Fonteneil, Jacques [?] [1650], LE REMERCIMENT DES BOVRDELOIS, AV ROY, Sur le suiet de la Paix. , françaisRéférence RIM : M0_3277. Cote locale : A_9_1.
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LE
REMERCIMENT
DES
BOVRDELOIS,
AV ROY, Sur le suiet de la Paix.

Iouxte la coppie imprimée à Bourdeaux par I. M. MILLANGES.

A PARIS,
Chez Nicolas Bessin, au Palais, en l’allée S. Michel.

M. DC. L.

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LE REMERCIMENT DES BOVRDELOIS
au ROY, sur le sujet de la Paix.

SIRE,

Il est des subjets esloignez de leur Prince, comme
des peuples que le Soleil n’éclaire que par des rayons
reflechis, qui souffrent de tres-longues rigueurs, comme
autant de supplices, d’autant que ce pere commun
ne peut voir qu’à demy l’estat de leurs disgraces. Vostre
Trône est trop reculé, pour voir la main soudain qu’elle
nous frappe ; Il est trop esleué, pour sentir la douleur
au moment qu’on nous blesse : Et si quelquesfois pendant
nos mouuemens, l’image de nostre misere s’est
presentée à vos yeux, on a terny sans doute le poly de
la glace qui la representoit, pour la rendre l’objet de la
haine de vostre Majesté ; puis que pendent le temps
qu’il n’y eut point d’Echo qui redist fidellement nos
plaintes, on nous a fait languir comme des criminels,
pource qu’on nous a creu tout à fait miserables. Mais
depuis que l’aisné des Parlemens (dans lequel la Iustice

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& la Vertu ont estably leur Trone comme dedans vn
Ciel) s’est rendu sensible à nostre mal ; que des personnes
illustres touchees de nos douleurs, ont demandé
pour nous vostre compassion, & que nos souffrances
ont poussé des soupirs qui vous ont fait entendre, qu’il
n’estoit pas iuste que la querelle de nostre ennemy passast
pour celle de l’Estat, & qu’on nous traictast en rebelles
pour n’estre pas ses adorateurs ; La justice de vostre
Majesté, seuant son bandeau pour regarder nostre
innocence d’vn aspect fauorable, nous a donné la vie,
en nous donnant la paix.

 

Secourir l’affligé est vn chef-d’œvure de la bonté de
Dieu, dont vous estes l’image ; aymer le peuple, c’est
auoir de l’amour pour le bien de l’Estat : Car quoy qu’il
n’en soit pas la plus noble partie par la bassesse de son
employ, il fait la plus considerable, par le secours qu’il
donne en la necessité ; & pour dire le vray, les Grands
tiennent des Petits tout ce qu’ils ont d’illustre ; de mesme
que les superbes edifices doiuent la gloire de leur
esleuation aux pierres que la terre r’enferme, qui leur
seruent de base. Il n’y a point de Rois s’il n’y a des subjets ;
& pource que le peuple en fait la plus grande partie,
il merite vne plus grande protection : car si les Grands
composent les fleurons de leur Couronne, les Petits
forment le cercle qui enueloppe & soustient tout le reste.
C’est pour cela qu’on obligeoit les Dictateurs à Royne,
apres leurs eslections, de visiter les oyes gardes du
Capitole, & pouruoir à leurs necessitez, auant que sauër
leurs Dieux, & brusler de l’encens au pied de leurs
Autels.

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Les Gouuerneurs que V. M. commet dans les Prouinces
à la conduitte de ses subjets, vnissant la prudence
auec l’authorité, semblent à ces images que les Empereurs
Romains enuoyoient dans les lieux sousmis à leur
Empire, qui donnant la terreur aux meschans, & seruans
d’azile aux miserables, appelloient à soy les adorations
d’vn chacun. Mais quand par contre-sens ils n’employent
leur pouuoir que pour faire du mal, ils ressemblent
la teste, qui pour estre grossie de mauuaises humeurs,
se rend insuportable aux membres qui la portent.
Si le Duc d’Espernon, que la iustice du feu Roy
esloigna de la France, & que la bonté de la Reyne a
rappellé dans ce Gouuernement, eust pratiqué cette
premiere Maxime, nous serions bien emsemble ; Si
nous eussions souffert qu’on transportast les bleds qu’il
chargeoit pour l’Espagne, & qu’il nous eust osté le
pain des enfans legitimes pour le donner aux chiens,
nous eussions esté les fidelles non pas les reuoltez : Si
nous eussions permis qu’il eust continué de faire de nostre
Hostel de ville, vne chorme d’esclaues, nostre reuolte
eust passé pour vertu : les deux escus par tonneau de
vin, desquels il prenoit la moitié pour ses apointemens
suprimez par Arrest pour n’estre point verifié aux termes
des dernieres Declarations de vostre Majesté, & pour
n’auoir esté imposez que pour deux ans seulement,
quoy qu’il y en ait dix que le terme est escheu, allumerent
vn brasier qu’il couuoit sous les cendres : la Citadelle
qu’il fit bastir à Libourne contre la foy du traité
faict auec le Roy Louis le Iuste sur le razement du chasteau
de Fronsac, pour lequel nous luy donnâmes trois

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cens mil liures, à condition qu’on ne feroit à l’aduenir
aucune Citadelle dans le ressort de la Seneschaussee,
nous inspira d’vn mesme temps la deffiance de son procedé,
& le dessein d’autoriser la parole d’vn Roy : Les
troupes qu’il enuoya rauager nos maisons aux portes
de la ville, contre l’authorité de nos Priuileges, qui
nous exemptent du Logement des gens de guerre à dix
lieuës de Bourdeaux, nous animerent au combat pour
nostre liberté : les Temples prophanez, les Prestres assommez,
nos canons enleuez, nostre ville battüe, nos
femmes forcees, nos biens pillez, nos champs desolez,
la paix violee, la Iustice interdite, nostre innocence
adroittement contrainte sous l’appast d’vne abolition
à dresser son gibet, & preparer son suplice, ont armé
nos esprits à la deffence de la cause de Dieu, de Vostre
Majesté, & de nostre interest.

 

Dieu qui cherit son Image a protegé la iustice contre
la honte de cette interdiction, dont le Duc d’Espernon
la vouloit diffamer, quand rehaussant l’esclat de sa majesté
sur le temps que son ennemy la croyoit abbatüe,
elle a frappé son cœur d’vne terreur estrange, qui l’agitant
de conuulsions sensibles, a exprimé les remors de
son ame ; & quand du mesme esprit qu’il arma le Berger
pour abbatre l’orgueil de Goliath, il anima les frondes
des enfans pour le mettre dehors. Il a beny nos armes
lors qu’vnissant à nostre deffence deux Elemens
contraires, l’eau & le feu pour combattre Monstry, il
nous rendit auec vsure les canons qu’on nous auoit osté,
que ses troupes tousiours battuës par les nostres, ont
porté les palmes qu’elle auoient cueilly dans les terres

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estrangeres aux pieds de nos soldats, que le Chasteau
que les Gouuerneurs nous auoient vsurpé, a esté renuersé
par la foudre dont il nous a frappé, ne luy restant du
nom de Trompette qu’il portoit, que ce qu’il faut pour
publier à la posterité la cause de sa ruine & la honte de ce
persecuteur.

 

Vostre Majesté de sa part ordonnant la demolition de
la Citadelle de Libourne, la descharge des deux escus par
tonneau, l’esloignemẽt des troupes ennemies, la liberté
dans le choix de nos Magistrats, le restablissement de la
Iustice, l’amnistie des desordres passez, prononce pour
nos armes, absoult nostre innocence, & condamne la
calomnie ; Quel peuple plus glorieux d’estre iustifié par
la voix de son Prince ? Quel Prince plus aymable d’auoir
tendu la main à son peuple abbatu ? que ses actions accordent
auec celles de Dieu, puis qu’en ce mesme temps
qu’vn Dieu enfant porte la paix aux hommes, vn Roy
mineur la donne à ses sujets. Ce n’estoit pas assez que
Bourdeaux tousiours soûmis aux ordres de ses Roys,
tousiours zelé au salut de l’Estat, ayt esté le theatre sur
lequel les Anges ont serré le sacré nœud qui vous a mis
au monde, il falloit qu’il souffrit, pour estre fait le Temple
de la felicité, ayant esté l’objet de vostre amour,
soudain qu’il a esté le sujet de la grace ; heureuse guerre,
qui nous donne la Paix! heureux mal-heur, qui produit
le bon heur ! heureuse diuision, qui enfante la
grace ! Les desordres que Vostre Majesté calme dans le
Royaume, les conquestes qu’elle fait au dehors, les
cœurs qu’elle gaigne par tout, vous sont à meilleur titre
qu’au Iupiter des fables, le tres-Bon, aussi bien que

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tres-Grand ; nos recognoissances sont trop foibles pour
vn bien si Auguste, nos encens sont trop peu pour vn
si haut ouurage ; nos cœurs sont trop chetifs pour vn
Prince si digne ; si bien que n’ayant pas dequoy nous
acquitter, cherchons par nos vœus dans le Ciel la recompense
de l’Image de Dieu.

 

FIN.

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