Fonteneil, Jacques [?] [1650], HARANGVE ET REMERCIEMENT fait au Roy par les Bordelois, sur le sujet de la paix, AVEC SES ARTICLES. , françaisRéférence RIM : M0_3277. Cote locale : D_2_45.
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HARANGVE
ET REMERCIEMENT
fait au Roy par les Bordelois,
sur le sujet de la paix,
AVEC SES ARTICLES.

SIRE,

IL est des Sujets éloignez de leur Prince, comme
des peuples que le Soleil n’éclaire que par des rayõs
reflechis, qui souffrent de tres-longues rigueurs,
comme autant de suplices, d’autant que ce pere commun ne
peut voir qu’à demy l’estat de leurs disgraces. Vostre Trône est
trop reculé, pour voir la main soudain qu’elle nous frape ; Il est
trop éleué, pour sentir la douleur au moment qu’on nous blesse :
Et si quelques fois pendant nos mouuemens, l’image de nostre
misere s’est presentée à vos yeux, on a terny sans doute le poly de
la glace qui la representoit, pour la rendre l’obier de la haine de
vostre Majesté ; puis que pendant le temps qu’il ny eust point
d’Echo qui redit fidelement nos plaintes, on nous a fait languir
comme des criminels, pource qu’on nous a creu tout a fait miserables.

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Mais de puis que l’ainé des Parlemens (dans lequel la Iustice
& la Vertu ont estably leur Trône comme dedans vn Ciel)
s’est rendu sensible à nostre mal ; Que des personnes illustres
touchées de nos douleurs, ont demandé pour nous vostre compassion ;
Et que nos souffrances ont poussé des soupirs, qui vous
ont fait entendre, qu’il n’estoit pas inste, que la querelle de nostre
ennemy passast pour celle de l’Estat, & qu’on nous traictast en
rebelle pour n’estre pas ses adorateurs. La Iustice de vostre Majesté
leuant son bandeau, pour regarder nostre innocence d’vn
aspect fauorable, nous a donné la vie, en nous donnant la paix.

 

Secourir l’affligé, est vn chef-d’œuure de la bonté de Dieu,
dont vous estes l’image, aymer le peuple c’est auoir de l’amour
pour le bien de l’Estat, car quoy qu’il n’en soit pas la plus noble
partie par la bassesse de son employ, il fait la plus considerable
par le secours qu’il donne en la necessité, & pour dire le vray, les
grands tiennent des petits tout ce qu’ils ont d’illustre : de mesme
que les superbes edifices doiuent la gloire de leur éleuation, aux
pierres que la terre renferme, qui leur seruent de base. Il ny a
point de Rois s’il ny a de sujets, & pour ce que le peuple en fait la
plus grande partie, il merite vne plus grande protection, car si les
grands cõposent les fleurons de leur Courõne, les petits forment
le cercle qui enuelope & soustient tout le reste. C’est pour cela
qu’on obligeoit les Dictateurs à Rome apres leurs élections, de
visiter les oyes gardes du Capitole, & pouruoir à leurs necessités,
auant que salüer leurs Dieux, & brusler de l’encens au pied de
leurs Autels.

Les Gouuerneurs que V. M. commet dans les Prouinces à la
conduite de ses sujets, vnissant la prudence auec l’authorité,
semblent à ces images que les Empereurs Romains enuoyoient
dans les lieux sousmis à leur Empire, qui donnant la terreur aux
meschans, & seruant d’asile aux miserables, appelloient à soy les
adoratiõs d’vn chacun. Mais quand par cõtre sens ils n’emploient
leur pouuoir que pour faire du mal, ils ressemblent la teste, qui
pour s’estre trop grossie de mauuaises humeurs se rend insuportable
aux membres qui la portent. Si le Duc d’Espernon, que la iustice
du feu Roy éloigna de la France, & que la bonté de la Reine
a rappellé dans ce Gouuernement, eust pratiqué cette premier
Maxime, nous serions bien ensemble ; Si nous eussions souffere

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qu’on transportast les bleds qu’il chargeoit pour l’Espagne, &
qu’il nous eust osté le pain des enfans legitimes pour le donner
aux chiens, nous eussions esté les fideles non pas les reuoltez ; Si
nous eussions permis qu’il eust continué de faire de nostre Hostel
de Ville, vne chorme d’esclaues ; nostre reuolte eust passé pour
vertu ; les deux escus par tonneau de vin, desquels il prenoit la
moitié pour ses apointemens suprimez par Arrest, pour n’estre
point verifié aux termes des dernieres Declarations de vostre
Majesté, & pour n’auoir esté imposez que pour deux ans seulement,
quoy qu’il y en ayt dix que le terme est escheu, allumerent
vn brasier qu’il couuoit sous les cendres ; la Citadelle qu’il fit
bastir à Libourne contre la foy du traité fait auec le Roy Louis
le Iuste sur le razement du Chasteau de Fronsac, pour lequel
nous luy donnâmes trois cens mil liures, à condition qu’on ne feroit
à l’aduenir aucune Citadele dans le ressort de la Seneschaussée,
nous inspira d’vn mesme temps la deffiance de son procedé,
& le dessein d’autoriser la parole d’vn Roy ; Les troupes qu’il
enuoya rauager nos maisons aux portes de la ville, contre l’authorité
de nos Priuileges, qui nous exemptent du logement des
gens de guerre à dix lieuës de Bourdeaux, nous animerent au
combat pour nostre liberté ; les Temples prophanez, les Prestres
assommez, nos canons enleuez, nostre ville battuë, nos biens
pillez, nos champs desolez, la paix violée, la Iustice interdite,
nostre innocence adroittement contrainte sous l’appast d’vne
abolition à dresser son gibet, & preparer son suplice, ont armé
nos esprits à la deffence de la cause de Dieu, de Vostre Majesté &
de nostre interest.

 

Dieu qui cherit son Image a protegé la Iustice contre la honte
de cette interdiction, dont le Duc d’Espernon la vouloit diffamer
quand rehaussant l’esclat de sa Majesté sur le temps que son ennemy
la croioit abbatuë, elle a frappé son cœur d’vne terreur
estrange, qui l’agitant de conuultions sensibles, a exprimé les remors
de son ame, & quand du mesme esprit qu’il ainma le Berger
pour abbattre l’orgueil de Goliath, il anima les frondes des enfans
pour le mettre dehors. Il a beny nos armes lors q’vnissant à
nostre deffence deux Elemens contraires, l’eau & le feu pour
combattre Monstry, il nous rendit auec vsure les canons qu’on
nous auoit osté ; que ses troupes tousiours battuës par les nostres,

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ont porté les palmes qu’elles auoient cueilly dans les terres estrãgeres
aux pieds de nos soldats, que le Chasteau que les Gouuerneurs
nous euoient vsurpé, a esté renuerse par la foudre dont il
nous a frapé, ne luy restant du nom de Tronpete qu’il portoit,
que ce qu’il faut pour publier à la posterité la cause de sa ruine &
la honte de ce persecuteur.

 

Vostre Majesté de sa part ordonnant la demolition de la Citadele
de Libourne, la descharge des deux escus par tonneau, l’éloignement
des troupes ennemies, la liberté dans le choix de nos
Magistrats, le restablissement de la Iustice, l’amnistic des desordres
passez, prononce pour nos armes, absoult nostre innocence,
& condamne la calomnie ; Quel peuple plus glorieux d’estre iustifié
par la voix de son Prince ? Quel Prince plus aymable d’auoir
tendu la main à son peuple abbatu ? que ses actions s’accordent
auec celles de Dieu, puis qu’en ce mesme temps qu’vn Dieu enfant
porte la paix aux hommes, vn Roy mineur la donne à ses sujets.
Ce n’estoit pas assez que Bourdeaux tousiours soûmis aux
ordres de ses Rois, tousiours zelé au salut de l’Estat ayt esté le
Theatre, sur lequel les Anges ont serré le sacré nœud qui vous a
mis au monde, il falloit qu’il souffrit, pour estre fait le Temple de
la felicité, ayant esté l’objet de vostre amour soudain qu’il a esté
le sujet de la grace ; heureuse guerre qui donne la Paix ! heureux
malheur qui produit le bon-heur ! heureuse diuision qui enfante
la grace ! Les désordres que vostre Majesté calme dans le Royaume,
les cõquestes qu’elle fait au dehors, les cœurs qu’elle gaigne
par tout, vous font à meilleur tiltre qu’au Iupiter des fables, le
tres-bon aussi bien que tres-grand ; nos reconnoissances sont trop peu pour vn
foibles pour vn bien si Auguste, nos encens font trop peu pour vn
si haut ouurage ; nos cœurs sont trop chetifs pour vn Prince si digne ;
si bien que n’ayant pas de quoy nous aquitter, cherchons par
nos vœux dans le Ciella recompense de l’image de Dieu.

FIN.

Sur l’Imprimé, A BOVRDEAVX,
Par I. MONGIRON. MILLANGES, Imprimeur ordinaire du Roy.
1650.

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