Anonyme [1649], LA REVNION DES ESPRITS. , français, latinRéférence RIM : M0_3535. Cote locale : C_9_84.
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LA
REVNION
DES
ESPRITS.

IL est difficile de se taire, quand
il est necessaire de parler ; & le
silence des miserables deuient
la cause de leur douleur, lors que
la plainte en peut estre le remede.
I’approuue neantmoins qu’vn Particulier
souffre sans murmure, s’il ne s’agist que
de ses interests ; mais si quelque fâcheux accident
menasse la Fortune publique, le respect
qui retient son zele, le rend complice
des maux qu’il connoist ; & ie ne l’estime pas
moins coupable, qu’il tasche de paroistre
discret. Celuy qui refuse d’estre son Deffensseur,
deuient son Traistre. Il y a plus d’vn
an que ie suis spectateur oisif des desordres,
qui troublent la France ; & parce que ie iugeois
son mal leger, & parce que i’ay creu
mon secours inutile. Les funestes pratiques

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de ceux qui ne respirent que le sang des bons
François, me laisseroient encore dans l’assoupissement
respectueux qui a long temps
engourdi ma vigueur & dérobé mes lumieres ;
si les mal heurs qui sont inéuitables à nos
vies & à nos fortunes, ne commençoient d’estre
perilleux à l’Estat & à la personne mesme
du Prince. Ie ne reçois plus les excuses de
ma foiblesse, ie ne puis plus estre surpris des
illusions de l’erreur. Ce n’est pas vn Ministre
qu’on attaque, ni vne ville qu’on veut
desoler ; c’est le Royaume que ie voy sur le
bord de son precipice, & sur la derniere demarche
de sa ruine : peut on garder le silence
sans perdre la pieté ; qui ne soulage sa Patrie,
consent à sa destrustion. Vn fils muet
dés la naissance, n’apperceut pas plustost la
dague sur la gorge de son pere, qu’il l’auertit
du danger qu’il couroit, retenant ainsi la
main du Parricide ; la nature l’auoit empesché
de parler iusques alors, l’amour le rendit
éloquent iusques à persuader. Pourrois-ie
voir la France dans l’Estat pitoyable où elle
est, sans dire à tous ses enfans, qu’elle va
perir, s’ils refusent de la sauuer. Ie ne pretens
pas d’estre la triste Cassandre, qui luy annonce
ses mal-heurs ; mais bien vn charitable
Medecin, qui luy en montre les remedes.

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Que ie ne sois qu’vne foible voix, i’ayme
mieux me dissiper dans l’air, que de m’étouffer
dans son tombeau ; en preuenant sa ruine
ie ne seray pas contraint de la voir & de la
pleurer. Mais qui de tous les François a si peu
de lumieres, qu’il ne sçache les accidens, qui
menassent sa Patrie d’vne derniere desolation.
Ie ne luy dis pas, qu’elle n’est plus separée
du reste du monde par les montagnes
& les riuieres qui la deffendent des voisins ;
elle n’a plus ses frontieres dans ses rempars &
dans ses places fortes ; par tout elle void des
Ennemis qui la pressent. L’Allemagne ne
feint de se reconcilier, que pour reprendre
de la vigueur & l’attaquer ; l’Espagne croit
nous pouuoir faire maintenant le mal, qu’elle
nous a tousiours souhaitté. L’Italie a autant
d’Ennemis ou d’Enuieux de nostre gloire,
que de Sujets ; la Hollande & l’Angleterre
se preparent à nostre ruine, & commencent
de changer en haine & en ialousie, l’amitié
ou l’indifference qu’elles auoient pour nous.
On ne sçauroit douter que la tempeste ne s’amasse
de tous costez ; ce n’est plus du Septentrion
que nostre mal vient, l’Orient, le Midy
& le Couchant disputent à qui nous en
procurera dauantage. Mais si toute cette
animosité estrangere nous veut faire du mal,

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elle ne doit pas nous faire peur : nous sommes
assez forts pour nous deffendre, & pour vaincre ;
pourueu que nous soyons assez sages
pour nous reünir, & nous reconcilier. Que
tous les François soient amis, ils n’ont pas assez
d’aduersaires dans le reste de l’vniuers : on
a souuent veu toute l’Europe contre la France ;
mais si elle choque sa grandeur elle l’affermit ;
si elle tasche de diminuer sa gloire elle
l’augmente ; si elle la combat elle l’oblige
à triompher. Iamais nostre Empire n’a succombé
que par luy mesme, & il luy est fatal
d’estre tousiours la cause de sa destruction.
Rome qui dans peu d’années s’est renduë la
Maistresse du monde, employe plusieurs siecles,
pour trouuer sa premiere entrée dans
les Gaules ; iamais Cesar ne les auroit vaincuës,
s’il ne les auoit diuisées ; il a fallu qu’il
ait ruiné les Peuples de l’Auuergne par les
Autunois & ceux cy par leur propre foiblesse.
L’Angleterre seroit encore vne Isle inconnuë,
si les mariages ne luy auoient partagé
nos Prouinces, & la trahison donné plus
de la moitié de nos Princes. Dans la derniere
ligue, l’Espagnol qui se vantoit de posseder
autant de terres, que le Soleil en regarde,
n’auroit pas eu la hardiesse d’entreprendre
sur nous, si le François ne l’eust serui contre

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le François. Mais sans prendre des experiences
si loin, il y a quinze ans que nous battons
ce Roy vniuersel par tout où nous l’attaquons ;
il ne connoist pas vne Mer, il ne possede
pas vne Terre, où il ne trouue le debris
de ses flottes, & les masures de ses principales
forteresses. Il commence maintenant
d’esperer, d’autant que nous commençons
de nous diuiser ; il conçoit le dessein d’attaquer
nos frontieres, quand il croit le dedans
du Royaume broüillé. Il void nostre Prince
hors de sa Capitale, il le tient entierement
banny de nos cœurs ; il connoist du mouuement
dans quelques vnes de nos Prouinces,
il les iuge toutes dans la reuolte. Il entend
parler de la Cour & du Parlement ; il s’imagine
vn parti de Guelphes & de Gibellins
dans l’Estat. Il sçait que nos Finances qui
ont tousiours esté le nerf de la guerre, sont diminuées ;
il pense que ce nerf est tout à fait
couppé, & qu’il est victorieux, parce que
nous sommes foibles. Ie n’ay garde pour luy
oster la confiance de nostre ruine, d’amoindrir
la grandeur de nostre mal. Veritablement
ie le croy tel, qui doit conceuoir de l’esperance
& le François de la crainte. La Fortune
ne sçauroit faire d’auãtage en sa faueur,
que de nous diuiser. Il n’est pas des maladies

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du Corps Politique, comme de celles du naturel,
d’autant que ces deux Corps ont des
compositions fort differentes. La liaison du
premier n’estant que l’amour & la sympathie
des Peuples, il n’a que des cœurs pour membres ;
ainsi toute playe luy est playe du cœur,
& partant mortelle ; le second n’ayant pas
toutes ses parties si delicates n’a pas ses infirmitez
si dangereuses. I’auouë donc pour peu
que nous ayons de mal, que nostre Ennemy
doit esperer, & que nous pouuons craindre ;
puis que ce n’est pas sa force que nous auons
tousiours domptée, mais nostre foiblesse laquelle
succombe quelque fois, qui soustient
sa confiance & nostre apprehension. Neantmoins
si nostre entiere ruine ne doit venir
que d’vne mauuaise volonté que nous pouuons
changer, ie ne doute point que nous ne
soyons gueris & nos Ennemis trompez.
Quand il faudroit s’enseuelir dans des gouffres,
brusler au milieu des brasiers, s’exposer
au plus importun martyre de la Nature,
vn François auroit-il moins de courage qu’vn
Romain, ou luy reuiendroit-il moins de
gloire de son courage qu’aux Curces, aux
Sceuoles & aux Regules ? On ne peut moins
se promettre de ceux qui par charité ont secouru
les Nations, que de ceux qui les ont

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desolées par leur ambition. Ce n’est pas ce
qu’on demande de leur pieté, c’est assez de
vouloir estre heureux pour le deuenir ; que
chacun souspire au bien public, nous le restablissons.
Ne dissimulons point que quelque
mauuais Demõ n’ait depuis peu semé de
la zizanie parmi nous ; qu’il soit ainsi cela doit
il destruire l’amour de la Patrie, qui est si naturel
mesme dans le cœur des Barbares, que
ceux qui en ont esté mal-traittez apres des
seruices importans, se sont obligez par vœu
de ne s’en point ressentir. Themistocle ie
t’estime beaucoup plus que les Dieux à qui
tu sacrifie, quand ie considere que tu n’estens
la main sur leurs autels, que pour te lier
à l’amour d’vne Ville qui tasche de te banir
du monde. Mais qui se peut plaindre que la
France qui rend la liberté aux Esclaues, deuienne
la Marastre de ses propres Enfans.
C’est vne erreur de tenir qu’on ne puisse se reconcilier
à vn Particulier, mais c’est vne impieté,
voire mesme vn sacrilege de croire
qu’on ne doiue pas pardonner au Public. La
Patrie comprend toutes les amours, puis
qu’elle comprend tous les interests des Parens,
du Mary, de la Femme, des Enfans &
de tout ce que la nature ou l’amitié conioint ;
son amour doit donc preualoir à tous les sentimens

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que nous auons pour toutes ces personnes ;
& comme nous ne pouuons receuoir
d’outrages d’elles que nous ne soyons obligez
d’oublier, il n’y a point d’iniure de la Patrie
qu’il faille ressentir, soit qu’elle vienne
de l’erreur ou de la malice ; bien dauantage
si elle naist d’vn bon zele & pour des causes
que Dieu a suscitées, & que sa prouidence
cache. Qui seroit assez peu raisonnable
pour accuser la France ? ce n’est pas d’elle
qu’on est offencé, mais de ceux qui nous doiuent
leur bien veillance comme freres, ou
leur protection comme Maistres. Ne disputons
point de l’équité de cette plainte, accordant
qu’elle est raisonnable, elle deuient
criminelle, si le ressentiment tourne contre
nostre mere commune. Car s’il est iniuste de
se vanger du mal que nous fait la Patrie, n’est-il
pas impie de se ressentir sur elle de celuy
qu’vn autre nous fait. Bien loin d’en vser de
la sorte, nous ne deuons point auoir d’iniures,
que nous n’oublions pour son amour.
Emilius Lepidus & Fuluius Flacçus quitterent
leurs animositez particulieres, au moment
qu’on les declara Censeurs ; deux autres
laisserent leur haine à la frontiere, marchant
contre l’Ennemy public auec liberté de la reprendre,
lors que la Grece seroit à couuert

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de l’oppression. Y a-t’il quelqu’vn assez insensible
pour ne pas trauailler au grand ouurage
du salut public dans cette veuë, qu’il
n’y a rien de si genereux, rien qui donne tant
de veritable reputation ; non seulement parce
qu’on s’acquitte du principal deuoir, mais
encore parce qu’à l’exemple du Ciel & de celuy
mesme qui l’a creé, on fait des actions generales
& vniuerselles, qui ne s’arrestent pas
à vne personne, mais qui s’estendent aux
nations & à des Peuples entiers. Ouy s’il se
trouue vn cœur assez dur pour negliger le salut
de la Patrie en consideration de la generosité
& de la gloire qu’il y a d’y contribuer,
qu’il se rende à l’interest ; qu’il la sauue pour
l’amour de soy-mesme ; on perit dans la ruine
totale de l’Estat, l’Estat n’estant composé
que des fortunes particulieres. Mais pour
descendre à ce qui est de plus indiuiduel
dans ce Discours, ie maintiens qu’il n’y a
point de condition qui ne soit obligée de
trauailler au restablissemement de l’authorité
Royalle & à l’vnion des Peuples, qui
font la source de la felicité publique, puis
que leur decadence tire la desolation de toute
la France. Ie n’excepte personne ny de
ceux qui peuuent commander. ny de ceux
qui doiuent obeïr ; le Roy & le Sujet, le Vassal

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& le Prince y sont interessez. Ie ne parle
point de nostre ieune Monarque, son age le
rendant incapable du mal, le fait digne de
veneration ; sa personne nous doit estre vn
motif de reconciliation, puis que nos querelles
mutuelles tournent à sa ruine. Ie sens mon
ame outrée d’vne sensible douleur, quand ie
considere qu’on expose le petit fils du grand
Henry (contre le dire vulgaire) à porter la
peine des folies de son Peuple. Il merite vn
autre traittement des François, & si l’aueuglement
n’empeschoit point nostre raison,
nous ne nous repentirions pas des larmes,
que nous auons respanduës pour l’obtenir du
Ciel. Quant nous aurions tous les suiets imaginables
de craindre ou de hair ceux qui l’approchent,
sa seule consideration nous deuroit
vaincre, & persuader mesme au péril de
nostre vie de nous abandonner à sa discretion.
Ce n’est pas luy qu’on doit exhorter,
qu’il se montre à son Peuple il en triomphe.
C’est à la Reyne sa Mere, qu’il se faut addresse ;
i’espere qu’elle trouuera bon que ie luy
die, qu’on laisse à ses bontez d’acheuer le
grand ouurage de nostre salut. Qu’elle consulte
cette haute naissance, qui ne luy inspire
que de grandes & d’heroiques pensées.
Qu’elle se souuienne, que les ames celestes

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ne doiuent pas estre sujetes aux passions vulgaires
de la foible nature. Que sa vertu retienne
vne vengeance, que la prudẽce ne luy cõseille
pas. Qu’elle pese, que le propre heritage
de son fils c’est le cœur de ses Sujets ; qu’il possede
la meilleure partie de son Royaume, s’il
en a l’affection & les seruices ; & qu’il n’en est
pas le veritable Maistre, s’il n’en a que l’auersion
& les craintes. Qu’elle sçache qu’il vaut
mieux luy gagner des rebelles par la douceur,
que de luy faire des desesperez par
trop de seuerité. Le chastiment n’est plus
vn remede, quand il extermine ce qu’il corrige ;
il l’est bien moins, lors qu’il ruine ceux
qui l’exercent. Ce grand deluge qui noya
le Monde, l’a bien moins changé, que ces
legeres flammes qui tomberent sur la teste
des Apostres : l’amour fait plus que la mort.
Si pour tant de bonnes actions que cette auguste
Reyne a faites, & de vertus qu’elle a
pratiquées, il luy reste encore quelque Semei
à souffrir, qu’elle regarde plustost Dauid
que Iezable. Toute sa vie passée l’empesche
de ressembler à cette mal heureuse Princesse,
que l’exercice de la patience Chrestienne
la rende tout a fait selon le cœur de Dieu à
l’exemple de ce bon Prince. Il y a plus de
gloire à pardonner qu’à punir ; puis que ce

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luy qui pardonne surmonte la colere, & que
celuy qui punit y succombe. Les Bourreaux
& les Tyrans peuuent oster la vie, il n’y a que
Dieu & les personnes diuines qui la donnent.
Vaut-il pas mieux renoncer à vne vangeance
qui n’est ny Françoise, ny Chrestienne,
que de voir vne funeste montagne de victimes,
qui fasse douter si l’on est iuste ou
cruel. Mais quant toutes ces raisons seroient
impuissantes sur l’esprit d’vne Reyne toute
remplie de clemence & de misericorde, elle
ne doit plus pretendre de chastier les Coupables,
puis qu’elle ne les peut plus choisir. Les
bons & les fideles Sujets du Roy sont meslez
aux meschans & aux traistres ; on sçait qu’il y
a de l’offence, on n’est pas certain qui la faite.
Le Ciel espargne vn milion de Criminels
pour ne pas frapper vn Innocent ; ce seroit
mal l’imiter de perdre vn milion d’Innocens,
pour punir vn Criminel : Sodome mesme ne
pût estre bruslée que Loth n’en soit sorti. On
ne doit pas craindre cette rigueur d’vne
Princesse, qui ne s’approche souuent de la
source de toutes les douceurs, & qui ne reçoit
chaque semainé le Sauueur des hommes, que
pour apprendre à les sauuer. Elle a Dieu & sa
conscience pour tesmoins de sa vertu, elle
veut auoir tous les François pour obiet ou

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pour Spectateurs de ses misericordes ; elle
ayme mieux triompher de ses iniures par la
bonté, que de les examiner par la Iustice :
l’Amnistie est à son humeur vne glorieuse
foiblesse, l’aneantissemẽt vn pouuoir odieux.
Les Princes ne peuuent auoir d’autres sentimens,
n’ayant point d’autres interests ; ils
sçauent bien qu’ils sont petits s’ils n’ont vn
grand Maistre, & qu’il ne l’est que par la
grandeur & la felicité de ses Peuples. Ils n’ignorent
pas, que le mespris glace le cœur
des François ; qu’il le faut rechauffer par l’amour,
qu’ils ont naturellement pour leur
Souuerain. Sans doute la seule gloire qu’il y
a dans cette reconciliation generale sera le
motif de la charité, qu’ils exerceront dans
cette rencontre enuers leur Patrie. Quel autre
dessein les tiendroit aupres de nostre Monarque,
que la volonté d’asseurer sa personne,
& de luy persuader son retour. C’est d’eux
que Paris doit attendre ce coup d’Estat, qui
le peut remettre dans la splendeur de sa premiere
gloire, & dans cette riche abondance,
qui le rend non seulement la Capitale du
Royaume, mais encore le miracle de toutes
les Villes de l’Vniuers. Il n’y a point de tentation
qui ne soit au dessous de leur courage ;
les bien-faits ne les peuuent corrompre, ny

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les artifices tromper ; l’interest ne fait rien sur
leur cœur ny l’imposture sur leur prudence.
Les grandes & belles actions que l’vn & l’autre
ont faites, les animeront certainement à
se couronner de celle-cy. Tant de batailles
gagnées, tant de villes forcées par leur inuincible
bras sont autant d’esguillons, qui les
sollicitent à nous rendre nostre Roy. Leur
retour dans Paris auec luy fera le plus beau
triomphe, que leur vertu puisse iamais meriter ;
ils verront les cœurs de toute la France
attachez au char qui conduira leur gloire ;
& s’il est necessaire, tout ce qui se trouue auiourd’huy
d’illustre & de releué dans cette
superbe Cité, sera vni & conioint pour les
traisner dans le Louure. Pourroit on craindre,
que ceux qui tant de fois ont exposé leur
pretieuse vie & versé leur sang Royal, pour
aquerir de mediocres place à leur Prince, refusassent
d’affermir leur reputation par le
plus important seruice qu’on sçauroit iamais
rendre à l’Estat. Il y a plus de peril à conquerir,
plus de gloire à conseruer ; la conqueste
peut estre suspecte, elle est presque tousiours
coupable de tyrannie ; la conseruation de la
Patrie a toutes ses raisons legitimes & necessaires ;
l’vne attire l’admiration des ignorans,
l’autre merite l’approbation des Sages. Peut-estre

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que le Peuple qui est la moins considerable
partie de ce grand Empire, a des
moindres interests dans sa desolation ? Qu’il
ne soit qu’vn grain de sable dans la structure
de ce glorieux édifice, il tombe auec luy, s’il
ne le soustient par la liaison qu’il doit auoir
auec ses plus nobles & plus essentielles parties :
sa cheute l’enseuelit dans sa ruine. Mais
pour ne point vser d’artifice à l’endroit des
simples, ie ne veux que des raisons palpables
& sensibles pour luy descouurir l’interest
qu’il a de reprendre son rang, & de se remettre
sur la charge, qu’il semble vouloir secoüer.
Ie ne le touche point par la conscience,
qui l’oblige de seruir & de reconnoistre
ses Maistres ; ie ne luy dis pas que le Ciel, qui
luy a donné des Souuerains aux conditions
de l’obeïssance & du tribut luy deffend d’examiner
leurs actions ; qu’il entend qu’on souffre
leur persecution. N’a-t’il pas commandé
aux Chrestiens d’obeïr aux Diocletians
& aux Nerons ; ne leur conseille-t’il pas d’estre
plustost martyrs que rebelles, & de ne
les attaquer que par leurs prieres & leur patience,
qui sont les seules armes legitimes
contre les Roys. S’il arriue que leur mauuaise
conduite les fasse déchoir de leur dignité,
c’est à luy de les faire descendre de leurs thrônes,

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non pas aux Vassaux de les en arracher.
Il n’appartient qu’à Dieu de mettre en pieces
le manteau de Roboan, & de faire paistre
Nabucodonosor. Ie quitte ces grandes veritez,
ie renonce à la fable de Menenius
Agrippa, pour retirer le Peuple du mont
Auentin ; ces raisons ont trop d’éclat pour des
yeux debiles & malades ; ie ne m’attache
qu’aux considerations vulgaires. Qui ne sçait
que le Peuple ne peut attendre la protection
de son Prince, s’il ne l’ay de son seruice :
soustient-on des places sans munitions ? repousse
t’on l’Ennemy des frontieres sans forces ?
Tout cela ne se fait pas sans finances ; &
d’où vient l’or & l’argent que de la terre, ie
veux dire de la maison des plus viles fortunes
de l’Estat ? Le suc du petit ver à soye fait toute
la pompe du monde, la sueur du Paysan soustient
la grandeur des Empires, & iette dans
sa bassesse les fondemens de leur haute éleuation.
Que ce Peuple cesse de porter ses contributions
à l’Espargne de son Souuerain, il
abbat la frontiere de son Royaume, attire
l’Ennemy dans sa propre maison, & s’expose
luy-mesme à sa fureur. Ne disons point que
s’il ne gage vn Prince à sa deffence contre l’Estranger,
il se met en proye aux plus puissans
de l’Estat, qui pour n’auoir point de superieur

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qui les retienne, s’érigent en autant de
tyrans qui les oppriment. Si la domination
d’vn Maistre a quelque chose d’incommode,
la tyrannie de plusieurs est insupportable.
Mais pour ne se point arrester à des reflexiõs
trop vagues, examinons si dans cette derniere
licence qui semble auoir osté le ioug aux
Peuples, la Champagne a moins souffert, que
lors qu’elle estoit chargée des imposts & des
subsides ordinaires. Elle mesme crie qu’elle
auroit payé dix tailles des larcins qu’on luy a
faits en vn mois ; & neantmoins les troupes
qu’elle a nourries venoiẽt pour la deffendre.
Que toutes les Prouinces attendẽt le mesme
desordre, si elles refusent leur secours au Monarque,
qu’elles craignent leur entiere desolation,
si elles n’ont pitié d’elles mesmes. Il
faut donner volontairement la paye au soldat,
ou souffrir malgré nous qu’il la prenne :
la iustice regle ce qu’on donne, l’ambition
mesure ce qu’on prend. Ie sçay qu’il faut tondre
la brebis, non pas l’escorcher ; mais on
doit iuger qu’il y a quelque fois des temps,
où la moderation ne dépend plus de la bonté
du Souuerain : les besoins de l’Estat peuuent
estre si grands, que ses charges ne sçauroient
estre mediocres ; & les despences si necessaires,
qu’on les doit trouuer raisonnables. Ce

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n’est pas le Roy ou sa Mere, ce ne sont ny les
Princes ny les Ministres qui ont commencé
nostre guerre ; l’ancien Ennemy de la France
a contraint nostre dernier Monarque à la faire,
il nous l’a laissée auec vn nombre infini de
victoires. Veut-on abandoner tous ces auantages,
faute de secourir vn Roy qui ne combat
que par necessité ; veut-on en perdant
le fruit de tant de batailles qu’il hazarde vn
Empire, que tant de pretieuses morts & tant
de sang illustre ont augmente ? Que chacun
considere attentiuement cecy, ie m’asseure
que personne ne refusera son assistance. Ie
pardonne au Peuple s’il se laisse persuader,
qu’on peut faire la guerre sans qu’il en fasse
les frais ; puis qu’vn Ephore estoit ces iours
passez assez ridicule pour receuoir & faire
examiner vne proposition, qui promettoit
chaque année plus de deux cens millions,
sans que le villageois contribuast. Il n’appartient
qu’aux Beotiens qui ne sçauent pas conter
iusques à cinq, de supputer ainsi des sommes
immenses ; mais par mal-heur cette
Arithmetique ne fait point venir d’argent.
Qu’on permette donc au Souuerain de prendre
du secours, si l’on veut qu’il acheue
vne guerre necessaire, & par la guerre qu’il
nous procure vne glorieuse & vtile paix.

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Il ne luy reste plus que ce seul moyen pour
deffendre ses sujets ; puisque l’on pretend
qu’vn Roy dont l’autorité entretient le commerce
dans le Royaume, ne soit pas capable
d’y faire le moindre contract ny d’emprunter
vn quart d’escu. Les Sages ont bien fait
d’apporter quelque moderation & certaines
regles à cecy, mais ceux qui n’entendent pas
ce negoce ne deuoient pas s’en mesler. Ce
grand Maistre ou Reformateur des Finances
qui promettoit vne administration si nette
& si glorieuse, n’a pas crû rendre vn petit seruice
aux Peuples, s’il empeschoit par Edict
leur Souuerain de faire des emprunts. Et toutefois
il est euident que cette conduite va contre
leur seureté, puis qu’elle les laisse dans vne
continuelle obligation de fournir de l’argent
mettant le Prince dans vne perpetuelle impuissance
d’en tirer d’ailleurs. Si le Monarque
est tousiours pupille, le Vassal n’est-il pas tousiours
debteur ; si l’Estat demeure ainsi en tutele ;
faut il pas qu’il perisse ; si le Peuple est
epuisé, & que le Roy manque de credit, &
qu’il en manque par la plus sa le action, qu’on
puisse reprocher aux plus infames Banquiers.
Ce grand homme qui n’a iamais pris vne biquoque
qu’auec toutes les forces de la France
ne deuoit pas s’imaginer, qu’il fust facile de

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conseruer vne Monarchie sans argent. Il n’a
pû consentir à la ruine de son Roy, cette intention
est bonne ; il ne falloit donc pas destruire
la foy publique, qui depuis Pharamond
soustenoit le Royaume ; ny renuerser
dans vn moment le credit, que douze siecles
auoient à peine estably. Sa Politique ne luy
a pas apris que les Monarques ne sçauroient
estre pauures, & qu’ils sont tousiours riches,
quand ils ont de puissans suiets ; que ceux
qu’on nomme Partisans sont les Argentiers
du Prince à qui l’on ne donne quelques profits
sur l’an cinquante. que pour leur prendre
quarante neuf tout entier. Il n’est pas obligé
de sçauoir, que la Hollande trente fois
plus petite que la France, doit le double de ce
que nous deuons ; & que Gennes qui est separée
de l’Espagne par tant de Mers, y tient
par des chaines d’or qui sont ses prests. Au
moins ne pouuoit-il ignorer que la guerre
qui se fait auiourd’huy contre Parme par le S.
Siege, n’a point d’autre motif que l’acquit
des Monts de Pieté ; tant il est vray que le
commerce du monde se destruit, quand la
bonne foy cesse. Que le Peuple ne consente
point à sa ruine sous pretexte de soulagement ;
qu’il contribuë s’il ne veut perir ; &
qu’il se persuade que ceux qui ont tant d’interests

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à sa conseruation, n’ont que des pensées
de douceur & de misericorde pour luy.
Qu’il ne leur oste pas leur amour par sa dureté,
tenant pour certain que la paix qui est
la fin de nos souffrances est l’objet de leurs
vœux. Agreons qu’ils se seruent du Ministre,
que le conseil & la prudence du feu Roy à
choisi, & que l’authorité du Parlement & le
suffrage de ceux mesme qui pouuoient estre
ialoux de sa gloire à confirmé. Souffrons que
pour l’obliger à rendre à l’Estat des seruices
plus constans & plus fideles, il reçoiue les graces
& les biensfaits du Souuerain. Ce seroit
vne estrange impuissance qu’vn Roy ne pust
aggrandir son Ministre, & vne honteuse ingratitude
qu’il ne voulust pas le recompenser.
Neron qui estoit vn Monstre se deffendit de
reprendre ses biens faits à Seneque : le Bourreau
de sa mere ne sçauroit estre l’Ingrat de
son Maistre. Peut-estre y a t’il de l’excez dans
la magnificence ? Elle ne paroist point. La plus
longue faueur de ce siecle ne laisse pas six milions
à sa maison ; y a t’il dequoy s’estonner
apres auoir seruy plus de vint ans vn Monarque
qui en possede plus de soixante chaque
année. On void bien sans murmure qu’vn Enfant
que personne ne connoist, deuienne
quatre iours apres la promotion d’vn Pape

-- 24 --

Cardinal, Duc & Prince de deux cent mille
escus de reuenu. Ie ne flatte point vn homme
de qui ie n’attens rien, si ie parle en sa faueur
ie ne veux pas l’obliger ; ie tasche seulement
d’instruire ceux qui se plaignẽt peut-estre sans
suiet & certainement sans iustice. Mon dessein
ne va qu’à donner quelque adoucissement
à la douleur des Peuples, & à leur faire
voir, que leur veritable interest consiste à ne
point examiner leurs Maistres, à les secourir
de toutes leurs forces, & par leur amour &
leur respect les obliger à leur deffence. Et si les
moindres suiets du Roy conspirent ainsi au
salut public, qui doutera que cet auguste Senat,
que nos Monarques ont honnoré de la
plus esclatante splendeur de leur gloire, qu’ils
ont enrichy de leurs biensfaits, appuyé de
leur protection, secouru dans ses besoins, &
consulté dans leurs plus importantes affaires
ne mettent serieusement la main à l’œuure,
qui est le plus precieux effet de leur ministere.
A quoy luy seruiroit d’auoir esté iusques
à maintenant le Sanctuaire dans lequel ils
ont fait resider les loix fondamentales de
cet Estat anchre sacrée de la fortune publique,
& le vray Palladium des François. Ie ne voy
pas quel auantage il tireroit de la ruine de l’Estat,
ny quelle gloire il pretendroit dans l’oppression

-- 25 --

de celuy duquel viẽt tout son lustre &
son pouuoir. Ne decidons point si par le passé
quelques particuliers de ce Corps ont merité
l’exil en Alcibiades ou en Aristides ; s’ils
sont morts comme Socrate ou comme les
Graques ; ils ne sont plus de nostre iurisdiction,
ils ont vn Iuge qui les punit ou qui
les recompense de leur zele. Ce que ie soustiens,
c’est qu’il n’en reste pas vn dans cette
illustre Compagnie, qui ne soit resolu de
hazarder toute sa fortune particuliere, pour
raffermir la publique. Quoy qu’il n’y en ait
pas vn qu’on doiue soupçonner, il n’y en
a pas vn qui ne puisse mourir : ceux que l’âge
rend plus froids & plus timides ont assez de
courage, pour achetter de leurs vies le repos
& la tranquilité de l’Estat. Si leur martyre
est innocent & leur mort vtile, elle ne sera
pas mesnagée de ceux qui là souffriront, elle
sera seulement regrettée & enuiée de ceux
qui ne feront pas le mesme sacrifice. Ils veulent
bien auec ce qui leur reste de sang glacé
dans les veines, esteindre l’embrasement
qu’on prepare au plus superbe Empire de
l’Vniuers. Ils demandent à la Reyne, qui seule
doit estre l’interprette des volontez de
nostre Roy, qu’il luy plaise d’ordonner ce
que l’on desire de leur obeyssance. Il n’y a

-- 26 --

pas vn cœur qui resiste pas vne voix qui reclame ;
leur courage ne voit rien qu’il n’entreprenne,
ny leur patience qu’elle ne souffre.
Mais il seroit aussi dangereux que difficile
de choisir sa victime dans cette grande
Compagnie ; il n’y en a pas vn qui ne fust
ialoux de la gloire de son Compagnon ; ils
ayment mieux immoler tout le Senat, que de
hazarder vn Royaume qui est desia tout esbranlé
par l’horreur des massacres & de la tyrannie
dont nos ennemis le menassent. Quoy
que cette haine soit pretieuse, quoy que
cette perte soit irreparable tout le Parlement
la demande pour conseruer vn Empire à son
Souuerain, dont l’innocence ne doit pas estre
punie des mauuaises volontez de quelques
mutins. Mais si la necessité publique ne veut
pas cette resolution de leur zele, & qu’ils
puissent à moins de frais s’acquitter de leur
deuoir, ie n’estime pas qu’on leur reproche
iamais, qu’ils ayent manqué à ce que la Patrie
attend de leur pieté. Ils sont entre le
Roy & le Peuple, qu’ils attirent par leur mediation
les graces & les bontez du Prince
sur ses Suiets ; qu’ils soumettent par leur exemple
& leur authorité le respect & l’obeyssance
des Suiets au Prince. Que si quelque
chastiment est necessaire pour punir le crime,

-- 27 --

ou quelque seuerité vtile pour l’intimider ;
qu’ils se declarent hardiment les Censeurs
des desordres de la Canaille, & les
Solliciteurs des bontez du Monarque. C’est
en ce point que leur charité se doit animer,
on escarte les nuës par le son des cloches
& par des coups de canon ; qu’on nous dispose
le retour du Roy par la seuerité des
supplices. Est il iuste qu’vn nombre infiny
d’honnestes gens soient priuez de la presence
de leur Souuerain, pour ne pas hazarder
quelques Coquins, qui ne voulant
pas estre pendus pour des crimes vulgaires
se chargent tous les iours par des medisances
atroces de ceux de leze Maiesté. Leur
insolence est deuenuë odieuse aux moins
scrupuleuses oreilles, & il ne reste pas vn
Libertin qui ne condamne cette infame licence.
Ie sçay qu’vn Duc d’Ossonne empescha
le Pape de faire ietter le Pasquin dans
le Tibre, de crainte (à ce qu’il disoit) qu’il
n’y deuint grenoüille, & qu’il ne fist dauantage
de bruict. Il faut quelquefois vser de
cette douceur à l’esgard des mauuaises langues ;
mais si leur impudence n’a plus de
bornes, la Iustice ne doit plus obseruer de
moderation. Voila ce que le Parlement promet
à son Prince, voicy le sentiment que

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sa prudence peut inspirer au Peuple. Il n’y
a point de doute que ses charges ne soient
rudes, & qu’il ne soit temps d’auoir pitié
de ses miseres ; qu’il l’asseure auec verité que
c’est le sentiment de la Cour ; qu’il n’y a point
de tendresses à desirer dans le cœur du Roy
& de sa Mere ; que l’aage de l’vn & le sexe
de l’autre n’ont point de dureté qui les rende
insensibles à sa clameur. Mais enfin la
paix ne s’obtient que par la guerre, la guerre
ne se fait qu’auec l’argent. Que s’il a esté
iuste d’en chercher par tout, & mesme d’en
prendre sur les Autels, pour commencer vne
deffence qu’õ a crû necessaire, le sera-t’il moins
d’en demander aux Peuples, pour finir celle
que le Regne present a trouué allumée
contre l’ancien Ennemy de la Couronne. Il
vaut encore mieux porter son ioug quelque
peu de tẽps, que de le traisner plusieurs siecles,
ou de souffrir, l’insuportable de l’Estranger.
Donc que ces sages & venerables Peres des
Peuples leur mõtrẽt la belle recolte que la paix
leur promet, pour les animer à perdre encore
quelques grains de froment dãs le fascheux
hyuer de la guerre. Dans ce glorieux dessein
ils seront aydez de la benediction des gens
de bien, fortifiez du secours des Magistrats
subalternes, & recompensez des acclamations

-- 29 --

de ceux mesme qu’ils auront resolus à
la patience. Il y a de la peine à persuader vn
malade de guerir, quand il le faut porter à la
seignée, & à l’amertume des breuages fascheux ;
ie sçay aussi qu’Esculape n’est que
pour les grandes infirmitez. Ie m’asseure qu’il
n’y a personne dans le Parlement qui ne blasme
Platon, de n’auoir pas voulu secourir sa
Patrie, parce qu’il ne pouuoit luy faire du
bien sans luy causer quelque douleur par la
seuerité necessaire à ses maux. Le Sage ne
souhaitte iamais auec impatience sa Patrie,
quand il en est esloigné ; le genereux ne l’abandonne
point, lors qu’il la void affligée :
plus elle souffre de miseres, plus il a de charité.
Le grand & heroïque amour, naist de la
misericorde ; la medecine guerit les maladies
vulgaires, le miracle n’est que pour les desesperez.
Dieu mesme attend nostre extreme
desolation, pour nous donner son assistance ;
& quoy qu’infiniment bon, il a souffert la
derniere ruine du genre humain, pour auoir
la gloire d’estre son Sauueur. Nous sommes
menassez de tant de maux, qu’il faut employer
l’industrie de tout le monde, que la
douceur de la retraite ne retienne personne ;
si quelque merite extraordinaire se cache,
qu’on le pousse dans les affaires. C’est donc

-- 30 --

maintenant auguste Senat, que vostre zele
est necessaire, & que vostre seruice sera agreable ;
ne refusez pas à vostre Patrie, ce que les
Scythes accordent à la leur. Ne souffrez
point que le grand Empire des François se
détruise de soy-mesme ; aydez-le à se releuer
du precipice où il tombe. Toutes ses parties
sont encore saines & entieres, il ne faut que
les vnir pour les conseruer : vostre sagesse &
vostre authorité le peuuent ; ce que vous ne
ferez pas auec la balance, entreprennez le
auec l’espée. l’espere ce que ie demande de
ceux à qui ie parle ; que si ma voix est trop foible
pour se faire ouïr, ou que quelques courages
soient trop obstinez pour se rendre ;
qu’ils escoutent les plaintes de la France leur
chere Patrie, qui n’a de l’infortune que par
sa propre fecondité ; & qui ne demanderoit
que d’estre sterile pour estre heureuse. Cette
desolée leur dit ce que Rebecca disoit autrefois,
lors qu’elle sentit le combat de ceux
qu’elle portoit dans ses flancs. Que me sert
d’estre mere d’vn nombre infini de Peuples,
si ces Peuples me doiuent persecuter ? N’est il
pas plus souhaittable de n’auoir point d’enfans,
que d’en auoir qui me déchirent les entrailles ?
De quelque costé que ie iette ma
veuë ie trouue des François qui portent ma

-- 31 --

gloire & la terreur de mes armes aux extremitez
des deux mondes ; ils vont dans l’Asie &
dans l’Afrique vanger l’oppression des Tyrans.
Il n’y a point de dangers qui les retardent,
point d’obstacles qu’ils ne surmontent
pour me rendre glorieuse. Toutes mes frontieres
sont plantées des lauriers, que leur valeur
arrache de la main de mes Ennemis. Encore
auiourd’huy, i’ay sous mes pieds ce que
l’Europe peut opposer de ialoux à ma grandeur.
Il n’y a point de mers que ie ne passe en
triomphe, point de terrés que ie ne couure
de mes trophées. Et parce que mes Peuples
ne trouuent plus rien au dehors qui leur resiste,
ils viennent combattre chez eux. Leur
ardeur ne tient rien du feu celeste, qui ne
cherche point de nourriture dans sa sphere,
elle les consume eux mesmes, n’ayant point
de corps estranger. Il faut que mes enfans
m’amenent des Esclaues de tous les endroits
de l’Vniuers, afin d’auoir des Spectateurs de
mon desastre. Ceux mesme que i’ay vaincus
se mocquent de mes mal-heurs, & rient de
me voir enseuelis dans le tombeau que ie
leur auois creusé : ie tombe sous mes propres
victoires. Ce sont les mots qui finiront la
plainte & la gloire de la France, si Dieu qui
tient le cœur des Roys & des Reynes dans

-- 32 --

sa main ne les touche ; & que sa bonté ne donne
aux François l’esprit & l’amour qui les doit
vnir entre eux, & tous ensemble à la personne
facrée de leur Prince.

 

[2 lignes ill.]
Heliod.

Neretineas
verbum in
tempore salutis. Ecles.

A Septenttione
panditur
omne
malum. Script. S.

Dum singuli
pugnant
vniuersi
vincuntur.
Maneat
qu[1 lettre ill.]se duretque
gentibus
si non
amor at
certè odiũ
sui. Tacit.

Nihil præstare
maius
Fortuna patest
quam
hostium discordiam. Tacit.

Si quis est
qui neminem
bonæ
fide in gratiam
putet
redire
posse, suam
indicat perfidiam. Cic.

Chari sunt
Parentes
chari libevi,
propinqui,
familiares ;
sed
omnes omnium
chavitates
Patria vna
complexa
est. Cic.
semper in
iuriarum
honnestus
occasus est.
Ter.

Moderatori
Reip. beate
Ciniumvita
proposita
est ; huius
enim operis
maximi
inter homines
atque
optimi illum
perfectorens
esse
vole. Senec.

Quid-quid
deliurant
Reges, plectuntur
Achiui. Iuuen.

Metus &
terror vincula
infirma
caritatis,
quibus
sublatis
odium incipit. Tacit.

Si Deus es
tuibuere
mortalibus
beneficia
debes, non
sua eripere. Curt.

In singules
distringitur
seueritas
Imperatoris ; at
necessaria
est venia,
vbi totus
peccauit
exercitus. Senec.

Magna imperia
magnalatrocinia. Tacit.
Non minor
est virtus
quam quærere,
parta
tueri.
Virg.

Quomide
imbres uimios,
sterilitatem
&
cætera naturæ,
mala
sio luxum
& auaritiam
dominantium
toleranda. Tacit.

Quies non
sine armis,
armæ sine
stipendiis,
stipendia sine
tributis
haberi nequeunt. Tacit.

In regno
natisumus
parere libertas
est. Senec.

Nec enim vlla
res vehemẽtius
Remp.
cõtinet quam
fides quæ esse
nulla potest,
nisi erit necessaria
solutio
rerum creditarum Cic.

Si reddideris
pecuniam,
non tua moderatis,
sed
meæ crudelitatis
metus in
ore omnium
versabitur. Tacit.

Ab ditos
Principis sensus,
& si quid
occultius parat,
exquirere
illicitum,
anceps necideo
assequare. Tacit.

Melior est
mors quam
vita amara,
& requies
aterna, quam
langor perpetuus. Script. S.

Satius est semel
cadere,
quam semper
pendere. Senec.

Non expectes
vt statim
gratias
agat, qui
sanatur inuitus Tacit.
Non mihi
tantopers
consideran.
dum est,
quid in præsentia
velit
quam quod
sis semper
probaturus.
Pline 2.
Plato iubes
tantum
contendere
in Repub.
quantum
probare tuis
Cinibus
possis : vim
neque parenti
ne que
patriæ afferrieportore
Cic.
Magnum est
amor, qui
ex misericordia venit
Senec.
Non minus
Patriam diligese
debes.
quid est deformior, sed
potius misereri ;
nec
eam multis
præctaris viris
orbatam
priuare
etiam aspectu
tuo : &
si sapientis
est carere
Patria, duri
est non
desiderare.
Cic.

Collidebantur
in vt ero
eius paruuli ;
quæ ait :
si sic mihi
futurum
erat, quid
necesse fuit
concipere.
Duæ gentes
in vtero
tuo sunt ;
duo populiex
venere
tus diuidentur. Gen.
Satius fuisset
Niobem
sterilem
fuisse, quã
in lachrimas
& funera
fæcundam.
Cic.

FIN.

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Anonyme [1649], LA REVNION DES ESPRITS. , français, latinRéférence RIM : M0_3535. Cote locale : C_9_84.