Anonyme [1651 [?]], LA SVITTE DV MANIFESTE DV CARDINAL MAZARIN LAISSÉ A TOVS LES FRANCOIS auant sa sortie hors du Royaume. Confessant les motifs & les moyens qu’il a tenus pour s’agrandir. Exposant au vray tous les monopoles qu’il a brassé contre la Maison de Condé, & les intrigues qu’il a fait ioüer pour perdre le Comte d’Alais. Respondant à la temerité des entreprises qu’on luy impute. Déguisant ses fourbes en general par des pretextes d’Estat. Iustifiant les Simonies, les trocs, les permutations illicites, & les Retentions criminelles des pensions sur les benefices Ecclesiastiques. Déduisant les raisons qu’il a eu de disposer des gouuernements en faueur de ses creatures, & faisant voir les maximes necessaires à vn homme de peu pour s’esleuer & pour se soustenir dans les grandeurs. Ecce morituri vera hæc sunt verba Ministri Clau. in Eut. lib. 1. , françaisRéférence RIM : M0_2390. Cote locale : C_11_5.
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LA SECONDE PARTIE
DV MANIFESTE
DV CARDINAL MAZARIN.

LA candeur & la simplicité de mon premier
Manifeste, ont tellement surpris les
esprits, qu’ils se sont sentis obligez de
confesser à mon auantage, qu’enfin i’auois
esté capable de produire vne verité sans déguisement ;
& que i’auois apris pendant vn mois
de disgrace, ce que cinq ou six années de faueur
ne m’auoient iamais pû faire conceuoir. C’est
aussi sur la creance de cette grande approbation
qu’on a donné à ma premiere response, que ie
fonde les asseurances de cette seconde ; puis qu’ayant
experimenté qu’vn sincerité demasquée ne
charme pas moins puissamment les cœurs, que la
fourberie les rebutte, ie suis desormais engagé par
toute sorte de motifs, mais principalement par
ceux de mes interests, de n’exposer au iour que ce
qui sera rendu visible par vne euidence demonstratiue,
ou par vne vray-semblance du moins
raisonnable ; & de ne dire que ce qui ne sera pas
mesme capable de rebuter les plus incredules.

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Il est vray que ie ne me suis iamais dementy
dans le nouueau dessein que i’auois de ne mentir
point dans le precedent Manifeste : Mais neantmoins
i’estois tellement entrepris en le composant,
que la crainte de donner des ombrages de
quel que infidelité dans la tissure d’vn discours qui
deuoit redonder à ma gloire, ma fait fort legerement
voler sur les principales actions de mon Ministere,
sans me donner loisir de m’y arrester autant
de temps qu’il en falloit pour faire connoistre
tous leurs motifs, toutes leurs intrigues, &
toutes les soupplesses de leur conduitte.

C’est pourquoy ie me dispose maintenant à satisfaire
plus pleinement les esprits, sur l’idée que
i’ay qu’estant encouragé par les progres de mon
premier Manifeste, ie dois me porter auec plus
d’asseurance à l’acheuement du second ; & que les
fausses raisons d’vne apprehension pretenduë ne
pourront plus estre pretextées pour déguiser les
imperfections que i’y pourrois commettre, puis
que les beaux témoignages qu’on a donné à ma
sincerité ne me permettent point de desesperer
d’vne semblable issuë, supposé que ie ne demorde
point du dessein que i’ay de parler sans déguisement.

Pour cét effet, & afin d’assouuir plus entierement
la curiosité de ceux qui me voudront faire
la faueur de ietter les yeux sur ce Manifeste, ie

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m’en vais considerer ma fortune iusque dans sa
source, où est-ce que l’enuisageant dans sa bassesse,
ie découuriray le suiet qui me dõna l’ambition
de la releuer à quelque chose de plus haut ; les
moyens que ie mis en pratique pour en venir à
bout ; & les intrigues secretes que i’ay fait ioüer
pour la conseruer en son éclat, afin de conuaincre
mes plus grands ennemis ; que si i’ay fait quelque
faux pas, i’ay parfaitement sceu me soustenir, &
que ie n’ay iamais branlé que pour rasseurer plus
fermement ma fortune contre les secousses des
enuieux, que la ialousie n’a iamais manqué de
susciter à ma grandeur.

 

Dés que mes bons destins m’eurent ietté dans
le Palais du Cardinal Sachetti pour y seruir en
qualité d’Estafier, mon ambition naturelle se laissa
d’abord insensiblement charmer par le haut
éclat qui reialissoit de sa pourpre ; & me ressouuenant
de l’infamie de Postillon dont i’auois fait le
mestier pendant quelques années dans la Calabre,
ie fermay promptement les yeux à tous les oprobres
du passé, pour ne les ouurir doresnauant,
qu’aux objets plus ébloüissans, que les occasions
& mes propres recherches me presenteroient pendant
le temps que i’aurois le bon-heur de seruir
dans les Palais des Grands.

Cette passion n’estoit pas, ce me semble, trop
basse pour vn homme de ma naissance : elle eut

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esté neantmoins infeconde par l’impuissance visible
que i’auois de la faire paroistre, si le bon-heur
n’eust voulu que mon maistre vn iour estant allé
visiter Dom Ioan-Baptiste Renocini, Archeuesque
de Ferme dans la Marche d’Ancone, & presentement
Legat Apostolique en Hibernie, ie fis
rencontre d’vn certain maistre pipeur dans vn vilage
nommé Montalty, auec lequel estant entré
en conferance pendant quelques heures, que le
Cardinal Sachetti se trouua distrait à d’autres affaires,
i’eus le loisir d’apprendre de sa bouche les infaillibles
moyens d’agrandir ma fortune, & de
m’esleuer sur le faiste que mon ambition presentoit
à mes yeux, si ie ne voulois point faire de
scrupule de marcher par les mesmes voyes qu’il
auoit tenuës, pour l’entier assouuissement de toutes
ses plus maistresses passions, qui n’auoient iamais
esté que de vaincre au ieu, & d’emporter le
pucelage de toutes les filles que son amour luy feroit
attaquer.

 

Dés que i’entendis parler de scrupule, ie me
doutay bien des moyens qu’il me vouloit fournir
pour l’auancement de ma fortune, & qui n’eussent
sans doute pas manqué de faire fremir quelque
personne plus religieuse que ie n’estois : neantmoins
comme le desir de m’agrandir estoit celuy
qui predominoit le plus inuinciblement dãs mon
esprit, ie n’estimay plus que ses suggestions, & me

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resolus dés lors de m’acheminer au faiste des grandeurs,
par l’infaillible & le court abregé que i’en
apprendrois de ce bon maistre, sans autre risque
que celles de quelques pistolles que ie luy donnay
pour arres de la somme que ie luy faisois esperer
dans Ferme, si toutesfois ie pouuois auoir quelque
plausible raison, apres quelques prealables
essais de sa doctrine, d’esperer la iouïssance du bonheur
pour lequel ie renonçois si librement aux
interests de ma propre conscience.

 

La haste que le Cardinal mon maistre eut de
partir tout soudainement, interrompit la conference
que i’auois auec dom Piraldi, c’est ainsi que
ce nommoit ce maistre pipeur, mais non pas le
dessein que i’auois de la continuer, comme ie fis
dans Ferme ; où dés le troisiéme iour que i’y fus
arriué, ie receus de sa main, quoy qu’auec quelque
repugnance, vn carractere qu’il fit grauer sur
le chaston d’vne bague que ie portois à la main
gauche, auec promesse neantmoins que ie luy fis
d’vne vingtaine de pistolles, supposé que ie peusse
connoistre par quelque prealable essay que i’aurois
raison d’esperer de plus en plus de nouueaux
rehaussemens pour l’agrandissement de ma fortune.

Ie ne vescus pas long-temps dans l’impatience
de voir quelque effet de la doctrine de Piraldi, car
mon maistre s’estant trouué pressé de deputer prõptement

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vers le Cardinal Francisco Barberino,
pour vne affaire de grande consequence, & qui
ne pouuoit estre traittée que par vn homme d’authorité,
s’auisa par ie ne sçay quel aueuglement
de me faire quitter la casaque, & de m’en donner
la commission, mesmes auec l’estonnement
& la ialousie des Seigneurs qui estoient à sa suite,
qui ne pouuoient suporter ce chois que le Cardinal
auoit fait de ma personne sans indignation,
comme il n’en estoit pas vn de tous ceux qu’il ne
l’eust briguée auec beaucoup plus de pretention
que ie n’eusse iamais pû faire.

 

Ce beau commencement de ma fortune ne
me permit plus de douter de ses progrez, & ie
crus deslors que i’estois en beau chemin pour arriuer
bien tost au but que ie m’estois proposé
dans mon imagination : mais principalement
lors que cette deputation m’ayant reussi auec
beaucoup plus de gloire que ie n’en pouuois
raisonnablement esperer, ie connus enfin par
la faueur que i’acquis aupres du Cardinal Neveu,
que i’estois en trop haute posture pour
ny estre point consideré auec enuie, & qu’il
falloit asseurement esperer que puis que dés le
premier pas i’auois auancé tant de chemin dans
la lice des auanturiers, le reste ne me cousteroit
pas beaucoup, si ie ne m’espouuantois point
moy-mesme par l’estonnement d’vne si prodigieuse

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fortune.

 

Qu’on me blasme tant qu’on voudra d’auoir
regardé les grandeurs auec tant de mespris de la
Religion ; les maximes de tous leurs adorateurs,
& principalement cet apophtegme tant receu de
Iules Cesar, m’auouë desia suffisamment appris,
que la passion de regner, & de donner quelque
haut establissement à la fortune, ne pouuant nullement
compatir auec l’amour de la Iustice ; &
qu’il falloit faire marche pied de toute sorte de
Loix, pour arriuer à ce point, que l’ambition a
coustume de presenter aux esprits amoureux de la
souueraineté.

Aussi ne doutay-je plus deslors qu’il ne fallust
fermer les yeux à toute sorte de respects pour ne
les ouurir qu’au seul dessein que i’auois d’agrandir
ma fortune : C’est pour quoy i’ay preoccupé mon
esprit de l’importance de quelques maximes, que
cette mesme passion me suggera, resolu de n’epargner
le crime, que lors que ie le iugerois inutile ;
de n’estre iamais sincere, que lors que ie
ne trouuerois point d’asseurance dans le procedé
des fourbes ; & de n’appuyer, ou de ne me jetter
iamais dans aucun party, que par le seul principe
de mes interests.

Ie ne fus pas long temps à me determiner ; par
ce qu’outre que ie m’y sentois alleché par les
amorces flateuses du commencement de ma fortune,

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mon esprit estoit desia presque tout disposé
à ne se diriger que sur cette idée par les colloques
secrets que i’auois eu dans Salerne auec vn certain
nommé Palphini, qui preschoit assez ouuertement
contre l’immortalité de l’ame, & qui faisoit
voir par des raisons inuincibles, que le pretexte
de la religion n’estoit qu’vn obstacle bien
inuenté par les Legislateurs, pour seruir de barriere
à l’mpetuosité des meschans, & de bouclier à
l’obseruation des Loix ; mais que ceux qui s’en
sçauoient adroittemeut dispenser, pour ne viure
que dans la dependance des seules reflections de
leurs propres interests, ne pouuoient iamais manquer
de faire reüssir leur fortune, parce qu’ils ne
iugent point de moyen que cette passion ne rende
tres-legitime.

 

Quoy qu’il en soit, de tout mon procedé, le
sentiment de ce Philosophe iointe à l’experience
que i’auois de l’effet des maximes, depuis le fauorable
conseil de Paraldi, me fit entierement pancher
de ce costé-là ; & ie n’eus desormais point de
scrupule qui fust seulement capable d’esbranler
ma conscience à moins que ie ne visse point d’auantage
dans les entreprises ou ie me portois auec
le mépris de la Religion, conseruant du moins ce
reste de bonté, qu’il ne falloit poins autrement
tourner le dos à tous ces respects sacrez qui sont
les idolatres des peuples, que lors que i’y serois

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obligé par la necessité indispensable d’enuisager
mes propres auantages.

 

La premiere occasion qui me fit pratiquer ces
maximes, me fut fournie par le choix que le Pape
Vrbain fit de la personne du sieur Francisco Pamphilio,
neueu du Cardinal Pamphilio, seant à present
sur la chaire Sainct Pierre, souz le nom d’Innocent
X. Pour estre deputé à Cazal, malgré
toutes les mines que i’auois fait iouer secrettement
par les entremises mesmes des Cardinaux
neveux, afin d’emporter cet honneur sur toutes
les brigues de ce facheux Riual : Neantmoins
l’affection du Pape pour ce ieune Gentil-homme,
& l’estime qu’il auoit de sa capacité, pour le maniment
des affaires, ayant preualu sur toutes mes
menées, ie me sentis obligé de preuenir la honte
qui me deuoit infailliblement arriuer de cet affront,
par l’assassinat de celuy qui ne l’auoit emporté
sur moy, que parce qu’il estoit homme de
plus grand merite.

Neantmoins comme il estoit à craindre que la
conioncture des affaires, ne me fit assez probablement
soubçonner du crime, que iə meditois
dedans mon Ame, pour faire triompher ma passion ;
principalement sur l’idée que tout le monde
auoit, que la honte de me voir postposé me seroit
d’vne tres-mauuaise digestion ; ie m’imaginay
qu’il falloit ioüer de finesse, & ne precipiter

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pas auec imprudence, l’execution d’vn dessen,
qui pouuoit autant tourner à ma gloire qu’a mon
aduantage, si ie le menageois auec conduite.

 

Pour cet effet ie m’auise de faire connoistre à
tout le monde par les ressentiments de ioye que
i’en témoigne, que ie regardois le chois du sieur
Pamphileo auec plus de complaisance que de ialousie,
& que ie me contentois de l’honneur d’auoir
peu pretendre à ce qu’il auoit emporté, sans
permettre que mon impatience me iettast dans
aucun desplaisir qui peut marquer du despit de
me voir vaincu par vn homme de son merite :
bien au contraire ie dementis si adroitement le
desplaisir que ie norrissois dans mon cœur, que
non seulement ie ne fis pas croire à tout le monde
que ie n’estois pas marry de cette preferance ; mais
mesme ie fis si bien dans quelques iours de commencer
que i’eus auec luy, qu’on creut entierement
que ie deuois estre le compagnon de son
voyage.

Sur cette idée publique ie bastis le dessein de
l’assassinat que i’auois medité ; & l’occasion s’en
estant fauorablement presentée l’auant ueüille du
iour de son depart que ie soupois auec luy, ie ne
manque pas d’auertir celuy qui deuoit en executer
le dessein, de se trouuer auec quelques assassins
au lieu ou nous deuions passer, & d’assener
bien d’extrément son coup, quelque resistance

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que ie fisse aparement pour la garentir, & en effet
pour obuier à toute sorte de soubçon par le tesmoignage
que ses valets donnerent le landemain
de l’ardeur dont ie l’auois deffendu.

 

Cependant ie fis secretement ietter le soubçon
de cet assassinat sur Dom Martin Carafa neueu
du Cardinal de mesme nom, sur l’idée que
i’eu que le depit d’auoir brigué l’honneur de la
mesme deputation, & de ne l’auoir pas emporté,
ioint aux sensibles desplaisirs qu’il en tesmoignoit
importunemet ; Pourroiẽt donner quelque
creance à cette imposture. En effet ie la poussé si
viuement que ce Carrafa quoy qu’innocent, fut
contraint de consulter ses pieds pour sauuer sa
vie, me laissant par mesme moyen dans les esperances
d’estre deputé à Cazal, puisque de deux Riuaux
qui pouuoient me contester cet honeur ie
m’estois deffait de l’vn par l’assassinat, & de l’autre
par sa propre fuite.

Mes ennemis eussent peutestre bien eu autant
de malice, mais ie doute fort s’ils n’eussent point
mãque d’intrigue pour la faire reussir à leur auantage
comme ie fis auec toute sorte de succés, car
outre les remerciements que le Pape, & le Cardinal
Pamphilie me firent pour auoir genereusement
deffendu le parti de l’assassiné, ie fus encore
choisi pour porter le Caducee de la Paix dans
les armées de Cazal, ou l’Europe s estonna de me

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voir l’arbitre du diferent des deux Couronnes, ou
la France commença de reconnoistre ma capacité
pour le maniment des affaires ; & ou l’Espagne
connut que i’estois redoutable pour mes
conseils, puis que des la premiere intrigue i’auois
fait auorter toutes leurs souplesses, par la
plus illustre de mes fourbes.

 

Ce coup me mit dans le cœur de Louys Treiziesme,
dans l’estime du Cardinal de Richelieu,
& le Chapeau Rouge à la teste : Cependant Blancini
(c’estoit le nom du Maistre assassin dont ie
m’estois serui pour me defaire de Pamphilio) voyant
que i’estois Puissament de la faueur dans la
France, s’imagina qu’il en deuoit partager tous
les auantages, comme il en auoit esté le Principal
autheur & en effet l’aprehension que i’auois
qu’il ne ventast mes intrigues, si ie le rebutois
dans l’ambition qu’il auoit de se seruir de mon
Authorité pour esleuer sa fortune, m’obligea de
luy complaire en effet pendant quelque temps, &
de luy procurer quelque establissement en France,
en attendant l’occasion de m’en deffaire, des
que son agrandissement me seroit ou importun
ou redoutable.

Mon ambition ou l’impatience que i’auois de
me voir obligé de complaire à tous les desirs de
cet importun, soubs pretexte qu’il estoit complice
de toutes mes lachetez, me permit pas de diferer

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plus long temps le dessein de le perdre ; c’est
pourquoy l’ayant esleué à la charge de maistre de
Camp, moins par le motif de son merite, que par
celluy de mes aprehensions, ie l’enuoyé au siege
de la Mote en Lorraine, ou ie recommandé
soubs main au sieur Magalotti mon oncle qui
commandoit l’armée du Roy, de se defaire de
Blancini à quel prix que ce fut ; & de l’exposer
pour cet effet en des lieux ou la gresle des coups
peut rendre sa mort ineuitable malgré la communication
du charactere qu’il auoit coniointement
auec moy depuis le voyage de Fermodaus la Marche
d’Ancone.

 

Mais i’estime que ces intregues ne sont pas
d’vn assez grande consequence, pour me distraire
dauantage du dessein que i’ay de m’attacher à
celles que i’ay fait triompher dans la Cour Françoise,
où i’ay contraint mes enuieux de confesser
à ma gloire que i’entendois assez bien les souplesses
de la Politique ; & que i’estois capable de
trouuer des resources au desespoir mesme, si i’en
entreprenois la recherche pour l’establissement
de mes interests.

Ie prie mes Lecteurs de preocuper leurs esprits
d’vne reflection que ie fis dés mon premier pas
dans la faueur, ou dans le Souuerain Ministere
d’Estat, lors que venant à ietter serieusement les
yeux sur le soudain rehaussement de ma fortune.

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Ie consideray que la qualité d’Estranger me susciteroit
sans doute la ialousie des grands, Et qu’il
falloit aller au deuant des menaces que i’auois raison
d’en apprehender, par vn double establissement,
tant dans la France que dans l’Italie ; affin
que si les tempestes me bouleuersoient d’vn costé,
ie peusse me ietter dans l’autre, pour m’y mettre
à l’abry de leurs orages.

 

Pour cét effet ie iettay les yeux sur les grandes
alliances que ie pouuois faire dans la Monarchie
par le moyen de trois de mes niéces ; & sur les terres
que ie pouuois faire conquester dans l’Italie,
par le moyen des armes de France. Ie m’auisé encore
de faire bonne mine à la maison de Condé,
de faire tous mes efforts en effet pour la perdre, &
sur la creance que i’auois, que la grandeur où ie
voyois quelle alloit s’esleuant tous les iours, seroit
pour faire ombre à la mienne, & que son agrandissement
n’estoit pas moins incompatible auec
le mien, qu’il estoit impossible que ie disposasse
Souuerainement de toute la conduite de l’Estat,
pendant que ie donnerois le soisir à vn premier
Prince du Sang, de s’esleuer du Pair auec moy
dans la faueur : Outre cela ie fis tout ce que ie
peus povr disposer de tous les Gouuernemens de
France, en faueur de mes creatures, affin de me
rendre redoutable aux ennemys domestiques.

Que trouue ton à reprẽdre dans cette cõduite ?

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n’est-elle pas bien menagée ? pouuois-ie mieux
me mettre à l’abry des efforts de la ialousie, que
par le moyen des alliances que ie voulois contracter
dans les grandes maisons ? Pouuois-ie mieux
me prémunir contre les desastres qui sont quelquefois
inéuitables qu’en me procurant quelque
Souueraineté hors de la France, auec la disposition
de tous ses meilleurs Gouuernemens sur
toutes les frontieres.

 

Pour les alliances, comme i’en ay desia parlé
dans la premiere partie de mon Manifeste, ie ne
m’y arresteray pas beaucoup. Ie diray seulement
en passant que ie iettay d’abord les yeux, sur le Generalissime
des Galeres, sur le Colonel general
de l’Infanterie, & sur le grand Maistre de l’Artillerie ;
sur l’idee que i’auois qu’en augmentant encore
la grandeur du premier de toute l’Intendance
des mers ; qu’en releuant le pouuoir du second
par le moyen du Duché & du Gouuernement de
Guienne : & qu’en adioustant à tous les aduãtages
du dernier, le Gouuernement de Bretagne, ie me
rendrois redoutable à tous ceux qui me voudroiẽt
attaquer, par la seule consideration qu’ayant la
terre & la mer à m’a deuotion, ie n’aurois plus à
craindre que la crainte de n auoir point d’ennemis,
pour donner des preuues de mon authorité,
en les faisant succomber à mes coups.

Mais le premier m’est eschapé par les resistance

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du Prince de Condé, & par le mariage du Duc
de Richelieu auec Madame de Pons : i’ay perdu
les esperances du second, apres la honte de Bordeaux ;
le troisiesme m’a mesprisé, parce qu’il est
en peine de l’alliãce que ie recherchois moy mesme :
& pour cette mesme raison, i ay creu que la
Maison de Vãdosme me soroit ouuerte, tant
pour l’idee que i’auois qu’elle seroit bien aise de se
remettre, par mon moyen, dans la faueur dont
elle estoit descheuë par ma poursuitte, que sur
l’esperance, que les grandes richesses que i y pourois
faire entrer, esbloüiroit tellement les yeux
de cette illustre Maison, qu elles ne lui laisseroit
pas regarder la bassesse de son aliance, dont elle
n’estoit pas en recherche, puis qu’elle a l’honneur
de toucher de bien pres à la maison Royalle.

 

Comme ce dessein ne buttoit pas moins à l’etablissement
imprenable de ma fortune, qu à l’agrandissement
de la Maison de Vãdosme ; le Prince
de Condé n’a pas manqué d’en entrer en ialousie,
auec la iuste creance qu’il a eu, qu’outre la
grande disproportion qui se rencontroit dans ce
pretendu mariage, où le sang Royal deuoit estre
honteusement meslé à celui d’vn Chapellier de
Mazara en Sicille ; la necessité de me mettre à
couuert de toute sorte de dangers par le moyen
de cette aliance ; m’obligeroit infailliblement
à faire pancher toute la faueur du costé de la

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Maison de Vandosme, ce qui ne se pouuant sans
faire dechoir la sienne, & par consequent sans
faire naistre de nouueaux suiets de diuision dans
la France, il a creu qu’il estoit de son deuoir de faire
encore auorter l’esperance que i’auois de cet établissement,
par la resistance effectiue qu’il y a
opposé.

 

Si le Prince de Condé m’a choqué dans cette
conioncture, ie n’ay pas manqué de lui en rendre
la reuanche en me seruant mesme bien souuãt
du pretexte de sa propre generosité, pour tacher
de le precepiter dans les hazars, par les motifs de
l’honneur ; en faisant tousiours parler la Reyne au
gré de mes inclinations, afin de lui oster tout suiet
de plainte quand il seroit refusé ; & me mettre
à couuert de ses murmures, sous le pretexte que
ie prenois, de faire entrer la Reyne en possession
des charges qu’il eust peu iustement briguer,
cependant que ie iouyrois de tous leurs grands
reuenus.

Qui ne sçait l’intrigue dont ie me suis seruis
lors qu’apres la mort de l’Admiral de Brezé, deuant
Orbitello, ie me vis presque reduit à n’en
pouuoir point refuser la succession au Prince de
Condé son beau frere, par la iustice de la demande
qu’il en faisoit coniointement auec le Mareschal
de Brezé son beau pere : n’est il pas vray que
ie me voyois presque forcé par la raison mesme,

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d’enrichir & d’agrandir le Prince qui m’estoit le
plus redoutable, & de contribuer à ma propre decadance
par son establissement, si ie ne me fusse
auisé, quoy que par le conseil du sieur Boglio, du
Conte de Seruien & de quelques autres mes plus
confidens, d’obliger la Reine de se saisir de l’Admirauté,
affin que cependant qu’elle en porteroit
le nom, i’en tirasse tous les reuenus ; & que le
Prince de Condé ne peut point se plaindre du refus
qu’il en auroit eu, puis que n’ayant esté que
postposé à sa Souueraine, la moindre plainte ne
le deuoit pas faire paroistre moins inciuil que criminel
en matiere d’Estat.

 

Pouuoit il estre quelque chose de mieux conduit
que cette fourbe ? & n’est il pas vray qu’à
moins que de me comporter comme cella, ie ne
pouuois point m’oposer à la demande que Monsieur
le Prince faisoit de l’Admirauté, tant par les
motifs des grandes recompenses qu’il pretendoit
en consideration des seruices qu’il auoit rendus
à l’Estat, que par les pretentions que toute sorte
de raison luy donnoit d’esperer la succession d’vne
charge que son beau-frere n’auoit quitté qu’en
mourant genereusement dans le lit d’honneur,
pour la faire valoir auec plus d’eclat.

Ie pense toutefois que ie l’ay plus outrageusement
trauersé dans le dessein qu’il auoit de s’asseurer
de la Coadiutorerie de Liege pour le Prince

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de Conty ; & que mes vengeances ont plus glorieusement
triomphé de sa personne, lors que
malgré sa puissance i’ay fait auorter l’ambition
qu’il auoit d’adiouter ce nouuel establissement
à la grandeur de sa maison ; C’est icy que ie
pretends faire valoir m’a conduite & mon Authorité
tout ensemble ; la premiere en ce que i’ay si
iudicieusement menagé l’esprit des Liegeois &
du Duc de Bauiere, qu’à mesme temps que ie faisois
esperer à ceux là vn bon secours, ie donnois
asseurances à l’autre par des lettres expresses escrites
soubs main, que ie les abandonerois & que
ie ne permetrois iamais, que cette souueraineté
attachée successiuement à ceux de sa maison, tombât
entre les mains du Prince de Conty, quelques
instantes demandes neanmoins que les Liegeois
en eussent fait à la France par le sieur de Laune
leur deputé, auec les ofres exprez de nous laisser
tout le pays pour y prendre nos quartiers d’hiuers.

 

En effet bien loing de faire donner les ordres
au Comte d’Harcourt qui n’estoit esloignè que
de deux iournées de Liege, de s’en aller secourir
la place dont le Duc de Bauiere deuoit abandonner
le Siege, aux premieres nouuelles de ses approches ;
ie le fis amuser à fortifier la Villete de
Condé au milieu du pays ennemi, sans riuieres
sans passage, & esloigner de toutes nos autres

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conquestes ; & donné cependant le loisir aux assiegeants
de rasseurer leur puissance dans cette
souueraineté, laquelle ne pouuant enfin rambarrer
leurs efforts apres les vaines esperances du secours
dont ie les repaissois inutilement, furent
enfin contraints de subir toutes les loix des vainqueurs,
& de retourner auec plus de seruitude dãs
la tyrannique succession de la maison de Bauiere.

 

Pour l’Authorité pouuois-je bien en donner
des marques plus autentiques, qu’en faisant auorter
toute la Politique du Cardinal de Richelieu,
qui s’estant auisé dés le commencement de la
guerre, d’afoiblir la puissance d’Espagne dans
Liege & d’y fomenter pour cet effet vne puissante
faction par les intrigues de l’Abbé de Mouzon residant
de France, & du Bourg mestre de Ruelle ;
malgré les contremines du Conte la Varfusée ;
ne semble auoir basti ces superbes fondements
de la grandeur Françoise dans cette Principauté,
que pour me donner la gloire de les rẽuerser. Il est
vray que dans cette rencontre i’ay vn peu trahi les
interets de la France, qui ne pouuoit sans doute
qu’elle n’acrut beaucoup de son alliãce : Mais enfin
ie pense que c’est tout dire, que d’asseurer qu’il
m’estoit trop fascheux de contribuer à l’esleuation
de la maison de Condé ; & que la consideration
de mes interets ne me permetoit pas de regarder
que la France dont i’estois le premier Ministre, ne

-- 23 --

deuoit pas receuoir moins d’eclat que d’agrandissement
de cette belle entrée dans la souueraineté
de Liege.

 

On peut bien conduire prudemment vne belle
intrigue, on peut la faire reussir auec grand succés
Mais ie deffie bien les plus rusez de me pouuoir
marquer vn seul manquement dans la tissure de
celle-cy, où n’ayant serui le Duc de Bauiere que
par la necessité de maintenir ma fortune, i’en ay
neanmoins tiré deux millions ; où i’ay rompu vne
puissante faction que la France y auoit fomenté,
sãs que neãmoins les plus passionés pour le progrés
des affaires de l’Estat en ait iamais eu le vent ; bref
ou i’ay si bien menagé les esprits des Liegeois, que
i’ay fait porter tout le blasme du retardement du
secours, au Comte de Harcourt, par la creance que
ie leur ay fait donner secrettement, que la crainte
de n’auoir point assez de force pour resister aux
armes de Bauiere, luy auoit osté le courage de les
aller attaquer dans leur retranchements, quelques
ordres neanmoins qu’il eut receu de la Cour
pour en haster l’execution.

Auant que de passer à quelque autre fourbe, ie
suplie mes Lecteurs de preocuper leurs esprits de
la maxime que i’auois de me seruir tousiours de
l’ambition & de la generosité que ie reconnoissois
en ce Prince, pour pretexter aux mauuais desseins
que ie forgeois incessament sur la perte de

-- 24 --

sa Maison ; & certainement i’eusse fait triompher
cette Politique dans la conioncture des affaires
de Naples, si l’euidence de m’a fourbe n’eust fait
voir à ce Prince, que ie n’y allois pas de bonne foy ;
& que ie ne m’estudiois qu’à luy procurer des occasions,
qui deuoit plus probablement seruir d’écueils
que d’agrandissement à sa gloire.

 

En effet le Duc de Guise estoit desia pris ; le
Comte de Pignari, le Baron de Mornaro, les
sieurs de Castro, de Maltoti, de Carrafa, & plusieurs
autres Partizans de la faction de France,
auoient esté assassinez, & les Chasteaux principaux
qui leurs seruoient d’azile, remis entre les
mains du party d’Espagne ; lors que sollicité secrettement
par le Duc de Carces, auec l’assurance
de quelques millions qu’il me faisoient esperer
ie taschay de faire conceuoir au Prince de Condé,
que cette occasion estoit digne de son courage auec
les protestations que ie luy faisois, que ie rehausserois
encore la grandeur de sa maison du
nouuel esclat de cette Souueraineté s’il vouloit en
entreprendre la conqueste, que ie ne manquois
pas de luy rendre tres facile, quoy qu’en effet ie la
iugeasse impossible. Mais ce Prince sçachant
bien qu’il n’estoit plus de resource pour les esperances
de cette Souueraineté, & que i’en auois
abandonné le secours en vn temps où la puissance
d’Espagne n’y batoit que d’vn aisle ; respõdit a droitement

-- 25 --

que si i’auois des intentions si fauorables
pour l’agrandissement de sa maison, la Comté de
Bourgogne seroit plus à sa bien-seance, & qu’ainsi,
si i’estois en estat de faire paroistre m’a bonne
volonté dans les effets, ie n’auois qu’à luy procurer
vne puissante armeé, auec asseurance qu’il en
rendroit bon compte dans le temps d’vne seule
Campagne.

 

Quelque mal aduisé se fust trouué bien confus
de cette response : Mais bien loin de m’en estonner,
ie pris adroittement l’occasion de m’en seruir,
pour faire aprehender à la Reyne par le seul
pretexte de cette demande, qui n’estoit à vray dire
qu’vne simple proposition, qu’il ne se pouuoit
que ce Prince estant possedé de l’esprit de Souueraineté,
ne fut dautant plus redoutable, qu’il
estoit auiourd’huy le plus glorieux Capitaine du
monde : & par cette raison, il falloit bien estudier
toute la conduite de ses deportements, afin de
s’en asseurer à la premiere occasion : Ainsi sa response
mesme qui n’auoit rien de coupable que
dans la seule interpretation que ie luy ay donnay,
fonda le pretexte que ie pris de le faire regarder
par les deux premieres Puissances de l’Estat auec
des yeux de ialousie : & comme vn suiet moins
digne d’amour que de crainte.

Mais si les Politiques iugerent que i’auois assez
bien ioüé mon personage dans cette rencontre ;

-- 26 --

ie pense que la politique dont ie me seruis pour le
faire frustrer des iustes esperances qu’il auoit sur
la Principauté de Clermont, n’estoit pas moins
adroitement conduite ; puis que n’ayant point
veu de iour pour m’opposer raisonablement aux
volontez du Roy, qui vouloit le gratifier du don
de cette place, en recompense d’vne partie des
seruices qu’il auoit rendus à l’Estat : ie m’auisay d’y
contribuer moy mesme afin d’en faire presser, du
moins apparemment l’execution, cependant que
soubs main ie faisois interuenir des oppositions
de Madame la Duchesse de Lorraine, qui s’embloient
esloigner tout à fait le Prince de Condé
des esperances qu’il auoit d’obtenir bien tost la
possession de cette Principauté, & certainement
ie ne doute pas que ie n’eusse encore fait triomfer
les obstacles que i’opposois à cette iuste pretension,
si le Prince de Condé ne se fut point roidi à
n’estre esconduit dans l’interinemẽt d’vn don qui
luy auoit esté accordé par sa Maiesté ; & si mesme,
bien loing de se rebuter il n’eust redemandé puissament
la Principauté de Sedan en recompense
de celle de Clermont.

 

Neanmoins en cela mesme où ce Prince choqué
auoit toutes les raisons du monde de s’emporter,
ie trouay le moyen de bastir les fondemens
d’vne accusation : en ce qu’apres auoir fait cesser
les instances qu’il faisoit sur Sedan, par le retour
des esperances & de la reddition de Clermont, ie

-- 27 --

le fis passer dans l’esprit de la Reine pour vn Prince
violent & dangereux, lequel voulant estre non
moins absolu dans ses demandes que dans ses autres
volontez ne pouuoit enfin qu’il ne se rendit
trop redoutable par les asseurances de son impunité
dans la poursuite des effets de toutes ses brigues.

 

Ainsi ie ne pense point auoir perdu d’occasion
que ie n’aye pris par le poil, pour tascher de metre
des obstacles à l’agrandissement du Prince de
Condé iusque là que dans les conionctures mesmes
les plus innocentes, i’ay tous jours trouué de
quoy fonder des pretextes de soubçon & de ialousie,
pour le rendre redoutable dans l’esprit de
ceux qui pouuoient s’en deffaire.

L’affaire du Pont de l’Arche qui fit tant de bruit
à la Cour, fut vn des principaux points sur lequel
ie fonday la raison de le faire passer pour vn esprit
violent ; quoy qu’en effet il ne si soit iamais
comporté qu’auec plus de moderation que ie ne
m’estois imaginé, lors que ie pris le dessein de
m’opposer à ce gouuernement pour le Duc de
Longueville son beau-frere.

Il est vray qu’en formant des obstacles à la iustice
de cette pretention, ie choquois mes sentiments
particuliers sur ce subiet ; parce que sçachant
que le don du gouuernement du Pont de
l’Arche pour le Duc de Longueville estoit vn article
secret du traité de Ruel : ie ne pouuois le contrequarrer

-- 28 --

sans iniustice : mais mon dessein estoit
d’obliger le Prince de Condé par le refus d’vne
chose si iuste, de s’emporter suiuant les caprices
des grands cœurs à quelque extremité, pour en
tirer, si ie pouuois, le pretexte de le rendre Criminel
d’Estat ; & cette Politique ce me semble
n’est pas des plus grossieres, mesme au iugement
de mes plus grands ennemis.

 

Ie pense toutefois que ma Politique triompha
plus heureusement ; lors que le Prince de Condé
s’estant auisé de demander l’espée de Connestable
en recompense de tant d’illustres seruices qu’il
auoit rendus à l’Estat, ie me resolus d’en faire la
principale piece de mes batteries, pour le ruiner
sans ressource. En effet i’en exageray tellement
l’importance dans le Conseil du cabinet, que ie
fis conceuoir à la Reyne que cette demande du
Prince ne tendoit qu à se bastir vne puissance, qui
se rendroit redoutable & qui brideroit à mesme
temps l’Authorité du Roy ; ne manquant d’abord
de faire gouster à S. A. R. que le Prince ne buttoit
par ce moyen qu’à rendre son pouuoir infecond, &
sa Lieutenance Generale de l’Estat sterile. Quel
en a esté le succés, tout le monde le sçait : comme
il n’est personne apres cela qui ne soit contraint
d’aduoüer, que i’ay esté capable de faire passer vn
premier Prince pour criminel d’Estat mesme pour
n’auoir demandé, que ce que la iustice demandoit
auant luy.

-- 29 --

Ie m’estendrois maintenant sur les esperances
que ce Prince a eu de la Coadjutorerie de Mets
pour son frere, & que i’ay fait auorter par ma
resistance ; sur la negociation du mesme auec le
Duc de Mantoüe pour Charleville, & pour le
Mont-Olimpe ; & sur les pretentions que j’auois
de prendre Cambray pour en faire vne Principauté
auec Dunquerque, & les autres places qui
sont sur ceste coste : Si tout le monde ne sçauoit
que la poursuitte du premier n’a iamais esté plus
grande que celle qu’on fait dans les simples propositions ;
que i’ay par trop descrié mon injustice
pour auoir empesché que ce Prince ne se seruist
des liberalitez du Roy, & des biens de sa Maison,
pour achepter vne place qui estoit entierement à
sa bien-seance ; Que toute la Politique du monde
m’enseignoit de me procurer vne retraite pour
en faire l’azile de mes disgraces. Supposé que ie
vinse à décheoir de mon authorité, & que ie n’en
pouuois trouuer de plus commode pour ceste intention
que la Ville de Cambray auec sa suitte : Si
toutes fois i’en pouuois triompher auec les armes
de celuy que les Isles de sainct Honorat, les sieges
de Cazal & de Turin auoit mis parmy les plus
redoutables Capitaines du monde.

Il faut pinser la corde qui a plus resonné dans
l’Estat, & repasser vn peu sur la conqueste de l’Isle
d’Elbe, pour juger de la Politique qui me fournit

-- 30 --

les motifs de ceste entreprise ; Ie confesse, pour
moi, que ie ne m’y suis porté que par la seule raisõ
de mes interests, & que j’eus bien de la peine de
trouuer des pretextes qui fussent assez raisonnables,
pour y faire trouuer les aduantages de la
France, veu les grandes despenses qu’il falloit
faire pour l’execution de ce prodigieux dessein,
& le peu de necessité qu’elle auoit de s’agrandir
de ce costé-là, pendant que les affaires de Catalogne
& de la Flandre sembloient estre d’vne plus
illustre consequence, pour meriter qu’on les preferast
à des conquestes estrangeres.

 

I’en ménageay neantmoins si adroite ment le
dessein, que ie fis aduoüer à la France qu’il estoit
important pour sa gloire, de porter viuement ses
armes dans l’Italie, afin de faire conceuoir au Pape
par l’apprehension de quelque plus hardie entreprise,
que s’il portoit si hautemẽt le party d’Espagne,
comme il l’auoit desia tesmoigné dans quelques
occasions, il obligeroit la France par ceste
injustice de sa faueur de luy faire ressentir par les
effets, que son pouuoir n’estoit pas moins redoutable,
que celuy pour lequel il sembloit declarer
son authorité : Ceste raison à la verité, estoit
du moins apparemment bien fondée ? quoy
qu’en effect, ie ne pretendisse la donner dans
mon idée, que pour vn beau pretexte du veritable
dessein que j’auois de faire conquester Piombino

-- 31 --

& Porte Longone à la France, pour l’ériger
puis apres en Principauté, & la destiner pour azile
à ma retraite, supposé que quelque reuers de fortune
me fist quitter le gouuernail de l’Estat François ;
& d’obliger le Pape par les approches victorieuses
des armes de France, de ne reculer pas à
donner le Chapeau de Cardinal à mon frere le
Moine, dõt le refus me pourroit sans doute porter
à l’execution de quelque plus hardie entreprise,
que celle ie luy faisois paroistre fort redoutable
par le succez de celle cy : Il est vray que le Prince
de Condé qui faisoit les Sieges à peu de frais pour
espargner les biens de France, auoit quelque raison
de murmurer des grandes sommes d’or &
d’argent que ceste conqueste m’auoit cousté ; puis
que tant pour fournir aux frais de nos armées, que
pour en recompenser le Prince Ludouisio auec
la Principauté de Salerne, que l’Espagne luy donnoit
par nostre conuention au Royaume de Naples,
les despenses monterent à plus d’Onze millions.
Mais en eut-il deub couster la rançon de
dix Rois, & l’entiere desolation de tour l’Estat ; ie
ne pouuois en abandonner le dessein, à moins
que ie ne renonçasse à ma gloire & à mes interests,
dont les seuls motifs sont & seront à iamais
les plus forts arcs boutans de toutes mes entreprises.

 

Si mes ennemis ont grand sujet de crier à l’imprudent,

-- 32 --

à l’inconsideré, & au sot, iusques à present,
ie doute bien fort qu’il puisse estre de Politique,
capable d’entrer dans leur idée par le motif
de sa bonté, puis que ie puis asseurer que ie n’ay
iamais eu les interests publics que dans ma bouche,
que mes particuliers ont tousiours remply
tout mon cœur ; & que si i’ay gouuerné les renes
de la Monarchie, ie n’ay iamais consideré ses aduantages
que comme les pretextes des miens ;
comme ie ne me suis iamais mis en peine de
pousser les succez de ses affaires, qu’à mesme que
les miennes pouuoient aller du pair : N’est-ce pas
estre bien versé dans la Politique.

 

Neantmoins si celle-là n’est pas des plus rafinées
dans le jugement de tout le monde, ie pense
que ie les puis contenter, en ce qu’ayant disposé
de tous les Gouuernements les plus importans
en faueur de mes creatures, ie pense que
ie puis dire que c’estoit le veritable moyen
d’asseurer ma fortune, & de me rendre plus redoutable
à ceux qui voudroient entreprendre de
me precipiter du faiste du gouuernement : N’ay-ie
pas adroitement supposé vn crime d’Estat au
Mareschal de Rantzau, pour disposer de son Gouuernement
de Donkerke, en faueur de Lestrade
mon Capitaine de Gardes ? N’ay-ie pas refusé la
succession de Courtray au sieur de Bergeré, frere
du Mareschal de Gassion, pour en pouruoir le

-- 33 --

Baron de Paluau ? N’ay-ie pas fait interesser le
Roy pour refuser le gouuernement d’Ipre à Monsieur
de Chastillon qui s’estoit mesmement signalé
dans la prise de ceste place, quelques instantes
poursuites que le Prince de Condé son parent
fit pour le luy faire donner ; afin de le reseruer
encore au mesme Paluau ? N’ay-ie pas mis
Noüaille dedans Bapaume, Broglio dans la Bassée ;
& du costé de l’Italie Pignerol, Suze & Cazal,
ne sont ils pas entre les mains de personnes
qui sont à moy ? Du costé de l’Allemagne tout
le monde sçait que i’ay mis Tilhadet & la Clamere
qui se sont entierement deuoüées à mon
seruice, dans Brissac & dans Philisbourg ; Et du
costé de Bretagne, mesme Castelnau dedãs Brest ?
N’ay-ie pas éloigné de la Catalogne le sieur de
Marsin, parce qu’il estoit trop genereux pour
se rendre complaisant à pas vne de mes lâchetez :
Bref, est-il personne qui ne sçache que les
Gouuerneurs de Roze, de Perpignan, & de
Balaguier sont entierement à ma deuotion ; &
qu’ainsi ie n’ay point obmis de contrée, soit du
costé de l’Occident, soit du costé de l’Orient,
soit du costé du Septentrion, soit du costé du
Midy, où ie ne me sois quasi placé à l’espreuue
des attaques de tous mes ennemis.

 

Ie veux encore adjouster à ceste Politique le
nombre de quatorze Regimens tant estrangers

-- 34 --

que domestiques, que i’ay fait mettre sus pied
soubs mon nom, afin de faire du moins apprehender
ma puissance à ceux qui ne redouteroient
pas ma capacité, & faire craindre à mes ennemis
le danger d’vne derniere extremité, où ie me
porterois sans doute auant que de permettre
qu’on me precipitast entierement dans l’abisme
de mes derniers desastres ?

 

N’est il pas vray que ces précautions ne marquent
pas vne si visible imprudence que celle
que mes ennemis me veulent donner dans le
maniment des affaires ? Et n’est-il pas probable
que ma mauuaise fortune me reduit enfin à la
necessité de m’en seruir, si la France ne m’arreste
point en me donnant vn lieu de retraite où ie
puisse voir en repos la posture des affaires presentes,
en attendant la Majorité ? Croit-on que ie
n’interesseray pas ces Gouuerneurs de Places à la
deffence de mon party, soubs les esperances que
ie leur donneray, que mon restablissement dans
le ministere d’Estat, sera le rehaussement de leur
fortune ; & qu’estant appuyé comme ie suis encore
de l’authorité du Roy, ils pourront du moins
justifier leur resistance de ce pretexte que ie ne
suis choqué que par les seuls ennemis de ma faction :
Croit-on que ie laisseray les bras croisez à
ces grandes troupes qui sont sur pied, & que ie
sortiray de l’Estat auec ma courte honte, sans me

-- 35 --

seruir de Cent soixante & dix-sept millions que
i’ay pillés à la France, tant pour en faire de nouuelles
leuées de Gens de guerre, que pour grossir
mon party d’vne partie des plus Grands de l’Estat
que j’attacheray à ma deffence auec des chaines
d’or : Croit-on, dis-je, que les Anglois mesme
Republicains ne se sentiront pas interessés à
ma disgrace, & qu’ils ne se souuiendront point
du plaisir que ie leur fis pendant le siege de Paris,
lors que la crainte d’attaquer tous les trônes de
l’Europe, en ébranlant le leur ; & l’apprehension
de faire vne sedition dans l’Angleterre, par le
scrupule que les peuples pourroient auoir du plus
enorme de tous les parricides ; leur fit surseoir l’execution
de cét horrible dessein, iusques à tant
que ie leur leué ceste double peur tant par l’impuissance
que ie porté à la France de pouuoir venger
cét affront, que par la raison plausible que ie
donnay au peuple d’Angleterre de ne s’effrayer
point de l’horreur d’vn si grand attentat, puis
que les rebellions de la France dont i’estois le
principal Autheur, estoient à la veille de se porter
à vne semblable extremité.

 

I’auoüe bien que c’est auec quelque sorte de
déplaisir que ie me sens obligé de réueller les intelligences
secrettes que i’ay eu depuis quatre
ans auec les Generaux Faifax & Cronuel, par l’entremise
du Comte de Vverfange leur agent particulier,

-- 36 --

& déguizé dans Paris ; qui me fit enfin
consentir apres beaucoup de poursuittes, sur la
promesse de quatre millions qu’il me fit toucher
auant le remuëment, au dessein de causer quelque
grand sousleuement dans l’Estat, afin que
cependant que la France seroit occupée à calmer
ses troubles que ie deuois tousiours irriter de plus
en plus ; ils eussent plus d’asseurance de se defaire
de leur Prince souuerain, & d’affermir d’abord
les fondemens de leur Republique, sans crainte
que la France se sentant interessée à la vengeance
de cét affront, peut aller rompre leurs desseins
dans la foiblesse de leurs commencemens, par la
necessité qu’elle auroit, d’aller au deuant des
grands orages qui la menaçoient d’vn semblable
desastre, si toutesfois elle ne se hastoit-d’en étoufer
les naissances, sans diuiser ses forces en les partageant
à quelque autre secours.

 

Ceste action, il est vray, n’est pas trop aduantageuse
à la France ; mais enfin il faut auouër que
quatre millions sont fort ébloüissants, & qu’il
n’est point de lâcheté qu’vne si grande somme
ne justifie dans la creance de ceux qui iugent raisonnablement,
& mesme conformément au texte
sacré, qu’vne charité bien ordonnée doit commencer
par soy-mesme ; & que par consequent, il
n’est point d’honneste homme qui ne doiue agir
premierement par les motifs de ses interests particuliers,

-- 37 --

sans se mettre en peine des generaux, à
moins qu’ils y soient engagé par reflection.

 

C’est soubs la protection de ceste maxime que
ie me suis mis à l’abry de toutes les attaques du
torrent des Casuistes, qui n’ont sans doute point
manqué de proscrire ma teste à la furie de tous
les demons, lors qu’ils ont appris les trocs, les
permutations, illicites dans leur parquet ; & les
pensions immodiques que ie retenois sur les [1 lettre ill.]enefices
Ecclesiastiques : Il est vray que si leur sentiment
est souuerain, ie suis condamné sans resource ;
mais comme il est des Casuistes de Cour,
dont le jugement est plus moderé ; ie pense que
ie puis en appeller deuant leur tribunal, pour entendre
des Atrests prononcés en ma faueur, par
la reflection qu’ils font que les raisons d’Estat doiuent
estre les souuerainemens respectées ; & que
toutes les autres ne peuuent auoir de valeur qu’à
condition qu’elles seront subordonnées à l’authorité
de ces intendantes de toute la plus belle
œconomie de la conduite des Estats : Ainsi le
meurtre que la Theologie Moralle, condamne
auec tant d’aigreur ; la vengeance qu’elle veut arracher
entierement du cœur de l’homme juste ;
l’oppression des innocens, qu’elle mer si ie dois
ainsi parler parmy les cas preuorables ; L’hypocrisie
qu’elle appelle le voile de l’impudence, [1 mot ill.]
l’azile des plus grands crimes ; ne [illisible]

-- 38 --

moins point deffendus dans la Theologie de la
Cour, que lors qu’ils ne sont point auantageux au
progrez des affaires d’Estat.

 

Voila les maximes qui m’ont rendu insensible
à tous les reproches de la conscience des foibles ;
& qui m’ont fait juger que, puis que les biens de
l’Eglise estoit premierement sortis d’entre les
mains des Laïcques, ie pouuois par le motif de la
moindre raison d’Estat les faire retourner à leur
source. C’est pourquoy ie n’auois iamais de plus
grand deplaisir, que lors que son A. R. & le Prince
de Condé interessoit leur credit, pour faire
donner quelque Prieuré ou Abbaye à quelqu’vns
de leurs creatures ; parce qu’ils me frustroient
de l’esperance d’y pouuoir retenir quelque pension,
pour l’agrandissement de mes finances : Et
certainement c’est la seule raison qui me fit former
tant d’oppositions à l’Abbaye de Maymac,
que le Prince de Condé neantmoins emporta
pour vn de ses parens de la maison de Vantadour,
malgré toutes les resistances que ie fis pour l’en
empescher.

Il est vray que ce petit commerce m’estoit bien
commode, en ce que ie n’auois qu’à retenir vne
pension sur quelqu’vne des Abbayes que ie conferois,
pour recompenser les seruices de ceux qui
m’auoient obligé dans les occasions, sans que
pour cela ie fusse obligé de débourcer rien du

-- 39 --

mien : Ainsi ie faisois des liberalitez qui ne me
coustoient rien ; & ie donnois à ceux qui m’auoiẽt
obligé, ce que mesme ie n’eusse point pû conseruer
pour moy, sans vne auarice d’autant plus insupportable,
que plus elle deuoit estre visible aux
yeux de ceux qui espioient toutes mes actions
pour les censurer puis apres à mon desauantage.

 

Au reste, pour ce qui touche le conseil de conscience
estably par la Reyne, pour juger de la capacité
& de la vertu de ceux qui briguent quelque
dignité dans l’Eglise ; ie ne m’en suis iamais
seruy que pour examiner religieusement ceux
que ie voulois faire refuser quelques capables
qu’ils en fussent ; Cependant que ie faisois gratifier
soubs main, ceux qui n’en estoient point autrement
dignes, que parce qu’ils estoient entierement
complaisans à toutes mes volontez.
Ceste Politique est-elle bien si mauuaise, que mes
ennemis la jugent ? Sa conduite n’est-elle pas admirable
pour enrichir promptement vn premier
Ministre d’Estat ? Les moyens n’en sont-ils point
aussi efficaces qu’on les sçauroit desirer ; & n’est-il
pas vray qu’il n’est point d’inuention dont ie ne
me sois prudemment auisé pour me rendre le plus
riche Seigneur de l’Europe, par le vol de trois
cens millions que i’ay pillés à l’Estat pendant les
six années de mon Ministere.

Mais ie m’arreste trop dans la déduction de

-- 40 --

toutes ces souplesses ; Il est temps de faire voir le
iour aux intrigues dont ie me suis seruy, pour perdre
le Comte d’Alais, cousin germain du Prince
de Condé, & pour establir la subsistance de ma
fortune dans le Gouuernement de Prouence que
i’ay tousiours d’autant plus ambicieusement brigué,
que plus ie le jugeois à ma bien seance, à
raison de la proximité qu’il a, ou de la facilité du
moins qu’il me pouuoit donner pour passer dans
l’Italie, supposé que ie m’y visse enfin forcé par la
necessité d’y sauuer les restes des débris de ma
mauuaise fortune.

 

Pour cét effet, j’ay jugé qu’il falloit adroitement
ménager les mescontens de Prouence, escoutant
les plaintes qu’ils faisoient de leur Gouuerneur,
auec vne feinte compassion ; tandis que
ie donnois ordre au Comte d’Alais de la part du
Roy de s’en aller à Marseille pour establir des
Consuls au gré de sa passion, contre l’ancienne liberté
que les Bourgeois ont de faire le choix des
personnes qu’ils jugent les plus capables de soustenir
l’esclat de ceste dignité. Ne semble-t’il pas
que par ceste intrigue ie rendois mon intention
fauorable à l’ambition du Gouuerneur, puis que
ie me declarois apparemment pour luy, dans la
liberté que ie luy laissois d’attenter aux anciens
priuileges des Bourgeois de ceste Ville, pour donner
plus d’éclat à son authorité.

-- 41 --

Neantmoins ie n’auois point de meilleure intention
pour luy, que celle de l’exposer à la haine
publique ; & de faire seruir ces violences qu’il faisoit
sur les droicts des Bourgeois, au dessein d’en
tirer le motif de la sedition que ie voulois faire
soûleuer contre luy dés le iour de son entrée dans
Marseille : Et de fait, i’en pratiqué si habilement
le monopole, tant par l’entremise secrete de mes
creatures, que des Bourgeois mesme que ie sçauois
les plus passionnez pour la conseruation de
leurs Priuileges, qu’il ne reçeut point de plus fauorable
accueille à son entrée, que celuy d’vne resistance
generalle, où il perdit mesme son Capitaine
des Gardes, auec quelques autres de ceux
qui s’estoient tesmoignés les plus chauds pour la
deffense de son party.

Par le moyen de ceste intrigue, ie pretendois
obliger le Comte d’Alais au ressentiment ; & à recommencer
la guerre plus viuement que iamais ;
& la ville à presser fortement ses Deputés, de
pousser tousiours de plus en plus la perte de ce
Gouuerneur, par ces nouuelles preuues de sa tyrannie ;
ainsi ie me rendois complaisant à l’ambition
du Comte d’Alais pour le supplanter auec
moins de peine ; & ie le faisois seruir luy-mesme
d’instrument à la passion que j’auois de le faire
chasser du Gouuernement de Prouence, pour en
prendre d’abord la possession.

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En effet, lors que les Deputés de ceste Prouince
me vindrent trouuer à Dijon pour se plaindre
des violences du Comte d’Alais dans le dessein
qu’il auoit eu de leur oster la liberté d’élire des
Consuls, ie leur fis tous les accueils possibles, leur
protestant que ce Prince n’auoit point d’ordre de
les troubler en la possession qu’ils ont tousiours
eu de faire le choix de ces Magistrats annuels ; &
pour ne leur laisser point aucun doute de la fidelité
de ceste asseurance que ie leur donnois, ie leur
fis la faueur de les faire confirmer dans la possession
de leurs anciens Priuileges, quoy que ce ne
fust que pour les obliger encore dauantage de se
roidir cõtre les violences du Gouuerneur, & pour
reduire ainsi les affaires à la necessité de ne pouuoir
point estre accommodées qu’auec son seul
éloignement : Si cela n’a pas réüssi comme ie l’auois
premedité dans mon Conseil secret, ie pense
qu’on ne peut point s’en prendre à ceste conduite,
puis qu’il n’est point de Politique qui puisse me
nier qu’elle ne soit concertée auec toute sorte de
prudence, & qu’il n’estoit pas possible de menager
plus adroitement vne fourbe pour la terminer
aduantageusement : Le succez mesme ne
m’en eust esté que trop facile, si la conioncture
des affaires de Guyenne, où ie portois les interests
d’vn violent Gouuerneur ne m’eust fait paroistre
suspect, en choquant celui-cy ; & si tout le monde

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n’eust raisonnablement soupçonné en veuë des
approches de ma decadence, que ie pratiquois secretement
la perte de ce Gouuerneur pour me
mettre dans son Gouuernement à l’abry des orages
qui menaçoient ma fortune.

 

Ie sçay bien que plusieurs grands Politiques se
sont estonnez de la facilité auec laquelle ie me
suis tousiours porté dans les plus hautes entreprises,
sans considerer bien souuent que si le succez
n’en estoit point morallement impossible, il
estoit du moins parfaictement difficile : A cela ie
respondré auec toute la sincerité que ie pretends
auoir gardé dans toute la tissure de ce manifeste,
que i’ay tousiours partagé mes sentimens à deux
opinions, sans auoir iamais pû estre conuaincu
du contraire, par aucune des raisons, qui font ordinairement
succomber la superbe des plus grãds
Genies du monde. Pour la premiere, ie n’ay iamais
pû entierement consentir à l’immortalité
de l’ame ; ou du moins si les raisons euidentes
m’ont forcé de n’en desaduoüer point la verité receuë
generalement de tous les sages du monde ;
ie me suis opiniastré à la creance de ceste indispensable
fatalité que les Academiques establissoient
autrefois sur l’œconomie de toute la nature,
auec vne souueraineté si indépendante de toutes
sorte de dispositions, tant inferieures que superieures,
que l’ordre n’en peut aucunement estre

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alteré. Sur ceste creance qui me sembloit plus
plausible que la precedente, quelque inclination
neantmoins que i’eusse à ne la desaprouuer pas
tout à fait ; i’ay fondé les raisons que i’auois de ne
m’attacher pas tãt aux probabilitez du sens commun,
pour m’abandonner aux dispositions souueraines
de ceste fatalité que i’adorois vniquement
dedans mon cœur, auec asseurance que le
terme de ma grandeur estoit marqué, que les
moyens pour y paruenir estoient prescrits, & que
toute la prudente humaine seroit trop courte, ou
trop impuissante pour faire changer de route à la
prouidence de mes destins.

 

Le Sieur Iean Baptiste Renocini Archeuesque
de Ferme, & Legat Apostolique en Irlande, s’efforça
bien de me conuaincre sur la fausseté pretenduë
de ceste maxime, l’année 1644. qu’il passa
par la France pour s’aller embarquer à la Rochelle,
à dessein de passer en Irlande ; mais il me rencontra,
ou si opiniastrement, ou si raisonnablement
aheurté à n’en demordre point, que mesme
bien loin de succomber à ses raisonnemens, ie luy
fermay la bouche par vne seule demande que ie
luy fis sur le dessein de son voyage ; sçauoir est, s’il
estoit à sa disposition de le faire réüssir, ou si le
succez ne dépendoit pas absolument de quelque
ordre superieur qu’il ne pourroit point alterer,
quelque soins qu’il y peust apporter par sa propre

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preuoyance : Il me repartit à cela, qu’il n’estoit
asseuré que de l’incertitude du succez de son
voyage ; mais que les asseurances en estoient infaillibles
dans la connoissance de Dieu : Surquoy
i’adioustay d’abord qu’il auoit donc beau se conduire
& beau se regler, puis que le succés du voyage
qu’il alloit faire, n’estoit point à sa disposition ;
& qu’estant necessairement infaillible dans ceste
prescience superieure, il falloit par consequent
qu’il arriuast malgré luy, tout de mesme qu’il
auoit esté premedité dans le Ciel : Quoy qu’il en
fut de nostre conferance, ie croy que ce pauure
Legat adora bien ceste in dépendante fatalité, lors
que toutes ses resistances ne furent capables de
l’arracher des mains des Corsaires, qui luy volerẽt
à deux lieuës de l’Isle Verte, & à quatre-vingts
de l’Hibernie ; quatre cent mille liures que le Pape
luy auoit mis en main pour secourir les fidelles
de ceste pauure Eglise, trauersée par la persecution
d’Angleterre.

 

Pour moy ie confesse que c’est la principalle
raison qui m’a tousiours fait regarder les dangers
sans trembler ; & que ie ne me suis iamais tourmenté
du succez des affaires que i’entreprenois,
parce que i’estois conuaincu, que l’issuë en estoit
marquée dans la preuoyance de Dieu ; qui ne
manqueroit sans doute pas de me faire arriuer au
poinct qu’il auoit preueu, par la seule necessité

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qu’il auoit de n’errer point dans ses diuines connoissances ;
& qu’ainsi les dispositions que ie
pourrois apporter pour y réüssir à mon aduantage,
ne seruiroient qu’à me causer des inquietudes
qui seroient incompatibles auec la tranquilité de
mon repos.

 

De vray, n’auois ie pas toutes les raisons du
monde de viure dans ceste creance, lors que repassant
serieusement sur toute ma fortune, & celle
de mes ayeuls, ie me sentis contraint d’aduouër,
qu’il y auoit quelque souueraineté ou
quelque ordre indépendant de toutes nos dispositions
dans ceste conduite, puis que toutes les
auantures de nostre maison sont entierement incompatibles
auec les ordres de la Prouidence humaine,
qui ne peut à tout rompre trouuer des resources
que dans les affaires qui ne sont point encore
dans le desespoir, comme il faut necessairement
qu’elle succombe à toutes celles qui sont
dans extremité des malheurs.

Estoit il possible que mon grand Pere qui
estoit Batellier dans Castro, à deux lieuës de Genes,
éuitast le danger d’estre pendu en punition
d’vn vol qu’il auoit fait, si la Prouidence ne luy
eust ouuert les portes de la prison où il estoit bien
auant dans les basse fosses, par l’intrigue d’vn Sorcier
qui l’en déliura, à condition qu’il se rangeroit
de son party ; Les preuoyances humaines n’eussent-elles

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point esté courtes pour sauuer mon
pere, lors qu’vn assassinat le chassant de la Republique
de Genes dont il estoit natif luy fit chercher
son azile dans Mazare ville de Sicile, dont
mesme i’ay emprunté le nom, ne croyant pas que
celuy de Porcini que i’auois auparauant, sut assez
honorable, principalement depuis qu’il auoit
esté descrié par le vol & par l’assassinat de mes
deux derniers ayeuls : Ne falloit-il pas que ie perisse
apres le meurtre de Dom Pamphilio, quelque
precautions que ie portasse pour me sauuer, si
cét ordre superieur & indépendant ne m’eust arraché
des mains de mes ennemis : Qu’on iuge de
moy comme on voudra, ie suis encore dans la
mesme opinion, & quelque probalité qu’il y ait,
que ie suis à la veille de mon dernier desastre, ie
ne desespere pas encore de mon restablissement,
parce que ie sçay que ceste Souueraineté ne se
porte iamais à faire de ces grands coups, que
dans les plus visibles desespoirs. Voila ce me
semble vne histoire de fourbes desduite auec vne
grande sincerité ; & la seconde partie de mon manifeste
estallée auec toute la simplicité possible.

 

L’Autheur du Manifeste, prie les Lecteurs de
considerer, que s’il fait parler Mazarin de son A.
R. & de Monseigneur le Prince auec peu de respect, c’est
qu’il s’accommode à l’humeur farouche de ce Cyclope,

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qui n’a iamais appris la ciuilité ; Outre que luy faisant
faire son Manifeste, il a creu qu’il ne pouuoit le faire
paroistre plus courtois & plus juste, sans démentir
le dessein qu’il auoit de luy faire exposer au nud tous
ses sentimens.

 

FIN.

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Anonyme [1651 [?]], LA SVITTE DV MANIFESTE DV CARDINAL MAZARIN LAISSÉ A TOVS LES FRANCOIS auant sa sortie hors du Royaume. Confessant les motifs & les moyens qu’il a tenus pour s’agrandir. Exposant au vray tous les monopoles qu’il a brassé contre la Maison de Condé, & les intrigues qu’il a fait ioüer pour perdre le Comte d’Alais. Respondant à la temerité des entreprises qu’on luy impute. Déguisant ses fourbes en general par des pretextes d’Estat. Iustifiant les Simonies, les trocs, les permutations illicites, & les Retentions criminelles des pensions sur les benefices Ecclesiastiques. Déduisant les raisons qu’il a eu de disposer des gouuernements en faueur de ses creatures, & faisant voir les maximes necessaires à vn homme de peu pour s’esleuer & pour se soustenir dans les grandeurs. Ecce morituri vera hæc sunt verba Ministri Clau. in Eut. lib. 1. , françaisRéférence RIM : M0_2390. Cote locale : C_11_5.