criminels de leze Maiesté, &c. Si
donnons en mandement à nos amez & feaux les Presidens & Conseillers
de nostre Parlement estant de present en nostredite ville de Paris,
qu’ils ayent à cesser toutes deliberations apres la lecture des presentes,
& à se rendre incessamment pres de nostre personne en nostre ville de
Pontoise, pour y estre les presentes leuës, publiées en nostre presence,
& registrées par ceux des Presidens & Conseillers de nostredite Cour
qui s’y trouueront assemblez, pour estre le contenu en icelles executé selon
leur forme & teneur, &c. Donné à Pontoise le dernier iour de
Iuillet 1652. Signé LOVIS, & plus bas par le Roy, De Guenegaud,
seellé du grand Sceau de cire iaune.

 

En suite de cette pretenduë Declaration, est imprimé l’acte
qui s’ensuit ; Ce iourd’huy 6. du mois d’Aoust 1652. Le Roy estant
dans son Chasteau de Pontoise, les presentes Lettres ont esté leuës &
publiées de l’Ordonnance de sa Maiesté en sa presence, celle de la Reine
sa Mere, &c. Et des Presidens & Conseillers de sa Cour de Parlement
de Paris transferé à Pontoise, mandez pour cet effet ; Moy Conseiller
de sa Maiesté en son Conseil d’Estat, & Secretaire de ses commandemens
present.

Signé, DE GVENEGAVD.

Apres cet Acte en suit vn autre que voicy ; Auiourd’huy 7.
Aoust 1652. la presente Declaration & translation du Parlement de
Paris à Pontoise, a esté Registrée au Greffe dudit Parlement tenu à
Pontoise les Chambres assemblées suiuant l’Arrest de ce jour.

Extrait des Registres de Parlement.

Ce iour la Cour les Chambres assemblées, le Procureur general du
Roy est entré en la Cour, & a porté les Lettres patentes en forme de Declaration,
signées LOVIS, & plus bas par le Roy, DE GVENEGAVD,
&c. Veu lesdites Lettres par lesquelles, & pour les considerations
y contenuës, sa Majesté de l’aduis de son Conseil, &c. Veu aussi
l’acte de la lecture & publication faite de sdites Lettres dans le Chasteau
de Pontoise en presence du Roy, de la Reine, &c. & des sieurs Presidens
& Conseillers de ladite Cour de Parlement de Paris transferé à

-- 23 --

Pontoise, mandez pour cet effet, &c. Conclusions du Procureur general
du Roy : Tout consideré ; LADITE COVR a ordonné & ordonne
que lesdites Lettres seront Registrées, &c. & qu’il sera donné
aduis du present Arrest aux autres Parlemens, & enuoyé autant de
ladite Declaration & Translation. Fait en Parlement les Chambres
assemblées, tenu à Pontoise le 7. Aoust 1652. Signé RADIGVES.

 

Examinons maintenant les impostures, les faussetez, les
nullitez, les impertinences, & les impossibilitez de cette pretenduë
Declaration, & des actes & Arrest qui l’accompagnent.

L’imposture y est visible & manifeste, en ce que l’on qualifie
de rebelles son Altesse Royale, & les Princes du Sang
qui souhaittent & conuient le Roy de retourner tous les
jours dans sa bonne ville de Paris, où ils l’attendent auec
obeïssance & fidelité ; d’adjouster que ces Messieurs n’ont
laissé aucune liberté au Parlement qui ne se plaint point,
c’est vne imposture publique entassée sur vne autre aussi noire
& aussi connuë, puis qu’on void le contraire tous les jours,
& que les vns & les autres sont vnis & associez dans la Cour
des Pairs, & le lieu de leurs Majeurs, pour chercher les
moyens de reünir la Maison Royale, d’esloigner les Estrangers
qui causent cette diuision, & qui tiennent le Roy en
captiuité pour la fomenter, & abuser de son ieune aage & de
son authorité ; & finalement rendre le repos & la tranquillité
aux suiets de sa Maiesté, que des Ministres illegitimes &
reprouuez par les Loix fondamentales de l’Estat, leur rauissent
& leur desrobent.

La fausseté de cette Patente est toute apparente en l’acte
du 7. Aoust, signé DE GVENEGAVD, Portant que cette
Declaration d’interdiction a esté leuë ce mesme iour de
l’Ordonnance de sa Maiesté en presence des Presidens &
Conseillers de sa Cour de Parlement de Paris transferé à
Pontoise, mandez pour cet effet ; sans se souuenir qu’ils ont exposé
par vn motif de douleur dans cette mesme Declaration,
en la page 6. & 9. que l’effort que les rebelles qui sont à Paris
firent le 25. Iuin auparauant aux aduenuës du Palais où se

-- 24 --

rend la Iustice, contre ceux des Officiers de nostre Parlement
qui n’auoient pas aueuglément suiuy toutes leurs passions,
& les mauuais traittemens qu’ils receurent en sortant
de ce lieu venerable, &c. auec la violence qui se commit en
l’Hostel de Ville, le 4. Iuillet ensuiuant, qui donne de l’horreur
à tous ceux qui en entendent le recit, auec des menaces
& voyes de fait, obligea le Gouuerneur, le Preuost des Marchands,
le Lieutenant Ciuil, & grand nombre de nos autres
principaux Officiers & seruiteurs (qui sont les Presidens &
Conseillers qui sont à Pontoise depuis ce temps-là) à sortir
de ladite Ville pour en demeurer les maistres, &c.

 

Outre cette Patente faite à plaisir, nous auons encore la
response par escrit que le Roy fit aux six Corps des Marchands
de Paris, à Pontoise le 1. Octobre 1652. signée Lovis,
& plus bas, DE GVENEGAVD, laquelle porte en termes
expres sur la fin ; Qu’il est necessaire auant que le Roy retourne à
Paris, que le Gouuerneur & les Magistrats qui ont esté cy-deuant chassez
de ladite Ville, y soient restablis pour y faire en toute seureté la
fonction de leurs Charges ; & qu’en mesme temps le Preuost des Marchands,
& les deux Escheuins qui ont esté depossedez, &c. soient continuez
en leurs Charges, &c. Estant à remarquer pour vne intelligence
plus grande, qu’il distingue icy les Officiers du
Parlement d’auec ceux de l’Hostel de Ville, & partant la
fausseté susdite doublement confirmée.

S’il est vray, comme il n’en faut pas douter, & comme cette
mesme Declaration le tesmoigne, & la response du Roy
sus-alleguée, que les Presidens & Conseillers qui sont à Pontoise
s’y sont rendus fugitifs dés le 5. Iuin dernier qu’ils sortirent
de Paris à l’inconnu, il est faux d’escrire dans vn acte
signé par vn Secretaire d’Estat, qu’ils y ont esté mandez exprés,
le 6. Aoust ensuiuant, pour y tenir vn Parlement auquel
on n’a pensé que deux mois apres, & que l’on n’a basty
que sur leur presence & leur infidelité ; Ces veritez sont de
fait & de notorieté publique, & ne faut pas plus de preuues
ny de Philosophie dauantage pour les persuader aux enfans
mesmes.

-- 25 --

Les nullitez de cette piece sont euidentes, en ce qu’elle
est contraire aux loix fondamentales de l’Estat, & la nature
du Parlement qui est se dentaire & immuable, & que n’estant
point verifiée en quelque part que ce soit, elle ne peut auoir
d’effet ny de vigueur, comme Monsieur le premier President
fit entendre à Monsieur le Duc d’Orleans à Ruel dans
la Conference du 11. Mars 1649. luy soustenant & à tous les
Ministres, que la puissance des Rois est bornée aux Ordonnances
& Loix du Royaume qui desirent cette verification,
comme nous auons desia remarqué cy-deuant ; Et si la verité
est tousiours vne, ie ne puis comprendre comme vn mesme
Magistrat si intelligent & si penetrant pourra parler d’vne
sorte comme premier President, & d’vne autre comme
Garde des Sceaux & Ministre d’Estat ; encore veritablement
qu’il tesmoigne assez qu’il ne croit point le Parlement
qui est à Paris interdit, puis qu’il luy addresse les Patentes
qu’il seelle & qui luy appartiennent, comme il a fait les prouisions
du sieur Portelot Procureur de la Cour, données &
seellées à Compiegne le 13. Septembre 1652. qui eut Arrest
de reception le Samedy 28. du mesme mois & an ; outre
qu’en France on n’interdit, & ne priue-on iamais aucun Officier
que pour crime & pour forfaiture prouuée & iugée ;
A plus forte raison deux cens tout à la fois, sans plaintes,
sans delict, sans procedure, sans conuiction, sans condemnation,
& sans connoissance de cause, & ce par des personnes
coupables & sans pouuoir, comme si vn criminel pouuoit
condamner son Iuge crainte qu’il ne luy fit son procez
ces faux freres de Pontoise estans coupables de droit & de
fait. Et ne sçais comment des Magistrats, si Magistrats peuuent
estre appellez, qui ont auec toutes les Chambres assemblées
au lieu de leurs Majeurs, iugé & condamné dans
les formes ordinaires le Mazarin, & le banny du Royaume,
peuuent puis apres verifier vne abolition pour luy qui les accuse
d’iniustice & de violence ; c’est souffler le chaud & le
froid d’vne mesme bouche, faire & deffaire, absoudre &
condamner en mesme temps, ce qui ne s’est pû faire que les

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mesmes Chambres assemblées, autrement vne seule du Parlement
rebelle & desaduoüée, auroit plus de pouuoir seule
que toutes les autres ensemble, & pourroit reformer en
son paticulier, ce qu’elle auroit conclu & arresté auec le
general, qui est vne temerité inoüye & punissable.

 

Pour les impertinences de cette translation sacrilege, elles
se voyent par les contes faits à plaisir qui la remplissent,
& par les actes qui la suiuent, où le Prestre Martin chante
& respond ; on la lict, on la concerte, & on la publie deuant
le Roy en presence des Presidens & Conseillers suiuans la
Cour & le Mazarin, & six iours apres ces mesmes Presidens
& Conseillers se retirans de dans leur grange pour faire vn
Parlement, la verifient pour plaire à leur criminel, & se rendre
la honte & l’opprobre des gens de bien ; & douze Conseillers
qui violent leur serment, & qui renoncent à l’honneur
de leur dignité, sans sçauoir où s’asseoir ny où se retirer,
sans Greffiers, sans Huissiers, sans Procureurs, sans Aduocats,
sans parties mesme, & sans Officiers, donnent vn
Arrest les Chambres assemblées dans vn meschant Auditoire
qui n’en a qu’vne, & où ils ne sont pas nombre pour en
composer vne comme ils font & doiuent faire à Paris, où ils
sont trente tout au moins.

Quant aux impossibilitez, elles se voyent en lisant, & la
Patente & les Actes qui sont en suite, en ce qu’on ordonne
le dernier Iuillet au Parlement de Paris, qui est composé de
deux ou trois mille Officiers de se rendre à Pontoise dedans
trois jours, puisque le 6. Aoust ensuiuant on enregistre sa
translation imaginaire, & que toute cette ville qui est trop
petite pour loger la seule Maison du Roy, n’est pas capable
ny suffisante d’y donner le couuert seulement au Parlement
de Paris & à sa suite, quand le Roy mesme en sortiroit & tous
ses habitans. Tesmoins douze ou quinze qui y sont sans suite
& sans Officiers, que l’on desloge tous les jours, & que l’on
chasse de la ville sans auoir esgard à leur grand zele, quoy
qu’indiscret, ce dessein n’estant pas moins inepte ny moins
ridicule que seroit celuy de vouloir mettre Paris dedans

-- 27 --

Corbeil, & son Archeuesché à Vaugirard. C’est pourquoy
il ne faut pas trouuer estrange si ce grand Senat qui n’est pas
fait comme vn Regiment de Carabins, ne quitte pas facilement
le lieu de ses Majeurs, le Temple de la Iustice, & le
Throsne de nos Rois qui ne peut estre sujet aux inconstances
de la Cour ny aux desreglemens de ceux qui n’en connoissent
point la grandeur ny la Majesté, pour trotter &
pour courir apres vn Mazarin qui n’a point de retraite : Et si
se seruant de sa prudence & de son authorité ordinaire, il a
donné Arrest toutes les Chambres assemblées, le 9. Aoust
1652. Sur ce qui luy fut representé, que depuis quelques jours treize
ou quatorze, tant Presidens que Conseillers de ladite Cour, se sont retirez
de cette Ville, & allé en celle de Pontoise, où sous faux pretexte
& contre le deuoir de leurs Charges, ils ont fait vne assemblée & pretendu
establissement du Parlement dans l’Auditoire dudit lieu, dans
lequel ils s’ingerent de donner des Iugemens par vne forme extraordinaire,
& entreprise sans exemple sur la Iustice souueraine de sa Majesté,
au preiudice de son authorité, & de l’honneur du Parlement. Oüy
sur ce Bechefert Substitut pour le Procureur general du Roy ; Ladite
Cour a cassé ledit pretendu establissement, l’a declaré & declare nul
& illegitime, comme fait par gens sans pouuoir, & contraire aux
Loix fondamentales de l’Estat, aux Ordonnances du Royaume, repos
& tranquillité publique ; leur fait tres-expresses inhibitions &
deffenses de s’assembler ny donner aucuns Iugemens à peine de faux ;
& à tous les Officiers & sujets du Roy de les reconnoistre, & de se pouruoir
pardeuant eux en quelque sorte & maniere que ce soit. Enioint
à tous les Iuges du ressort d’enuoyer les procez en ladite Cour, ainsi
qu’il est accoustumé, à peine de respondre des dommages & interests
des parties : Et sera le present Arrest leu, publié & affiché par tous
les carrefours de cette Ville & Faux-bourgs, & enuoyé à tous les Bailliages
& Sieges Presidiaux, & autres du ressort, pour estre pareillement
leu, publié, gardé & executé, & donné aduis d’iceluy & de l’entreprise
aux autres Parlements. Fait en Parlement le 9. Aoust 1652.
Signé, DV TILLET.

 

Ces entreprises & ces coups de passion de tant de Ministres
Estrangers qui abusent de la facilité d’vn Roy de quatorze

-- 28 --

ans, & qui ignorent les maximes & les Loix fondamentales
de nostre Monarchie, me font souuenir de ce qui
arriua à Rome dés le commencement de sa fondation, entre
Romulus & le Senat qu’il institua pour se maintenir, & conseruer
la Majesté qu’il se preparoit. Ce Prince immortel à
qui toutes choses portoient ombrage, n’eut pas formé cette
Compagnie souueraine & Politique, qu’il en deuint jaloux
& ne pouuoit plus la souffrir ; ces grands Magistrats qui l’auoient
receu & reconnu pour Prince, suiuant les Loix establies
& approuuées, vouloient joüir de leurs droits & de leur
authorité dans la connoissance & le gouuernement de la
chose publique qui les regardoit : Romulus au contraire
pretendoit faire des esclaues de ceux qu’il auoit choisi pour
Ministres de l’Empire qu’il bastissoit ; Le Senat qui auoit esté
institué pour ayder le Prince ne pouuoit souffrir ce mespris
ny cette tyrannie ; si bien que le Souuerain qui deuoit le
maintenir, tascha de le ruiner & de l’abolir, sans pouuoir
neantmoins en venir à bout.

 

Le Parlement de Paris est bien en plus forts termes, il n’est
point en sa naissance comme le Senat de Rome, il y a tantost
treize siecles qu’il est reconnu de nos Rois, & qu’ils en font
le lict de leur Iustice, & le Throsne & le fondement de leur
Estat ; Les Histoires Estrangeres aussi bien que les nostres, remarquent
que sans ces colomnes inesbranlables le Royaume
auroit changé de trente sortes de Seigneurs, & d’autant de
mains differentes, & sans aller plus loing, c’est luy seul qui
sans armée & sans bataille a conserué la Couronne à nostre
jeune Roy, empeschant comme il fit par son Arrest, qu’on
ne l’osta à Henry IV. son Ayeul, la veille que les Ligueurs
en deuoient eslire vn autre.

Les Loix fondamentales de l’Estat sont tousiours plus
fortes & plus inuiolables en leur fin qu’en leur commencement,
la possession les affermit, l’vsage les rend irreuocables.
Les fondemens ne s’enleuent point sans remuer la superficie,
& l’effet d’vne bonne cause ne se peut changer ny
alterer qu’auec sa cause mesme ; quand on fera vn nouuel

-- 29 --

Estat (dequoy Dieu nous preserue) on fera des Loix nouuelles,
& vn establissement nouueau, tel qu’on le trouuera à
propos ; nous en auons vn solide & fauorable, il faut s’y arrester.
Il y a treize cens ans que nostre Monarchie subsiste, il
y a tout autant que le Parlement de Paris est reconnu pour
celuy qui la maintient, soixante-six Rois l’ont tousiours regardé
pour la baze & la source de leur Iustice & de leur authorité,
c’est pour quoy il ne peut receuoir aujourd’huy d’alteration
ny de changement qu’auec vn bouleuersement general
de l’Estat, puis qu’il en est la Regle & le Conseruateur.

 

S’il y auoit soustraction d’obeïssance, comme autrefois
sous Charles VII. & de nos jours sous Henry IV. vn Roy
legitime & reconnu pourroit l’appeller & le transferer aupres
de soy pour l’arracher d’entre les mains de l’vsurpateur
qui seroit Maistre de Paris, & l’approcher de sa personne
pour appuyer son authorité, & se seruir de ses Conseils ; en
quoy il seroit assez fidelle & assez affectionné pour s’y rendre
de soy mesme. Mais au contraire, nous auons de dans la
Capitale tous les Princes du Sang, deux cens Senateurs &
les Compagnies Souueraines de la Ville qui ne demandent
que la presence du Roy, qui luy enuoyent des Deputez de
jour en jour pour le supplier de retourner dedans sa bonne
ville de Paris, qui donnent à tous momens des Arrests & des
imprecations contre ceux qui le tiennent esloigné, & qui
luy preschent la haine & l’auersion de ses plus veritables &
plus fide les sujets ; Et parce que ce nombre infiny de gens de
bien ne peut adherer à la malice & à la perfidie de cinq ou six
Estrangers qui sont Maistres, & de la personne sacrée de sa
Majesté, & de toute son authorité ; Il faut placer le Cardinal
Mazarin estranger & banny de cet Estat dessus le Throsne
de nostre Roy, & luy donner pour assesseurs vn Roy
d’Angleterre qui ne sçait faire que des mal-heureux, auec
trois de ses Milords qui luy ont fait perdre trois Couronnes,
le Prince Thomas qui est pensionnaire du Roy d’Espagne &
l’ennemy iuré de la France, & vn miserable Italien Zongo
Onde dei, qui est l’image & l’espion du Mazarin chassé des

-- 30 --

Conseils de la France, & qui neantmoins y peut tout & y
fait tout, encore qu’il en soit reconnu le Tyran & le destructeur
abominable.

 

Et pour comble d’iniustice & de desordre, on donne le
nom de Parlement de Pontoise à trois Presidens, & dix ou
douze Conseillers que l’on a chassez de Paris à cause qu’ils y
trahissoient le Roy pour soustenir le Mazarin ; & on inter dit
deux cens Senateurs incorruptibles & inuiolables, qui maintiennent
& qui conseruent l’authorité Royale, & qui ne
peuuent souffrir qu’on renuerse l’Estat, qu’on mette le
Royaume en proye ny qu’on abuse plus long-temps du nom,
de la personne, & de l’authorité de sa Majesté. Ces faux freres,
& ces Ministres infideles n’ont qu’vn jeune Roy enleué
& mal-heureusement trompé, & ceux qui conseruent le
Temple de la Iustice, la Capitale du Royaume, & le Throsne
de sa Majesté, ont la Royauté toute entiere, & le lieu &
le caractere de son authorité legitime ; l’vn est immortel, &
l’autre ne l’est point ; on abuse vn enfant de quatorze ans qui
n’entendit iamais de verité, & on ne peut surprendre vne
sagesse ancienne, & des Loix qui n’ont point erré depuis
treize cens ans. Vn grand Aduocat general du Parlement
de Paris, rendant au Roy Henry IV. les graces qu’il deuoit,
dit en la page 34. de son Remerciement, Que c’est ce Royaume
de qui l’Estat n’a iamais changé, & de qui les Loix fondamentales
sont encore en vigueur & en honneur, comme elles estoient dés sa naissance ;
on en veut dire de mesme aujourd’huy.

Nous n’ignorons point que pendant que les Anglois se
rendirent maistres de Paris depuis le 29. May 1417. iusques
au 13. Avril 1436. le Dauphin de France qui fut apres Charles
VII. s’estant declaré Regent du Royaume pour la maladie
de Charles VI. son pere, establit vn Parlement pendant
ce temps-là à Poictiers, composé des Presidens & Conseillers
qui s’estoient retirez de Paris, lequel y fut remis le 1.
Decembre 1436. & reüny à ceux qui y estoient restez, apres
neantmoins que ceux-cy eurent renouuellé le serment de
fidelité au Roy ; dequoy ne peuuent pas se dispenser ceux

-- 31 --

qui sont à Pontoise, si on leur fait iamais cette grace & cet
honneur, pour auoir faussé celuy qu’ils doiuent à sa Majesté,
à son lict de Iustice, & à la dignité de leurs Charges, pour
suiure vn proscrit, & se prostituer à celuy-là mesme qu’ils
ont condamné par leurs Arrests.

 

Nos Peres ont veu pendant la Ligue, le Parlement de Paris
qui suiuoit le party du Roy se retirer à Tours en l’an 1590.
parce qu’il appuyoit la Loy Salique, qui est fondamentale en
cet Estat, & non pas ceux qui vouloient la corrompre & la
violer, comme font les traistres & les perfides qui sont à la
suite du Mazarin & de sa fortune aueugle & insolente.

Ceux qui ont parlé du Parlement, qu’vne mauuaise Regente
& vn meschant fauory voulurent establir à Amiens
enuiron l’an 1400. remarquent que les Ministres qui par
voyes obliques ont aspiré à la Royauté, ou ont voulu troubler
l’Estat, diuiser & partialiser les sujets du Roy, ont toûjours
creu ne le pouuoir faire sans l’authorité des Parlemens ;
Et n’en pouuans auoir de leur costé, en ont estably
dans les lieux où ils auoient toute-puissance ; Ce que Monstrelet
tesmoigne escriuant, Que Iean Duc de Bourgogne
ayant esté chassé de la ville de Paris (& non si honteusement
que le Mazarin) & de la presence du Roy Charles VI. de
l’authorité duquel il se targuoit pour fauoriser son entreprise
contre la Maison d’Orleans, s’empara puis apres de plusieurs
Villes, comme d’Amiens, Senlis, Montdidier, Pontoise,
Corbeil, Chartres, Tours, Mente, Meulan, Beauuais
& autres ; & tout d’vne suite s’estant joint & vny auec la
Reine Isabelle, il enuoya Philippe de Moruilliers dedans
Amiens accompagné de quelques personnages notables, &
d’vn Greffier, pour y faire sous le nom de la Reine vne Cour
Souueraine de Iustice, au lieu du Parlement de Paris.

Il est assez facile d’appliquer ce desordre & cette rebellion,
aux bouleuersemens & confusions que le Cardinal Mazarin
suscite tous les iours à la ruine & à la desolation de l’Estat,
ne sçachant imiter que les Tyrans qui l’ont precedé, &
les maximes que nos Loix rejettent, & que nos Ordonnances

-- 32 --

condamnent. Et le projet que cét ignorant & malheureux
Ministre fait de transferer dans Orleans les parjures & les sacrileges
qui l’ont suiuy auec vn nom de Parlement qu’ils prostituent
& qui ne leur appartient point, confirme de plus en
plus sa mauuaise conduite, & le peu de capacité qu’il a de
pouuoir gouuerner vn Royaume duquel il ne sçait & ne connoist
l’vsage, les regles, ny les Loix, puis qu’il est constant
entre nous, comme remarque Choppin, en son traitté du
Domaine de la Couronne de France, liu. 2. tit. 15. num. 11.
Que le Parlement ne peut estre tenu dedans les terres & Seigneuries
baillées en Apanage, de peur qu’elles ne semblent par ce moyen emporter
les marques de Souueraineté, & qu’en cette façon la Couronne soit demembrée
& despecée ; Ce qu’il confirme par l’exemple de Louys XI. qui
baillant à Titre d’Apanage à Charles son frere le Duché de Guyenne en
l’an 1469. Le Parlement de Bourdeaux en fut soudain transferé à
Poictiers, & y demeura l’espace de trois ans, tant que vescut Charles
Duc de Guyenne Apanager. Ainsi la Cour de Parlement de Paris ne
trouuant pas bon, de ce que François I. delaissa à Henry son fils la joüissance
de la Bretagne, auec le Parlement & la Chancellerie dudit païs,
par lettres du 9. Fevrier 1540. parce que les verifiant elle y adjoûta
cette clause, sans approbation des qualitez du Parlement & Chancellerie
de Bretagne qui n’appartient qu’au Roy & à ses Officiers, par Arrest
du 19. Avril 1540. Parce, dit Maistre Charles du Moulin, tit.
1. de mater. feod. § 2. gloss. 4. in Verbo, serment de feauté, num.
17. que ; Rex non potest in aliquo priuari jurisdictione Regia, quam
debet in offensum, quia formalis virtus Regis est jurisdictio, quæ prorsus
de se est inabdicalis à Rege manente Rege, nec est separabilis à Regia
dignitate, siue sui veluti subjecti corruptione. Igitur sicut non potest
Rex diuidere, nec corrumpere Regnum, ita nec aliquem de Regno
à sua jurisdictione eximere, nec abdicare totam administrationem jurisdictionis
seu potestatis Regiæ, etiam quoad aliquem locum, vel ad
aliquam personam Regni.

 

-- 33 --

SECTION III.

Que la puissance Royale en France a ses bornes, & son temperament,
aussi bien que sa Iustice, & ses Ordonnances.

Qvand tous les Politiques, & tous les flatteurs des Rois
& Chrestiens, & Payens, disent que les Souuerains
sont les Lieutenans de Dieu en terre, qu’ils sont son
Image visible & naturelle, & qu’il n’y a rien icy bas qui represente
plus naïfuement la Diuinité que la puissance Royale,
qui est leur jargon & leur chançon ordinaire ; Il ne faut pas
estaller cette vieille phrase, & cette ancienne cajollerie, pour
establir leur puissance Souueraine simplement & sans distinction
quelconque, mais la iuste & la legitime seulement, puis
qu’autrement ils n’ont plus rien de semblable à Dieu, qui n’est
tel que par sa Iustice incorruptible & tousiours esgale sans exception
de personnes, & pour l’amour incompatible & le soin
paternel qu’il a des hommes, de leur salut, & de leur conseruation.
Si bien que les Rois, ou ces prototipes de cette source
de grandeur qui abusent du pouuoir emprunté de ses perfections,
ne representent plus son amour ny sa Diuinité, mais
l’ennemy de ses vertus & de ses bontez, qu’il est le Demon, lequel
n’a de puissance que pour en abuser, ny d’authorité que
pour oppresser ceux que Dieu veut punir, ou esprouuer.

Dauid Cythræus, tout Huguenot qu’il estoit, parlant de ces
Lieutenans de Dieu en terre, des qualitez qui peuuent leur
acquerir ce tiltre, & leur donner cette gloire, dit en sa Preface
de la methode de lire l’Histoire qu’il desdie à Iule Duc de
Brunsvic, que ; Tales Principes eximia & singularia Dei dona sunt,
qui non modo ordinem Politicum per se se instituit & seruat, verum
etiam personas salutarium & felicium Gubernatorum, qui velut imagines
& Vicarij Dei in terris, sapienter iustè, & feliciter respublicus
administrant & ornant, ipse excitat, adjuuat, & defendit ; Gubernatio
enim rerum publicarum est in manu Dei, qui dat bonos Magistratus ;

-- 34 --

Tous les plus sages & les plus reuerez de l’antiquité reglans
ces Images de la Diuinité où tous les Princes aspirent,
disent que ; Bonus Princeps est Imago Dei regentis & exornantis,
cum se ipsum similem Deo cultura reddit ; Est enim bonus Princeps, Minister
& Vicarius Dei in terris, vt iuxta normam legis Dei, & alias
suæ Reipublicæ leges honestas, regat subditorum mores ; Officium vero
& opus Principis proprium est, legum custodia, & executio seuera ; Legum
vero finis est Iustitia.

 

Dieu mesme qui ne peut faillir, & duquel les Anges &
les Rois releuent, n’agit & ne gouuerne les choses inferieures
que pour leur propre vtilité, & iamais pour la sienne ; C’est
pourquoy ce seroit vne espece de prodige, que ceux qui n’ont
point d’autre droit pour estre obeïs, que d’estre les Images
visibles de ce Roy des Rois, se voulussent persuader qu’ils
sont plus independans que luy, & qu’il n’y a rien qu’ils ne
puissent & qui ne leur soit permis ; & partant qu’ils se peuuent
impunément ioüer de la vie & du sang des peuples, & que
toute ame est tributaire à leurs passions desreglées, & à celles
des fauoris qui abusent de leur authorité ; Qui est ignorer
qu’il n’y a point d’Empire qui n’ait commencé par l’Election,
comme l’Histoire ancienne, & la nostre mesme l’enseigne
& le confirme ; Pour monstrer que ce ne sont pas
les Rois qui ont fait les peuples, mais les sujets qui ont fait
les Souuerains ausquels ils obeïssent volontairement par
vn amour & vn deuoir reciproque ; Regalem potestatem, populi
naturali perfusi lumine erexerunt, dit vn fameux Theologien ;
Ce qui fait que l’obligation mutuelle de l’vn à l’autre est si
saincte & si estroite, que si la Republique appartient à Cesar,
Cesar appartient beaucoup plus à la Republique ; Ce que le
peuple d’Israël sçeut bien representer à Dauid, luy disant ; Nos
os, & caro tua sumus ; Que le Royaume estant au Roy, le Roy
est aussi au Royaume. Le Saint Esprit mesme enseignant,
qu’il les tire & choisit du milieu de ses freres ; Regem è medio
fratrum tuorum ; & non pas du milieu de ses Serfs & de ses Esclaues,
pour en faire vn Tyran inconstant & desreglé.

Il est vray que les Rois sont absolus & tout puissans dans

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leurs Estats pour ce qui est de l’execution, & non pas de la destruction
de la Loy ; & les bons aiment mieux que l’on dise
qu’ils sont au dessus de leurs passions, qu’au dessus des Loix
qui ne souffrent point d’alteration ; Parce que s’il est auantageux
de pouuoir tout faire, il est encore plus glorieux de
ne vouloir que ce qui est iuste & raisonnable, d’autant dit Platon,
que ; Tyrannicum est dicere Principem legibus esse solutum ;
Ce qui est confirmé par Seneque qui sçauoit mieux que personne
ce que peut, & ce que doit vn Souuerain, disant que ;
Principi cui omnia licent, propter hoc ipsum multa non licent ; Qui
est l’vnique moyen de regner auec toute sorte de puissance
& d’amour, parce qu’il n’y a point d’esprit si rebelle qui ne reuere
vne authorité qui fait que la raison commande, & chacun
regarde auec amour le pouuoir qui ne s’esleue au dessus
de luy que pour le proteger & pour le deffendre.

 

Monsieur Seruin Aduocat General au Parlement de Paris
voulant instruite vn ieune Roy, & luy faire connoistre ce qu’il
estoit & ce qu’il pouuoit, luy dit en la premiere Harangue
qui luy fut faite lors que le Parlement le declara Maieur, le
2. Octobre 1614. seant en son lict de Iustice ; Nous croyons,
Sire, que vostre Majesté ne tiendra point pour gens veritables ceux qui
luy diront, que vostre puissance est si absoluë ; Que vous estes par
dessus les Loix, & que vostre seule volonté doit estre tenuë pour regle.
Il est vray que la puissance Royale, & la vostre mesmement entre
tous les Rois Chrestiens est absoluë ; Mais les Sages Rois ont accoustumé
de dire, & de faire paroistre par bons effets, que le moins vouloir,
est le plus pouuoir, & que C’est vne Loy digne du Prince, de se declarer
lié aux Loix. Et vn peu apres. C’est à vous, Sire, a faire obseruer
vos Ordonnances, car ce n’est rien si elles ne sont executées, n’y ayant
difference entre les Loix nulles, & les incertaines. Ce qu’il semble
auoir tiré de la Rethorique du Gouuerneur d’Alexandre le
Grand, liu. 1. chap. 15. quand il dit que ; Non differt, vel nullas
esse leges, vel non vti ; quia quæ scripta est lex, lex non est, cum legis
opus non faciat ; C’est pourquoy voulant remedier à cét abus il
conclut en ce mesme endroit que ; Probatæ leges id maximè vetant,
ne quis se legibus prudentiorem velit ostendere ; Parce, dit-il,

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au liure 3. de ses Politiques, chapitre 12. que ; Qui legem præesse
iubent, videntur iubere Deum præesse & leges ; Qui autem hominem
iubet præesse, adjungit & bestiam.

 

Les peuples Estrangers loüoient autrefois le Gouuernement
de la France, parce que la puissance Royale, disoient-ils,
y est temperée par l’authorité des Parlemens, lesquels encore
bien qu’ils tirent leur pouuoir de celuy que la Royauté leur
communique, comme les Astres empruntent leur lumiere de
celle du Soleil ; Neantmoins on peut dire que de mesme que
ces Astres ont vne lumiere qui leur est propre à cause que c’est
vne qualité du Ciel ; Les Parlemens aussi, & entre autres celuy
de Paris, à vne authorité naturelle & non participée selon
les Loix fondamentales de la Monarchie ; soit à cause qu’il
à vn establissement aussi ancien que celuy de la Royauté, &
qu’il tient la place du Conseil des Princes & Barons qui de
tout temps estoient prés la Personne des Rois, comme nés
auec l’Estat ; Soit que les Souuerains luy ayent confié comme
en depost le soin & la conseruation des Loix, ausquelles ils
ont bien voulu s’assuiettir eux-mesmes, à l’exemple de Dieu,
qui dans la conduite de l’Vniuers, suiuant la pensée d’vn Pere
de l’Eglise, a commandé vne seule fois pour obeir toûjours,
comme nous le voyons ferme & constant en l’execution
de sa parole & de ses commandemens qui ne changent
point.

L’Histoire Romaine nous apprend, que la puissance des
Empereurs ne seroit iamais montée au comble de violence
où elle a esté, si la lascheté du Senat n’eut fortifié par sa nonchalance
& son trop de complaisance le progrez de leur Tyrannie ;
Philippe luy fit ce reproche dans vne sienne Harangue
que Saluste rapporte à la fin de son Histoire ; Vos mussantes,
& retractantes, verbis & vatum Carminibus pacem optatis magis,
quam defenditis ; Neque intelligitis mollitia Decretorum vobis dignitatem,
illi metum detrahi. Quibus illa placent, in armis sunt, vos in
metu. Quovsque cunctando rempublicam intutam patiemini ? & verbis
arma tentabitis ? Si tanta torpedo animos oppressit ; vt obliti scelerum
Cinnæ, quid opus Decretis ? Le Parlement qui est aussi ancien

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que la Monarchie, & qui represente ses trois Estats, & le Roy
mesme qui les confirme auec luy, doit prendre garde à cela,
puis qu’il n’est estably que pour y tenir la main ; & qu’il est l’vnique
& le veritable depositaire des Loix fondamentales de
l’Estat, qui l’obligent en conscience & par le deuoir de sa
Charge, de renoncer plustost à sa dignité, comme il a voulu
faire tant de fois, que de souffrir que ces Loix soient violées
par qui que ce soit.

 

Et ne faut pas faire sonner si haut l’authorité d’vn Roy
Majeur auant l’aage de quatorze ans, pour soustenir qu’il ne
veut point d’autres bornes ny d’autres regles que sa volonté,
ce qu’il tesmoigne dans ses Edicts & ses Patentes, qui s’acheuent
& finissent tousiours par ces mots de Souuerain ;
CAR TEL EST NOSTRE PLAISIR : Nous sçauons que
cette clause s’y trouue, & que ces paroles s’y lisent, mais
nous n’ignorons pas aussi que c’est apres auoir fait vne ample
deduction des causes & des motifs qui l’ont porté à faire cette
Ordonnance, & qu’il est fait mention des Princes & des
grands personnages de l’aduis desquels il s’est seruy pour la
resoudre, & la faire garder comme vne Loy ; outre que toutes
ces clauses pompeuses, & ces mots remplis de faste &
d’esclat n’ont aucune force ny aucun effet, qu’apres que le
Parlement les a verifiées & registrées, & le plus souuent
auec des modifications tres-considerables, & tres-contraires
au dessein de leurs Autheurs. Vn grand Magistrat de nos
jours n’a point apprehendé de dire & de prononcer dans sa
Harangue de l’an 1648. en presence de son Altesse Royale,
Oncle de sa Maiesté ; Que nos Rois n’auoient retenu ces mots dans
leurs Edicts : CAR TEL EST NOSTRE PLAISIR, que pour
rendre leur domination plus venerable & plus misterieuse, & non pas
pour ne point obeïr à la raison, & ne prendre Conseil de personne. Les
Empereurs Theodose & Valentinian se sont rendus glorieux
dans la Iustice, & venerables dans l’affection des peuples,
declarans par vn Edict particulier ; Que c’est vne chose digne
d’vn Roy, & qu’il n’y auoit rien de si releué en vn Souuerain,
que de se sousmettre aux Loix & aux Ordonnances de son Estat & de

-- 38 --

son Empire, puis qu’il n’y a ny puissance ny authorité legitime que
des Loix.

 

Bodin discourant du pouuoir de nos Rois, & monstrant
comme il doit estre temperé & borné pour estre iuste & equitable,
dit en sa Republique liure 4. chap. 6. Qu’il n’y a chose
qui ait plus destruit de Republiques, que de despoüiller le Senat & les
Magistrats de leur puissance ordinaire & legitime, pour attribuer tout
à ceux qui ont la Souueraineté ; Car d’autant que la puissance Souueraine
est moindre, d’autant elle est plus assurée, estant tres-certain
que l’Estat ne peut faillir de prosperer, quand le Souuerain retient les
poincts qui concernent sa Majesté, que le Senat garde son authorité,
que les Magistrats exercent leur puissance, & que la Iustice a son cours
ordinaire, autrement si ceux-là qui ont la Souueraineté veulent entreprendre
sur la charge du Senat & des Magistrats, ils sont en danger
de perdre la leur. Et ceux-là s’abusent bien qui peusent rehausser la
puissance du Souuerain, quand ils luy monstrent ses griffes, & qu’ils
luy font entendre que son vouloir, sa mine, son regard, doit estre comme
vn Edict, vn Arrest, vne Loy, afin qu’il n’y ait personne de ses
sujets qui entreprenne aucune connoissance qui ne soit par luy renuersée
ou changée, comme faisoit le Tyran Caligula, qui ne vouloit pas
mesme que les Iurisconsultes donnassent leur aduis, quand il dit ; Faciam,
vt nihil respondeant, nisi, Eccum, idest, æquum.

Messire Claude Seyssel Euesque de Marseille, & Ambassadeur
à Rome pour le Roy Louis XII. & François I.
son successeur, dans son traitté de la grande Monarchie de
France, qu’il desdie & presente à ce dernier, auec protestation
dans son Epistre liminaire, qui est le prologue au Lecteur,
Qu’il n’escrit rien qu’il ne puisse prouuer par raison politique,
par authoritez approuuées, & par exemples d’Histoires authentiques ;
dit en la premiere partie de ce Liure approuué & recherché
de tous les bons Magistrats, chap. 10. Que les Parlemens
de France ont esté principalement instituez à cette fin de refrener
la Puissance absoluë dont voudroient vser les Rois. Et au chapitre
suiuant, apres auoir monstré que l’authorité & puissance du
Roy est reglée & refrenée en France par trois freins, qui sont
la Religion, la Iustice & la Police ; parlant du dernier, il dit ;

-- 39 --

Que le tiers frein qu’ont nos Rois est celuy de la Police, c’est à sçauoir
de plusieurs Ordonnances qui ont esté faites par les Rois mesmes, &
puis apres confirmées & approuuées de temps en temps, lesquelles tendent
à la conseruation du Royaume en general & en particulier, & ont
esté gardées par tel & si long-temps, que les Princes n’entreprennent
point a’y deroger, & quand ils le voudroient faire (notate verba)
L’ON N’OBEIT PAS A LEVR COMMANDEMENT. Adjoustant
au chap. 12. qui suit, Qu’il y a plusieurs autres Loix &
Ordonnances concernans le bien public du Royaume, qui sont en obseruance,
dont ie ne veux parler pour esuiter prolixité, & m’est assez
d’auoir declaré les trois freins susdits, & restreintifs de la puissance
absolue des Rois, laquelle n’en est moindre pour cela, mais d’autant
plus digne, qu’elle est mieux reglée : Et si elle estoit plus ample & plus
absolüe, elle en seroit pire & plus imparfaite, tout ainsi que la puissance
de Dieu n’est point iugée moindre, d’autant qu’il ne peut pecher ny
mal faire, mais est d’autant plus parfaite, & sont les Rois d’autant
plus à louer & priser de ce qu’ils veulent en si grande authorité &
puissance, estre suiets à leurs propres Loix, & viure selon icelles, que
s’ils pouuoient à leur volonté vser de puissance absolue, & si fait cette
leur bonté & tolerance, que leur authorité Monarchique estant reglée
par les moyens que dessus, participe aucunement de l’Aristocratique,
qui la rend plus parfaite & plus accomplie, & encore plus ferme &
perdurable. Tous nos Autheurs les plus celebres, & tous nos
Politiques les plus intelligens sont de ce sentiment, qui est
tenu pour regle & pour maxime inuioblable entre eux ; outre
que l’vsage, & la façon de nostre gouuernement ne nous
permet pas d’en douter aucunement, quoy que les flatteurs
de la Cour puissent dire, & que les fauoris insolens osent entreprendre
au contraire.

 

Vincentius Lupanus en son traitté des Officiers & Magistrats
de France, parlant au Liure 2. du pouuoir & de l’authorité
du Parlement, dit que ; Parlamenti tanta est apud francos
authoritas, vt prope Senatus Romani speciem habeat, Regesque
bellum suscepturi authorem fieri curiam velint, & in eius acta referri
omnia ad Rempublicam pertinentia ; apud quam edicta recitantur,
quorum nulla ratio prius habetur quam in supremo illo consessu promulgata

-- 40 --

sint. Et Philippe Honoré en sa Relation du Royaume
de France, dit que ; Neque Galli effrenatam, siue absolutam
in Reges suos transtulerunt potestatem, sed certis legibus, & cond tionibus
optimè limitatam & circumscriptam, ne Tyrannidi locus daretur.

 

Antoine Matarel Procureur general de la Reine, escriuant
contre François Hotman, & l’accusant de ce qu’il
abaisse trop dans sa Franco-Gallie, l’authorité souueraine de
nos Rois, en luy despeignant quelle elle est, & comme elle
s’exerce sur les sujets, dit au chap. 10. Dicam tamen quod ipse
Hotomanus de industria prætermisit, Reges nostros non omnia ex arbitrio
facere ; Adioustant au feuillet suiuant, que ; Senatus quod
Parlamentum vocant, est quid tertium & arbitrum, inter principem
& populum.

Le Docte Blacvod Conseiller au Presidial de Poictiers, &
si zelé pour la Royauté, dans son Apologie pour les Rois, dit,
chap. 35. que ; Gallie Reges, ne quid auarè, ne superbè, ne quid Tirannicè
committerent, si quid grauioris momenti edicto indigeret,
eius authorem ac fundum fieri parisien sem Senatum voluerunt ; neque
satis esse duxerunt aulicorum procerum suffragiorum probari, nisi
in Augusto illo Tribunali promulgaretur. Cui non modo supplendæ ligis
aut corrigendæ, sed & reijciendæ potestatem contulerunt, si quid
Reipublicæ damno, sancitum esse videretur. Quare Maiestatem suam
Augustiorem fore temperamento supremæ ditionis, ne dum ex ca quidquam
derogatum iri iudicabant.

Et puisque le peuple n’a point d’autre mediateur ny d’autre
protecteur que le Parlement, il est bien iuste qu’il prenne
connoissance de ses interests & de ceux de l’Estat, puis qu’il
le compose, afin de retarder les ruines & les miseres qui l’accablent,
quand il ne peut les destourner ny les empescher
entierement, estant certain que sans luy la tyrannie seroit
dans son dernier periode, au lieu qu’elle est encore dans sa
naissance. Monsieur le premier President de cet Auguste Senat
tient ce mesme langage à la Reine Regente pour lors,
dans la harangue qu’il luy fit au mois de Iuin 1648. faisant
entendre à sa Majesté parmy sa Politique veritable, que ; Les

-- 41 --

Magistrats estoient les mediateurs entre les volontez des Princes, &
les supplications des peuples, ou comme vne barriere entre cette authorité
independante, & cette extreme foiblesse, &c.

 

Emmius escriuant de la Republique des Laconiens, remarque
que Licurgue en dressant leurs Loix ; Exorsus est ab
ipso capiie bene temperando, idest, potestate Regum moderanda &
temperanda : Et que pour cet effet ; Senatum Regibus apposuit, vt
medius esset inter Regem & populum, & vtrosque citra limites officij
retineret.

Vn celebre Aduocat general de France, qui ne pouuoit
ignorer la puissance de son Seigneur ny l’vtilité & la maiesté
de cet Auguste Senat, dit en ses Recherches de la France,
Liure 3. chap. 16. Que nos Rois doiuent trois & quatre fois plus au
Parlement de Paris, qu’à tous les autres ordres Politiques, & toutes
& quantes fois que par opinions courtisanes ils se desuniront des sages
Conseils & Remonstrances de ce grand Corps, autant de fois perdront-ils
beaucoup du fond & estre ancien de leurs Maiestez, estant leur fortune
liée auec cette Compagnie. Cuius fidei atque virtuti, fortuna ciuium,
tutela Imperij, salus vrbium, Reipublicæ gloria debetur ; dit
Vegece parlant du Senat de Rome. Et Dieu vueille que
nous ne voyons pas trop tost l’accomplissement de cette
Prophetie, comme nous en ressentons desia, & trop sensiblement,
le mal-heur & le commencement.

SECTION IV.

Que le Roy estant sujet aux Loix fondamentales du Royaume, il ne
peut les changer, alterer ny violer en façon que ce soit, ny par
consequent interdire ny transferer le Parlement de Paris,
pour estre né & estably auec lu Royauté.

Pvis qu’il est si constant que l’establissement du Parlement
de Paris est vne des Loix fondamentales de l’Estat,
pour estre plustost né auec la Royauté, que non
pas institué d’elle ny par elle ; & que la puissance de nos Rois

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a ses bornes & ses temperamens dés le moment qu’elle a esté
admise & reconnuë des anciens Gaulois qui l’ont establie &
reglée ; Il est sans doute & sans difficulté qu’ils sont sujets &
obligez aux Loix & Reglemens qui leur ont mis le Sceptre
en main, & qu’ils ne peuuent plus les changer, alterer ny
violer, qu’en renuersant l’ordre de l’Estat, & renonçant à
ce qui a formé leur Throsne, & qui les a fait ce qu’ils sont.

 

Et pour monstrer que nos Peres n’ont rien fait qu’auec
beaucoup de prudence, & beaucoup de iustice, & que ce
n’est point desroger à la Royauté que de se sousmettre aux
ordres qui l’appuyent, & qui l’ont fait naistre ; Il ne faut que
le sens commun pour demeurer d’accord, que si ces Loix
sont tirées de la raison pour seruir de guide & de regle à
ceux pour qui elles sont faites, comment ceux qui les reçoiuent
& ceux qui les trouueront establies, pourront-ils se
dispenser de leur obseruation, sans declarer qu’ils veulent
estre sans ordre, sans police, sans justice & sans raison ; qui
est renoncer à l’humanité pour se mettre au rang des brutes,
& par là se rendre indignes & incapables de gouuerner & de
commander à des hommes qui nous croyent les plus sages &
les plus iustes d’entre-eux, puis qu’ils nous reconnoissent
pour Maistres, & pour Directeurs de leur gouuernement &
de leurs personnes. Ce desreglement tesmoigneroit assez
qu’on voudroit affecter la Tyrannie pour quitter la Royauté,
& preferer vn Empire violent & insupportable, au naturel
& legitime que l’on doit attendre d’vn Chef & d’vn
Conducteur qui doit aimer ses sujets, s’il desire qu’ils l’aiment
& qu’ils le reuerent, estant impossible de conseruer aucune
affection pour celuy qui auroit pouuoir de n’estre pas
iuste, ny pas mesme raisonnable.

De dire que les Loix ont leurs temps & leurs saisons, &
qu’il est quelquefois aussi necessaire de les violer que de les
obseruer ; cela est bon lors qu’il s’agit de quelque interest
particulier ou de quelque poinct de police d’vne Ville, ou
d’vne Communauté seule ; mais quand il y va du changement
entier d’vn Estat, & qu’on veut esbranler ses colomnes

-- 43 --

& ses fondemens les plus solides, pour ruiner au lieu d’edifier,
c’est pour lors qu’elles ne peuuent estre alterées ny
corrompuës par celuy qui s’y est sousmis, & qui n’a pris le
gouuernail en main que pour les conseruer & empescher
leur naufrage.

 

Quand les Iurisconsultes & Politiques peu Chrestiens,
disent que les Rois peuuent tout, & que leur volonté est la
regle de leur Iustice ; Illis quod libet, licet : Ou au contraire
ceux qui deffendent les peuples & qui condamnent la Tyrannie,
soustiennent qu’ils sont sujets aux Loix de l’Estat, &
responsables de leur mauuais gouuernement ; Si les Autheurs
de ces aduis contraires tomboient d’accord des noms,
tres-assurément ils tomberoient d’accord aussi des effets, &
de leurs opinions ; Et si les vns & les autres ne confondoient
selon leur haine ou leur inclination, le mot de Roy & celuy
de Tyran, certainement ils seroient sans erreur, & sans diuision
entr’-eux ; puis qu’il est veritable que les bons Rois
sont exempts des Loix, comme tous les justes & les innocens
de leurs Estats, ce qui est de droit diuin & humain ; Quta lex
justo non est posita, dit l’Esprit de Dieu : Et à ces Rois vrais Peres
du peuple, Licet, quod libet : parce qu’ils ne veulent iamais
rien que de saint & d’equitable, conformément à la Religion
qu’ils professent, & aux Loix qu’ils protegent & qu’ils
conseruent ; ce que faisans ils sont tousiours Rois, tousiours
Peres, tousiours Gouuerneurs, & tousiours Conseruateurs,
c’est à dire, tousiours aimables, tousiours venerables, toûjours
sans plaignans, & tousiours sans accusateurs ; où au contraire
ceux qui violent la Religion, qui mesprisent la pieté,
qui haïssent la vertu, qui destruisent les Loix, qui ruinent la
Iustice, & qui renuersent la Police, quittent le nom de Rois
pour prendre celuy de Tyrans ; Et par ainsi se rendans indignes
de commander, ils se rendent indignes d’estre obeïs, &
se declarans ennemis de leurs sujets, ils renoncent à leur
amitié & à leur obeïssance ; Si bien que les vns n’estans plus
Rois, & les autres plus sujets, la confusion s’engendre, la
haine chasse l’amour, la rebellion se forme, les esprits s’eschauffent,

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les hommes se rebellent, le desespoir fait tout entreprendre,
& vn pauure suiet aime mieux mourir en deffendant
sa patrie, sa femme & ses enfans, que de languir continuellement
auec eux, non pas sous vn Roy, vn Commandant,
vn Pere du peuple, mais sous vn Tyran, vn furieux, &
vn haineur des hommes, & de la tranquillité qui les maintient.

 

Et ne faut pas traitter de seditieux ny de mauuais François
ceux qui parlent de la justice qu’on doit au peuple, du respect
qu’on ne peut refuser à ses Magistrats, & de l’obligation
que l’on a aux Loix fondamentales de l’Estat, sur lesquelles
les Rois font serment quand ils sont sacrez & reconnus
des peuples. Les Souuerains sont obligez de garder &
obseruer les Loix qu’ils font, & qu’ils ont vne fois authorisées,
à l’exemple de Dieu qui tout independant & Tout-puissant
qu’il est, veut neantmoins suiure & executer celles
qu’il nous a données sans y rien innouer ny alterer, ne nous
demandant que l’obeïssance, en s’obligeant à l’execution de
ce qu’il nous a promis, voulant par sa Iustice infinie qu’elles
soient reciproquement obligatoires entre luy & ses creatures,
accomplissant de son costé ce qu’il nous a promis, en satisfaisant
du nostre à ce qu’il nous ordonne, & qu’il demande
de nous. Les Souuerains qui ne peuuent pas estre plus
justes, plus sages, plus grands ny plus jaloux de leur puissance
& de leur authorité, peuuent-ils demander plus de pouuoir
que le Roy des Rois, ny plus d’empire que celuy qui
peut tout, si ce n’est l’iniustice & le desordre ?

La Royauté est vne chose excellente de soy, mais son prix
accroist merueilleusement, quand elle est maniée par vn
Prince sage & vertueux. La conqueste des Royaumes & des
Prouinces ne luy donne pas tant d’esclat ny de lustre, que
celle des cœurs & des vertus ; puis qu’elle n’est point establie
pour conquerir, mais pour regir & gouuerner sainctement
& iustement. La force des armes subiugue les Estats d’autruy,
mais celle de la Iustice surmonte les affections de ses
Citoyens. Au premier il faut quitter son Palais & son repos,

-- 45 --

& combattre des hommes ; & au second il ne faut qu’entrer
en soy mesme, & faire la guerre aux desordres & aux imperfections ;
En celuy-là la Royauté triomphe, & en celuy-cy c’est
le Roy qui se surmontant soy-mesme se donne pour butin &
pour despoüille à la vertu, laquelle le faisant regner sur ses
passions, & destruire les vices de son Empire, le fait aimer &
reuerer de ses suiets.

 

Seyssel, ce sage & vertueux Ministre d’Estat, monstrant à
François I comme il estoit sujet aux Loix fondamentales de
son Royaume, dit en sa seconde partie de la Monarchie de
France, chapitre 18. Que le Roy & Monarque connoissant que par le
moyen des Loix, Ordonnances, & louables coustumes de France concernans
la Police, le Royaume est paruenu à telle gloire, grandeur, &
puissance que l’on void, & se conserue & entretient en paix, prosperité,
& reputation ; Les doit garder & faire obseruer le plus qu’il peut, attendu
mesmement qu’il est astreint par le serment qu’il fait à son Couronnement ;
Parquoy faisant le contraire, offence Dieu & blesse sa conscience,
& si acquiert la haine & malueillance de son peuple, & outre ce affoiblit
sa force, & par consequent diminue sa gloire & sa renommée.

Bodin au liure premier de sa Republique, chap. 8. dit, Que
quand aux Loix qui concernent l’Estat du Royaume, & l’establissement
d’iceluy, le Prince n’y peut desroger, parce qu’elles sont annexées & vnies
à la Couronne.

Il se trouue dans les Registres de la Cour vne Remonstrance
faite au Roy François I. le 24. Iuillet 1527. par Messire
Charles Guillart President en icelle, qui luy parlant de la
grandeur & Majesté de son Parlement de Paris dit, Que du
temps de Philippe le Bel par deliberation des Estats, fut ordonné & statué
par Pragmatique Sanction, (ce sont ses propres termes) Que la
Cour de Parlement de France seroit à Paris & y resideroit. Or qui dit
Pragmatique Sanction, pose vne Ordonnance solemnellement
faire par vn aduis & consentement general des Estats,
pour en faite vne Loy fondamentale, inuiolable, & irreuocable,
ce qu’estant ainsi comme on n’en peut pas douter, il
est certain & assuré, que le Roy y estant sujet & obligé, il ne
peut les changer, alterer ny violer ; Et l’establissement premier

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& second du Parlement de Paris estant de cette nature,
il est constant qu’il ne peut estre interdit, ny transferé, pour
estre immuable de soy-mesme comme le temple de la Iustice,
& par les Loix fondamentales & inuiolables de l’Estat ;
C’est pourquoy Henry V. Roy de France, & d’Angleterre,
espousant Catherine de France sœur de Charles VII. fit serment
en ce changement funeste, de garder le Parlement en ses libertez,
& souuerainetez, & de faire administrer la Iustice au Royaume
selon les coustumes & droits d’icelles. Voila les termes du Traitté
fait auec luy à Troyes le 21. May 1420. pour le faire successeur
de la Couronne de France ; Estant bien iuste & bien raisonnable
que nous reuerions l’Image & le souuenir de ceux
qui ont jetté les premiers fondemens de la Iustice Françoise,
& du plus grand Senat du monde.

 

Marculphe qui est vn de nos Autheurs les plus anciens,
& quasi seul qui a parlé de nos vieilles façons d’agir, pose en
ses formules, liu. 1. chap. 16. comme vne maxime receuë &
pratiquée que ; Quem diuina pietas sublimat ad Regnum, condecet
facta seruare parentum. Vn grand Chancelier dont la France auroit
bien besoin auiourd’huy, dit en ses Epistres Politiques,
liu. 4. Epist. 17. que ; Definitam rem ab antiquo Rege, quam tamen
constat rationabiliter esse decretam, nulla volumus ambiguitate titubare ;
quia decet firmum esse, quod commendatur probabili iussione ; Cur
enim priora quassemus vbi nihil est quod corrigere debeamus ; Parce,
dit-il en l’Epistre 33. de ce mesme liure que ; Custodia legum, &
reuerentia Priorum Principum, nostræ quoque testatur deuotionis exemplum.

Zaleucus donnant des Loix à la Republique de Locre, ne
voulut pas seulement qu’elles fussent obseruées & pratiquées
de son viuant, mais encore par ceux qui viendroient apres luy,
sçachant bien comme il est dangereux de changer & remuer
les fondemens d’vn Estat ; Existimauit enim à legibus receptis leuiter
recedere, & nouas inducere, id vere esse viam sternere ad rempublicam
euertendam. Le Iurisconsulte Vlpian est de cét aduis
quand il dit, leg. 2. ff. de constit. princip. que ; In rebus nouis constituendis,
euidens vtilitas esse debet, vt recedatur ab eo jure, quod diu

-- 47 --

aquum visum est. Ce qui a fait dire au Maistre des Politiques, en
ses discours sur Tite-Liue, liu. 3. chap. 1. Qu’il n’y a rien de plus
necessaire en vn Royaume que de renouueller les Loix anciennes, & les
ramener vers leur principe, pour luy rendre la reputation qu’il auoit au
commencement de sa fondation, & s’estudier à ce qu’il y ait bonnes Ordonnances,
& gens de bien qui les fassent obseruer ; Qui est bien loin
d’en conseiller la subuersion & le changement, comme font
les mauuais & malheureux Politiques qui nous perdent & qui
nous ruinent ; N’exemptant pas nos Rois de cette religieuse
obseruation, ayant dit auparauant, liu. 1. chap. 16. Qu’on ne vit en
repos & seureté au Royaume de France, sinon au moyen des Loix qui y
sont, lesquelles les Rois sont tenus de garder, & gardent sainctement ;
Tous les bons & prudens Politiques estans d’accord que ; Nulla
necessitas quantacunque fit, obtendi potest, vt Imperator sub hoc
pretextu leges Imperÿ, præsertim fundamentales, subuertere illi liberum
fit ; Hippolit. à lapide de ratio. status, part. 2. cap. 8. sect. 4.

 

Salomon dans ses Prouerbes, chap. 22. vers. 28. a laissé cette
leçon à tous les Rois ses successeurs disant ; Ne transgrediaris
terminos antiquos, quos posuerunt patres tui. Et Tacite qui n’a rien
oublié de ce qui est d’vtile & de necessaire dans ses conseils,
parlant du pouuoir absolu des Souuerains, veut qu’ils reuerent
les Loix fondamentales de leurs Estats, quand il dit au
liure 4. de son Histoire ; Vt meminerint temporum quibus nati sint,
quam ciuitatis formam, patres auique instituerint ; Qu’ils se tiennent
aux Loix originaires de leur Empire, & de ne rien changer
ny alterer des regles qu’ils y trouuent establies, parce
qu’ils n’en sont pas les maistres, mais les conseruateurs & les
executeurs seulement.

Dauantage le Roy n’estant qu’vsufructier & administrateur
du Royaume, par vne autre Loy fondamentale & inuiolable
d’iceluy qui porte que ; Rex non censetur Dominus, seu proprietarius
Regni sui, sed administrator ; N’estant que simple vsager du Domaine
que la Couronne, & ses Peres luy ont laissé sans le
pouuoir aliener, dequoy tous les ordres, & toutes les Compagnies
Souueraines du Royaume demeurent d’accord ; Il
est bien certain quand il n’y auroit que cette seule raison, qu’il

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ne peut & ne doit changer, ny alterer l’ancien vsage d’iceluy,
ny innouer les Loix Royales & fondamentales qu’il y
trouue establies & receuës, lesquelles mesme il fait serment
de garder, sans que iamais on ait pû les violer depuis tant de
siecles qu’elles subsistent en leur entier auec la Monarchie ; Et
quand il le voudroit faire, dit Seyssel, au lieu sus allegué, l’on
n’obeit pas à ses commandemens.

 

Charles V. surnommé le Sage, disoit ordinairement qu’il
n’estoit qu’administrateur & vsufructier de son Royaume ; Et
que pour imiter l’Empereur Hadrian, il vouloit veritablement
estre Roy chez soy, mais à condition qu’il sçauoit bien,
que ce dont il ioüissoit n’estoit pas à luy en particulier, ains à
la Republique, & à la Couronne qu’il portoit & gouuernoit.
Et François I. voulant monstrer à l’Empereur Charles-Quint
duquel il estoit prisonnier, qu’il ne vouloit rien faire contre
les Loix fondamentales de la France, ny sans l’auis de son
Parlement de Paris qui en est le conseruateur, luy declare ;
Que les Loix fondamentales de son Royaume estoient, de ne rien entreprendre
sans le consentement de ses Cours Souueraines, entre les mains
desquelles residoit toute son authorité.

Puis donc que nos Rois ne peuuent ny selon Dieu, ny selon
les hommes contreuenir ny violer les Loix fondamentales de
leur Estat, il faut par vne consequence infaillible & necessaire
qu’ils soient obligez de les garder, entretenir, & obseruer,
pour les laisser saines & entieres à leurs successeurs auec la
Couronne, comme ils les ont trouuées, & qu’elles leur ont
esté transmises & confiées ; Ce qui est si constant dans le
Royaume, que Monsieur l’Aduocat general Seruin plaidant
en la grand’Chambre, le Ieudy 21. May 1620. dit ; Qu’entre
les deuoirs des gens du Roy, il est principalement de leur Office de pouruoir
à ce qu’on ne voye point arriuer, ce qui est appellé au liure d’Esther,
& en la Prophetie de Daniel, le dommage du Roy ; afin qu’iceluy Seigneur
Roy ne reçoiue aucune diminution de ses droits, & à cette fin procurer
l’entretenement des Loix Royales (qui sont les fondamentales)
& maximes ordonnées & establies en tous les justes Royaumes. Adioûtant
vn peu apres ; Que la Cour de Parlement de Paris, est la conseruatrice

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des Loix du Royaume, à quoy on ne peut opposer exception
quelconque.

 

Loiseau, dont l’authorité n’est point à mespriser, non plus
que sa doctrine solide & veritable, dit en son Traitté des Seigneuries,
chap. 2. num. 7. 9. Que la Souueraineté est attachée &
reside en l’Estat, & se communique au Seigneur d’iceluy ; Apres
quoy il adiouste, Qu’il y a trois sortes de Loix qui bornent la puissance
du Souuerain, sans interesser la Souueraineté, les Loix de Dieu,
les regles de Iustice naturelles & non positiues, estant le propre de la
Seigneurie publique d’estre exercée par Iustice, & non pas à discretion,
& finalement les Loix fondamentales de l’Estat, parce que le Prince
doit vser de sa Souueraineté selon la propre nature, & en la forme &
aux conditions qu’elle est establie : Disant au chapitre 5. num. 61.
Qu’il faut confesser que ç’a esté le Parlement qui nous a sauuez en
France d’estre cantonnez & demembrez comme en Italie & en Allemagne,
& qui a maintenu le Royaume en son entier, par le soin particulier
qu’il a eu de conseruer les Loix Royales & fondamentales d’iceluy.
Et Chopin en son Latin du Domaine de France liure
2. chap. 1. num. 17. enseigne & pose pour maxime ; Leges in
regni traditione dictas, esse seruandas. Il n’y a que les ignorans
qui en doutent, & les mauuais Ministres qui fassent le contraire.

SECTION V.

Que c’est prostituer l’authorité Royale & la rendre contemptible, de
vouloir transferer le Parlement de Paris qui est sedentaire & immuable,
dans vne bicoque ny ailleurs que dans la Capitale, & particulierement
sans cause, sans suiet, sans pretexte, sans necessité,
sans Edict verifié, & sans aucune formalité de Iustice.

Ovtre ce que nous auons rapporté cy-deuant pour
faire voir & connoistre que le Parlement de Paris
estant né auec la Royauté, que son establissement
premier faisant vne Loy fondamentale de l’Estat, & qu’estant

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estably sedentaire dedans la Capitale, par le consentement
des Rois, par l’adueu des trois Estats, par quatre cens
ans de possession non interrompuë, & par vne Pragmatique-Sanctiõ
speciale pour cela. Il faut estre bien aueuglé ou bien
ignorant des principes de la Politique, & des Loix de nostre
France, pour douter encore qu’il ne peut estre interdit pour
quelque cause ny pretexte que ce soit ny que ce puisse estre ;
non plus que transferé de la Capitale & du Palais de nos
Rois, sans rendre leur lict de Iustice contemptible, & prostituer
la grandeur & la maiesté de leur puissance & de leur authorité
Souueraine.

 

Nous disons qu’il ne peut estre interdit ny transferé pour
quoy que ce soit, parce qu’il ne peut iamais faillir en Corps,
ny se rendre criminel en son entier, mais bien quelques particuliers
d’iceluy qui peuuent estre repris & censurez seulement ;
autrement il faudroit que le Roy mesme qui en est le
Chef, les Princes du Sang, les Ducs & Pairs, & tous les Officiers
de la Couronne qui le composent, viennent à se trahir
eux-mesmes, à se declarer coupables, à se faire leurs procez,
& à se despoüiller d’vne authorité qui est aussi inseparable de
leur caractere, qu’il est impossible de faire que nos Rois demeurent
sans Iustice, & que ce Parlement n’en soit plus le
lict ny le Throsne venerable, & incommutable. Et quand
mesme on le pourroit, que non, il faudroit que cela se fit
par les mesmes voyes qu’il a esté estably, & declaré sedentaire
dedans Paris, c’est à dire, par la resolution libre des Estats
generaux, conuoquez & legitimement tenus pour ce sujet,
ou par vn consentement vnanime & volontaire de toute cette
Compagnie, qui peut seule authoriser & verifier ce changement,
qui ne peut arriuer qu’auec le bouleuersement de
la Monarchie en general.

De plus, si ce grand Senat estoit transferé de Paris, comment
nos Rois iroient-ils y tenir leur lict de Iustice ? Et s’ils
vouloient imiter l’equité & la pieté de leurs predecesseurs
comme ils deuroient ; comment iroient-ils deux ou trois
fois la semaine y rendre la Iustice eux-mesmes & en personnes

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à leurs sujets ? Le pourroient-ils encore appeller leur
Parlement simplement comme ils font, s’il estoit esloigné de
leur presence & de leur Maiesté ? Quand il faudroit faire
vne Regence, declarer vn Roy Maieur, entreprendre la
guerre, confirmer vn traitté de Paix, verifier tant d’Edicts
& tant de Declarations le Roy seant en son lict de Iustice,
faudroit-il que le Souuerain se rendit postulant & solliciteur
pour l’aller chercher où il seroit transferé, tantost en vn lieu
& tantost en vn autre contre l’ordre & la nature de son establissement ?
Non, non, il n’en va pas ainsi, c’est se mocquer
de Dieu & de la Iustice, & rendre ridicule la Maiesté du
Roy ; Ce Corps Illustre ne s’appelle point en vain le lict de
Iustice de nos Rois, ce nom mysterieux luy est donné pour
monstrer que nos Monarques ne peuuent & ne doiuent l’esloigner
ny le quitter de veuë, non plus que celuy qui est dedans
leur Chambre & deuant leurs yeux, celuy-cy pour y
reposer la nuict l’humanité du Roy, & l’autre plus noble &
plus glorieux pour y exercer tout le iour l’excellence de la
Royauté, rendant la Iustice doucemẽt & tranquillement au
peuple, & à ceux qui la demandent, comme faisoient Charle-Magne,
Louis le Debonnaire, Saint Louis & les autres que
nostre histoire remarque, autremẽt il faut cesser d’estre Roy,
comme repartit la bonne vieille à l’Empereur, qui luy dit
qu’il n’auoit pas le temps de l’entendre. Et puisque nos Rois
n’en veulent pas prendre la peine auiourd’huy, & qu’ils ont
estably cet Auguste Parlement pour le faire pour eux, &
comme s’ils y estoient presens, s’en disans les Chefs & les
premiers Senateurs, y reseruans leur place, & voulans que
leurs Arrests soient prononcez sous leurs noms, aussi bien
que sous leur authorité ; quelle apparence qu’ils soient d’vn
costé & leur Iustice de l’autre ? Qu’vn Chef ne soit pas à la
teste de sa Compagnie ? Qu’vn premier President soit separé
des Conseillers ? Et que la teste soit en vn endroit & les autres
parties en vn autre ? Qui est vouloir des-vnir l’ame d’auec
le corps, arracher le Sceptre de la main du Roy, & le
rendre la haine & l’auersion de tous ses sujets, quand ils le

-- 52 --

verront sans Iustice, sans regle, sans maiesté & sans authorité
legitime.

 

Apres que Dieu eut permis que son Arche d’Alliance fut
portée deçà & delà à la suite des Rois d’Israël, il ordonna à
Salomon le plus sage & le plus esclairé des Rois, de luy bastir
vn Temple superbe, & de la rendre sedentaire dedans vn
lieu sacré, où tout le monde viendroit luy rendre ses hommages
aux jours qui seroient ordonnez ; Ædificans ædificaui domum,
& habitaculum tuum, firmissimum solium tuum in sempiternum ;
Regum lib. 3. cap. 8. vers. 13. Ainsi Philippe le Bel estant
resolu d’aller en Flandres pour vn long-temps, voulant laisser
à ses suiets l’Arche de sa Iustice qui auoit accoustumé de
suiure les Rois ses predecesseurs, la rendit sedentaire, & ordonna
qu elle demeureroit à l’aduenir dedans sa Capitale,
où tous ses sujets viendroient la reconnoistre dans la necessité
de leurs affaires, voulant que le Senat que nous voyons
encore auiourd’huy en fut le gardien & le depositaire ordinaire,
ce qui le fit appeller dés lors ; Statarius Senatus ; firmissimum
solium in sempiternum : C’est pourquoy l’Abbé Suger parlant
de l’entrée de Louis le Gros dans sa bonne ville de Paris,
dit que ; Venit vrbem Parisius, quæ est Regni caput, & sedes
Regia, vbi solebant Reges antiqui conuentum Prælaiorum & principum
euocare, ad tractandum super statu Ecclesie, & de Regni negotiis
ordinandum : Et Charles VI. parlant de la maiesté de ce grand
Senat dans ses Ordonnances, art. 164. dit ; Nostre Cour de Parlement
qui est la Capitale & Souueraine Cour de nostre Royaume : Si
nos Rois mesme luy donnent le nom de Capitale, sans dire
de Paris ny d’ailleurs, pourquoy l’arracher d’vne Ville qui
semble ne porter le nom de Capitale qu’à cause de cette Illustre
Compagnie, puisque nos Rois sont plus puissans &
plus considerez par le Siege & le lict de leur Iustice, que par
celuy de leurs personnes & de leur humanité.

Pour rauir cette Vierge de son Temple, & priuer Paris qui
est le racourcy de toute la France, d’vn rayon de la Diuinité
qui le protege & qui le conserue, il faloit du moins auoir
quelque pretexte specieux, faute d’vn sujet assez cõsiderable

-- 53 --

pour l’entreprendre. Si Charles VII. & Henry IV. qui n’estoient
point reconnus par tous les Prestres & les Ministres
de cette Deesse, n’ont pas entrepris de les interdire ny de
les transferer ; Quelle raison peuuent auoir les pipeurs & les
suborneurs d’vn Roy de quatorze ans, pour appliquer son
sein & son image à vn sacrilege & vn attentat, que sa Iustice
& sa Religion condamnera quelque jour, quand sa prudence
& son experience luy permettront d’agir, & de connoistre
les mauuais conseils qu’on luy donne ?

 

Quand Trajan eut condamné à la mort la fille de Sejan,
voulant plustost conseruer la Loy, que l’equité qui en est
l’ame & la substance ; il ordonna qu’elle seroit deflorée par
le bourreau au milieu des appareils de son supplice, afin que
le priuilege des Vierges qui deffendoit cette innocente, ne
fut point violé en conseruant la chasteté qui l’exemptoit de
mourir ; Que iuxta laqueum à carnifice compressa est, quod Triumvirali
supplicio virginem affici inauditum esset. Tacit. lib. 6. Annal.
& Sueton. in Tiberio, cap. 61. On veut sacrifier les Dieux tutelaires
de la France à son mauuais Genie, & parce qu’ils n’ont
pas failly & qu’ils sont encore dans leur premiere pureté, on
les force, on tasche de les corrompre, on les soüille d’iniures
& d’accusations, on veut les liurer & les prostituer à leur
propre bourreau, & pour frauder la Loy on s’efforce de les
punir pour vn crime qu’ils condamnent, & qu’ils des-aduoüent
en leurs faux freres, & en ceux qui meritent la peine
qu’ils authorisent & qu’ils ordonnent contre eux.

Il y a grande apparence que le Cardinal Mazarin fait tout
ce qu’il peut pour nous asseruir à l’ancienne Tyrannie de son
païs, & qu’il veut que nous pratiquions ce que Iustin raconte
au liure quatriesme de son Histoire, que les Siciliens ses
compatriots portoient tant de respect à leur Roy estant encore
en bas aage, qu’ils ne refuserent pas d’obeïr à vn esclaue
sous la Regence duquel Anaxilaus son pere l’auoit mis ;
Et parce que ce proscrit est Maistre de nostre Roy, & qu’il
abuse de son nom & de son authorité, il faut que nous nous
sousmettions aueuglément à son insolence, permettre qu’il

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destruise les Iuges qui luy ont fait son procez, & consentir
qu’il perde les peuples qui ne peuuent plus souffrir la violence
de son gouuernement ny les desordres & les bassesses qui
le suiuent & qui l’accompagnent. Si Tacite parlant de Felix
Procureur de Iudée, dit, hist. lib. 5. cap. 2. que ; Per omnem
scientiam & libidinem jus Regium seruili ingenio exercuit : Il n’y a
aujourd’huy plus de Crocheteurs, ny plus de Païsans qui ne
descouurent & qui ne publient, que iamais l’authorité
Royale ne fut plus auilie, & que iamais Ministre quelque
ignorant qu’il soit, ne l’a tant abaissée ny tant prostituée que
le mal-heureux banny qui seroit plus capable de gouuerner
des Saltin-bancques, ou quelque fameux Serrail, que non
pas vn grand Estat où les moindres Officiers en sçauent plus
que luy.

 

Ce ne sont point les Senateurs qui sont restez à Paris dedans
le lieu de leurs Majeurs, & dessus le Throsne immuable
de nos Rois, qu’il faut traitter d’interdits & de rebelles,
ce sont les sacrileges & les pariures qui ont faussé leur serment,
& renoncé à la grandeur de leurs Charges, qui meritent
qu’on les baptise de ces noms odieux & criminels, puisque
Dieu par la bouche de Salomon, deffend de suiure & de
s’attacher aux ennemis de l’Estat, & aux perturbateurs du
repos public, qu’il qualifie du nom de rebelles ; Fili mi, time
Dominum & Regem, nec cum rebellibus te commisceto ; Prouerb. cap.
24. vers. 21. 22. Rebelles en cet endroit estant expliqué par
tous les Interpretes les plus sçauans qui suiuent la version
Hebraïque, pour ceux qui violent les Loix fondamentales
de l’Estat, & les maximes anciennes de la Monarchie ; Rebelles,
hic Hebraïcè dicuntur, Mutantes, nempe leges & statum Regni.

Ceux qui pretendent faire vn Parlement à Pontoise des
excremens & des parties honteuses de celuy de Paris qu’ils
ont abandonné si laschement ; font comme Homere qui
donne deux licts & deux sources au Scamandre. Ces fictions
sont belles, mais elles n’ont ny fondement ny justice ; l’vnité
ne se diuise point, & le Throsne de nos Rois ne se peut qu’affoiblir
en se partageant ; Et si vne fois on le peut mouuoir &

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esbranler, on pourra à la fin le transporter & le renuerser. Et
puisque nous auons commencé nostre Metaphore par l’Arche
d’Alliance, il l’a faut acheuer par cette mesme comparaison,
& prier le Tout-puissant d’inspirer aux Ministres qui
corrompent & qui prophanent le Conseil de nostre jeune
Roy, de dire auec l’Esprit de Dieu ; Regum lib. 1. cap. 5. vers. 7.
11. Non maneat arca Dei Israel apud nos, quoniam dura est manus
eius super nos, & super Dagon Deum nostrum ; Non, non, il ne faut
point abuser plus long-temps de cette Arche sacrée, ny violer
dauantage le Temple de Iustice, puisque nous experimentons
si sensiblement les ruines & les mal-heurs qui nous
accablent pour cela, & nostre Idole Mazarine ; Dimitte Arcam
Dei Israel, & reuertatur in locum suum, vt non interficiat nos
cum populo nostro ; Si nous voulons prosperer & rendre heureux
le Regne de nostre Souuerain, il faut la laisser à ceux
qui l’ont en charge, & ne point l’arracher du Temple qui
luy est consacré, crainte que le Tout-puissant ne fasse paroistre
sa Iustice lors que nous la violons, & qu’il ne nous punisse
lors que nous la mesprisons si temerairement ; La perte
de Troyes commença par la ruine de ses Magistrats ;

 

Peritura Troia, perdidit primum Deos.

SECTION VI.

Combien cette entreprise est dommageable à l’Estat, contraire au bien
public, & honteuse au nom du Roy.

IL ne faut qu’vn adueu de l’experience des choses que
nous voyons, & vne confession qui est plus generale que
particuliere, & plus publique que cachée, pour connoistre
& considerer que iamais les affaires de cet Estat n’ont
esté desesperées, & n’ont veu le comble de leur confusion,
que quand nos Rois ont quitté leur lict de Iustice, & qu’ils
ont souffert que leurs Ministres ou leurs fauoris le violent &
le renuersent. Celuy rencontra fort bien qui dit, que l’armée

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d’Alexandre apres son deceds, estoit comme vn grand
Ciclope que descrit Homere, lequel apres auoir perdu l’œil
qui le conduisoit, donna du nez en terre, & ne se releua plus ;
Paris qui est le plus grand Corps & le plus puissant du
Royaume, a besoin de cet œil de Iustice qu’il conserue sur vn
des Sceptres de la Royauté dedans son Parlement, & si on
luy arrache vne fois, tres-assurément il demeurera sans conduite,
il tombera en ruine, il s’accablera soy-mesme, & nous
verrons bien-tost la Capitale des Gaules, le sejour de nos
Rois, le siege de l’Empire, l’abbregé de la France, l’ornement
de la Chrestienté, l’honneur de l’Europe, & par vne
suite necessaire la Monarchie Françoise en son premier
neant, puis qu’on destruit sa baze, qu’on brise ses colomnes,
& qu’on renuerse son appuy. Apres cela, plus de justice, ny
plus d’obeïssance ; plus d’obeïssance, plus de sujets ; plus de
sujets, plus de Roy ; plus de Roy, ny de Magistrats, desordre
& confusion par tout.

 

Nous sçauons que la guerre a ses Loix aussi bien que la
paix, mais nous sçauons aussi que celle qui pour l’ordinaire
estouffe la justice ne sçauroit se maintenir long-temps sans
la justice mesme ; Quia confundi non debent iura, Imperante iustitia,
dit vn grand Chancelier de l’antiquité, qui est Cassio dore
en ses Epistres, liu. 3. Epist. 43. Nous voyons en l’ordre de
la nature, qu’encore que la corruption soit bien souuent la
cause de la production des choses ; toutesfois elle ne les conserue
pas, mais plustost elle ruine & destruit ce qu’elle auoit
fait naistre ; ainsi quand vn Estat a pris sa naissance de l’iniustice,
ce n’est pas d’elle, mais de la justice seule qu’il doit
attendre son progrez & sa conseruation. C’est pourquoy
Plutarque en la comparaison qu’il fait de Licurgue auec
Numa, dit que ; C’est vne belle chose qu’acquerir vn Royaume par
Iustice, mais que c’est vne plus belle chose encore que de preferer la Iustice
à vn Royaume.

Il y a treize cens ans que nos Rois combattent, & que le
Parlement resiste pour empescher qu’on ne donne atteinte
aux Loix fondamentales de cet Estat, & à la Iustice qui les

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conserue & qui les a fait naistre, & auiourd’huy nous voyons
fous le Regne d’vn DIEV-DONNÉ, d’vn successeur de
Louis le Iuste, & d’vn jeune Roy qui ne peut encore pecher,
cinq ou six proscrits & de nos terres & de leurs patries, entrer
dans les Conseils de sa Majesté, pour en bannir la Iustice,
en chasser les Ministres naturels & legitimes, & y faire
regner le desordre & la confusion qu’ils ont semée dans leurs
Estats, parce qu’ils ignorent les Loix de la France, & qu’ils
ne peuuent auoir d’affection pour vn Royaume qu’ils tiennent
pour ennemy, & qu’ils attaquent quand ils peuuent
lors qu’ils sont chez eux, & qu’ils ne trouuent plus d’azile
aupres de nous. Le Roy d’Angleterre qui y preside, ou doit
presider par le droit de sa naissance, void ses sujets rebelles
qui triomphent de nostre Armée Nauale, qui sont maistres
de tous nos vaisseaux de guerre, & qui sont aux portes de
nos Villes les plus importantes, pour voir si leur Souuerain
continuëra de leur liurer la France pour se reconcilier auec
eux, & se mettre plus facilement en possession de ce Royaume
qu’il pretend, & dont il porte le nom, encore qu’il ne luy
appartienne point, ce qui tire des larmes de sang de tous les
bons François. Le Prince Thomas qui est le plus puissant &
le plus fidelle pensionnaire du Roy d’Espagne, a si bien cabalé
& trompé le Conseil, qu’il a fait prendre à son Maistre,
qui est nostre ennemy iuré, Dunkerque qui vaut vn Royaume,
& Barcelone qui nous coute tant d’hommes & tant de
millions d’or : Nous auons ses trouppes dans tous nos ports
de mer, nous les souffrons dans toutes nos Frontieres, &
nous les voyons à deux lieuës de nostre Capitale, parce que
le Conseil du Roy est à luy, & qu’on aime mieux bouleuerser
toute la France, & sacrifier cent millions de sujets innocens,
que d’esloigner vn mal-heureux Italien qui abuse vne
femme, qui trompe vn jeune Roy, & qui remplit son Conseil
d’Estrangers comme luy, & de nos ennemis comme il est.

 

Et parce que nous n’auons plus que l’innocence & la justice
pour nous, on nous en veut priuer en transferant le
Parlement, & on veut que nous deuenions criminels en

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nous esgorgeans les vns les autres, à cause qu’il le faudra faire
tres-assurément, quand Paris sera sans Iuges, & que tant
d’esprits differens qui le composent seront sans Magistrats ;
qui est vne tyrannie, & vne cruauté inoüye dans toute l’Antiquité,
& que les Rois les plus inhumains & les plus barbares
n’ont iamais pratiquée, puis qu’il est si constant, que ; Ipsi
Tyranni Iustitiam non propter seipsam, sed propter seipsos colere coacti
sunt, comme remarque nostre incomparable Bodin, au chapitre
6. de sa Methode de lire l’Histoire.

 

La Iustice est libre & non captiue, c’est elle qui regle
tout, & qui ne reçoit la Loy de personne, Per me Reges regnani ;
Les bons Rois laissent aux Iuges l’entiere execution
de leurs Ordonnances, & veulent que leurs Arrests ne soient
en rien gehennez, autrement ils ne seroient plus Decisions
ny Iugemens. Philippe de Valois en l’an 1344. & François I.
en 1535. ordonnerent que ceux qui tiendroient leur Parlement
ne souffrissent point qu’on les vituperast par paroles
outrageuses, parce, disoient-ils, Qu’ils representent nostre personne
en tenant nostre Parlement ; Estant certain qu’ils participent
en toute façon à la Souueraineté, puis qu’ils sont partie
du Souuerain, & qu’ils ne sont pas moins grands que celuy
dont ils sont l’organe, & l’image vnique & veritable.
Louis XI. confirme cette verité non contestée, quand il dit
dans son Ordonnance de 1467. Qu’ils sont parties essentielles
de la chose publique, & membres du Corps dont il est le Chef, suiuant
la Loy celebre de cet Empereur Romain, qui declare que ;
Pars Corporis nostri sunt, qu’ils font les plus belles parties de
son Corps.

Et apres cela les traitter de rebelles, de factieux, & les
vouloir contraindre de quitter le Throsne de nos Rois, &
le Temple de la Iustice pour suiure douze traistres, douze
perfides, douze sacrileges, douze aboyeurs de Benefices, ou
d’autres corruptions de la Cour, c’est vouloir prostituer l’authorité
du Roy, affoiblir sa Iustice, briser son Throsne, le
rendre contemptible, des-honorer sa Majesté, & en vn mot
renuerser l’Estat, & tous ses fondemens, puisque comme dit

-- 59 --

Tacite ; Ita rerum compago, conuelli sine conuellentium ruina non
potest, nous nous en voyons à la veille, Dieu veuille en retarder
l’effet.

 

SECTION VII. Et derniere.

Que ceux qui fomentent & qui fauorisent des Conseils si tyranniques
& si pernicieux à l’Estat, sont criminels de leze-Majesté
Diuine & humaine.

Ceux qui conseillent à nostre jeune Roy, & qui surprennent
la Reine sa Mere pour luy persuader plus
facilement de tirer son Parlement de Paris, & de laisser
cette grande Ville, ou plustost ce monde racourcy, sans
Iustice, sans Gouuerneurs, sans Police, & sans Magistrats ;
Ce sont gens qui tres-assurément sont payez pour mettre fin
à la Monarchie Françoise, ou des desesperez qui ont juré sa
ruine parce qu’elle s’oppose à leur tyrannie, & qu’elle ne
peut plus souffrir la domination de tant d’Estrangers, qui repugnent
à son humeur, & qui blessent les Loix fondamentales
de l’Estat qui deffendent de les admettre, & de les reconnoistre.
Ces malheureux Ministres, dis-je, qui n’ont plus
d’autre pensée que d’eclypser le Parlement de Paris, afin que
leurs crimes & leurs maluersations n’en soient plus éclairées
& descouuertes, sont d’vn sentiment bien contraire à celuy
du grand Charles-Quint, qui donnant vn dernier conseil à
son fils Philippe II. pour regner saintemẽt & heureusement,
luy ordonne, que ne pouuant estre par toutes les Villes, ny
les Prouinces les plus importantes de ses Estats, il fit en sorte
qu’il y fut tousiours veu par son authorité & sa Iustice, la
déposant entre les mains de personnes de si grande integrité
& vertu, que ses sujets n’eussent occasion de regretter son
absence & son esloignement.

Tous nos Souuerains remplis de sagesse & d’experience ont
suiuy cét aduis, leurs Ministres les plus violens n’ont iamais

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osé tenter le contraire, & faut qu’apres treize cens ans, &
soixante cinq Rois Majeurs & agissans d’eux-mesmes, vn
Italien proscript, & vn Cardinal sans Lettres & sans Religion,
seconde de cinq ou six Estrangers tous ennemis de la
Nation Françoise, entreprenne pour vne seconde fois de
renuerser le lict de Iustice de nos Rois, & d’interdire les Senateurs
qui le conseruent depuis tant de temps, à cause qu’ils
luy ont fait son procez par ordre de sa Majesté, & qu’ils ne
veulent pas violer leurs consciences, ny les Loix fondamentales
de l’Estat pour se sousmettre à vn criminel qui les oppresse,
& qui ruine toute la France.

 

Pour se charger du Gouuernement d’vn grand Royaume,
il en faut connoistre les Loix & les Coustumes, & si nos Ministres
pretendus les sçauent, ils y trouueront leur condamnation.
Monsieur l’Aduocat General Talon leur ayant fait
entendre dans vne de ses Harangues au mois de Septembre
1648. Que c’est seruir contre soy-mesme, & perdre le titre de Citoyen,
que d’aller contre les Loix fondamentales de l’Estat ; Ce qui est conforme
à ce qu’vn de nos plus fameux Politiques escrit que ;
Vbi leges Regnorum sunt fundamentales & certæ, & consuetudines
antique, crimen Majestatis esse opinor contra illas disputare ; C’est
Gregoire en sa Republique, liu. 7. chap. 10. num. I. vn Chancelier
sans reproche ayant donné cét aduertissement il y a
tres long-temps que ; Confundi sine dubio desiderauerunt omnia,
qui tentauerunt legibus inimica ; Cassiod. epist. lib. 5. epist. 32.

Estant certain que ceux qui taschent de diuiser le Chef
d’auec ses Membres, & de des-vnir le Roy d’auec son Parlement,
faire diuorce entre luy & son lict de Iustice, & peruertir
l’ordre des choses & les fondemens de la Monarchie,
sont mauuais François, & des sujets coupables, aussi bien
qu’infidelles ; Ce n’est point aimer le Roy ny son peuple, que
d’entretenir la haine & la diuision entre-eux ; Parmy des
Chrestiens, & dans le Royaume du fils aisné de l’Eglise, vn
vray Seigneur n’est pas Seigneur, mais Pere & protecteur ;
Le nom de Seigneur est vn mot de puissance & de rigueur,
mais celuy de Pere est vn nom d’amour & de pieté. Auguste

-- 61 --

au lieu de la qualité de Seigneur, prist celle de Pere de la Patrie,
nostre Louys XII. en fit autant, ce qui rend sa memoire
aimable & venerable dedans nos souuenirs. Les Romains
n’ont iamais triomphé dans les batailles ciuiles, quoy que victorieux ;
Ces victoires ont plus de honte que de gloire, & plus
de larmes que de plaisirs. Ce ne sont point victoires, ce sont
fratricides & cruautez abominables ; Hortense se glorifioit de
n’auoir iamais esté soüillé du sang de ses Citoyens. Cesar en
la bataille de Pharsale, se resouuenant de sa clemence ordinaire,
commanda à ses soldats de pardonner aux Citoyens, &
de tuer tous les Estrangers. Brutus en ses Epistres dit, qu’il
est beaucoup plus honneste & plus expedient d’empescher le
cours des guerres Ciuiles, que d’exercer sa colere sur des Citoyens
vaincus. L’on tenoit à Rome, qu’il estoit plus profitable
à la Republique de garder vn Citoyen, que de tuer cent
ennemis ; & ne s’y trouuent point de recompenses si grandes
ny si honorables, que celles qui se donnoient pour vn Citoyen
sauué & conserué ; Parce qu’outre la Couronne qui portoit
auec elle les fleurs d’vn renom immortel, celuy qui auoit gardé
vn Citoyen, venant au Senat y auoit seance ; S’il venoit au
Theatre, il y auoit place, & chacun se leuoit deuant luy pour
faire honneur, & outre cela il estoit exempt de tailles & de
contributions, auec son Pere, & son Ayeul paternel pour cette
seule consideration. Le Donjon mesme du Palais de l’Empereur,
qui estoit l’appartement où il logeoit, estoit couronné
de branche de Chesne ; Obciues seruatos ; Pour donner a entendre
que les Rois doiuent estre Pasteurs & conseruateurs
de leurs peuples & de leurs sujets. Estant certain qu’on ne
sçauroit tirer aucun auantage de ses propres ruines, & qu’il
est monstrueux en toute sorte de façon, qu’vn jeune Roy
commence à marquer la premiere année de son Regne, & de
sa Majorité, par le carnage & le massacre de ses propres suiets,
sans qu’on puisse les accuser d’autre chose sinon qu’ils sont
nés François & innocens ; Cædibus suorum surgit Rex Imperaturus,
& à suppliciis Regnum auspicatur, eam tantum ob causam, quia
sui sunt ; disoit Firmicus.

 

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Et ne faut pas dire que le Roy ne doit rien relascher en
faueur de ses sujets, & qu’il faut qu’il tranche du Souuerain
par tout ; Ces maximes sont tyranniques, & ces conseils n’ont
rien d’humain, ny de Royal, les plus prudens & les plus religieux
Politiques ayans tousiours aduoüé que ce n’est point
desroger à la Souueraineté que de traitter auec des sujets qui
nous implorent, & qui meurent d’amour pour nous ; Vn sçauant
Politique du dernier siecle, traittant cette question, qui
n’est que le pretexte des Ministres qui ne veulẽt point de paix ;
Assero, dit-il, nullam Principi iniuriam fieri, si ad officium compellatur.
Il n’y a point de chemin qui ne soit honneste & honorable
quand il nous porte à la Iustice ; Le bon sang qui s’eschauffe
en s’esmouuant, se remet facilement en son premier temperament
quand le sujet de ce desreglement cesse. Seneque parlant
de la bonté d’Auguste qui pardõna à tous ceux qui auoiẽt
porté les armes contre luy, dit, s’il ne leur eut pardonné, à qui eutil
commandé ? Et par cette douceur il se concilia toutes les plus
nobles familles de Rome, lesquelles il eut perduës par la rigueur
de ses armes & de son authorité ; Estant certain que les
membres renoüez tiennent ordinairement plus fort que les
autres, parce que la nature desirant reparer vne rupture, y
apporte tant de secours & tant de soulagement, qu’il s’y fait
ordinairement vn gros cal qui fortifie la partie beaucoup dauantage
qu’elle n’estoit auparauant. Les orfevres font toûjours
leur souldure meilleure & plus ferme, que n’est pas l’ouurage
& la besongne principale.

Le feu Roy Louys XIII. l’a fait trente fois auec son Altesse
Royale, le Duc de Boüillon, & tant d’autres qui seroient
trop long de rapporter. Il y a peu de Villes considerables dans
le Royaume, auec lesquelles le plus grand & le plus prudent
de nos Rois Henry IV. n’ait traitté particulierement. Le Pere
Ioseph de Morlay Capucin, ou selon d’autres le Pere Vialart,
maintenant Euesque de qui a donné l’Histoire
du Ministere du Cardinal de Richelieu, rapportant les articles
de paix accordez aux Rochelois au mois de Fevrier 1626.
dit dans la Reslexion Politique qu’il fait sur iceux, tom. I.

-- 63 --

page 179. 180. de l’impression de Paris, in folio 1650. Qu’encore
que la reuolte des sujets force le Prince a en faire vn chastiment
exemplaire, si est-ce que la prudence l’oblige à dissimuler, & mesme à
leur donner la paix, lors qu’il y a sujet de craindre vn plus grand mal
d’vne nouuelle reuolte, dont les flammes s’vnissans auec celles de la premiere,
soient capables de mettre tout son Estat en combustion. Ce ne sera
point foiblesse de cœur, mais la necessité à qui les Dieux mesmes obeissent,
disoit vn ancien, qui le fera fleschir. Ce n’est pas vn deffaut de
craindre lors qu’il y en a sujet, mais grande prudence, & vne vertu sans
laquelle on ne peut joüir long-temps d’vne heureuse prosperité dans les
armes. Puis finissant cette reflexion il adjoûte ; Qu’vn Sage Ministre
(duquel il nous trace le portrait) doit bien plustost porter
son Maistre à s’accommoder dans ces occurrences, qu’à mettre l’Estat
dans vn peril eminent, en s’opiniastrant dans la resolution de chastier par
les armes des reuoltez qui sont sur le poinct d’auoir vn puissant secours,
auec lequel ils mettront en balance le succez de la guerre. Voila l’aduis
Chrestien de l’vn ou de l’autre de ces bons Peres Politiques.

 

Si l’infidele qui pour s’exempter de la foy qu’il doit à son
employ, dit qu’il ne faut pas qu’vn Ministre d’Estat soit esclaue
de ses paroles, auoit entretenu le traitté que le Roy fit auec le
Parlement & la Ville de Paris, à saint Germain en Laye, au
mois de Mars 1649. pour faire cesser des mouuemens beaucoup
moins dangereux que ceux que nous voyons, & dont il
est cause, il n’en faudroit point d’autres aujourd’huy, parce
que toutes choses seroient calmes, & que nous joüirions du
repos & de la tranquillité que sa mauuaise conduite, & son
gouuernement tyrannique nous desrobent & nous rauissent ;
C’est pourquoy, puis qu’il en faut vn second plus ferme & plus
cimenté, & que les peuples ne demandent que le retour du
Roy dedans sa Capitale, & les moyens de luy pouuoir rendre
leurs respects & leurs obeissances, il y a bien de la surprise &
bien de la malice de le tant differer, & de vouloir qu’il soit tel
que le Mazarin qui est la pierre d’achoppement le dressera, &
qu’il soit verifié par les faux freres du Parlemẽt de Paris qu’il
entretient à Pontoise expressément pour cela, comme ils ont

-- 64 --

desia fait son abolition & son Amnistie, apres l’auoir jugé &
condamné en connoissance de cause toutes les Chambres assemblées
à Paris, au lieu de leurs Majeurs.

 

Que si nos Rois & nos Parlemens souffrent qu’on rende la
Iustice de la sorte, & qu’on prostituë si laschement & si honteusement
leur authorité Souueraine ; Adieu la Majesté de
ce grand Senat, adieu le lict de Iustice qu’il conserue, adieu
le nom de Cour des Dues & Pairs, adieu l’honneur de la France,
adieu la gloire de l’Europe, adieu les fondemens de l’Estat,
adieu tout ce qu’il y a de sainct & de sacré dans le Royaume ;
Cecidit Corona capitis nostri ; dit Ieremie en ses Lamentations,
cap. 5. vers. 16. il n’y a plus rien de beau pour nous, nostre
Couronne est flestrie, elle tombe piece à piece, & s’en va de
dessus nostre teste, puis que douze Conseillers acheptez à pris
d’argent par vn fauory qui voudra tout violer, le suiuront où
il ordonnera, se rendront esclaues ambulatoires, donneront
des Arrests plustost dressez que deliberez, & verifieront tels
Edicts, & telles Declarations qu’il luy plaira, sans pouuoir,
sans Caractere, sans estre dedans le lieu de leurs Maieurs où
ils prennent leur force & leur vigueur, & contre les Loix fondamentales
de l’Estat ; Qui est mettre la Monarchie en proye,
les suiets à l’abandon, leurs biens au pillage, & les plus gens
de bien à la mercy d’vne poignée de traistres & de perfides,
qui par ainsi feront la loy à tout le reste du Royaume, & fouleront
aux pieds toutes les Compagnies Souueraines qui le
maintiennent & qui le conseruent.

Cette malheureuse entreprise, & cette defection honteuse,
est d’vne consequence bien plus perilleuse & plus dangereuse
mille fois, que l’establissement des Commissaires que
l’on a tant & si long-temps combattu, puis que ces noms redoutables
se changeans en celuy de Parlement, & de Parlement
de Paris, qui est le Iuge vnique & naturel des Princes
du Sang, des Ducs & Pairs, des Officiers de la Couronne, &
de tous les grands du Royaume ; Il n’y a plus de seureté ny
pour leurs vies ny pour leurs personnes ; Ils feront les esclaues
d’vn Fauory, & les victimes d’vn Parlement ambulatoire qui

-- 65 --

ne sera à luy que pour les perdre, & les destruire quand il luy
seront contraires, ou qu’ils luy donneront quelque ombrage
& quelque mescontentement.

 

C’est pourquoy il faut que le Roy mieux conseillé, les Princes
du Sang plus aduisez, les Ducs & Pairs plus vigoureux, le
Parlement de Paris & tous les autres qui ne font qu’vn Corps
auec luy plus seueres & plus ialoux de leur splendeur & du salut
des peuples qu’ils protegent, fassent vn dernier effort pour
d’vn commun consentement, effacer & supprimer, non seulement
le nom de cette Synagogue criminelle, mais encore
tout ce qui s’y est fait & ordonné sous le nom abominable de
Parlement de Pontoise ; Et que tous ces grands Princes, &
vertueux Magistrats, renoncent plustost à leurs charges, & à
leurs propres vies, que de souffrir iamais qu’aucun acte, ny
aucune Ordonnance qu’elle elle soit de cette Cohuë detestable,
subsiste ny ait aucun effet, s’ils ne veulent signer leur propre
ruine, & consentir qu’il y ait vn Parlement ambulatoire à
la suite d’vn Tyran & d’vn Fauory, lequel sera superieur & reformateur
de tous les autres reguliers & sedentaires qui sont
de dans la France ; Parce que si on reconnoist vn seul acte, ou
vn seul Arrest de ce receptacle de pariures, c’est aduoüer &
confesser qu’ils ont pû en donner ; Et s’ils ont pû en donner vn
auec effet, l’exemple & la possession est pour eux, & pour celuy
qui les employe, qui est assez pour vn premier coup, &
pour ietter les fondemens d’vne entreprise de cette consequence ;
Puis qu’vne autrefois on en donnera deux, & puis
trois & quatre, & bien-tost apres on fera vn nouueau Parlement
suiuant la Cour, qui sera Maistre de tous les autres, &
qui verifiera tout ce qu’on luy portera, & sacrifiera tous ceux
qu’on luy liurera, pourueu que le Fauory qui le maintiendra
& qui l’employera le paye bien en pensions, ou en benefices
O tempora, ö mores ! O pauure France que ton aueuglement est
grand, & que tu vas insensiblement à ta ruine & à ta perte si
tu souffre plus long-temps qu’on trauaille ainsi hautement &
tyranniquement à te rendre esclaue d’vn Ministre insolent,
qui n’aura plus que des bourreaux pour t’affliger, quand ces

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Iuges & tes protecteurs seront sans pouuoir & sans authorité.
Le lict de nos Rois ne se partage point, il est vierge aussi bien
que la Iustice qu’il represente, il ne peut sortir de la Capitale,
ny du Temple qui luy est desdié que pour estre prostitué par
tout ailleurs où il seroit transferé, c’est vn sacrilege & vn adultere
Politique qui ne peut causer que de la confusion dans le
gouuernement de la chose publique, & parmy la tranquillité
de ses enfans ; Et pourueu que la plus saine & la plus grande
partie de ses surveillans & de ses conseruateurs ne le quittent
& ne l’abandonnent point, il n’est au pouuoir de qui que ce
soit d’en transferer le siege, non plus que l’authorité, ny d’en
interdire le pouuoir, ny les fonctions qu’en ruinant la Capitale,
qu’en destruisant son Palais, qu’en abolissant sa memoire,
& qu’en renonceant à la Royauté de laquelle il est l’appuy,
la baze, & le fondement, sans que personne ait jamais
reuoqué en doute cette verité ancienne, qu’vn Estranger
ignorant qui ne sçait point nos Loix, non plus que la façon de
nous gouuerner ; y ayant mille fanfarons à la Cour qui feroient
mieux que luy ce qu’il fait dedans le cabinet, & vne infinité
de fideles & prudens François plus capables vn million
de fois que ce farceur d’Italie, de rendre la gloire à cét Estat,
de le conseruer contre ses ennemis, & de le maintenir en l’opulence
& la splendeur où il seroit, si ses propres enfans le
gouuernoient ; Ne sçachant aucun Estat dans le monde, ny
aucune famille vn peu considerable, qui ait vn Estranger inconnu
pour guide & pour conducteur Souuerain.

 

Puis donc qu’il n’est pas nouueau qu’vn Roy se racommode
auec ses suiets, & qu’il est plus obligé de les deffendre & de
les proteger qu’vn Tyran descouuert qui les oppresse & qui
les tourmente ; Que peut-on moins auiourd’huy dans le penchant
de la Royauté, & dans vne conioncture qui n’a point
d’exemple, que d’obliger ce proscrit à garder son ban sans espoir
de retour, de ramener le Roy dedans sa Capitale, de reünir
les Princes du Sang Royal, de les admettre dans les Conseils
au lieu de tant d’Estrangers suspects qui les occupent,
de donner la paix au Royaume puis que nos propres ennemis

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la demandent, de restablir les Loix fondamentales de
l’Estat que l’on tasche de renuerser depuis tant de temps, de
permettre qu’on rende la Iustice aux bons & aux meschans,
& de reparer l’iniure faite au lict de Iustice de nos Rois, en
cassant & supprimant tout ce qui s’est fait à Pontoise sous le
nom de Parlement, & reuoquant tous les Edicts & toutes les
Declarations qui y ont esté expediées pour ce suiet, auec les
actes & tout ce qui s’en est ensuiuy, comme contraires aux
Loix fondamentales de l’Estat, iniurieuses à l’authorité du
Roy, & faites par surprise & par attentat.

 

Si par l’article 1. & 2. du traitté du mois de Mars sus-allegué,
& verifié en Parlement le I. Avril ensuiuant, il est porté
en termes expres, que ; Demeureront en leurs entiers les Arrests
qui ont esté rendus tant en matiere ciuile que criminelle, entre les particuliers
presens, ou auec nostre Procureur general, pour affaires particulieres,
&c. Demeureront aussi nuls, & comme non aduenus tous les
Arrests donnez en nostre Conseil, & les Declarations publiées en iceluy,
& les Lettres de Cachet expediées sur le sujet des presens mouuemens,
depuis le 6. Ianuier dernier, iusques au iour de la presente Declaration.

Que doit-on faire en ce rencontre dont la pensée fait horreur,
pour ce qui est des Arrests, des verifications, & des interdictions
que treize ou quatorze Conseillers fugitifs & suspects,
sans pouuoir, sans adueu, & sans authorité, ont osé
prononcer contre deux cens Senateurs qui blasment leur
conduite, & qui n’ont autre pensée que de rendre la Iustice,
& de contenir les sujets de sa Majesté dans le deuoir & dans
l’obeïssance ; S’ils eussent quitté Paris & le Palais comme ces
faux freres pensionnaires du Mazarin, en quel estat seroit
cette Capitale aujourd’huy ? qui en seroit le Maistre ? qui en
seroit le Roy ? Si Henry IV. a dit mille & mille fois qu’il deuoit
sa Couronne à ces sages Magistrats ; Louis XIV. son petit
fils doit publier le reste de ses iours, que sans eux il n’y auroit
plus de Paris, ny peut-estre de France pour luy.

C’est pourquoy en leur donnant le nom de Peres du peuple,
& de Conseruateurs de la Patrie, il faut authoriser & ratifier

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tout ce qu’ils ont si sagement & si prudemment fait &
ordonné, & casser, annuller & reuoquer ce que le Conseil &
les Conseillers residans à Pontoise ont entrepris contre eux
& contre l’authorité du Roy, suiuant & executant le traitté
du mois de Mars 1649. & celuy du Roy deffunt de l’an 1615.
puisque l’experience nous fait voir de temps en temps, & en
cent sortes de rencontres, que toutes les fois que les Ministres
d’Estat & le Parlement agissent ainsi les vns contre les autres,
le dementi en demeure tousiours à ces Officiers de Cour &
de faueur, & l’honneur & la gloire à ce Senat aussi incorruptible
qu’inesbranlable, parce qu’il ne fait rien que par Iustice,
& n’entre prend quoy que ce soit qui ne tende à la grandeur
de l’Estat, au seruice du Roy, & au soulagement du peuple ;
où le Conseil n’a pour but que ses interests, l’oppression
des suiets, & les moyens de plaire au fauory qui les esleue ou
qui les abaisse comme il veut. Outre que le Parlement estant
vne Iustice reglée qui ne passe iamais ses bornes ny son pouuoir,
& seruant de digue & de rempart contre la violence &
le desbordement des Ministres, il est bien iuste & bien raisonnable
que ses Oracles & ses Arrests donnez en connoissance
de cause, soient plus suiuis & plus considerez, que des coups
de colere & de boutades que l’on change & que l’on reuoque
aussi souuent que l’employ & la commission de ceux qui les
font pour s’enrichir & bastir leur fortune ; & ce conformément
aux Traittez & Reglemens cy-dessus rapportez, & à
l’ancien Iugement du Roy Theodahadus, qui escriuant au
Senat de Rome sur vn different de cette nature, confesse que ;
Non decet Senatum corrigi, qui debet alios paterna exhortatione moderari,
nam ex quibus habebunt genium mores, si parentes publicos,
minores contigerit inueniri. Cassiod. Variar. lib. 10. Epist. 13.

 

Les suites d’vne trop longue Regence, & l’aage trop ieune
de nostre Roy, ne contribuent pas peu aux mal heurs &
aux desreglemens que nous souffrons, pour le trop de facilité
de la premiere, & le trop de complaisance du second pour vn
Ministre ignorant & meschant. Monsieur le President de
Thou parlant dans son Histoire de la perte que François I. fit

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du Duché de Milan, & en accusant Catherine de Medicis sa
Mere, laquelle par sa malice ordinaire auoit diuerty l’argent
que l’on enuoyoit à l’armée d’Italie pour y subsister, qui faute
de cela vint à perir de necessité, dit en peu de paroles, mais
tres-considerables & tres-remarquables ; Adeo feminarum,
vt successionem lege Regni nescit Gallia, sic Imperium & administrationem
semper fatalem experta est.

 

L’Autheur de la Vie de cette bonne Reine, se plaignant
d’vn mal qui nous cuit si fort auiourd’huy, dit & moy auec
luy, qu’il pourroit monstrer & iustifier par nostre Loy Salique,
que les femmes ont aussi peu de droit de gouuerner ce Royaume,
que d’en pretendre la succession ; Que quand le contraire
s’est fait, ç’a esté par vn abus tout manifeste, dont nous auons
tousiours porté la peine ; L’importance du danger public n’estant
point en ce qu’vne femme est appellée Reine, ou porte
vne Couronne ; Mais en ce que le plus souuent elle gouuerne
tout à l’appetit des passions immoderées qui la peuuent emporter,
& du premier qui a la subtilité de se mettre en ses bonnes
graces, comme nos Historiens les plus approuuez tesmoignent.
C’est pourquoy cette mesme Reine de Medecis desirant
se mesler du gouuernement de l’Estat du temps mesme
que le Roy viuoit, & ayant gagné le Connestable pour le faire
trouuer bon à Henry II. son Mary, qui se voyant importuné
de cela, luy dit ces mesmes termes ; Vous ne connoissez pas bien
le naturel de ma femme, c’est la plus grande brouillonne du monde, elle
gastera tout si on luy donne entrée au Gouuernement. Le feu Roy, que
Dieu absolue, n’en dit gueres moins, quand on se passionna si
fort auprés de luy, pour le supplier de donner la Regence à la
Reine Mere d’auiourd’huy.

Bodin raconte en son Theatre de la Nature, que Louys
XII. faisant mettre dans vne Gallerie du Chasteau de Blois
la teste d’vne Biche qui auoit des ramures comme vn Cerf, dit
en raillant, que la nature au commencement du monde auoit
donné à toutes les autres comme à celle-là le mesme bois
qu’aux Cerfs, mais qu’ayant veu depuis qu’elles en abusoient,
elle le leur auoit osté & retranché.

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Il est vray que le Roy est Majeur, & que la Reine n’est plus
Regente ; mais il est trop vray aussi qu’elle a trop de pouuoir
dans les Conseils, & trop d’authorité dans le Gouuernement
d’vn Estat où elle n’a plus de part, & qui ne se conduit point
en quenouïlle ; on n’a changé que le Bouchon, puisque nous
beuuons tousiours du mesme vin que pendant sa Regence.

Fredegonde, Brunehaut, Plectrude & Iudith allumerent
& entretindrent toutes leurs vies des guerres Ciuiles en ce
Royaume, & mirent en ialousie le pere auec le fils, le frere
auec le frere, pour se maintenir & entretenir leur ambition
de commander dans ces discordes. La Reine Blanche ayant
enuahy la tutelle du Roy saint Louis aagé d’onze à douze
ans, pour empescher que les Estats ne luy ostassent le gouuernement,
mit en guerre les Catholiques contre les Albigeois
declarez heretiques par sentence du Pape, apres quoy
l’on fut tout surpris d’apprendre que tous les grands du
Royaume estoient de cette Secte ou s’entendoient auec eux,
ainsi qu’elle leur vouloit faire croire ; & de fait sous ce pretexte
specieux & plain de religion elle se deffit d’eux adroitement ;
& comme le Roy son fils vint à estre grand, apres
l’auoir tenu bas, & esleué auec beaucoup de crainte & de rigueur,
elle l’enuoya contre les infideles dans la terre Saincte,
pour par ce moyen demeurer tousiours seule dans le
Gouuernement.

Si les Estats de ce Royaume n’eussent remedié de bonne
heure à l’audace effrenée d’Isabeau de Bauiere femme de
Charles VI. & ne l’eussent enuoyée promener à Tours, elle
n’eut pas degeneré du naturel des autres, comme elle monstra
en son commencement, à ce qu’assure Monstrelet. Madame
de Beaujeu ayant eu charge par les Estats de Tours d’auoir
soin de la personne du Roy Charles VIII. son frere,
voulut estre Maistresse du Gouuernement aussi, & pour en
venir plus facilement à bout, elle tira le Roy de Paris, &
l’esloigna des Princes du Sang, & de ses bons & fideles Conseillers
& Magistrats, ce qui ne fit pas peu de bruit, comme
nostre Histoire raconte bien au long.

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Ie ne sçache aucune Loy qui oblige vn fils de demeurer
tousiours auec sa mere, apres qu’il est maieur & maistre de
son bien ; au contraire plusieurs Constitutions du Royaume
supposent en ce cas leur separation & y pouruoyent, puisque
les Contracts de mariage des Reines leur assignent expressément
vne demeure à cette fin. L’Escriture Saincte ne dit
point aussi, que les Meres des Rois doiuent gouuerner leurs
Enfans & leurs Estats, quand elles en sont deuenuës les suiettes,
& qu’elles n’ont plus de part ny de droit à la Couronne,
pour estre au rang des personnes priuées. Salomon qu’on
nous propose pour le plus sage des Rois ne se laissa pas gouuerner
par sa mere Bethsabée, au contraire dés qu’il fut assis
sur le Throsne, elle luy fit vne demande auec beaucoup d’affection
pour son frere Adonias, qu’il luy refusa absolument
& la reprit de la luy auoir faite, comme estant preiudiciable
à sa personne, & au bien de son Estat. Alexandre le plus
grand Monarque & le plus aimant sa mere qui fut iamais, allant
pour conquerir la Perse ne laissa pas le gouuernement
de son Estat à cette Reine, mais à Antipater son fidel seruiteur,
quelque antipatie qu’il sceut estre entre luy & elle.

Louis XI. le plus Politique & le plus circumspect de nos
Rois, ordonne à son fils par son Testament, de ne se pas seruir
de sa mere en ses affaires, parce, dit-il, qu’elle estoit
Estrangere. Et de fraische memoire le Duc de Lorraine,
grand pere du Duc Charles d’auiourd’huy, fut tant trauaillé
par sa mere, fille du Roy de Dannemark, qu’il fut contraint
de se separer d’elle, & de l’enuoyer en Italie où elle
mourut vers le commencement de la Ligue.

Belleforest raconte, outre ce que nous venons de rapporter,
que Charles VII. pour lors encore Dauphin, ayant fait
conduire Isabeau de Bauiere sa mere à Blois, & de Blois à
Tours, pour empescher les cabales qu’elle permettoit de
faire aux mescontens sous son nom, la fit despoüiller par le
Connestable d’Armagnac, de tous ses joyaux, & de tout son
argent, iusques à celuy mesme qu’elle auoit mis en depost
dans les Eglises, & ce auec tant de rigueur & de captiuité,

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qu’elle ne pouuoit faire vn pas ny dire vn mot, que par le
congé & le consentement de trois hommes qu’il luy donna
pour la gouuerner.

 

Si Dieu ordonne de quitter son pere & sa mere, pour suiure
& secourir sa femme, le Roy ayant espousé sa Couronne,
ayant son Domaine pour dot, & ses sujets pour enfans qu’il
ne peut des-heriter, il est incomparablement plus obligé
d’abandonner sa mere qui ne leur est plus que marastre, &
particulierement lors qu’elle met la famille en diuision, ou
plustost tout l’Estat qui est l’assemblage de toutes les familles
qui n’en font qu’vne au regard du Roy qui est le Pere commun
de toutes. Saint Augustin dit vne belle parole dans ses
Confessions, liure 9. chap. 7. rendant raison pour quoy saint
Ambroise trouua par reuelation les corps de saint Geruais
& saint Protais ; Ad coërcendam, dit-il, rabiem femineam, sed
Regiam ; pour arrester la fureur d’vne femme, mais d’vne femme
qui estoit Imperatrice, & mere de l’Empereur ; parce que
c’est vne haine, & vne rage sans borne que celle d’vne Reine
qui se croit offensée, & qui se veut vanger. Dieu vueille
donner vn bon Conseil à nostre jeune Monarque, & luy inspirer
les aduis & les vertus necessaires pour bien gouuerner
son peuple, pour restablir la Iustice, & rendre bien-tost le
repos & la tranquillité qu’il doit à ses sujets oppressez, & à
sa Capitale qui est le lieu de son Throsne, l’appuy de son authorité,
& le soustient de toutson Royaume.

Quærite pacem Ciuitatis ad quam transmigrare vos feci ; Et
orate pro ea Dominum, quia in pace illius erit pax vobis ;
nec vos seducant Prophetæ vestri qui sunt in medio vestrum. Ierem. cap. 29. vers. 7. 8.

FIN.

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Anonyme [1652], DE LA NATVRE ET QVALITÉ DV PARLEMENT DE PARIS, ET Qu’il ne peut estre interdit ny transferé hors de la Capitale du Royaume, pour quelque cause ny pretexte que ce soit. , françaisRéférence RIM : M0_857. Cote locale : B_15_32.