Anonyme [1649], LA REQVESTE DES TROIS ESTATS PRESENTÉE A MESSIEVRS DV PARLEMENT. , françaisRéférence RIM : M0_3494. Cote locale : C_9_70.
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LA
REQVESTE
DES TROIS ESTATS
PRESENTÉE A MESSIEVRS
DV PARLEMENT.

Svpplient humblement les trois Estats du Gouuernement
de l’Isle de France, ioinct auec les Bourgeois &
Habitans de la bonne Ville de Paris, se faisant fort du
consentement & vnion des treize Prouinces & Gouuernement
du Royaume, & specialement de toutes les grandes
Villes, de la bonne volonté & intention desquelles lesdits
Estats sont associez, tant par paroles que par écrit, comme
aussi par la conionction de l’interest commun. DISANS
que depuis la mort du Roy Louys XIII. d’heureuse memoire,
quoy que les Princes, grands Seigneurs, & Officiers (des
ressouuenãces des enormes iniustices & maux intolerables
qui leur ont esté faites, & à tout le Royaume, par ceux qui
s’estoient emparé de la puissance absoluë prés du Roy,
sous le nouueau nom de premier Ministre d’Estat) eussent
protesté hautement de ne plus souffrir qu’vn particulier
s’éleuast ainsi sur les espaules des Roys, & à l’oppression
de tout le monde, neantmoins par le trop de bonté qu’ils
ont eu, il est auenu qu’vn estranger nommé Iule Mazarin,
s’est installé dans ce souuerain ministere, où il n’a esté éleué
par sa naissance ny par aucun seruice notable rendu à cét
Estat, ny par aucun merite, veu que l’on sçait qu’il est Sicilien
d’origine, & naturel suiet du Roy d’Espagne, de
tres-sordide naissance, qui a esté valet en diuers endroits à

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Rome, aprés y auoir feruy mesmes dans les plus abominables
desbauches de ce pays-là, & s’estant poussé par
ses fourbes, plaisanteries & intrigues, de tel action est
venu en France où il s’est introduit par les mesmes moyens
dans l’esprit de ceux qui gouuernoient, lequel l’ont
auancé pour leur seruir d’espion, & du ministere pour leurs
intrigues particulieres, & auec le temps s’est rendu fort
puissant sur l’esprit & sur le Conseil de la Royne, tenant
hautement tous les grands du Royaume, sans qu’on ait
recognu pendant ce temps d’autre authorité à la Cour, &
dans toutes les affaires du dedans & du dehors, que la
sienne, au grand scandale de toute la maison Royale & de
toute la France, & à la derision mesme des nations estrangeres :
Qu’aussi depuis six ans il a plus fait de mal, de degast
& de rauage, que les plus cruels ennemis n’y sçauroiẽt faire,
s’ils y estoient venus à main armée & vainqueurs : car il a
disgracié, bãny & emprisonné, sans suiet ny forme de iustice,
les Princes, Officiers de la Couronne, & Cour de Parlement,
les grands Seigneurs & les plus seruiteurs des Roys
& des Princes, fait mourir quelques-vns d’iceux par poison,
entr’autres le President Barillon, faisant passer pour crime
d’estre trop affectionné au seruice du Roy, & au bien
de l’Estat : il n’a aupres de luy que des gens tres-meschans,
sans honneur & sans foy, traistres, concussionnaires, impies,
& athées : s’est attribué la charge de gouuerneur du
Roy, pour le nourrir à sa mode, & l’empescher de la compagnie
des choses necessaires à bien regner, afin de demeurer
tousiours son maistre, luy insinuer des sentimens d’auersion
contre les gens de bien, contre les Parlemens, &
contre ses bonnes villes, de peur qu’ils ne s’approchent
vn iour pour luy faire cognoistre la verité du malheureux
estat où il les veut reduire, il a corrompu ce qui estoit de
candeur, de foy, de bonnes mœurs dedans la Cour, par des
artifices, fourbes, & perfidies : y a par son exemple mis en
regne les berlans & ieux de hazard, qui sont les ruines des
plus grandes maisons, & autoriser l’impudicité & rauissement,
dont il s’est plus veu d’exemples notables depuis

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qu’il ne s’en estoit veu d’vn siecle. A osté les charges sans
connoissance de cause à des personnes de merite, pour les
donner à d’autres, afin d’en faire ses creatures : a violé & renuersé
la Iustice, empeschant que l’on n’en puisse auoir aucune
contre ceux qui luy appartiennent, arrestants les iustes
poursuittes contre des crimes atroces, cassant & eludant
à tous momens les Arrests des Cours souueraines, par
des euocations & par des Arrests de Commissaires d’enhaut.
Qui pis est, il a pillé & rauy toutes les Finances du
Roy, & reduit sa Majesté en vne indigence extréme, & tous
les suiets dans vne misere pire que la mort ; car non seulement
il a épuisé tout ce qu’il y auoit de deniers liquides par
des comptans, qui montent par an à des cinquante & soixante
millions, mais encore il a consommé par auance trois
années du reuenu du Roy, pour embroüiller & confondre
à iamais l’ordre des Finãces ; Il authorise & amplifie estrangement
cette maudite engeance de Partisans, qui la pluspart
venus de laquais & palferniers ont mis les Tailles en
party, faisans leuer par le moyen des compagnies de fuzeliers,
qui sont autant de Demons déchaisnez : ont creé
grande quantité de nouueaux Officiers de toutes sortes, &
fait de iour en iour des imposts insupportables, pour l’execution
desquels ils se sont seruis de cruauté, & des tortures,
capables de tirer de la mouëlle des os des malheureux Frãçois,
qui eussent esté bien aises d’en estre quittes pour abandonner
tous leurs biens, & paistre l’herbe comme de pauures
bestes, s’estants veus tous à la fois 23000 prisonniers
dans les Prouinces du Royaume pour les taxes des Tailles,
& autres imposts, dont il en est mort cinq mil hommes dãs
cette langueur, l’an mil six cens quarante-six, ainsi qu’il se
verifie par escrouës & registres des Geolliers. Neantmoins
quoy qu’il ait consommé tous les ans plus de cent ou six
vingts millions, ainsi qu’il est aisé de iustifier par les Comptes,
en deniers prouenus, tant des Tailles, des Fermes,
des Parties Casuelles, des gages & droicts. Il n’a payé, ny
les gens de guerre, ny les pensions (desquelles toutefois il
monstre de grands estats pour couurir ses voleries) ny pourueu

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les places frontieres d’hommes, ny de munitions, ny
satisfait aux estats de la Marine & de l’Artillerie, dont il est
deu plus de quatre années : n’a fait aucuns biens aux gens
de vertu & de merité, ny donné aucune recompense à ceux
qui ont prodigué leur bien & leur sang pour le seruice du
Roy : au contraire, il a fait perir de malfaim & de necessité
presque toutes les armées du Roy, lesquelles n’ayant
touché depuis cinq années que deux montres par an, il est
mort plus de six vingts mil soldats de misere & de necessité,
& horrible pauureté. Si bien qu’il est certain, & se peut
prouuer par plusieurs témoins irreprochables, qu’il a partagé
ces grandes sommes de deniers auec ceux qu’il a authorisé,
& en a englouty la plus grande partie, qu’il a fait
transporter, tant par lettres de changes, qu’en especes &
pierreries, & ce soubs pretexte de faire la guerre en Italie,
& de conquerir quelques places, comme Piombino,
& Portolongone : Donc partant on sçait bien qu’il a laissé
les garnisons mourir de faim, leur estant deu encores à
present huict montres, & qu’il n’a point fait faire les reparations
necessaires, de sorte qu’elles ne peuuent resister
à la moindre attaque de l’ennemy. De plus, pour auoir
suiet de continuer tousiours la guerre, & par mesme moyen
les pretextes de sa tyrannie, & de ses voleries. Il a éloigné
la paix lors que la France la pouuoit auoir la plus auantageuse,
toutes les armées victorieuses ont esté sur le
poinct de faire de grands progrez ; il a rompu & détourné
par des malices secrettes, & n’a point eu de conscience de
les perdre & dissiper, & mesmes d’exposer les Princes qui
les commandoient ; comme l’on a veu en Catalogne par
deux fois, au siege de Lerida, à la surprise de Courtray,
& aux affaires de Naples, qu’il a laissé deperir, non sans
beaucoup d’apparence, qu’il s’entend auec les ennemis de
l’Estat, afin de trouuer refuge chez eux, si la France ennuyée
de ses tyrannies vient à le chasser. Ce Consideré,
MESSIEVRS, & de plus, qu’il est estranger, & estably
naturel suiet du Roy d’Espagne, partant incapable d’auoir
Charge en France, par les Loix du Royaume, par les

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Ordonnances des Roys, qui ont si souuent banny les Italiens,
& par l’Arrest authẽtique & celebre de l’année mil six
cens dix-sept, en suitte de la mort du Maréchal d’Ancre :
Il vous plaise faire remõstrance à la Royne, sur les grands
malheurs & desordres que ledit Mazarin a causés, & sur
ceux qu’il causeroir à l’aduenir s’il demeuroit plus longtemps
dans cette domination illegitime & violente. Comme
aussi de faire entendre & remonstrer aux Princes du
Sang la captiuité où les premiers Ministres de l’Estat ont
mis eux & tout le Royaume depuis si long-temps, les extrémes
dangers où ils les ont mis par plusieurs fois : leur
remonstrer deuant les yeux les reproches que leur feront
la posterité, de s’estre laisse surprendre, & de ne souffrir
plus qu’vn estranger mette en seruitude pour iamais le
Roy, & toute la Maison Royale. Partant que sa Maiesté,
& lesdits Princes, preuenant les dangers inéuitables qui
en arriueront si ils n’y pouruoyent promptement, veulent
faire arrester ledit Mazarin sous bonne & seure garde, repeter
de luy les finances du Roy qu’il a vollees, & le
chastier exemplairement de tant de crimes enormes qu’il
a commis. Et afin que la France, & les Roys, Princes &
peuples ne retombent plus à l’aduenir dans vne mesme
seruitude, que les Princes veulent se donner la peine,
comme enfans de la Maison, & leur interest coniont auec
ceux de l’Estat, & que ceux des François fauoris y
sont tousiours contraires de manier lesdites affaires par
leurs propres mains, non plus par celles des fauoris qui
les trahissent & les vendent, & de vouloir gouuerner eux-mesmes
par l’aduis des Seigneurs & des personnes de
qualité, d’experience & de probité irreprochable, sans
plus permettre l’entrée du Conseil à des gens de neant,
corrompus, & tels que ledit Mazarin y a introduits, afin
qu’ayant exterminé tous les imposts & les ruines de
la tyrannie passée, & remedier aux desordres infinis qui
sont prouenus, & ils puissent gouuerner la France sous
les Loix de Dieu & celles du Royaume, conclure vne
paix aduantageuse, faire respirer les peuples qui n’en peuuent

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plus : & en fin rendre cét Estat si puissant, & si heureux
au dedans & au dehors, qu’il ne craigne plus l’oppression
des meschans Ministres, ny les efforts des ennemis :
protestant les Estats, & les autres bons François,
qui Dieu mercy sont en Corps en grand nombre. Que s’il
n’y est pourueu promptement, & comme il est necessaire,
ils y employeront, s’ils y sont contraints, tout leur bien
& leur sang pour y remedier, & se seruiront de tous les
moyens que la nature & le deuoir enseignent pour defendre
son Roy, son pays, sa liberté, & sa vie.

 

FIN.

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