Lanauze,? [signé] [1652], LA LEVÉE DV SIEGE DE VILLENEVVE D’AGENOIS, ESCRITE PAR VN GENTILHOMME de ladite Ville d’Agenois, à vn Bourgeois de la Ville de Bourdeaux. , françaisRéférence RIM : M0_2298. Cote locale : B_14_37.
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LA LEVÉE
DV SIEGE
DE VILLENEVVE
D’AGENOIS,
ESCRITE PAR VN GENTILHOMME
de ladite Ville d’Agenois, à vn
Bourgeois de la Ville de Bourdeaux.

Sur vn Imprimé à Bordeaux,

A PARIS,
Chez NICOLAS VIVENAY, Imprimeur ordinaire
de Monseigneur le Prince de Condé.

M. DC. LII.

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LA LEVÉE DV SIEGE
de Ville-neufue d’Agenois : Escrite par vn Gentilhomme
de ladite Ville d’Agenois,
à vn Bourgeois de la Ville
de Bourdeaux.

VOVS n’auriez pas de sentiment du
bien public ; & vous seriez ennemy
de la Prouince, si vous ne goûtiez
comme vous deuez la bonne Nouuelle
de la leuée du Siege a Ville-neufue
d’Agenois. S’il est vray ce
qu’on a dit que la tristesse estoit quelquesfois agreable
sur certains visages, & qu’il s’est treuué des
personnes qui ont pleuré de bonne grace ; On
peut dire plus iustement, que l’affliction a ses charmes
dans l’esprit des gens de bien ; & qu’au lieu
de les défigurer, elle ne sert d’ordinaire qu’à les
embellir. Les braues Bourgeois de cette Ville
confirment auiourd’hy cette verité dans leurs pertes,
tant par leurs fortes resolutions, que par la
ferme constance de leur fidelité enuers Son Altesse ;

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s’il eut esté possible de leur faire violer le
serment qu’ils firent en sa presence au mois d’Octobre
dernier, il falloit quelque perte plus grande
que celle de tous leurs biens, & des coups plus
rudes que ceux des Canons de Monsieur le Comte
d’Harcour. Mais tout de bon, rien n’estoit
capable de les ébranler ; Le siege ne fut pas si-tost
posé deuant cette Ville, qu’il commença de se
bien porter ; Les Medecins de ce pays, bien informez
de la constitution & du bon temperament
des Assiegez, asseurerent deslors qu’il se leueroit
bien-tost. Et certes il ne falloit pas estre fort sçauant
pour faire ces pronostics ; Il n’y eut que Monsieur
le Comte d’Harcour de surpris en cette rencontre
par la lâcheté & perfidie de certains pretendus
Gentils hommes de ce Pays, qui en la même
façon de ce fameux impie, par l’embrasement
du Temple d’Ephese, fit parler de luy, iusques au
milieu des deserts, creurent s’immortaliser par vn
crime horrible de perfidie & de trahison contre
leur Patrie.

 

Ce memorable Siege se leua le neufiéme de ce
mois d’Aoust, apres deux mois entiers de maladie ;
il estoit composé de huict mil hommes, tant
Caualiers que Fantassins, qui se trouuerent le iour

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de leur retraite plus reculez de la Ville, que le premier
iour de l’ouuerture de leurs tranchées ; Deux
mille cinq cens Caualiers ou fantassins ont esté assoumez,
entre lesquels on compte cinq cens Officiers,
plus de mille sont morts de maladie, & tous
les iours bon nombre de malades & de blessez se retiroient ;
& il est certain qu’il n’en est pas resté trois
mil pour pleurer leur honte & leur desolation ; &
pour seruir de consolation à Mr. leur General. Monsieur
leur Intendant en est tumbé malade de desplaisir :
Ces belles Harangues & promesses qu’il
leur faisoit pour les Aydes, luy ont resté inutiles &
sans effet. Si l’opiniastreté des assiegeans eust continué
plus long-temps, ils eussent tous pery. Les
assiegez y ont perdu 36. Habitans, au nombre desquels
sont : les sieurs Descalon, Cocards, Boyssieres
& Barraillé, apres s’estre tous signalez, & 34.
blessez. Les sorties des assiegez estoient frequentes
& importantes : & comme les Bourgeois alloient
d’ordinaire aux coups, il leur restoit quelque sorte
de respect pour leurs playes, pource qu’ils sentoient
qu’elles eschauffoient leur courage, & qu’ils sçauoient
que leur sang faisoit les premiers preparatifs
de leur Triomphe. Et sur l’aduis qu’ils reçeurent
qu’il y auoit dans le Chasteau de Roger, distant
de demy-lieuë de la Ville, douze cens boisseaux
de bled ramassez, ils l’assiegerent auec telle vigueur,
qu’ils tuerent le Commandant, & quatre
Caualiers, en emmenerent quarante prisonniers,

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50 cheuaux, auec les douze cens boisseaux de bled
froment dans la Ville, à la veuë de Mr le Comte,
qu’ils distribuerent à ceux qui en auoient besoing.
Quoy que l’on doiue estre accoustumé à voir faire
des actions glorieuses à Mr le Marquis de Theobon,
& qu’il y ait long-temps qu’il fait parler de luy d’vne
même sorte ; Ie ne puis empescher de vous dire qu’il
semble qu’en cette occasion il se soit efforcé de se
sur passer soy-mesme, & de faire quelque chose de
plus que tout ce qu’il auoit fait jusques icy. Les
preuues qu’il a données de sa conduitte & de son
courage, meritent vn Panegirique entier, On y
trauaille, & à la composition d’vn Iournal de tout ce
qui s’est passé en ce Siege. Bien vous puis ie dire
par avance que cette ardeur de courage qui boüillonne
en luy, & que sa prudence a sçeu moderer si
heureusement pendant tout le Siege, tesmoigne
bien qu’on peut accorder les vertus paisibles auec
les tumultueuses, & qu’il a esté plus ingenieux que
la nature, qui ne peut faire regner la tempeste & la
bonace en mesme endroit. Ie ne vous sçaurois exprimer
le zele & la pieté de ces Habitans, ils estoient
incessamment en faction, ou au pied des Autels,
implorans l’ayde & l’assistance du bon Dieu, par
l’intercession de la sacrée Vierge sa Mere, à l’honneur
de laquelle ils ont basti vne Chapelle qu’ils
appellent en leur langage de Gauch, c’est à dire,
de Ioye.

 

Depuis la leuée du Siege, ces Braues & incomparables

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Bourgeois ont veu la desolation de leurs
Compagnes, où tout a esté entierement rauagé :
ils en ont esté estonnés, mais non pas troublez. Le
souuenir qu’ils ont d’auoir serui genereusement &
fidellement le Roy & Son Altesse, auec profit &
vtilité pour toute la Prouince, mesmement à la
Ville de Bourdeaux, auec laquelle ils ont l’honneur
& la gloire de s’estre inuiolablement vnis, fait
vne si forte impression sur leur esprit, qu’il n’est
point de mal-heur qui les accable, & qu’ils ne surmontent
par leur Vertu. Ils connoissent trop bien
le prix de leur persecution pour s’en plaindre, &
se ressouuiennent que pour moissonner en Ris, il
est necessaire de semer en Larmes. Ils sçauent
que iamais les Saincts n’ont esté couronnés qu’apres
auoir combattu ; Qu’il n’y a que Salomon qui ait
toujours esté dans ses delices, & que c’est pour cette
raison qu’on est en doubte, son salut, & qu’il est
peut-estre mal-heureux pour n’auoir rien souffert.
Ie finiray par mes protestations ordinaires que ie
suis,

 

MONSIEVR,

Vostre tres-humble & tres-affectionné
seruiteur, LANAVZE.

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Lanauze,? [signé] [1652], LA LEVÉE DV SIEGE DE VILLENEVVE D’AGENOIS, ESCRITE PAR VN GENTILHOMME de ladite Ville d’Agenois, à vn Bourgeois de la Ville de Bourdeaux. , françaisRéférence RIM : M0_2298. Cote locale : B_14_37.